37_ * * * La chaleur est torride, d’une moiteur assez - TopicsExpress



          

37_ * * * La chaleur est torride, d’une moiteur assez formidable. J’ai les mains cramponnées sur le volant, elles pissent l’eau comme c’est pas croyable. Une bouteille d’eau est posée à côté de moi, sur le siège brûlant. Je sais que ça ne sert à rien d’essayer de la déboucher : j’ai les mains tellement poisseuses de sueur que je vais me foutre dans le décor avant même d’avoir réussi à dévisser ce foutu bouchon. En attendant, faut prendre son mal en patience. Ma langue est pâteuse comme un vieux steak avarié. J’allume la clim, ferme les vitres. L’air à l’extérieur est tellement chaud que rouler les cheveux aux vents ne rafraîchit même pas. Celui de la clim est chaud au début, puis se radoucit. Les perles de sueur s’écoulent de mon front. La route est déserte. Je ne pense à rien ou plutôt, j’essaye. Au fond de moi, une colère pire que l’ire qui dévore le cœur de Christine de Pisan hérisse ses piquants et me fait bouillonner, outre la canicule. C’est alors que la route devant moi fond en un miroir luminescent, comme la surface d’un lac aux reflets d’argent. Et au bord du lac, un balai. Je pile devant lui, consciente que je commençais à dangereusement dévier de ma trajectoire. Un peu plus, et il était éjecté au dessus du pare-brise. On ne peut plus furax, je baisse la vitre pour lui cracher au visage : - Hey ! Qu’est ce que tu fous au milieu de la route !? Le balai relève sa tignasse, et je découvre deux émeraudes noyées de boucles grisâtres, et la première question que je me pose, c’est comment on peut avoir de tels yeux et être aussi déglingue. - J’étais pas au milieu de la route, c’est vous qui vous endormiez au volant. Je prends un air hautain et le toise de toute la froideur dont je suis capable en ce plein mois caniculaire d’août. Lui, a l’air d’un pauvre enfant dont l’innocence fait oublier toutes les bêtises qu’il a pu faire. Non… c’est pas avec ça qu’on m’amadoue. - T’es qui au juste ? Un clochard, un vagabond ? Un fou peut-être ? Il me dévisage à son tour et c’est comme si, malgré moi, je me faisais pénétrer par ces deux émeraudes magnifiques. Derrière mon masque, je me sens fondre comme un sorbet coco. J’ai choisi ce parfum là pas seulement parce que ça fond vite, mais parce que c’est vachement bon, un sorbet coco. - Disons que je suis en cavale… et que je fuis. - Et tu fuis quoi? - Des personnes comme vous, ma chère. - Va te f… - Chut ! Vous emballez pas. Je fuis la société en général, ça n’est pas pour autant que vous êtes obligatoirement dans le même panier. Je fais exactement ce que je reproche : je juge sans connaître. Excusez-moi. Je profite de mon arrêt pour vider la bouteille d’eau. L’eau tiède descend en glouglous dans mon gosier. J’aurais été seule, j’aurais roté. Mais bon, faut quand-même pas oublier toutes les valeurs transmises. - Si ça ne vous embête pas, vous pouvez me déposer à vingt kilomètres d’ici. à moins que vous vous arrêtiez avant, mais à en croire votre tête, vous n’avez pas l’air d’avoir une destination précise. Je m’essuie la commissure des lèvres du revers du bras, peu favorable à cette idée. Oh et puis merde. Après tout, qu’est ce que ça peut m’foutre. Il a pas l’air méchant. - J’vois que vous avez un « A » au derrière. Vous venez probablement d’avoir le permis. Finalement, je me demande si c’est raisonnable de monter avec vous. J’ai pas envie que vous me foutiez dans le décor… Il sourit de toutes ses dents. Il se fout de ma gueule ! - C’est bon le guignol, grimpe. Il a l’air ravi. Il balance son sac à dos dans le coffre, ouvre la portière, et pose ses fesses sur la place brûlante de la bouteille d’eau. - Je peux ? - Tant que tu craches pas dedans. Il a l’air de ne pas avoir bu depuis des jours. Il me garde quand même un fond d’eau, par politesse, mais je devine que sa soif est loin d’être étanchée. - C’est quoi votre nom ? - Gabrielle. - Tiens cest marrant, moi aussi cest Gabriel. * * * La coïncidence de nos prénoms a tout de suite retiré les barrières entre nous. Au prix d’admonestations quelque peu sèches, il a cessé d’employer le « vous », à mon grand bonheur ; quand j’aurai soixante ans j’dis pas, mais là, c’était un petit peu excessif. Nous avons bavardé comme deux vieux copains, sans jamais faire allusion à notre passé respectif. Lorsque j’avais l’occasion de quitter les yeux de ma route, la seule chose que je voyais, c’était ses yeux. Ces yeux… ils avalaient tout le reste de son visage. Sans ses yeux, ce mec serait noyé dans la masse grouillante que constitue la gente masculine : une pomme dans un sac avec d’autres fruits semblables, banale, insignifiante, invisible. Avec, il resplendissait, se démarquait du reste, on ne voyait que lui ; il était la pierre précieuse dans le sac de pommes. Rajoutez un soupçon d’innocence dans ce regard, et vous me faîtes craquer monsieur l’inconnu. Je ne savais que son nom, je ne me suis pas posé plus de question lorsqu’il m’a fait l’amour dans une cabane au fond des bois, à vingt kilomètres de notre rencontre. Je ne sais pas ce qui m’a pris, c’était totalement insensé : s’éprendre d’un ermite sale et puant ! Mais que voulez-vous, il est des circonstances qui vous font ressentir le besoin de larguer les amarres et partir au large, loin du passé. Une autre que moi aurait sûrement vu le mal dans cette affaire ; on ne peut pas faire confiance aux gens, encore moins à un clodo. Mais je ne ressentais aucun besoin de me ronger les sangs ; l’idée que ce type aurait pu m’égorger au fond d’un bois ne m’a traversé l’esprit qu’avec le recul. Sur le moment, j’étais juste bien, calme, reposée, et n’avais pas l’esprit à imaginer des scènes décousues. J’avais dix-huit ans, lui peut-être le double, mais peu importait, tout était dans l’instant, dans le bonheur, dans la fièvre de cette nuit où il m’a fait me sentir plus femme que jamais. La piaule était meublée d’un lit de camp et d’une table en bois ; il y avait aussi une autre pièce séparée de la première par un rideau ; j’en déduisis que c’était la « salle de bains » lorsqu’il m’abandonna pour s’y rendre après m’avoir lancé l’incontournable « mets-toi à l’aise ». Il régnait dans cette cabane une atmosphère si lourde que je me suis allongée sur le lit, les yeux clos, pendant qu’il prenait sa première douche depuis des mois sans doute. À défaut d’eau et d’électricité, je me demandais avec quoi il se débarbouillait. Surtout que lorsqu’il est revenu, il était méconnaissable ; il s’était rasé de frais, et ses cheveux hirsutes s’étaient débarrassés de leur manteau grisâtre au profit d’un beau blond cuivré ; ils étaient rassemblés en une queue de cheval, en attendant d’être coupés, peut-être. Sa peau semblait douce, la lumière tamisée de la bougie qu’il avait allumée mettait en valeur les muscles de ses bras, de sa poitrine, de son ventre. Il avait posé sur ses reins une serviette blanche. - Comment me trouves-tu ? J’ai haussé les épaules, mais la petite lumière qui avait jaillit de mes yeux quelques instants plus tôt m’avait déjà trahie. Soudain, je ne sus déterminer si ce fut la lumière tamisée ou la température qui en fut la cause, mais une étrange torpeur m’envahit, et ma tête glissa à nouveau sur le lit. Les yeux mi-clos, je l’ai vu dérouler la serviette blanche et s’approcher de moi, tel un Apollon. Le lit commença à grincer sous son poids, et l’idée du chahut à venir m’amusa. Je me suis laissée faire, l’esprit vide, envahie par une quiétude presque trop parfaite. Je n’arrivais plus à effectuer le moindre geste, tandis qu’il parcourait mon corps de baisers timides et de caresses retenues, comme s’il attendait mon feu vert. J’aurais mis ma main à couper que ce sauvageon se serait jeté sur moi comme un animal pour assouvir un désir latent jamais satisfait faute de l’isolement ; il n’en était rien, et je fus étonnée qu’il connaisse si bien les attentes d’une femme. En dépit de sa solitude, il maitrisait parfaitement les clés de la sensualité, sachant apprécier la durée. Faire éclater le feu d’artifice trop vite : aucun intérêt. Au bout d’un moment, voyant que je ne tressaillais pas, j’ai entendu les grincements du lit s’intensifier, senti ses gestes s’affirmer, ses baisers se préciser davantage sur telle ou telle courbe de mon corps, devenir de plus en plus fiévreux, plus passionnés. Au diable les convenances, je n’ai que faire de l’autorisation de madame. Ça ne pouvait plus attendre. À sa grande joie, je portais une ridicule petite robe, qu’il n’eut qu’à soulever pour accéder à ma petite culotte en dentelle. L’Apollon m’a traitée comme une déesse, n’omettant aucune partie de mon corps, aussi infime soit-elle. Ses mains et ses lèvres étaient si douces sur ma peau que je frissonnais à chaque caresse, à chaque baiser. Dans la beauté infinie de ses yeux qui ne cessaient de me dévisager, je me suis vue comme une Aphrodite, la plus belle des déesses, sa déesse. Ça ne pouvait plus attendre… Je l’ai saisi par la nuque et l’ai tiré jusqu’à mes lèvres pour lui arracher sa bouche. Au dessous de nous, le lit couinait, et je ne saurais dire si c’était de jubilation ou de douleur. Je m’étais cette fois-ci transformée en Diane, déesse de la chasse, sauvageonne, insoumise, fière. Il s’est tourné sur le dos et j’étais au dessus de lui, les cuisses contre ses flancs. Pour le reste, c’est moi qui ai pris les rennes. Nos deux corps glissaient et se fondaient l’un dans l’autre, les grincements du plumard se transformèrent en un rythme régulier, qui s’accélérait parfois ou ralentissait, au gré de mes folies, et tandis que je m’abandonnais à mon amant sauvage, mon esprit, lui, s’accrocha à une image futile, et je me dis qu’il pouvait paraître étrange de penser à Sylvain dans un moment pareil. * * *
Posted on: Sun, 27 Oct 2013 17:15:39 +0000

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