3 D’une parenté schizophrénique à une parentalité atypique La parenté est une relation sociale fondée sur l’existence d’une filiation commune, d’une alliance ou d’une adoption. Du rôle de père découle des devoirs et des droits. Mais, un imprévu de taille vient contrarier nos relations : ta schizophrénie. Cette dernière est envahissante et très invalidante. La parenté doit se métamorphoser, se réinventer pour essayer d’exister. Notre situation sociale est complexe. Dans les années quatre-vingt la pathologie mentale est entourée de tabous. Elle rime avec isolement et silence. Même mes grands-parents ne sont pas immédiatement au courant. Maman invente des raisons pour justifier tes absences. Mais mon frère et moi ne supportons plus ces mensonges et brisons le mur du silence. Maman a peur de leurs réactions. Leur douceur lui sera cependant d’un grand réconfort. A cette époque, une certaine honte entoure la maladie mentale, un peu comme les maladies vénériennes. L’autorité et les responsabilités paternelles sont inexistantes, mais je t’aide à assumer certaines obligations. Je guide ta main déformée pour signer mon cahier de liaisons, mes bulletins de notes et mes punitions. Tu en es fier et à ce moment précis, tu es mon père. Tu m’apprends ainsi ta signature. Devant cette empreinte devenue mienne, tes yeux brillent de mille feux. Quant au devoir alimentaire, ta maigre pension d’invalidité ne te permet pas de l’assumer. Mais heureusement, maman est là pour assumer tous les tracas quotidiens. De 1979 à 1981, tu étais en rémission. Tu t’occupais de moi nourrisson. Le biberon, le bain, les premiers soins administrés par tes soins. Très vite, je te rends ces premiers gestes d’amour. J’assume prématurément le devoir d’assistance à ton égard. A douze ans, je rentre le midi du collège Jean Moulin pour te préparer ton déjeuner. Je compte également tes gouttes de Largactil. Il s’agit d’un neuroleptique puissant. Je ne dois surtout pas me tromper. Une erreur de dosage serait fatale. Heureusement, un jour les piqûres retard faciliteront notre quotidien. Cependant aucun oubli n’est toléré car les effets secondaires sont décuplés. Je t’aide également dans les autres soins. Je m’invente laveuse, coiffeuse, habilleuse, manucure, pédicure et infirmière. Je le sais, je ne joue pas à la poupée mais souhaite simplement t’aider à garder ta dignité. Je ne suis pas une marionnettiste mettant en scène un père inexistant. Non, tu es présent mais absent là où tout le monde t’attend. On s’acharne à penser que seuls les actes comptent. Mais quand la folie s’en mêle, ils deviennent parfois impossibles. Seule subsiste l’intention. Et de cette dernière tu m’as nourrie.
Posted on: Fri, 21 Jun 2013 13:52:43 +0000
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