Bénin: le culte qui défie l’Eglise Dans ce petit pays - TopicsExpress



          

Bénin: le culte qui défie l’Eglise Dans ce petit pays ouest-africain, un culte dissident défie l’Eglise catholique. Et révèle ses fragilités sur un continent déjà gagné par l’essor des évangéliques. Un chantier urgent pour le pape François. FERVEUR. Dans la « cathédrale » de tôle et de bois de Banamè, des milliers de fidèles écoutent avec dévotion les prêches de l’ »Esprit saint et Dieu créateur ». GRATIEN CAPO Qui l’eût cru? On peut ici-bas, au coeur de la semaine pascale, converser sous un auvent dallé avec le Saint-Esprit et le souverain pontife. Il suffit, pour mériter une telle grâce, de rallier le Bénin, petit pays ouest-africain aux 9 millions d’âmes, coincé entre le Togo et le colossal Nigeria, puis cheminer jusqu’à la « sainte colline » de Banamè-Sovidji, à trois heures de route au nord de Cotonou. A l’approche de Pâques, des milliers de fidèles ont gravi le raidillon de terre ocre et ravinée qui mène au calvaire kitsch et à la « cathédrale » de tôle et de bois. Tous, de la bourgeoise permanentée au traîne-savates édenté, répondent avec ferveur à l’appel de la dénommée Parfaite, « Esprit saint et Dieu créateur du Ciel et de la Terre », du pape Christophe XVIII, prêtre diocésain en rupture de ban intronisé le 17 novembre 2012, et d’une certaine Nicole, « Vierge Marie » fluette, « en qui se consument tous les démons ». Et tant pis s’il faut pour tutoyer les anges dormir trois nuits de rang sur des nattes ou des bâches. Rien n’empêche d’aller à la messe le matin, de consulter un féticheur l’après-midi et d’invoquer tel dieu du panthéon vaudou la nuit A l’heure où l’accession de l’humble jésuite argentin Jorge Bergoglio au trône pontifical suscite dans l’hémisphère Sud espoir et curiosité, l’irruption de ce culte dissident inflige au catholicisme béninois, qui n’en avait guère besoin, une nouvelle épreuve. Déjà, il lui fallait résister à l’essor vigoureux et foisonnant des Eglises évangéliques, filiales subsahariennes de mouvances protestantes nées aux Etats-Unis. Et s’accommoder de la persistance de rites ancestraux. Car l’ex-Dahomey est tout à la fois le berceau du vaudou et le paradis du syncrétisme. « Chez nous, confie un universitaire, rien n’empêche d’aller à la messe le matin, de consulter un féticheur l’après-midi et d’invoquer tel dieu du panthéon vaudou la nuit venue. » A Ouidah, jadis tête de pont de la traite négrière, le temple des Pythons fait ainsi face à la basilique de l’Immaculée-Conception, que visita Benoît XVI en novembre 2011. Le Vatican, il est vrai, a toujours choyé ce minuscule Bénin, dont Jean-Paul II foula le sol à deux reprises, et qui envoya à Rome d’éminents cardinaux, tel Bernardin Gantin, pilier de la Curie tenu pour papabile en 1978. Parfaite, bébé tombé du ciel dans la brousse Cette fois, l’assaut ébranle d’autant plus la citadelle catholique locale qu’il vient de l’intérieur. Car les rebelles de Banamè prétendent sauver du dévoiement l’Eglise universelle. Quitte à tricoter une pieuse légende. Ainsi, Parfaite – « Papa » pour ses adeptes, mais Vicentia Tadagbe Tchranvoukinni selon l’état civil-, bébé tombé du ciel, aurait été découverte dans la brousse du nord du Bénin par un berger peul, avant qu’un couple d’instituteurs l’adopte. Sa rencontre avec Mathias Vigan, le futur Christophe XVIII, date de 2008, à l’époque où ce dernier, curé de la paroisse Saint-Odile de Banamè, connu pour ses talents de guérisseur, pratiquait l’exorcisme avec l’aval du diocèse. Le rival béninois du pape François, vêtu de son costume de scène soutane blanche à liseré rouge, chasuble brodée, croix pectorale et calotte dorées Bientôt, la patiente Vicentia se fait mentor, au point d’envoûter son désenvoûteur. « Lui, je ne le reconnaissais plus, confesse un catéchiste alors familier du père Vigan. En sa présence, il filait doux. » Aujourd’hui, lorsque le rival béninois du pape François, vêtu de son costume de scène soutane blanche à liseré rouge, chasuble brodée, croix pectorale et calotte dorées -, assomme son visiteur de fadaises théologiques, Parfaite se tient à son côté, renchérissant souvent, le corrigeant parfois. BONIMENTEURS. Vicentia Tadagbe Tchranvoukinni, alias Parfaite, ou encore « Papa », et Mathias Vigan, le « pape » Christophe XVIII, prêtre et exorciste excommunié. GRATIEN CAPO Pour l’heure, l’ »Esprit-saint », qui n’a pas encore endossé son aube mauve ni coiffé son chapeau cloche, déguste sa bouillie de manioc, supervise l’inventaire des flacons de baume miraculeux et le déballage des liasses de foulards à l’effigie de saint Etienne, premier martyr de la chrétienté, ou vérifie, telle une comptable pointilleuse, factures et bordereaux de livraison. Si l’étrange couple de Banamè flétrit volontiers les « marchands du temple » fidèles à Rome, relégués au rang d’ »intendants véreux, criminels et assassins », il se déplace en 4 x 4 à vitres fumées ou en berline japonaise de luxe et monnaie au prix fort ses « objets sacramentaux », croix, chapelets, bréviaires, huiles saintes, sels bénis et cierges made in China. Le barème des messes ? « Seule la persécution est à 500 francs [CFA], lit-on sur un panonceau. Le reste – délivrance, protection, action de grâce, requiem – est à 1 000. » Soit 1,50 euros, une petite fortune vu d’ici. Sainte Arnaque, priez pour eux. Une vingtaine de « ressuscités » introuvables Souvent, quand ils croisent le père Désiré, actuel curé de Sainte-Odile, les disciples de Parfaite lui crachent en langue fon un « Zo ! » (Feu !) purificateur « Amour, miséricorde, humilité », proclament les posters maison. Haine, rancune et vanité, répond l’écho, de sermons en diatribes postées sur le site sovidji. Haro sur la « mafia catholique romaine », ses prélats, « suppôts de Béelzébul » (Belzébuth), francs-maçons, sorciers et pédophiles. Eux qui, les félons, « empêchèrent » Benoît XVI de venir prier sur la colline. « Si nous laissions nos fidèles riposter à leurs mensonges, assène Vigan, il n’y aurait plus un prêtre. Tous lynchés. « Ou réduits en cendres : souvent, quand ils croisent le père Désiré, actuel curé de Sainte-Odile, les disciples de Parfaite lui crachent en langue fon un « Zo ! » (Feu !) purificateur. Il leur arrive de pirater les cérémonies de la paroisse. « Je dois faire venir deux ou trois gendarmes, soupire Désiré. A 5 000 francs [7,60 euros] par tête, ça fait cher. » Inutile d’ironiser sur les outrances de « Papa » et des siens. Sur l’introuvable vingtaine de « ressuscités » promis. Sur les norias d’autocars censés acheminer des pèlerins venus d’Afrique, d’Europe et d’Amérique du Nord, dont on ne verra nulle trace. Ou sur les prêches régressifs de Vicentia, qui, d’ordinaire si prompte à haranguer un public en extase, se met parfois à minauder d’une voix de gamine en se dandinant. Nul sarcasme ne saurait masquer cette évidence : ça marche. Sur la colline sacrée de Banamè comme sur l’esplanade du stade de l’Amitié, à Cotonou, les monologues de Parfaite aimantent des cohortes de croyants, quitte à vider les églises, à déchirer couples et familles, à briser de vieilles amitiés. « Bien plus qu’un épiphénomène, admet l’abbé André Quenum, directeur de l’hebdomadaire La Croix du Bénin. Le reflet d’une crise profonde et durable. » Loin de n’attirer que les brebis égarées, les schismatiques séduisent prêtres, religieuses et notables De fait, loin de n’attirer que les brebis égarées, les schismatiques séduisent prêtres, religieuses et notables. Parmi les 13 « apôtres » promis à la pourpre cardinalice dès la Pentecôte, le 19 mai prochain, un ancien dominicain, banquier de formation, ainsi que le conseiller en communication du ministre de l’Environnement, par ailleurs patron d’un groupe de presse. « Tout le monde sait, avance Césaire Agossa, y compris à la présidence. Au bureau, on m’appelle « l’Apôtre » et mon boss m’invite à prier pour lui. » Face à cet ovni socialo-religieux, le pouvoir semble tâtonner. « Il ne nous revient pas de réprimer un tel mouvement, soutient un confident du chef de l’Etat Thomas Boni Yayi. Mais, attention : en cas de violences et de troubles à l’ordre public, nous frapperons. Reste que le Bénin est un Etat laïc. « Vraiment? S’il a connu un parcours spirituel riche et sinueux, Boni Yayi joue volontiers les frères prêcheurs au sein d’une Eglise d’obédience pentecôtiste. De même, il truffe discours et interviews de références au « Père céleste » et jure sans convaincre de s’effacer en 2016, au terme de son second mandat, pour sillonner son cher Bénin une Bible à la main. « Rien à foutre de la politique! » tempête Parfaite. Pas sûr que la réciproque soit vraie. Une évangélisation aussi spectaculaire que superficielle L’ »hérésie » de Banamè ébranle la planète catho. Sollicités par nos soins, l’archevêque de Cotonou et le nonce apostolique – l’ambassadeur du Vatican – se sont tour à tour dérobés. Plus grave, l’institution a elle aussi tergiversé, louvoyant entre le dialogue et la riposte disciplinaire. « Nos supérieurs ont sévi trop tard, et sans doute trop fort », regrette un prêtre. On a d’abord tenté de raisonner l’indocile Mathias Vigan, avant de lui confier une autre paroisse, histoire de l’éloigner, puis de l’exiler pour quatre ans à Tulle (Corrèze). Peine perdue : trois mois plus tard, il rentrait au pays. Dès lors, ce fut l’escalade : la suspension, puis, le 25 janvier dernier, l’excommunication latae sententiae. Châtiment étendu à ses acolytes et aux transfuges. Lesquels, sommés de choisir leur camp, n’ont pas nécessairement opté pour celui de Rome. Quitte à alimenter la rhétorique victimaire des insoumis, La Croix du Bénin fustige l’imposture à longueur de pages. « Stop ! N’allez plus à Banamè », implore une éminence mitrée dans son exhortation de carême, publiée le 22 mars. Il y est question d’ »apo- stasie grossière », de « hargne luciférienne », d’ »escrocs tourmentés » et « possédés ». Diable… RESISTANCE. Le 29 mars, le père, Philippe Kinpkon, vicaire général de l’archevêché de Cotonou, conduitle chemin de croix du Vendredi saint à Bon-Pasteur. « Notre Eglise n’est pas encore sortie de paganisme » admet-il. GRATIEN CAPO Bien sûr, les imprécateurs de Banamè font leur miel des turpitudes de l’ennemi romain. En 2010, la hiérarchie a dû se résoudre à démettre deux archevêques ; l’un pour une sordide affaire de moeurs, l’autre pour une histoire d’argent. « Il y a pire, accuse l’historien Roger Gbégnonvi. Trois diocèses demeurent vacants, faute d’évêques à la hauteur. On sanctionne tel prêtre coupable d’avoir cédé à ses pulsions pour les mineurs, et l’on ménage tel autre, pourtant père d’une bonne dizaine d’enfants, mais protégé par un influent parrain. Sévérité à géométrie variable. Au fond, notre Eglise a ce qu’elle mérite. » « Elle est encore jeune – 150 ans à peine -, et n’est pas sortie du paganisme », nuance un ponte de l’archevêché de Cotonou, Philippe Kinkpon. Si ta belle-fille malade ne guérit pas, c’est parce que vous n’avez pas la foi Une certitude : au Bénin comme ailleurs en Afrique, l’évangélisation a été aussi spectaculaire que superficielle. « Ici, déplore un pasteur évangélique, la chrétienté s’apparente à un large fleuve qui aurait la profondeur d’une flaque. » « Ce continent est religieux, se désole en écho le père André Quenum, mais quel Dieu adorons-nous ? » Et d’établir une analogie entre le séisme de Banamè et le scandale d’ICC Services, gigantesque escroquerie qui, voilà trois ans, ruina des milliers d’épargnants, bernés par la promesse de taux d’intérêt miraculeux. « Dans les deux cas, un délire collectif fatal aux plus crédules, qu’enivre la promesse d’un bien-être immédiat. » Un enfer sur terre pour tout horizon ? Pas si vite. Même rongés par la honte et le remords, une poignée de « déçus de Banamè » sont rentrés au bercail. « Moi, j’avais suivi mon curé, Mathias, explique Joachim, paysan du cru. Mais, avec l’afflux des nouveaux, les prières communes ont remplacé les soins individuels. J’ai vu les cadavres descendre de la colline. Si ta belle-fille malade ne guérit pas, nous a-t-on dit, c’est parce que vous n’avez pas la foi. » Le vieux Joachim a perdu ses illusions. Et Dieu, pourvu qu’Il en trouve, reconnaîtra les siens. Le Très-Haut au sommet Dans une Afrique travaillée par l’islam radical, le Béninois Boni Yayi n’est pas le seul leader enclin à professer sa foi évangélique. Alors en exil dans l’ancien Dahomey, son ami centrafricain François Bozizé, renversé le 24 mars par les rebelles du Séléka, y rallia l’Eglise du christianisme céleste dans les années 1980, avant d’en devenir, à Bangui, l’ »Evangéliste suprême ». L’Ougandais Yoweri Museveni est lui aussi un born again : il lui arrive de prêcher dans le Centre des Miracles du richissime prédicateur Robert Kayanga. En Côte d’Ivoire, Laurent Gbagbo avait avant sa chute imité la dérive messianique de son épouse, Simone.
Posted on: Thu, 19 Sep 2013 15:36:09 +0000

Trending Topics



Recently Viewed Topics




© 2015