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Actualités : SALAH MOUHOUBI, POLITOLOGUE ET ÉCONOMISTE : «Il faut en finir avec les présidents autodidactes» Entretien réalisé par Tarek Hafid Le docteur Salah Mouhoubi estime que l’Algérie est plus que jamais vulnérable aux différents types de menaces. Selon lui, le changement de modes de gouvernances politique et économique doit passer par des élections présidentielles libres et démocratiques. Une première étape qui permettrait à une élite de haut niveau d’accéder aux centres de décision. Le Soir d’Algérie : Le président de la République est absent depuis le 27 avril. L’Algérie est-elle aujourd’hui dans une situation de crise ? Salah Mouhoubi : Il faut avant tout reconnaître que c’est une situation inédite. Forcément, cela pose des problèmes très sérieux. Le président de la République est une institution de l’Etat très importante et si cette institution fait défaut, cela provoque nécessairement des blocages dans le fonctionnement de l’Etat. Les missions du président de la République sont clairement définies par la Constitution, et personne d’autre ne peut les assumer à sa place. C’est ce qui explique la situation de crise. Il ne faut surtout pas sous-estimer cette absence et dire que tout se passe bien et que malgré sa convalescence, Abdelaziz Bouteflika suit toujours les grands dossiers. Maintenant tout dépend de quelle manière il les suit. Car il y a des situations où la présence du Président est impérative. Comme, par exemple, assurer la présidence du Conseil des ministres et assumer ses fonctions protocolaires. Nul ne peut le remplacer. Actuellement, l’Algérie traverse une situation critique et malheureusement, les germes d’une crise profonde sont là. Pourtant, les responsables politiques, notamment le Premier ministre et le président du Conseil de la nation, ne cessent de dire que tout va bien… Bien entendu, il faut comprendre l’attitude de ces personnages-clés de l’Etat. Ils ne peuvent pas dire le contraire. Constater qu’il y a une crise, c’est dire que des élections présidentielles sont incontournables. Le problème est là. Je comprends parfaitement leur semblant de sérénité. Le système a cette faculté de tenir malgré l’absence du Président, c’est une caractéristique du système politique algérien. Dans un autre pays du monde, il y aurait eu immédiatement des changements. Actuellement, il semble que cela se passe bien dans la mesure où le système veille au grain. En fin de compte, est-ce que la fonction présidentielle est importante dans le fonctionnement de ce système ? La question est posée. Il existerait donc un consensus au plus haut sommet de l’Etat pour gérer la situation et faire en sorte que tout se passe pour le mieux ? C’est effectivement la nature même de ce système dont la finalité est de perdurer. De garder le pouvoir, qu’importe celui qui assumera le pouvoir. C’est ce qui explique ce semblant de sérénité et cette impression de consensus pour éviter tout dérapage. Mais vu la situation intérieure du pays et le contexte international, il est clair que cela pose des problèmes. Saïd Bouteflika semble être la seule personne en contact direct avec le président de la République. En jouant le rôle d’interface, mais en électron libre, ne risque-t-il pas de causer des interférences dans le processus de gestion actuel ? Il faut d’abord se poser des questions sur le statut du frère du Président. Il n’est que conseiller. Les missions d’un conseiller ne sont même pas définies par la Constitution. Donc, en dehors de ce cadre, tout ce que pourrait faire Saïd Bouteflika est soit en contradiction avec la Constitution et illégal et anticonstitutionnel. Ses missions sont définies par le Président. Mais il ne peut pas se substituer aux missions du président de la République, ni même aux missions des autres membres du gouvernement. Aussi, il ne peut pas agir comme électron libre. Le problème deviendrait plus grave s’il se substituait aux prérogatives du Président. Cela interpellerait toutes les institutions de la République car cela serait considéré comme un coup d’Etat. Pensez-vous que les membres du «clan présidentiel» soient aujourd’hui acculés, dans une zone de danger ? A mon avis, il faut élargir le terme. Il ne s’agit pas d’un clan, mais du pouvoir. Depuis 1999, un nouveau pouvoir s’est installé en Algérie avec l’arrivée d’une nouvelle équipe. Au bout du compte, il s’est avéré que la plupart de ses membres ont été éclaboussés par des scandales de corruption. Cette équipe a échoué dans la construction d’une Algérie puissante, forte et indépendante. Il y a des secteurs qui sont totalement sinistrés à l’instar de la santé, de l’éducation, du logement et des transports. Nous n’avons pas réussi à construire une économie hors hydrocarbures. Des sommes énormes ont été englouties dans le fonctionnement de l’Etat. Plus grave, je dirais que l’Algérie n’a pas éliminé ses vulnérabilités. Au contraire, elle les a renforcées. Malheureusement, l’avenir ne s’annonce pas sous de meilleurs auspices. Il faut prendre au sérieux les dernières déclarations du gouverneur de la Banque d’Algérie lorsqu’il a annoncé que nos revenus ont baissé de 5% au premier trimestre 2013 par rapport à la même période de l’année précédente. La situation est grave, même avec un baril au-dessus de 100 dollars. Qu’en sera-t-il si le prix baisse ? La stratégie actuelle a montré ses limites. Même le discours ambiant ne plaide pas pour un certain optimisme. On nous annonce le refus de réviser notre conception archaïque de l’investissement en maintenant la règle antiéconomique du 49/51 pour les IDE. Tous les pays se battent pour attirer les investissements étrangers, en Algérie nous faisons tout pour les repousser. Il y a quelque chose qui ne va pas. Quelles sont les solutions de sortie de crise ? L’Algérie a-t-elle les moyens de s’en sortir ? Oui, heureusement. Une autre politique économique et financière est possible en Algérie. Nous avons des moyens financiers et humains pour concevoir une autre politique de développement. Quelles sont les décisions à prendre en urgence ? Il faut agir sur un double plan, la gouvernance politique et la gouvernance économique. L’Algérie doit se doter d’institutions démocratiquement élues le plus rapidement possible. Je ne suis pas devin, mais je pense que le départ de Abdelaziz Bouteflika du pouvoir devrait amener à la déboumedienisation du pays. Il faut en finir avec ce système politique et économique qui empêche le pays de prendre son essor. On ne peut plus se permettre d’avoir dans les rouages de l’Etat des prédateurs, des incompétents et des idéologues d’un autre âge. Il faut ensuite mettre en place une gouvernance économique. Les Algériens doivent comprendre que nous sommes dans un système mondialisé. Ce monde est implacable avec les faibles. Nous devons gérer notre économie en fonction de cette nouvelle donne et non pas de nos desiderata. L’Algérie n’est pas une puissance mondiale qui peut se permettre de se passer des autres. Ces défis attendent le successeur de Abdelaziz Bouteflika. Quel est le profil du futur Président algérien ? En tant qu’intellectuel, je ne me suis jamais prononcé sur cette question. A mon sens, il faut arrêter de faire une chose en Algérie : dire aux Algériens voici votre Président. Le Président doit être l’émanation de la volonté populaire. Il faut que le jeu soit ouvert, démocratique. Ensuite, il faut en finir avec les présidents autodidactes. L’Algérie est une Nation de 40 millions d’habitants, qui a un passé glorieux. Ses dirigeants doivent être à la mesure de ce peuple et de son passé. Personnellement, je déplore le fait de ne pas avoir fait de politique. Les intellectuels ont laissé le champ politique aux prédateurs, aux opportunistes. Je le regrette profondément. Dans tous les pays du monde, c’est l’élite qui est au pouvoir, c’est l’élite qui dirige. Il est anormal que depuis 1962, l’Algérie n’ait eu que des présidents autodidactes. Quant au profil du futur Président, il devra tout simplement être compétent. Pensez-vous que l’institution militaire doit intervenir activement dans la phase actuelle ? J’ai un grand respect pour cette institution. Mais j’estime que la mission de l’armée est déjà très délicate. Il serait hasardeux de lui demander d’intervenir dans le champ politique. Je vois mal l’armée algérienne intervenir pour mettre fin aux fonctions du président de la République. Toutefois, il y a un problème très sérieux car la Constitution ne contient pas les éléments pour permettre aux institutions de l’Etat de fonctionner de manière équilibrée. Il faut bien qu’il y ait des garde-fous. Je crois qu’il faille définir clairement le rôle dans la Constitution. Il faut une force qui puisse dire stop, c’est contraire à la Constitution. Je ne sais pas si l’armée ou une autre institution pourrait le faire, mais nous sommes confrontés à un vide. Selon vous, les militaires sont-ils conscients de la nécessité d’aller vers des élections libres ? C’est difficile à dire, mais on peut supposer au vu des mutations en Algérie et le contexte international ambiant, qu’il ne peut pas y avoir d’autres solutions. L’institution militaire n’a pas intérêt à ignorer un fait fondamental : les aspirations des Algériens au changement. Ils aspirent à un Etat de droit et à la démocratie. Nous ne pouvons plus différer le changement. Par ailleurs, ce changement devient vital pour l’avenir de l’institution militaire. Un pays en crise, qui n’avance pas, représente un danger. Cela peut avoir un impact sur la sécurité nationale. Etes-vous optimiste ? Question très difficile après tout ce que je viens de dire. Bien sûr, j’essaie d’être optimiste. Mais je pense tricher avec moi-même. Pour le moment, il n’y a aucun signe qui permet de dire que les choses vont changer. Mais il y a une lueur d’espoir avec le départ de l’équipe actuelle. Le pays tient là l’occasion de tourner la page d’une certaine époque qui n’a pas été totalement heureuse pour l’Algérie. T. H.
Posted on: Sun, 23 Jun 2013 19:46:29 +0000

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