36_ * * * Voilà un an que je suis chez les Helmet. J’ai - TopicsExpress



          

36_ * * * Voilà un an que je suis chez les Helmet. J’ai réussi haut la main les épreuves anticipées, l’année de terminale s’écoule petit à petit. Robin, lui, n’a pas eu la même chance : il doit redoubler son année de fac, et je m’en veux de n’avoir pas assez été présente. J’étais tellement absorbée par ce foutu bac que j’en ai oublié l’essentiel : honteuse, je décide de me rattraper et l’aide à réviser ses cours d’anatomie dès que le temps me le permet. Il y a des rumeurs sur notre dos depuis pas mal de temps. On dit que je suis avec Robin que pour bénéficier du fric de ses darons. J’en peux plus de cette bande de vautours. Je les ignore, parce qu’ils ne valent pas la peine qu’on leur vole dans les plumes. Lorsque le bac approche, le stress monte. Robin est prêt normalement, mais cette fois, c’est moi qui me sens complètement larguée. J’ai l’impression de ne pas avoir assez révisé. Robin m’encourage mais je n’arrive pas à fermer l’œil la veille des épreuves. Finalement, tout cet amas de stress s’envole à la fin de la semaine. Nous ne pensons plus qu’à forniquer, larguer les amarres. Tout est enfin terminé. Début juillet, les résultats tombent, et pour une bonne nouvelle, c’est une DOUBLEMENT bonne nouvelle : non seulement j’ai eu mon bac avec mention assez bien, mais Robin a été admis en deuxième année, et il est dans les premiers au concours ! Je ne sais pas si on peut parler de chance, Éli, mais ce qui est sûr, c’est que quand ce vent souffle vers nous, on n’a plus envie qu’il tourne. * * * Adam n’avait que soixante sept ans lorsque le drame est arrivé. Il avait apparemment beaucoup été surmené dans la journée. Il a beau avoir dépassé le troisième quart de son existence, son énergie débordante ne l’avait pas quitté. Après la retraite, il n’avait pas arrêté son activité, jugeant que la sédentarité était le meilleur moyen de signer son arrêt de mort. Il multipliait les petits boulots, travaillant toujours dans la joie et ne manquant pas de lancer quelques vannes aux clients. Ce soir là, on était invité chez les parents de Robin pour fêter nos résultats. J’aimais être immergée chez ces gens, qui semblaient toujours gais et nous mettaient tout de suite à l’aise, faisant preuve d’une gentillesse exquise. Je ne les remercierai jamais assez de m’avoir acceptée chez eux. Ils n’ont jamais été autrement quagréables en ma présence. Je n’étais pas chez moi, mais c’était tout comme. C’était une sensation bizarre, qui me donnait le sentiment d’avoir toujours vécu avec eux, vécu dans leur maison, partagé ces dîners desquels nous ressortions pleins comme des œufs tant Stéphanie nous gavait. Sa plus grande peur était que nous manquions de nourriture, ainsi se pliait-elle en quatre pour nous concocter des repas qui auraient rassasié tout un régiment. Sa crainte pouvait être écartée, car elle dépassait de loin la limite de ma satiété, et celle des plus gros estomacs autour de la table. Je ne connaissais pas meilleure cuisinière qu’elle, au point qu’elle détrônait même mamie ! Toujours est-il qu’elle nous avait préparé ce soir-là un succulent ragoût, et que l’odeur dans la cuisine me mettait sacrément l’eau à la bouche. En attendant la cuisson, nous étions attablé pour l’apéritif, piochant des petits amuse-gueule et riant des blagues du père de Robin qui s’en donnait à cœur joie. Mollo avec les Curly… me connaissant, je pouvais finir le bol à moi toute seule, mais dans ce cas, plus de place pour la suite… ça serait dommage. Robin était à ma droite et jouait avec ma main. Ses caresses et ses massages étaient annonciateurs de la nuit qu’il me concoctait ; nos regards complices se croisèrent et firent grandir notre désir commun. Soudain, je vis son visage se décomposer, et une panique me gagna instantanément, brouillant ma vue. En une fraction de secondes, je me retournai vers Adam, lequel était devenu livide. Je vis les visages gagnés pas la même expression de stupeur, tournés vers celui du patriarche, qui se sentit partir et susurra : - Je ne me sens pas bien. Sa tête bascula en arrière. Robin avait eu le temps de se lever pour la rattraper avant qu’il ne tombe à la renverse. Il tapotait sur la tête de son père tout en le couchant à terre, sa lèvre tremblait tandis qu’il criait son nom pour le réanimer. Adam n’avait plus aucune réaction, ses yeux n’étaient que deux globes blafards dont la pupille dilatée dérivait sur le côté, sa langue sortait sur le côté, sa bouche était tordue et figée dans une grimace sordide, son membre gauche commença à se tétaniser et les doigts de ce même membre se crispèrent. Stéphanie était méconnaissable. Elle donnait des tapes sur les joues de son mari, criait plus fort que les autres, et je vis les larmes lui monter aux yeux. J’imaginais les battements de son cœur s’accélérer, son cerveau fonctionner à toutes vitesses, je voyais ses mains trembler, tandis qu’elle tentait de ramener son mari à la vie. - Il respire ! Lorsque mon esprit parvint à se détacher de cette vision terrible, j’eus le réflexe de courir à la cuisine et de me jeter sur le téléphone pour composer le 18. Un homme me répondit, je ne savais pas ce que je lui disais, mon cerveau formulait les phrases sans que je réfléchisse, mes cordes vocales émettaient des sons que je n’entendais pas. Lorsqu’il me demanda l’adresse, je la lui dis d’une traite, alors qu’en temps normal, il m’aurait fallu fouiller dans ma mémoire une bonne dizaine de secondes. Il me posait des questions, il me posait trop de questions, je voulais que ça cesse, je voulais raccrocher, je voulais pleurer tout mon saoul… non, ressaisis-toi, il faut répondre, il faut lutter, une vie en dépend, c’est pas le moment de flancher ; parler, articuler, répondre à toutes ces putain de questions. Ils vont faire de leur mieux me dit-il. Je ne savais plus quoi faire. Je voulais aider, je voulais sauver, je me sentais inutile, impuissante, ridicule… je raccrochai, je pris un chiffon, le mouillai d’eau froide. Je le tendis à Stéphanie, qui me l’arracha presque des mains pour frotter le visage de son mari. Il revenait peu à peu à lui. - Adam ! Pour l’amour du ciel ! Adam, reste avec nous ! Robin effectua les gestes appris en école de médecine, pris son pouls, nota une tension anormalement basse. Adam voyait à nouveau. Il leva ses yeux sur les yeux de son épouse posés sur lui. - Je crois… il me semble… un jour… - Ne parle pas Adam ! Ne te surmène pas ! On a appelé les pompiers, ils arrivent bientôt. Reste couché, pour l’amour du ciel ! - … un jour, fallait bien que ça arrive… - Nom de dieu Adam ! Tu ne peux pas me faire ça ! - … je t’ai dit… tu es belle… une belle femme… t’feras une belle veuve… - Ne dis pas de bêtises ! C’est pas encore l’heure ! - Papa, accroche toi, merde ! Nous laisse pas ! J’assistais à cette scène émouvante, impuissante. C’était un tableau si bouleversant que les larmes jaillirent de mes yeux. J’avais encore de la réserve dans ce puits que je croyais tari. - …tais toi mon amour ! Reste éveillé, c’est bientôt fini, tu verras, ils vont venir, ils vont te soigner, ils vont trouver ce que tu as ! Mais les yeux d’Adam ne regardaient plus Stéphanie, ils étaient partis se cacher dans ses paupières, et sa lèvre tomba à nouveau sur le côté. - ADAM ! - PAPA ! Putain ! PUTAIN ! PAPA ! Plus de cœur cette fois. Les yeux se transformaient en fontaines de larmes, les cris en beuglements. La sirène des pompiers se rapprocha. Je vis le gyrophare par la fenêtre, les pompiers accourir, la porte d’entrée s’ouvrir, les pompiers, le brancard, le père de Robin, Adam. Cœur. Ne bat plus. Ne respire plus. Plus de réaction. C’est fini. Mort. Trop tard. On ne peut plus rien faire. Parti. Comme ça. Fini. Pour toujours. Plus jamais. Mort. * * * Un AVC. Une saloperie de petit vaisseau sanguin qui prend idée de péter dans le cerveau. Il n’y a plus rien à faire. Le jour de l’enterrement, Robin apprend qu’il bénéficiera d’un héritage inestimable. Je lui annonce mon départ le lendemain, il est bouleversé. Il ne comprend pas la raison pour laquelle je le quitte, et j’avoue que moi non plus je n’arrive pas vraiment à trouver de justification : je pense que j’ai honte, honte de dépendre d’eux, de leur argent. Finalement, je pensais être passée au dessus des rumeurs : mais elles m’ont rattrapées. À présent, je me sens de trop. Je me sens dépendante, comme une plante parasite qui ne peut pousser que sur les arbres. Il est certain que lannonce d’un tel héritage na pas arrangé mon malaise. J’ai le permis, ils m’ont offert la voiture. J’ai pas pu refuser. Ça aussi ça m’a foutu la honte. Mais j’ai accepté. C’est la dernière chose que j’accepterai d’eux. Maintenant je dois partir, il le faut. Je ne peux plus continuer comme ça. Je ne veux pas être une liane. Je ne veux dépendre que de moi-même, quitte à renoncer à ce que j’ai de plus cher. Toi seule peux me comprendre… * * *
Posted on: Sun, 27 Oct 2013 17:09:05 +0000

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