ACTE III de la DÉCENTRALISATION : Enjeux politiques et - TopicsExpress



          

ACTE III de la DÉCENTRALISATION : Enjeux politiques et économiques Interview du Dr Aliou Sow, Ancien ministre de la Décentralisation et des Collectivités Locales. « Macky Sall a mis la charrue avant les bœufs dans la conduite de la réforme » (Aliou SOW) Il ne porte pas de gant, quand il s’agit de se prononcer sur l’actualité du pays. Dans cet entretien qu’il nous a accordé, l’ancien ministre des Collectivités Locales sous le magistère du président Abdoulaye Wade, aujourd’hui président du Mouvement des Patriotes pour le Développement (MPD/Liggeey), aborde avec aisance la question de fond relative aux réformes envisagées dans le cadre de l’Acte III de la décentralisation. Des réformes qu’il juge pertinentes, mais dont la procédure a été viciée. Afrique Démocratie : Monsieur le ministre, que pensez-vous de l’Acte III de la décentralisation qui suscite à la fois espoir et craintes au sein de la classe politique ? Dr Aliou SOW : Je me réjouis d’abord du débat qui accompagne cette réforme en cours, même si je note, pour m’en désoler, le comportement allergique du régime par rapport à tout débat contradictoire. C’est un régime qui a tendance à vouloir imposer ses vues, avec parfois même une vision très floue en la matière. Je reste dans ma posture patriotique qui m’impose de dire les choses en fonction de l’intérêt supérieur de la nation et non pas en fonction des intérêts de camp ou de clan. Sur cette question, ce qui m’intéresse c’est le Sénégal. Je ne suis pas dans la logique de numéroter des réformes, mais en gros, cette réforme en cours est d’une grande importance pour l’avenir de la décentralisation et du développement local au Sénégal. Le contenu dans bien des domaines est à un niveau très élevé. Malheureusement, le chef de l’État, étant simplement mu par un désir de marquer son passage en étant auteur d’une réforme qu’il n’a pas bien muri, encore moins bien structuré et bien argumenté, n’a pas pu emprunter la démarche la plus adéquate dans une démocratie, favorisant l’expression d’opinions plurielles et de rapprochement des divergences de vue autour de l’essentiel, c’est-à-dire l’intérêt du Sénégal. Hormis la démarche qui est mauvaise et l’incompréhension qui ont créé un problème d’appropriation de ces réformes par la population et les acteurs aussi, en dehors de partisans zélés du régime, tout cela découle d’une mauvaise formulation d’une vision. Une vision très floue, une mauvaise maitrise de ce que l’on veut et par conséquent, une mauvaise présentation du projet par les différents ministres qui se sont succédé, en huit mois, pour une seule réforme. Pour moi, je crois que le chef de l’État devait dès le départ consigner les grands traits de sa réforme dans un document de base référentiel, qu’il peut soumettre à l’appréciation, pour décliner la vision, faire travailler les techniciens, l’ensemble de ses collaborateurs à l’échelle gouvernemental et de son cabinet pour avoir un document bien élaboré et argumenté, solide et consistant, pour enfin le soumettre à l’appréciation des populations de par des organisations notamment les élus locaux, le sous-comité des bailleurs de fonds en matière de décentralisation, le patronat, les syndicats, les travailleurs des collectivités locales, les partis politiques, la société civile, bref tous les acteurs de la société, parce que ce n’est pas une réforme de spécialité, elle englobe à la fois des aspects culturels, économiques, politiques, historiques et sociaux. Il y va de l’avenir du pays, d’une nouvelle configuration de notre État et d’une nouvelle orientation politique, économique et culturelle du Sénégal. Mais il a organisé une mise en œuvre de pseudos concertations de rattrapage pour faire valider sa réforme, à la limite, de par des hommes politiques et apolitiques. La conséquence irréversible de cette réforme mal conduite, c’est le report des élections. Ce qu’il appelle décalage en nous induisant dans un jeu de mot. On ne peut pas tenir les élections à date due. Ce n’est pas à la limite un crime, pas une humiliation ou un échec. L’essentiel, c’est de pouvoir à l’unisson constater l’impossibilité de tenir ces élections à date due pour l’intérêt du Sénégal et que tout monde puisse s’accorder à reporter cela. Même si le président a le pouvoir de reporter sans avoir à consulter les gens, je crois que dans une démocratie avancée, il nous a promis la rupture, il aurait dû agir contrairement à ce qu’on nous reprochait, c’est-à-dire reporter des élections de façon unilatérale, conduire des réformes sans devoir consulter les autres. AD : Pensez-vous que les prises de positions qui jalonnent ce projet sont suffisamment pertinentes pour inviter à un débat de fond sur la décentralisation ? Dr Aliou SOW : Le débat de fond sur la décentralisation, c’est un débat permanent parce que nous le vivons au quotidien, dans nos quartiers, nos villages, nos communes et communautés rurales. Simplement, le chef de l’État devait structurer ce débat, le formaliser pour tirer le meilleur profit de chacun d’entre nous. Il a l’avantage d’avoir à sa disposition l’ensemble de ses concitoyens, y compris ses adversaires les plus irréductibles, ses concurrents. C’est une question d’approche, d’intelligence, de méthode et d’élévation au-dessus des considérations partisanes et claniques. Logiquement, le chef de l’État doit refuser de se représenter dans son imaginaire un adversaire, parce que même son adversaire est sous son autorité, il lui doit bonheur, protection et à la limite épanouissement. Il doit avoir cette attitude de tirer le meilleur de tous et s’approprier le tout en étant auteur de la plus belle des réformes. Cette réforme, elle est utile. A quelques exceptions près, bien entendu, une œuvre humaine n’est jamais parfaite. C’est là où la concertation pouvait l’aider à en purger les incohérences et inepties. AD : Êtes-vous d’avis qu’il fallait d’abord évaluer la décentralisation dans ses différentes déclinaisons : régions, communes, communautés rurales ? Dr Aliou SOW : Ce n’est pas la peine de refaire les choses qui sont déjà faites, cette évaluation est déjà faite bien avant Macky Sall. Les assises de la décentralisation organisées sous feu Ousmane Masseck ndiaye ont passé en revue la totalité des coins et recoins de la décentralisation au Sénégal, avec l’ensemble des acteurs concernés. C’est l’occasion de prier pour lui. Il y avait une panoplie de recommandations allant de la fiscalité locale à l’ensemble des questions relatives au foncier, en passant au statut de l’élu local. Quand je suis venu au gouvernement, ce que j’ai eu à faire, c’est de demander qu’on me donne les recommandations des assises, je me suis approprié ces recommandations dans le cadre de l’esprit de continuité de l’État pour dire que je vais mettre en application cette feuille de route issue de réflexions ayant mis en collaboration l’ensemble des acteurs du secteur. Aussi bien les bailleurs, les bénéficiaires, les élus et autres. C’est dans ce cadre-là que nous avions défendu, en son temps, le projet de loi relatif au statut général des travailleurs des collectivités locales, c’est-à-dire la fonction publique locale. Elle a été adoptée et promulguée par le chef de l’État, l’essentiel des décrets d’application étaient signés après avis de la cour suprême. Il n’en restait que quelques-uns. Les arrêtés que j’avais à prendre, je les avais pris, signés et circularisés, donc le régime actuel ne devait qu’achever cela. En plus de cela même, il y a eu l’autre point majeur relatif au transfert financier, c’est-à-dire l’augmentation de 5.5% prélevés de la TVA de l’année, de la dernière gestion connue de l’année pour financer les fonds de décentralisation de l’année et le fonds d’équipement des collectivités locales en raison de 3.5% pour les fonds de dotation et 2% pour les fonds d’équipement des collectivités locales communément appelés fonds de concours, qui devaient passer de 5.5% à 15%. Du coup, cela allait nous faire passer d’une trentaine de milliards à presque une centaine de milliards de transferts pour les fonctionnements et investissements des collectivités locales compte tenu, bien entendu, de l’ensemble de ses projets et programmes cofinancés par le Sénégal, la banque mondiale, les partenaires au développement, au profit du développement local. Tout cela, le chef de l’État Abdoulaye Wade l’avait accepté et on avait engagé la procédure. Maintenant, on allait aller vers la généralisation du budget consolidé d’investissement (BCI) pour qu’aucun ministère n’aie plus à construire une école dans une collectivités locales, en lieu et place ce ministère doit déléguer les fonds à la collectivités locales concernée, et qu’un ministère de la santé ne vienne plus à construire un poste de santé ou centre de santé dans une collectivité locale, mais en lieu et place, il doit déléguer les fonds à la collectivités concernée, nul n’est plus proche que l’élu locale de ses populations. Donc, on avait un grand package. La nouveauté majeure, aujourd’hui, qu’on appelle communalisation intégrale ou générale, quel que soit l’appellation, c’est-à-dire la transformation de la communauté rurale en commune, j’avais déjà engagé la réflexion. De la même façon, j’avais engagé la réflexion consistant à avoir une refonte totale du code des collectivités locales. J’avais déjà créé une commission de réflexion, après avoir consulté l’ensemble des élus locaux, des partenaires au développement et l’administration territoriale du sous-préfet au préfet en passant par le gouverneur pour me faire parvenir après études, leurs observations par rapport aux incohérences et aspects à améliorer ou à modifier ou renforcer. Le foncier avait fait l’objet aussi de beaucoup de réflexions, c’est plus dans un cadre de satisfaction des critères prévus par la société financière internationale pour que le Sénégal puisse être un pays compétitif et réformateur en améliorant sa position dans le classement du « Doing Business » organisé par la banque mondiale. C’est dire que tout un paquet était là, ces gens pouvaient vraiment dérouler les choses, avancer vite et bien, maintenant il est évident que la transformation des communautés rurales en communes pour moi est une exigence urgente. Cela nous permet d’être à jour par rapport aux autres pays du monde, et de pouvoir tirer profit autant que faire se peut de la coopération décentralisée. C’est seulement au Sénégal que nous avons les communautés rurales, même les pays qui nous entourent dans la CEDEAO, dans l’espace UEMOA, on n’a plus de communauté rurale maintenant dans l’espace francophone. Ce qui n’est pas juste, par exemple, c’est que vous prenez une communauté rurale de 30 villages, d’un coup dans le cadre d’un découpage vous prenez un des plus grands villages que vous érigez en commune, ce seul village reçoit plus de transfert financier que l’ensemble des 29 communautés rurales restantes. Le seul maire de ce village a un traitement bien supérieur au président de collectivité locale des 29 autres villages. C’est en cela que j’ai pris en son temps une mesure de redressement par un arrêté pour faire augmenter les revenus des PCR de 150.000 F à 250.000 F en doublant aussi les émoluments des vice-présidents de conseil rural et des adjoints au maire dans tout le territoire national. C’était par anticipation au projet de loi sur le statut de l’élu local et ses décrets d’applications. L’autre aspect qu’il faut oser dire, c’est que ces histoires de conseil régional au Sénégal, ça n’a pas de sens tel que c’est formulé, le contenu, les missions. Or il ne faut pas oublier que dans la réforme de 1996, on a créé le Conseil régional et les communes d’arrondissements. C’était à la limite une mesure politique d’alors. Le Parti socialiste avait créé un nombre de communes d’arrondissement équivalent au nombre de coordinations socialistes dans la région de Dakar. C’était pour caser des personnels politiques de ces coordinations, c’est cela la vérité. A l’échelle régionale, ils ont créé le Conseil régional en alignant le président au rang de ministre avec avantages pour pouvoir caser leurs barrons. Donc finalement, le Conseil régional était fait pour le président qui a rang et avantage de membres du gouvernement et finalement, c’est devenu une sorte de succursale de recrutement de personnel politique. Vous voyez un Conseil régional qui ne fait aucune recette et qui ne vit que des transferts de l’État (fonds de dotation et fonds d’équipement des collectivités locales qu’on appelle fonds de concours). Et ils ne font que recruter. Je crois qu’en créant les conseils départementaux ou Conseils généraux, ce que j’approuve personnellement, il fallait supprimer aussi les conseils régionaux ou leur donner une autre mission. Dans mon programme que je proposerai au sénégalais pour la prochaine élection présidentielle, j’ai l’ambition de donner une dimension législative aux Conseils régionaux qui seront transformés en assemblées parlementaires régionales. Je parle comme ça parce que le document de réforme de l’Acte III de la décentralisation est presque caché. Ils ne le montrent pas et ne le diffusent pas. Pour se défendre, ils se donnent un don d’ubiquité. Quand on les entend parler, ils se donnent cette part d’attribut divin, en se révélant omniscient, omnipotent, omniprésent, tout ce que vous formulez comme recommandation ou suggestion, réflexion, ils vous disent qu’on l’a déjà pris en compte on l’a fait. Mais de grâce, qu’ils nous le montrent. Cela, c’est l’approche du plagiaire intelligent, qui n’a rien, qui agite le débat, qui recueille, complète, et qui répond toujours : ce que vous dites là je l’ai déjà fait. Mais où est la preuve de tout cela ? AD : Y a-t-il des obstacles et des préalables à la mise en œuvre de l’Acte III de la Décentralisation ? Dr Aliou SOW : Il n’y a pas d’obstacle majeur à vrai dire. A part peut-être le rejet potentiel d’un peuple qui peine à s’approprier quelque chose qu’il ignore. Il fallait d’abord commencer par créer le débat au niveau des collectivités locales, susciter la réflexion, l’adhésion populaire. Mais maintenant, ils réforment presque pour ensuite dire aux gens voilà on va venir vous expliquer ce qu’on va faire. Là, ils ne donnent aucune chance aux populations qui veulent s’approprier ces réformes, de pouvoir influencer la réforme. Finalement, cela s’apparente à la communication d’imposition de vue. On ne persuade pas, on veut imposer l’acceptation. C’est un jeu un peu dangereux. L’autre obstacle, c’est qu’aujourd’hui, la réforme se confond à une ambition électoraliste ou à des manœuvres politiciennes d’une coalition au pouvoir en détresse et en difficulté qui sait très bien que si l’élection est tenue à date due, ce sera une sorte de tremblement de terre ou tsunami du régime en place. Reporter ou de ne pas reporter, si leur système actuel produit les mêmes résultats et si leur façon de gérer ne change pas, ils ne feront que reporter leur défaite en rapprochant davantage les élections locales à la présidentielle, qui vont les balayer d’un coup de la façon la plus brutale parce qu’ils nous gèrent de façon brutale en se reniant, en respectant pas les promesses et en se justifiant de façon tellement légère. Et cela impacte même sur la crédibilité de la réforme qui est une bonne réforme en réalité. AD : Pensez-vous que les vrais acteurs ont été associés à l’élaboration de l’Acte III de la décentralisation ? Dr Aliou SOW : Sur ce plan, je ne saurai le dire. Mais moi qui vous parle, je suis président de communauté rurale, Conseiller régional, et ancien ministre de la décentralisation. Je n’ai jamais été convié à la plus petite réunion relative à cela. Je n’ai jamais été saisi sur cette question. Vous me direz que je suis membre de l’association des élus locaux, je suis saisi indirectement. Si c’est cela, je le leur concède. Mais les acteurs, ce ne sont pas seulement les élus locaux. Ce sont également les acteurs des collectivités locales, les partenaires au développement. Sur ce plan là, je crois qu’ils ont fait un simulacre de concertation. Macky Sall a mis la charrue avant les bœufs dans la conduite de sa réforme. C’est ce qui a vicié l’ambiance de la réforme et créé les incompréhensions. Il n’y a ni mauvaise foi ni manque de patriotisme, même si d’autre part, l’opposition dans sa grande majorité, a réagi de façon très politiciennes aussi. J’aurai préféré qu’elle aille rencontrer le président suite à son invitation, parce que c’étaient aussi des convocations qui n’étaient pas accompagnées de document de base permettant aux partis politiques de pouvoir faire travailler leurs experts et venir avec des propositions ou des idées. Il fallait qu’ils aillent donc pour lui signaler l’impertinence de la démarche, la contre-productivité, et prendre à témoin le peuple sénégalais pour le contraindre démocratiquement à revoir sa copie. A défaut, le laisser assumer seul sa démarche unilatérale. AD : Faut-il, comme certains le pensent, aller vers l’élection du maire au scrutin direct ? Dr Aliou SOW : Il y a deux choses sur lesquelles mes positions sont tranchées. Mais si vous devez élire le maire au suffrage universel direct, ce n’est donc pas la peine d’élire un Conseil municipal. Il faut élire le maire et le laisser constituer son cabinet. Pour moi, la démocratie a ses règles et ses difficultés. Il faut élire un Conseil municipal qui, à son tour, élit un maire tel qu’on l’a toujours fait et cela n’a pourtant pas créé grand problème. Si on doit faire ça, logique pour logique, il faut donc désormais élire le président de l’assemblée nationale directement et non pas le faire via les députés. AD : Que pensez-vous des candidatures indépendantes aux Locales ? Dr Aliou SOW : Si vous allez en Côte d’Ivoire, les grands partis ont été battus par les indépendants. Le PDCI et le RDR ont été devancés par les candidats indépendants parce que pour les élections locales, il s’agit de choisir un voisin en qui nous faisons confiance et celui-là peut être indépendant qui ne veut pas être membre d’un parti politique. Il y a des hommes de développement qui sont dans ce cas de figure. Mais au nom de quoi on peut être président de la république sans être membre d’un parti politique, mais on ne peut pas être conseil municipal au titre de son quartier ou village parce qu’on n’est pas membre d’un parti politique. C’est absurde, cela n’a pas de sens. C’est là où Macky Sall doit réformer. Mais on nous dit qu’il y aura une sorte de floraison de listes et que personne ne pourra maitriser les charges. Je suis désolé, la démocratie n’a pas de prix, elle a un coût. On peut le faire, en exigent des critères qui feront que les aventuriers ne viendront pas. Tout cela demande un encadrement. Je soutiens fortement la participation des candidatures indépendantes aux élections locales parce que ne pas l’accepter, c’est parrainer ou faire la promotion de l’exclusion ou l’imposition d’hommes et de femmes qui ne veulent pas être dans le cadre d’un parti politique à être forcément dans un parti sans y croire alors qu’ils peuvent jouer un rôle important dans le développement de leur collectivité locale. Source : AFRIQUE DÉMOCRATIE n° 22 du Septembre 2013. J’aime · · Partager
Posted on: Sat, 16 Nov 2013 11:24:15 +0000

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