Bonnets rouges et blanche hermine TRIBUNE - Lécrivain Patrick - TopicsExpress



          

Bonnets rouges et blanche hermine TRIBUNE - Lécrivain Patrick Mahé* rappelle que la Bretagne nen est pas à sa première révolte fiscale. (Figaro 30/10) Le 9 janvier prochain, la Ville de Nantes, celle de Jean-Marc Ayrault, lancera un timbre à leffigie dAnne de Bretagne, la reine insoumise. Jean-Louis Jossic, lun des chanteurs du groupe Tri Yann, par ailleurs adjoint au maire de Nantes, me disait dans un sourire, la main sur le cœur: «Anne? Ça fait 500 ans quelle est là!» Il est sûrement le dernier à sétonner, aujourdhui, de létonnant retour de flamme des «bonnets rouges», héritiers modernes dune révolte qui remonte à… Louis XIV. Le motif? Déjà limpôt. En 1675, la Bretagne croule sous la fiscalité. Le Trésor royal est vidé par la guerre déclarée contre les Provinces-Unies (Pays-Bas). Une nouvelle taxe, noircissant une lourde flopée dédits, tombe alors pour authentifier les actes judiciaires, dont ceux détat civil. Cette taxation bafoue lautorité de la Bretagne. Celle-ci bénéficie encore de lautonomie (cest aux États de Bretagne de lever limpôt) depuis lActe dunion, signé à Vannes entre le duché et le royaume de France, en 1532. Elle ne la perdra quà la Révolution... Un jeune notaire de Kergloff (Finistère), Sebastian Ar Balp, se dresse contre les prétentions de Colbert. Il rallie des centaines de paysans à sa cause, les coiffe dun bonnet rouge et se lance à lassaut du château du duc de Chaulnes, gouverneur au nom du roi. Il y laissera la vie, bien sûr, tandis que, des mois durant, les renforts accourus de Versailles, dragons, mousquetaires, archers, gardes suisses et huit compagnies dinfanterie, passent le pays au fil de lépée. En Cornouaille (Quimper) et en pays bigouden (de Penmarch à Pont-lAbbé), ce balcon de mer qui est aussi fin de terre, les clochers sont décoiffés au canon. Ils avaient sonné le tocsin pour mobiliser les paysans. Dans les fêtes daujourdhui, les danseuses bigoudens, à coiffe en forme de pain de sucre, sont les plus acclamées. La légende veut quelles aient laissé monter leurs coiffes (jusquà 38 cm) en hommage aux clochers décapités. La Bretagne a connu bien dautres jacqueries: celle du marquis de Pontcallec, lui aussi révolté contre les violations du traité de 1532. À 20 ans, il rêvait dune république bretonne. Il fut exécuté en place publique, à Nantes. Les bardes de nuit perpétuent toujours sa «gwerz», une balade mélancolique… Et que dire du colonel Armand, sieur de La Rouërie, ancien de la guerre dIndépendance américaine, passé à la chouannerie bretonne. Une sorte de frère darmes pour Georges Cadoudal, qui, lui, finira sous léchafaud au crépuscule du règne de Napoléon. Régionalistes de lAssociation Bretonne, autonomistes de lentre-deux-guerres, séparatistes grisés par le romantisme de la révolution irlandaise, au risque dy perdre leur âme en des temps dapocalypse, jalonnent lhistoire dun peuple dont lunité de destin forge la caractéristique dune nation. Cette identité bretonne vit à travers son hymne: le Bro Gozh Ma Zadou («vieux pays de nos pères»). Ils ont leur langue (la France na toujours pas ratifié la charte européenne des langues minoritaires) et leurs couleurs: le blanc et le noir, comme au temps des ducs. Le souvenir du «démembrement» caricatural imposé par des technocrates, comme la recommandation dun élevage aveuglément intensif, est dans toutes les mémoires. Tout comme les quotas de pêche, voulus par Bruxelles, qui ont laissé dans les ports de nombreuses flottilles. Alors lécotaxe? Elle tombe aux yeux des Bretons comme une troisième punition. Aucun territoire de lHexagone nest autant pénalisé par sa géographie particulière. Brest est à sept heures de Paris. À trois de Rennes. Lavion coûte (très) cher. Il ny a pas de TGV jusquà Quimper. Du plan routier voulu par de Gaulle, la Bretagne na pas hérité dautoroute, mais de «quatre voies» où la vitesse est limitée… Samedi, à Quimper, le bonnet rouge, le drapeau Gwenn ha Du à bandes horizontales frappé dhermines constitueront le «kit» du manifestant. Une manifestation baptisée: Bevan, divizout, labourat e Breizh, soit «vivre, décider, travailler en Bretagne». Quimper, malgré la «reculade» du gouvernement sur lécotaxe - qui bénéficie à toutes les régions -, rassemblera mille et une composantes de la diversité bretonne. Marins pêcheurs confrontés aux quotas, paysans «déracinés», licenciés de lagroalimentaire, petits entrepreneurs ployés sous limpôt. Mais aussi militants autonomistes, partisans de la réunification avec le pays nantais, adeptes du renouveau de la langue. Rassemblée à lappel des cornemuses, cette diversité nest pas sans danger ; elle peut drainer marginaux indésirables ou provocateurs de tous bords. Les «bonnets rouges» sont sur leurs gardes et jurent dy veiller plutôt deux fois quune. Dernière preuve que toute la région est concernée: nul ne sétonne, ici, quun industriel en vogue (Armor-Lux) ait distribué 900 bonnets de laine rouge aux manifestants jetés contre le portique à écotaxe de Pont-de-Buis, lautre samedi. On imagine, en passant, la tête dArnaud Montebourg, sous le bonnet rouge, lui qui, ès qualités ministérielles, posa en marinière de la firme de Quimper. *Président du Salon du livre en Bretagne.
Posted on: Thu, 31 Oct 2013 10:43:31 +0000

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