Brossat sur la violence : « Nous n’en finissons pas de subir - TopicsExpress



          

Brossat sur la violence : « Nous n’en finissons pas de subir des injonctions d’avoir à nous prononcer contre toute forme de politique violente, et, plus généralement, contre la violence sous toutes ses formes. L’aversion du public contemporain à la violence vive est constamment soutenue par la promotion de normes immunitaires dont l’effet est de jeter le discrédit aussi bien sur toutes sortes de conduites coutumières dans nos sociétés (la bagarre du samedi soir, la fessée administrée à l’enfant turbulent, la main baladeuse dans le métro) que sur l’engagement physique dans les pratiques politiques (la manifestation virant à l’émeute, le pugilat au Parlement, la grève insurrectionnelle…). En même temps, ce mouvement général de pacification des mœurs nourrit le sentiment de l’insécurité, au point que, si nos sociétés n’ont jamais été aussi « sûres », elles n’en apparaissent pas moins aux yeux d’une partie au moins de la population comme de plus en plus dangereuses. Au reste, la pacification, la délégitimation de la violence ont une lourde contrepartie : la concentration toujours plus dense des moyens de violence dans la sphère de l’État et de ce qui s’y agence : plus nos sociétés son “sûres” et plus elles sont policières et c’est au détriment des libertés publiques que prospère la criminalisation de toute espèce de violence – la récente affaire de Tarnac en est une illustration entre mille. Au demeurant : “toute espèce de violence” est une expression bien expéditive. Ce dont il est en réalité question est une opération discursive de grand style autour de l’enjeu “violence”. Le mouvement de pacification de la vie sociale et du domaine politique a pour enjeu un formatage rigoureux des perceptions collectives de “la violence” et une réforme radicale du code destiné à séparer le violent du non-violent. En bref, il s’agit d’inculquer à la population la vision sécuritaire/policière de ces enjeux. À ces conditions, sera donc désignée comme violente l’émeute qui a embrasé une cité de banlieue suite à une “bavure” policière – pas cette action policière elle-même ; sera stigmatisée comme violente une occupation d’usine accompagnée de quelques saccages – pas le licenciement collectif qui l’a précédée ; sera désignée comme violente une attaque de banque – pas les escroqueries en grand commises par des prédateurs de haut vol comme Kerviel ou Madoff ; sera décrié comme violent un attentat suicide commis par un kamikaze islamique, pas les “opérations” aériennes de l’armée israélienne sur la bande de Gaza… Dans ces conditions, “la violence” tend à devenir d’une manière exclusive le fait de l’autre – du pauvre, de l’immigré, de la plèbe mondiale, de l’islamiste, de l’État-voyou… Elle tend toujours davantage à faire l’objet de rites de détestation et d’exorcismes, à devenir une question morale plutôt que politique ou sociale. Son évocation péjorative devient un moyen de gouvernement des populations à la peur et à la sécurité, davantage qu’à la paix. Le monde des “pacificateurs” qui nous gouvernent est, comme chacun peut s’en assurer, tout sauf un monde en paix. Surtout, la nouvelle police des discours qui “règle” la question de la violence constitue un formidable empêchement à penser et agencer une politique vive, déliée des dispositifs généraux de la démocratie-marché (Gilles Châtelet). Ce n’est pas seulement que les espaces publics se trouvent de plus en plus occupés par toutes sortes de dispositifs policiers, c’est aussi que l’appareil général de criminalisation de “la violence” tend à désarmer dès l’origine, à la racine, toute entreprise politique qui ne s’effectuerait pas aux conditions mêmes de la domination ou, si l’on veut, de la société de contrôle. Il s’avère à l’usage que le mouvement de “déviolentisation” de la politique qui s’est accéléré sans relâche depuis le début des années 1980, aboutit, en réalité, à annihiler toute énergie politique se déployant hors des espaces du programmable et du gouvernable. Notre impuissance politique actuelle face à l’Etat-Sarkozy qui, pourtant, fait eau de toutes parts et n’est, substantiellement, qu’une bouffonnerie, tient, pour une bonne part, à cette extermination de tout possible politique radical par l’avènement de ce dispositif général anti-violence. »
Posted on: Sun, 15 Sep 2013 14:43:43 +0000

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