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ALI SOBDAR AN NIZAMI: « Reconnaître le rôle du ghoon dans l’implantation de l’islam à Maurice » ARTICLE PARU DANS LE MAURICIEN | 19 NOVEMBRE, 2012 - 18:00 Les dix premiers jours du mois de Moharram, qui a commencé avec l’apparition de la nouvelle lune jeudi dernier, sont marqués par des prières dites à travers l’île par les musulmans afin de marquer le début de l’année islamique et commémorer la mémoire du martyr de l’Imam Hussain (RA). Cette période est un moment très fort pour les pratiquants du ghoon à Maurice qui participent à des sessions quotidiennes de prière et dont les points culminants sont le lever et le casser du ghoon, qui sont prévus ce samedi. Ces manifestations religieuses organisées particulièrement dans la région de Plaine-Verte sont suivies chaque année avec intérêt et piété par des milliers de Mauriciens. Le (Sidi) H. Ali Sobdar An Nizami (6e congrégation des Mohammadanes à Maurice), responsable de la sixième congrégation des Mohammadanes à Maurice, soutient dans une interview accordée au Mauricien que le ghoon est étroitement associé à l’implantation de la religion islamique dans l’île. « Il faut reconnaître la participation du ghoon dans l’implantation de la religion islamique », dit-il. Il préconise que cette pratique soit reconnue comme faisant partie du patrimoine immatériel de Maurice par l’Unesco. Ali Sobdar, vous souhaitez que le ghoon soit classé sur la liste des patrimoines immatériels de Maurice par l’Unesco. Qu’est-ce qui justifie votre démarche ? Si on regarde objectivement l’histoire de Maurice, on arrivera à la conclusion que la colonisation française a été une des périodes les plus florissantes en termes de développement tant économique qu’infrastructurel de l’île. Sans la période française, Maurice aurait peut-être connu un destin différent. Les Hollandais ont pillé le pays, ont ravagé la faune et la flore, ont pris tous les bienfaits. Finalement après avoir connu de nombreuses péripéties, des cyclones et des maladies, ils n’ont pu résister et ont déserté l’île. Beaucoup de Mauriciens ignorent que la pratique du ghoon à Maurice date du début la colonisation française. Dans quelles circonstances les premiers musulmans sont-ils arrivés dans l’île ? En 1710-1715, les premiers colons français arrivent de l’île de la Réunion. Sous la colonisation française, l’île de France accueillera des esclaves pour travailler dans l’agriculture et dans les secteurs serviles, notamment dans les résidences des colons comme domestiques et servantes. L’histoire du pays nous enseigne que Mahé de Labourdonnais, qui travaillait en collaboration directe avec la compagnie des Indes pour développer l’île, était un grand visionnaire. Il peut être considéré comme celui qui a jeté les bases de ce qui deviendra la nation mauricienne. Il était un bâtisseur et a initié la construction des infrastructures publiques et des bâtiments. Les esclaves, déracinés de leurs terres natales, n’étaient pas familiers aux techniques de construction. Ils n’étaient pas équipés pour bâtir une colonie. C’est la raison pour laquelle Mahé de Labourdonnais décida d’avoir recours à la main-d’œuvre indienne pour mener à bien ses projets. Il fait venir des artisans indiens sous contrat en particulier de la région sud de l’Inde. Ces derniers avaient une maîtrise parfaite de la construction. Parmi ces artisans venant notamment de Pondichéry, Coromandal, Karaikal ou de la côte de Malabar il y avait des musulmans et des tamouls. Voulez-vous dire que certains artisans étaient déjà musulmans à leur arrivée dans l’île ? Tout à fait. Pour comprendre cela, il faut faire une incursion dans l’histoire universelle. Beaucoup d’Arabes empruntant la Route des Épices sont allés en Inde pour s’approvisionner. Ils séjournaient, à cette occasion, pendant de longues périodes sur la Grande Péninsule. Ils apportaient, bien entendu, leurs religions, leurs cultures et leur savoir-faire qu’ils partageaient avec ceux qu’ils rencontraient en Inde. Les Arabes étaient connus pour être de grands artisans navals et pour la construction des bateaux. En même temps qu’ils transmettaient ce savoir-faire, ils transmettaient également leur culture et leur religion. Graduellement ceux qui travaillaient dans les entrepôts et chantiers des Arabes se sont familiarisés avec la culture arabe et l’islam. C’est ainsi que l’islam s’est épanoui en Inde. Ces Arabes ont aussi apporté avec eux des ordres mystiques qui se sont développés parmi les tamouls musulmans dans le sud de l’Inde. Les ordres les plus connus sont Shadhuliya (créé et développé par Ahmad Ash Shadhuli) et le Rufaiya (crée et développé par Ahmad Kabir Rufai). Ils faisaient partie des ordres mystiques suivis par les Arabes qui les ont transmis aux tamouls musulmans. Si vous vous rendez dans le sud de l’Inde, vous constaterez que dans cette région la langue arabe est parlée couramment davantage que dans n’importe quelle autre région du pays. Ce qui démontre que les empreintes laissées par les Arabes sont toujours présentes. Quel est le lien entre cette partie de l’histoire de l’Inde et Maurice ? C’est de cette région que les artisans musulmans et tamouls ont été recrutés par la compagnie des Indes sous contrat. Ils avaient été engagés non seulement pour la construction des bâtiments mais également des navires. Ils étaient très pieux et, par conséquent, sont arrivés avec leurs cultures et religions de la même manière que les travailleurs engagés ou les coolies par la suite. Même les esclaves avaient apporté leurs cultures et rites. À leur arrivée à l’île de France, ils avaient pensé qu’étant embauchés sous contrat ils pouvaient pratiquer leurs religions et leurs cultures. Or tel n’a pas été le cas. Les colons français avaient mis un embargo sur toutes les cultures et religions sauf la religion catholique. Par conséquent, ceux qui arrivaient dans l’île devaient se baptiser. Les musulmans étaient pieux et ne voulaient pas se baptiser. Lorsqu’ils devaient impérativement se régulariser, notamment lors de l’enregistrement des nouveau-nés ou pour des procédures d’état civil, ils étaient obligés d’adopter un prénom chrétien qui leur permettait de résider dans la colonie. C’est la raison pour laquelle on a pu voir un musulman adopter, par exemple, le nom de Joseph Abdool Kader. Elias Sobdar, pour sa part, est devenu Ignace Sobdar. Ces travailleurs avaient cependant un sens de la dignité. Leur identité religieuse était leur honneur. Au départ, ils étaient un petit groupe. Ils ne pouvaient pas s’opposer à une institution aussi forte que l’administration royale pour qu’ils puissent exercer leur droit de pratiquer leur religion ouvertement et publiquement. Au fur et à mesure que la colonie grandissait, l’importance de la main-d’œuvre recrutée augmentait. Le nombre de travailleurs tamouls-musulmans et tamouls augmentait. Lorsque la population de travailleurs musulmans a atteint un nombre suffisamment important, ils ont décidé de trouver un local pour se réunir. C’est ainsi qu’entre les angles des rues Calcutta et Ail Dorée, ils ont construit une chapelle dédiée à la pratique de leur culte et religion qu’ils ont utilisée pour faire le “namaz”, pour dispenser les cours islamiques et pour propager leur religion à travers la colonie. C’était le premier quartier général de l’islam à l’île de France. C’est là qu’ils discutaient de leurs problèmes et de leurs projets. À cette époque il n’y avait que des colons, des esclaves, des tamouls et des musulmans dans l’île. Les travailleurs importés étaient arrivés avec leurs épouses et ont eu des enfants qui commençaient à grandir. Il s’agissait pour eux de savoir ce qu’il adviendrait de leurs enfants, s’ils pourraient pratiquer leur religion librement. Le risque de perdre leur identité en tant que musulman existait. Est-ce qu’ils seraient obligés d’adopter d’autres religions ? Pour eux la survie de la communauté, la culture et la pratique de vie des musulmans était en jeu. Nous sommes dans les années 1735. Les réunions religieuses avaient lieu à leurs risques et périls. Le risque que les officiers de la colonie interviennent était grand. Ils couraient le risque d’être considérés comme rebelles et d’être fusillés. Cependant ils ont accepté de mettre leur vie et celle de leurs enfants en jeu pour maintenir leur identité religieuse et pour instaurer la religion islamique dans l’île. Vers 1744, ils ont décidé de sortir de leur clandestinité pour aller en public. C’est ainsi qu’ils ont fait la première commémoration du ghoon ouvertement. À la tête de ce mouvement se trouvait le père d’Elias Sobdar, aussi respecté comme le chef de la famille Goolamy. Les premiers musulmans étaient les “Goolamys”. Il y a eu une opposition de la part des autorités comme le témoignent les ordres de police émis sous l’administration française. Malgré cela le groupe a renouvelé cette commémoration tous les ans. Parmi ceux qui faisaient partie du groupe initial se trouvaient les familles Sobdar, Abdool, Raëmanne, Atalaola Flore, Catherine Chuttoo, Kader Jean Baptiste, Sarangue, Hira, Sakir, selon les registres de recensement de l’île conservés aux archives nationales. Forts de leurs premières sorties publiques, les musulmans d’alors, connus comme les mohametans, ont commencé à lutter pour leurs droits. Ils utilisaient le ghoon comme un des moyens de propagation de la religion islamique et pour grossir leur groupe. À travers le ghoon, ils transmettaient un message mystique et religieux à l’intention des habitants de la colonie qui étaient composés majoritairement de non-musulmans. Cette pratique leur permettait aussi de transmettre le message universel du sacrifice suprême de l’imam Hussain (RA) et la religion islamique afin de pouvoir réunir suffisamment de fidèles pour proclamer ouvertement l’islam comme une religion reconnue dans l’île. On a vu alors beaucoup d’esclaves se convertir à l’islam. Les battements de tambour permettaient d’éveiller la curiosité de la population. Les esclaves libres, les colons et autres personnes qui se déplaçaient pour voir de plus près ce qui se passait pouvaient constater de visu la ferveur religieuse qui caractérisait la procession du ghoon. Devant le spectacle des supplices qui se pratiquaient sans que personne ne soit blessé, ils étaient impressionnés. Ils revenaient les années suivantes et accompagnaient le ghoon jusqu’au premier lieu de culte islamique. Le 29 décembre 1798, la communauté était devenue assez puissante pour soumettre une demande à l’autorité coloniale afin d’établir la première mosquée de l’islam à l’île de France. La demande été soumise au gouverneur Malartic mais ce dernier devait la rejeter. Le gouverneur Morlière succéda à Malartic et une nouvelle demande lui a été adressée sans obtenir satisfaction. La demande des premiers pratiquants du ghoon habitant la colonie de l’île de France pour l’établissement de la première mosquée, sur un terrain de 250 toises, a finalement été acceptée par le gouverneur Decaen. Cette mosquée est connue aujourd’hui comme Al Aqsa de Plaine-Verte. Au moment de l’établissement de la première mosquée, le contrat précisait qu’il y avait déjà une chapelle sur ce lieu. D’ailleurs, le plan d’arpentage indiquait la présence du premier quartier général construit par les premiers musulmans pratiquant du ghoon. Par conséquent, ce sont eux qui ont introduit la religion musulmane à Maurice. Il ne faut pas oublier les sacrifices qu’ils ont consentis pour établir la religion islamique pour toutes les générations mauriciennes Quels sont ceux qui étaient à la tête de la demande ? Parmi les requérants se trouvaient Ignace Sobdar et tous les Lascars membres de la famille Goolamy, premiers musulmans de Maurice. Il est important de se rappeler de cette lutte qui a permis de préserver beaucoup de choses. Les artisans musulmans ont réussi à préserver leur identité non seulement en tant que musulmans mais également en tant qu’Asiatiques venant de l’Inde. Ils ont préservé la langue tamoule et la langue arabique. Beaucoup de documents attestent l’utilisation de la langue tamoule par les premiers musulmans de Maurice. Il ne faut pas permettre qu’on détruise cet aspect de l’histoire du pays. Il faut reconnaître la participation du ghoon dans l’implantation de la religion islamique à Maurice et dans la lutte des premiers musulmans de Maurice qui nous ont légué la religion musulmane dont nous jouissons aujourd’hui et pour toujours. Les dix jours du mois de Moharram Selon le (Sidi) H. Ali Sobdar An Nizami, le mois de Moharram (cité dans le Coran) est l’un des quatre mois sacrés pour les musulmans. Il marque le début du calendrier islamique à travers l’hégire du Saint prophète. Le responsable de la sixième Congrégation Mohammadane de l’Île Maurice, fondée en 1744, souligne que le premier jour de ce mois est commémoré pieusement par les musulmans à travers le monde car il marque le début d’une nouvelle année islamique. À Maurice, la sixième Congrégation Mohammadane commémore l’arrivée de la nouvelle année par la récitation du majliss (les récits de la vie d’Imam Hussain (RA) et de la bataille de Karbala) suivi des battements de tambours comme léguée par la tradition des premiers musulmans instaurateurs de l’islam à Maurice, lors d’une procession publique dans les rues de Plaine-Verte. Il est bon de noter qu’à l’époque en l’absence de moyens de communication moderne, les battements de tambours permettaient d’informer les musulmans du début du mois de Moharram et leur permettait ainsi de suivre les dix premiers jours de ce mois sacré jusqu’à l’Ashura. De la deuxième à la quatrième nuit, les fidèles se rassemblent au Zawiyah de la congrégation qui se trouve à la rue Hussein-Hassen pour écouter les différentes étapes de sessions de majilis suivies par des battements de tambour pour la raison expliquée plus haut. À la cinquième nuit, les fidèles se rassemblent au Zawiya après le namaz. Ont lieu une session spéciale de récitation du Saint Coran, la continuité du majilis et des prières spéciales pour se rappeler des martyrs de Karbala. À la sixième nuit, le majilis se poursuit, suivi de battements de tambours. À la septième nuit, après la récitation du majilis, les préparatifs importants s’activent pour la collecte des bannières religieuses préparées par les fidèles en mémoire de l’interruption totale de l’approvisionnement en eau à l’imam Hussein (RA), sa famille et ses compagnons par l’armée de Yazid. Cette collecte de bannières religieuses est effectuée par l’entremise d’une procession publique accompagnée de battements de tambours, afin de conscientiser tout un chacun à cette souffrance. À la huitième nuit et au huitième jour, après l’accomplissement du namaz isha, les fidèles se réunissent au Zawiya pour la récitation du huitième jour de majilis suivie d’une procession publique à travers les rues de Plaine-Verte. Cette procession est accompagnée de battements de tambours et de modèles de “tentes islamiques” qui sont généralement érigées sur les champs de bataille en souvenir du camp de l’imam Hussain (RA) et ses compagnons. Au huitième jour et à la neuvième nuit après l’accomplissement du namaz asar, lesfidèles composés d’hommes, femmes et enfants se réunissent au Zawiya pour la récitation du Saint Coran en congrégation et une prière spéciale en mémoire de l’imam Abbaas (RA), porte-drapeau de l’Imam Hussain (RA) pendant la bataille de Karbala. Le même jour, après l’accomplissement du namaz magrib, les fidèles se réunissent au Khadafi Square à Plaine-Verte pour une procession publique pour se rappeler du martyr de l’imam Abbaas (RA) au moment de sa quête d’eau pour les membres de la famille et les compagnons de l’imam Hussain. Cette procession assortie de battements de “daf” et de tambours est commémorée par les louanges à Allah, au Saint Prophète (SAW) et aux martyrs de Karbala accompagnée de l’autoflagellation en souvenir des souffrances subies par l’imam Abbaas (RA). La neuvième nuit, plus connue comme le lever du ghoon ou « khatl Ki Raat » ou la nuit précédant le martyr de l’imam Hussain (RA), est commémorée dans une très grande ferveur. Pendant cette nuit la dernière session du majilis « safar e karbala » est récitée au Zawiya suivie des différentes sessions de prières spéciales pour cette nuit. Après les sessions de prières, le tazia sort du Zawiya accompagné des centaines de fidèles et des battements de tambours pour souligner que c’est la veille de la nuit du sacrifice suprême de l’imam Hussain (RA). Le tazia est un minaret artisanal reflétant l’aspect islamique de la procession « et non pas le cercueil ou autres mausolées des martyrs de Karbala comme certains le font croire et dont nous nous dissocions ». Au retour de la procession au Zawiya, des prières sont dites jusqu’au matin en mémoire de la patience de l’imam Hussain (RA). Le dixième jour est le jour d’Ashura, jour du martyr de l’imam Hussain (RA). En ce jour, le matin après la récitation du Saint Coran et autres prières islamiques au Zawiya a lieu une distribution de repas aux fidèles et au public marquant la fin du siège. Ce repas est utilisé par les fidèles pour rompre le jeûne du jour d’Ashura et ceux qui n’ont pu jeûner profitent de l’occasion pour marquer ce moment solennel. Après l’accomplissement du namaz Zohar, les fidèles se réunissent au Zawiya pour accomplir deux unités de prières spéciales pour le jour d’Ashura comme veut la tradition islamique. À 15 h les fidèles se réunissent à nouveau pour effectuer les prières d’adieu précédant le martyr de l’imam Hussain (RA) suivi d’une procession publique dans les rues de Plaine-Verte afin de conscientiser la masse musulmane au martyr de l’imam Hussein (RA), la majorité de la descendance du Saint Prophète (SAW) et des compagnons de l’Imam Hussein (RA), tous martyrs de Karbala. Cette procession est accompagnée du battement de “daf”, des tambours, des louanges islamiques informant les gens de la bataille de Karbala et d’autoflagellation en souvenir des souffrances subies par l’imam Hussain (RA) et tous les martyrs de Karbala. Cette procession se termine par la récitation de « Alwida e Hussain (RA) ». « Les battements de tambours et du “daf” accompagnent les “qasidas”, poèmes islamiques comme pratiqué à travers le monde musulman sans l’utilisation de tout autre instrument de musique. L’autoflagellation n’est pas pratiquée en guise de lamentation mais en guise d’expression et de propagation du haut niveau de la valeur mystique et spirituelle de l’ordre Rufaiya, initié par le Syed Ahmad Kabir Rufai (RA) (Wasit/Irak), descendant direct du Saint Prophète (SAW) », explique Ali Sobdar.
Posted on: Thu, 31 Oct 2013 10:40:00 +0000

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