31- * * * J’ai mal ; nos relations n’aboutissent - TopicsExpress



          

31- * * * J’ai mal ; nos relations n’aboutissent qu’à des pleurs avec maman. Je ne peux plus la voir comme ça. Alors j’ai fait quelque chose de vraiment lâche : je me suis tirée. Comme mon père, j’ai pris la fuite, mais contrairement à lui, moi je suis revenue. J’ai erré une nuit dans les rues, et franchement, je crois que j’ai jamais eu aussi peur de ma vie. C’est ce qui m’a poussé à rentrer. Contres toutes attentes, maman m’a attendu ; elle m’a même serrée dans ses bras lorsque j’ai ouvert la porte. Elle m’a dit des choses que jamais je n’avais entendues de sa bouche, du genre que je suis la chose la plus importante dans sa vie et que si elle me perdait, elle perdrait la dernière chose qui lui donne encore envie de vivre. Dans des moments aussi délicats, on peut raconter n’importe quoi. Ce matin, c’est une autre femme. Je pense que ma fugue lui a fait prendre conscience de son état. On finit par s’entendre à merveille à la fin de l’été ; on s’autorise un weekend à la mer et c’est là qu’elle me touche mot de ses projets : - En fait, je viens juste d’avoir l’idée ! dit-elle tandis que nous dégustons une glace sur le bord de la plage. Je vais faire des crêpes, ça marche toujours bien les crêpes. Et puis, je vais en inventer des que personne connait ! Tu te souviens je jour où on a fait des crêpes bleues et roses avec les colorants ? personne ne fait des crêpes comme ça ! Des roses pour les filles et des bleues pour les mecs, c’est pas génial comme idée ? Plus d’une fois elle est partie dans des délires comme ça, et je mets cela sur le compte d’un effet secondaire de sa dépression. Elle peut aussi bien être enjouée que se morfondre toute une journée et épuiser un paquet de mouchoir. J’ai jamais vu quelqu’un d’aussi lunatique. C’est pas le premier projet dont elle me fait part, et je parie que ça sera pas le dernier non plus. Aucun ne se concrétisera, point. C’est pour ça que je garde le silence et que je me contente de hocher la tête, histoire qu’elle ne se sente pas toute seule dans son délire. A la fin de l’été, elle reconnait qu’elle n’a rien d’une mère normalement constituée. Elle a peur de faire une rechute et ne veut pas que j’en fasse les frais. Alors, d’un commun accord, nous concluons que j’irai en pension à la rentrée. Naturellement, la question du financement de l’internat me vient à l’esprit. Mais maman me dit de ne pas me faire de soucis, elle saura gérer. Je devine que derrière ses affirmations, mamie sera sollicitée pour ma prise en charge. * * * J’étais contente de quitter maman avec un bon souvenir d’elle. La fin de l’été s’était soldée sur de bons moments. Si elle me confiait tout ce qui lui passait par l’esprit, jusqu’aux projets les plus extravagants, je jetais quant à moi un voile pudique sur mes projets futurs, consciente que l’évocation du passé pouvait faire ressurgir une douleur encore trop vive. La seule chose qui me faisait reculer pour la question de l’internat, c’était de laisser maman à nouveau seule… apparemment, elle se portait bien, mais je n’aurais pas parié dessus sur du long terme : elle était encore trop fragile pour que je puisse partir en toute insouciance. Mamie m’avait promis qu’elle irait lui rendre visite ; leur relation s’était effilochée depuis que j’étais partie habiter chez elle et papi, je n’ai jamais trop su pourquoi. Mais selon elle, elles s’étaient rabibochées ; en cas de soucis, elle serait là, et ça me soulageait. Je fis mon entrée au lycée avec un optimisme évident. J’avais besoin de me reconstruire et d’écrire une nouvelle page dans mon livre. Il fallait teinter cet ouvrage noir de petites taches roses pour le rendre plus gai. C’est ainsi que je fis la connaissance de Priscilla et Éva, avec lesquelles je partageais ma chambre. Elles étaient le stéréotype des filles à papa : bien sapées, propres sur elles, ne s’étant jamais fait exclure de cours et n’ayant jamais testé les heures de colle, elles étaient l’exemple type de l’élève modèle. C’était tout à fait le genre de filles avec qui je ne trainais pas, et j’avoue qu’avant qu’on devienne super copines, il y avait un océan pacifique qui nous séparait. Disons que mon influence les a fait changer du tout au tout. * * * - Action chiche ou vérité ? - Bordel, vous jouez encore à ces jeux à la con ? - Allez, joue le jeu ! - Vous êtes des gamines sérieux… bon euh… Vérité. Priscilla me considère avec des yeux de merlan frit. - Voyons… fait Éva en se tapotant le nez, tic qu’elle a tout le temps lorsqu’elle réfléchit… hum … as-tu déjà embrassé un mec ? - Pas que je sache… - Tu mens ! Hein ça se voit qu’elle ment ? - On va demander au détecteur. Éva est hystérique. J’ai jamais aimé ces jeux à la con, encore moins avec un détecteur de mensonge foireux sorti d’une application i Phone. - Elle ment ! c’est confirmé. - Allez, avoue Gabrielle ! On te connait assez pour savoir que tu peux sortir un mensonge aussi énorme que la taille de la poitrine de Marie-H ! Priscilla se met à pouffer. Moi aussi j’aime bien la comparaison avec les boobs de Marie-Hélène la grosse baleine. - Si t’étais Pinocchio, t’aurais un baobab à la place du nez ! lance Priscilla. - Bon ok, j’avoue les filles… j’ai déjà embrassé un mec. D’un coup, ça devient plus intéressant. Ça y est, je me suis attiré l’attention de mes deux compagnes de chambre. Il faut voir la tête qu’elles font, avides de confidences, les oreilles comme des antennes. - Trop tard ma grande ! t’en as trop dit. - Allez, c’est qui ? - D’façons, vous allez pas connaitre… c’est débile… - Ben dis quand même. - Et tu nous dis les moindres détails ! - Ben… il s’appelait Damien, il était en term’ et moi en troisième … et il a flashé sur mes nibards… du coup il a voulu me peloter, je lui ai dit d’aller se faire foutre et sur ce, il m’a pris les mains et m’a foutu sa grosse langue visqueuse au fond du gosier, j’ai cru que j’allais vomir ; il avait dû se laver les dents la semaine d’avant ou alors il s’était englouti trois ou quatre oignons au p’tit déj, je sais pas, ce qui est sûr c’est qu’il avait une haleine de phoque et puis il m’a barbouillée le visage comme si j’étais une glace, j’avais de la bave partout bref c’était ignoble. Elles gobent chaque mot de mon canular comme si je venais de réciter une définition savante dans un dico. C’est fou comme ces filles peuvent être crédules, même si mes nichons en question sont rachitiques et ne peuvent en aucun cas représenter matière à convoitise du côté de ces messieurs. - Et … ça s’est fini comment ? Je hausse les épaules. - Finalement on est sorti ensemble trois mois et on a fait plein de trucs cochons avant qu’il me laisse tomber comme une vieille chaussette. - Arrête, t’es sérieuse là ? - Ben quoi les meufs, vous vouliez la vérité rien que la vérité ? vous êtes servies ! Si vous voulez je peux vous donner les détails des trucs cochons… - Ça ira comme ça. Je crois que je vais vomir. - Ouais moi aussi… - Moi j’ai une question à vous poser : ça vous dit qu’on aille se murger ce soir ? - Se… se quoi ? * * * En dépit de ma poitrine peu proéminente, je faisais pas mal mature pour mon âge. En seconde, on me donnait dix-huit ans. Pratique pour aller acheter de la bière à la supérette. Je ne sais pas ce qu’ont pensé les parents de Priscilla ou d’Éva lorsque je les leur ai rendues aux vacances de la Toussaint ; je les avais déjà converties à la cigarette et initié à leur première cuite. Par la suite, elles ont été bien plus cool aux yeux des racailles du coin : elles ont été reformatées et séduites par la devise « live young forever » ou « young wild and free ». Bref, pas besoin de Snoop Dog pour la traduction. Les fifilles sages avaient été désassagies par mes soins. Ce genre de donzelle est facilement influençable, tant et si bien qu’il m’a fallu moins de deux mois pour les faire devenir des autres. Priscilla a été la plus étonnante. Elle s’est dégotée un mec abonné aux survêts de marque, tout ce qu’il y a de plus déglingue. Elle qui n’avait jamais roulé une pelle à quiconque a acquis une expérience qui m’a surprise de jours en jours : chaque soir, à son retour d’une après-midi de folie avec son chéri, elle nous confiait des choses truculentes et on ne peut plus salaces. On a commencé à faire le mur. Le bahut ne savait plus quoi faire de nous. Moi, on m’appelait la traîne-merde ; d’autant plus que cette « merde », je la répandais à vitesse grand V, la propageait autour de moi comme un virus : je teintais les âmes les plus innocentes pour faire surgir en elles les pires vices qui soient. Elles étaient si faibles, si influençables que c’était un jeu d’enfant. Le diable était lâché. Un soir, on a voulu tester un coup avec une bande de potes. On avait pas de thunes, on n’avait pas moyen de s’en faire (qui aurait voulu embaucher de la racaille pareille) et on était tous à cours de tabac et de feuilles. Restait le vol. Évidemment, on était pas des pros, alors ça a mal tourné. Moi, je m’en suis sortie, les autres se sont fait choper par les flics. Je suppose que leur petit tour en taule les a briffé pour ne plus recommencer. C’est ce que je leur souhaite. * * *
Posted on: Thu, 17 Oct 2013 20:47:30 +0000

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