♥♥♥ Vous me dites, Monsieur, que jai mauvaise - TopicsExpress



          

♥♥♥ Vous me dites, Monsieur, que jai mauvaise mine, Quavec cette vie que je mène, je me ruine, Que lon ne gagne rien à trop se prodiguer, Vous me dites enfin que je suis fatigué. Oui je suis fatigué, Monsieur, et je men flatte. Jai tout de fatigué, la voix, le coeur, la rate, Je mendors épuisé, je me réveille las, Mais grâce à Dieu, Monsieur, je ne men soucie pas. Ou quand je men soucie, je me ridiculise. La fatigue souvent nest quune vantardise. On nest jamais aussi fatigué quon le croit ! Et quand cela serait, nen a-t-on pas le droit ? Je ne vous parle pas des sombres lassitudes, Quon a lorsque le corps harassé dhabitude, Na plus pour se mouvoir que de pâles raisons... Lorsquon a fait de soi son unique horizon... Lorsquon a rien à perdre, à vaincre, ou à défendre... Cette fatigue-là est mauvaise à entendre ; Elle fait le front lourd, loeil morne, le dos rond. Et vous donne laspect dun vivant moribond... Mais se sentir plier sous le poids formidable Des vies dont un beau jour on sest fait responsable, Savoir quon a des joies ou des pleurs dans ses mains, Savoir quon est loutil, quon est le lendemain, Savoir quon est le chef, savoir quon est la source, Aider une existence à continuer sa course, Et pour cela se battre à sen user le coeur... Cette fatigue-là, Monsieur, cest du bonheur. Et sûr quà chaque pas, à chaque assaut quon livre, On va aider un être à vivre ou à survivre ; Et sûr quon est le port et la route et le quai, Où prendrait-on le droit dêtre trop fatigué ? Ceux qui font de leur vie une belle aventure, Marquant chaque victoire, en creux, sur la figure, Et quand le malheur vient y mettre un creux de plus Parmi tant dautres creux il passe inaperçu. La fatigue, Monsieur, cest un prix toujours juste, Cest le prix dune journée defforts et de luttes. Cest le prix dun labeur, dun mur ou dun exploit, Non pas le prix quon paie, mais celui quon reçoit. Cest le prix dun travail, dune journée remplie, Cest la preuve, Monsieur, quon marche avec la vie. Quand je rentre la nuit et que ma maison dort, Jécoute mes sommeils, et là, je me sens fort ; Je me sens tout gonflé de mon humble souffrance, Et ma fatigue alors est une récompense. Et vous me conseillez daller me reposer ! Mais si jacceptais là, ce que vous me proposez, Si jabandonnais à votre douce intrigue... Mais je mourrais, Monsieur, tristement... de fatigue. Robert Lamoureux
Posted on: Thu, 07 Nov 2013 12:17:35 +0000

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