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-Les larmes de sang de Namgyal Dolma- Histoire tragique vécue en 2002 Par Alain Laville* Népal, 19 décembre 2002. Namgyal Dolma était tibétaine, âgée de 37 ans et mariée à Nyima, 40 ans. Parents de deux petites filles, Tenzin Tsewang, 9 ans, et Dekyi Yangzom, 6 ans, ils ont décidé d’avoir un troisième enfant espérant un garçon. Rencontrés en juin, ils étaient en pleine forme. Revus en septembre dans leur petite boutique de Pokhara, nous constatâmes les rondeurs de la future maman, toujours souriante, prévenante et très attachante. Nous n’avons pas évoqué le sujet, par pudeur et respect de leur vie privée. Une autre personne nous apprendra plus tard qu’ils ont déjà perdu un enfant au quatrième mois de grossesse. Leur boutique de Pokhara est accueillante avec ses colliers de pierre turquoise, ses bagues montées sur argent. Et tout un chacun qui rend visite pense que cette famille vit à l’aise. En passant dans l’arrière boutique, on découvre l’envers du décor. Une seule et simple pièce dans laquelle vit toute la famille. Une pièce de 3 mètres sur 3 seulement avec deux lits en L et un réchaud pour cuisiner la toukpa (soupe tibétaine) ou quelques momos (sorte de raviolis tibétains). Pas de table, pas de chaise. Les toilettes sont à l’extérieur et l’eau également. La promiscuité et la simplicité des lieux laissent supposer des conditions de vie très modestes. Nyima a servi dans l’armée indienne et ne perçoit aucune pension. Dolma tient la boutique mais compte tenu de la situation politique au Népal, le tourisme est en crise et plus personne ou presque ne fréquente la boutique. Les deux parents demandent à ce que nous parrainions leurs deux gamines. C’est pour reparler de tout cela que je me rends à leur boutique le 11 décembre 2002. Le rideau de fer est baissé et l’on m’informe que, malade, Namgyal est hospitalisée à Gandaki Hospital. Je pense un instant qu’elle va accoucher prématurément et je mets dans mon sac quelques baby gros. Mais un ami me dit que c’est vraiment sérieux et j’abandonne les effets à l’hôtel. A Gandaki Hospital, nous découvrons Namgyal sous perfusion et assistance respiratoire. Elle est méconnaissable, plus rien à voir avec le visage serein et doux des mois précédents. Elle ne tient pas debout, est à demi- consciente ou inconsciente dans une chambre austère. On me dit alors que cela fait deux semaines qu’elle est là et que son état a dégénéré après un prélèvement de liquide au niveau de poumons. Bref, son état n’inspire rien de bon et nous nous demandons bien pourquoi on la laisse là. Des soins intensifs sembleraient mieux appropriés à son état. Une infirmière, par mégarde peut-être, laisse le dossier médical sur un coin du lit. En face de la mention -pulsations cardiaques chez le fœtus - on lit le mot –ABSENT- en grosses lettres majuscules. Nous comprenons qu’il n’ y a déjà plus rien de bon à espérer côté bébé et le docteur confirmera le décès à l’intérieur du ventre de la mère. La suite c’est un enchaînement terrible. Transportée aux soins intensifs, elle recevra une médecine forte de nature à avorter. Ce qui fut fait. Le corps du bébé fut jeté à la rivière par les tibétains. En revenant, ils plaisantaient, affirmant que ce jour les poissons auraient bien mangé ! Ensuite, ce fut une hémorragie et la recherche de sang frais groupe A+. Nous aurons recours aux radios locales pour y parvenir. Enfin, les reins cesseront de fonctionner et le docteur confiera alors que ses chances de survie sont minimes, voire qu’il n’y a plus d’espoir. Nous dormirons tous à l’hôpital attendant le dénouement final. Durant la nuit, je dus me rendre aux toilettes. Je découvris alors ce que la correction m’empêche ici de décrire. « Des toilettes débordant d’excréments » est l’expression la plus courtoise pour résumer la chose. Dans d’autres toilettes ce sont des serviettes gorgées de sang qui attireront mon attention. Cette nuit là pas de nouveau cas admis en CIU (soins intensifs). La veille, dans la nuit, une jeune fille avait été transportée en salle d’accouchement. Venue de Lamjung, à quelques 75 kilomètres de Pokhara, son frère et des amis avaient décidé de la conduire à Pokhara , dès que les premières contractions l’avaient indisposée. Ils la portèrent durant huit heures, roulée dans une couverture. Ensuite ce furent trois heures de bus depuis Thumsikhot et enfin le taxi pour rejoindre l’hôpital. Un aide soignant du village lui avait conseillé d’attendre la dernière minute pour aller à Pokhara, pour accoucher, car lui avait t- il dit : « Ta santé est bonne et celle de l’enfant aussi »-. Sa sœur nous confiera qu’elle lui avait conseillé de venir à Pokhara au moins un mois avant la date prévue pour l’accouchement mais l’avis de l’aide soignant l’avait emporté. Le résultat c’est un accouchement rapide mais d’un enfant mort né car trop de temps perdu pour se rendre à l’hôpital. Et une jeune fille qui finit aux soins intensifs dans le coma. Elle, elle s’en est sortie. Namgyal, au petit matin, va mieux en apparence. Un docteur nous dira que son état s’est nettement amélioré depuis la veille et l’espoir revient. On nous conseillé à nouveau d’apporter du sang frais. On nous envoie vers la pharmacie avec des longues listes de médicaments très coûteux à fournir en urgence. Et on s’organise. Le lendemain je rejoins l’hôpital vers 10 heures. Un ami me dit que Namgyal va nettement mieux, que ses yeux sont ouverts et qu’elle entend nos paroles. Les apparences sont trompeuses : les reins ne fonctionnent plus et elle n’a pas uriné depuis plus de deux jours et demi. « Elle est condamnée si elle reste ici » nous confie un docteur, « avec une septicémie, des reins et un foie hors d’état de fonctionner, sa seule chance c’est de rejoindre Katmandou en ambulance et d’obtenir une dialyse impossible à Pokhara, faute de matériel adéquat ». Le Lama consulté dira que selon lui « il est inutile d’amener Namgyal à Katmandou » et Nyima est hésitant. Un choix entre religion et science. Finalement il écoutera notre propos : « c’est ta responsabilité et c’est la mère de tes fillettes ; une chance existe, minime, de la sauver mais c’est un risque à prendre ; tu décides ». Nous voilà partis pour Katmandou vers 13 heures, en ambulance, sans infirmière car l’hôpital n’a pas pu en affecter une. On nous a expliqué les rudiments pour régler l’oxygène, l’eau et autres perfusions. Un parcours de quelques 6 heures sur une route pas toujours en bon état. Des gémissements de Namgyal à chaque nid de poules ; des regards inquiets. Arrivés à Teaching Hospital à Katmandou, Namgyal est admise immédiatement aux urgences. La suite va très vite et c’est l’horreur. D’ abord un corps qui regorge de sang. Le staff en évacue en quantité par la bouche. A mon avis elle a fait une hémorragie interne, mais le cœur tient bon, l’électro - encéphalogramme est normal. Et on nous demande de presser un ballon d’air à rythme régulier pour l’aider à respirer. On exécute au mieux ce que l’on nous dit de faire. Le temps passe. Les infirmières, cherchant désespérément une veine intacte après deux semaines passées à l’hôpital, prélèvent du sang. Et puis le staff disparaît et nous sommes là à pomper pendant qu’un jet de sang coule du nez de Namgyal. Et puis des larmes coulent le long de son visage, des larmes rouges, les dernières larmes de Namgyal, des larmes de sang. Dix minutes plus tard tout sera fini ; son cœur aura cessé de battre et le jeune tibétain qui nous relayait pour presser ce ballon d’air reste là, médusé, le ballon entre les mains ne sachant que faire. Autour de nous une jeune fille crie son envie de se suicider Apparemment elle a absorbé pas mal de médicaments. Nous, nous avons lutté, avec Namgyal, pour sauver Namgyal. Un combat inutile puisque qu’elle nous a quitté. Mais seul après les faits on peut ainsi énoncer une telle évidence, à moins peut être d’être Lama. Transporté à la morgue, le corps de Namgyal ne peut être mis au froid. On découvre l’absence de frigo fonctionnant normalement. Ils fabriquent du chaud. Nous déposons un linceul blanc sur le corps sans vie et l’abandonnons dans cette salle. Il ne me reste plus qu ‘à renter et à annoncer le décès à la sœur de Namgyal , dormant à la maison. Les mots ensuite seront inutiles. Levés à 4 heures du matin nous rejoignons l’hôpital pour la puja (Cérémonie religieuse) dite par un grand Rimpoché (Lama tibétain) de Swayambunath. Il évacue les esprits du corps et nous partons ensuite vers Teku pour la crémation. Elle sera parfaitement conduite et rien, plus rien, ne reste du corps sous le regard hagard et en pleurs de Nyima qui n’a cessé de prier, chapelet en mains. Namgyal est partie, son sourire a disparu, reviendra t- elle ? Cette histoire peut en incommoder certains, d’autres ont connu cela dans d’autres pays, d’aucuns se demanderont pourquoi je la raconte. Les enseignements que l’on peut tirer de cette fin tragique sont en tous cas très importants. • D’ abord constat est fait qu’avant d’administrer les médicaments à Namgyal, on nous a toujours demandé de produire la facture avec la mention « payé ». Et ces médicaments avaient un coût très élevé si on le rapproche du niveau social au Népal. L’admission aux soins intensifs n’a été possible qu’après paiement de la facture. Et un premier enseignement : au Népal si vous avez les moyens, vous survivez à l’hôpital. Si vous êtes pauvre et en mauvaise santé, vous avez très peu de chances de vous en sortir. Namgyal, elle, était trop malade au moment ou nous sommes arrivés, pour s’en sortir malgré les soins et les médicaments prodigués et la participation financière de plusieurs pour régler les factures ; d’autres, pour beaucoup moins grave qu’elles, y laissent aussi leur vie. • Autre constat : l’absence de postes de soins réellement efficaces dans les villages et d’aides soignants dignes de ce nom, parfois, occasionne des morts inutiles. La jeune fille de Lamjung a perdu son enfant et si sa famille solidaire n’avait pas eu l’argent pour payer les soins, elle serait elle aussi décédée suite à des conseils mal avisés. • Autre enseignement : la communication avec les staffs fut parfois très bonne, en d’autres endroits elle a péché de par le manque de clarté et un manque évident de confidentialité. Tout le monde entend tout sur tout le monde. Côté organisation, ce sont souvent les proches du patient qui doivent gérer faute de personnels. • Autre fait avéré : il est parfois difficile de choisir entre science et religion. Le Lama avait- il vu la mort fatale de Namgyal, oui je le pense. Fallait-il pour autant refuser la dernière chance qui restait de sauver une vie ? Nous pensons avoir fait ce qu’il était nécessaire de faire. Un seul regret dans cette histoire : ne pas être arrivé à Pokhara plus tôt. • Autre constat toujours : les hôpitaux népalais sont sous équipés. Des lits pouilleux, des couvertures d’un autre âge. Des conditions insalubres et un manque de matériel. Les soins intensifs sont eux à priori bien équipés. L’entretien laisse à désirer. Les frigos à la morgue à Katmandou produisent du chaud et non du froid. • Aucune infrastructure d’accueil pour accueillir les familles et on dort sur des bancs ou à même le sol dans le couloir devant l’entrée des soins intensifs. • Enfin on tirera comme autre enseignement les limites de notre action ici mais aussi son fondement même. Nous avons fait tout ce qu’il était possible de faire, humainement et financièrement. Mais les éléments se sont acharnés contre Namgyal qui, je le précise, avait aussi la tuberculose. Notre action immédiate a consisté à trouver des parrains pour les deux filles de Nyima. Aujourd’hui, en 2009, et depuis la disparition de leur mère, les deux enfants sont toujours parrainés par EPICEA et suivent une scolarité normale dans une école de bonne qualité à Katmandou. Notre action c’est aussi de fournir à certains hôpitaux en qui nous avons confiance du matériel médical (tables de soins, lits, stéthoscopes, etc.) et des effets distribués gratuitement aux patients (lunettes, béquilles, fauteuils roulants, etc.). Notre action consiste aussi à parrainer les études de jeunes népalais souhaitant acquérir des connaissances médicales pour ensuite en faire profiter les communautés. Une meilleure formation éviterait des évènements fâcheux comme ceux survenus pour la jeune fille de Lamjung. Notre action consiste aussi à encourager l’éducation pour que des enfants mieux informés ne se laissent plus abusés par des conseils inadéquats en matière de santé ou par des politiciens intéressés et corrompus. Notre action c’est d’encourager l’éducation pour un jour voir le développement humain au Népal afficher une courbe ascendante, pour permettre aux populations locales, de toutes origines, d’ avoir une meilleure santé et un esprit critique plus développé pour mieux analyser et comprendre les situations. Notre action c’est d’encourager tout ce qui peut faire évoluer la société vers de meilleures conditions d’existence et la pierre d’achoppement de cette action c’est l’éducation. Le soutien à l’éducation est le fondement même de notre action au Népal. *Alain LAVILLE est coordinateur d’ HUBLO Népal, ONG enregistrée au Népal. Contacts : HUBLO Népal (ONG) Adresse : PO box 3019 Katmandou Népal – Téléphone 00-977-1-4353387E-Mail : hublonepal @hotmail/[email protected] hublo.org.np contact france: ASSOCIAION ENFANT SYMBOLE D’INNOCENCE 54 RUE DU PONT DE FER - 28260 SOREL MOUSSEL Email : petronille28@gmail CHRISTINE MEYER téléphone 06 20 27 18 29
Posted on: Thu, 03 Oct 2013 05:52:31 +0000

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