CEDH UNE DÉTENTION PRÉVENTIVE DE 4 ANS ET 3 MOIS EST UNE - TopicsExpress



          

CEDH UNE DÉTENTION PRÉVENTIVE DE 4 ANS ET 3 MOIS EST UNE VIOLATION DE LA CONVENTION VOSGIEN C. FRANCE du 3 octobre 2013 requête 12430/11 1. Période à prendre en considération 43. La période à considérer a débuté le 15 septembre 2006, date du placement du requérant sous mandat de dépôt, pour s’achever le 16 décembre 2010, avec sa remise en liberté (voir paragraphes 7 et 25 ci‑dessus). L’incarcération litigieuse s’étend donc sur quatre années, trois mois et deux jours. 2. Le caractère raisonnable de la durée de la détention a) Thèses des parties 44. Le requérant critique les motifs retenus par les autorités nationales pour le maintenir en détention provisoire. Quant au risque de fuite, il soutient que le critère du défaut de garanties ne résiste ni à l’épreuve du temps ni au fait que les liens familiaux et sociaux du requérant étaient trop forts pour qu’il puisse envisager de fuir. Le risque de réitération de l’infraction aurait dû, quant à lui, s’analyser sur base d’éléments objectifs et non de son passé judiciaire. Le risque de concertation frauduleuse ne pouvait plus justifier la détention dès le moment où l’instruction concernant les faits d’enlèvement et séquestration était terminée, soit à partir du 30 avril 2008 ou à tout le moins dès le 17 juillet 2008 (l’arrêt rendu à cette dernière date n’ayant ordonné un supplément d’information que pour trois co‑accusés). Enfin, aucun élément objectif n’avait été avancé par les juridictions successives pour motiver leurs décisions quant au trouble public que provoquerait la mise en liberté du requérant. Quant à la conduite de la procédure, le requérant estime que les autorités judiciaires françaises n’ont pas accompli toutes les diligences nécessaires. Il rappelle que, la clôture de l’instruction concernant les faits pour lesquels il avait été mis en accusation datant du 30 avril 2008, plus de deux ans et demi s’écoulèrent avant qu’il ne soit jugé par la cour d’assises. Il estime que les autorités judiciaires auraient dû prendre toute la mesure de la participation manifestement différente du requérant à la commission des faits. 45. Le Gouvernement expose qu’il existait, tout au long de la procédure, des raisons plausibles de soupçonner le requérant d’avoir participé, avec un groupe, à l’enlèvement et la séquestration d’un couple. Ensuite, les diverses décisions ont invoqué le danger de fuite, fondé non seulement sur la gravité des faits reprochés au requérant, mais principalement sur l’absence de garanties de représentation suffisamment contraignantes. Quant au risque de réitération de l’infraction, les autorités nationales ont pris en compte les antécédents du requérant ; par ailleurs, lors de la procédure, le requérant a reconnu avoir déjà participé à une première tentative d’interception d’un véhicule et avoir recruté une autre personne mise en examen afin de participer aux événements ; son rôle actif dans des activités criminelles faisait légitimement craindre qu’il ne continuât à participer à ce type d’activités. Ensuite, la chambre de l’instruction a retenu, dans chacun de ses arrêts rendus entre les 8 juillet et 17 novembre 2009, le risque de concertation frauduleuse qui existait au vu de la violence utilisée par les individus, dont le requérant, pour parvenir à leurs fins. Enfin, rappelant notamment la motivation de l’arrêt du 10 mars 2009, le Gouvernement souligne que les infractions reprochées au requérant troublent gravement l’ordre public. Il conclut que les juridictions nationales ont motivé leurs décisions de façon pertinente, suffisante et circonstanciée pendant toute la durée de la détention provisoire du requérant. Ensuite, le Gouvernement soutient qu’aucune critique ne peut être émise quant à la manière dont l’affaire a été conduite par les autorités judiciaires. Il rappelle la grande complexité de l’affaire, en raison de la nature criminelle des faits reprochés et du nombre de personnes mises en examen, de témoins à entendre et des ramifications de l’organisation. Il n’existe aucune période de latence dans l’exécution des actes d’instruction, le juge d’instruction et les services enquêteurs ayant traité la procédure avec diligence et dans un délai raisonnable. Il ressort des arrêts des 17 novembre 2009 et 27 avril 2010 que le délai d’audiencement résultait non pas d’un manque de diligence de la part des autorités mais des recours formés par les co-accusés et de l’impossibilité dans cette affaire de disjoindre les procédures. b) Appréciation de la Cour 46. La Cour rappelle qu’il incombe en premier lieu aux autorités judiciaires nationales de veiller à ce que, dans un cas donné, la durée de la détention provisoire d’un accusé ne dépasse pas la limite du raisonnable. A cette fin, il leur faut examiner toutes les circonstances de nature à révéler ou écarter l’existence d’une véritable exigence d’intérêt public justifiant, eu égard à la présomption d’innocence, une exception à la règle du respect de la liberté individuelle et d’en rendre compte dans leurs décisions relatives aux demandes d’élargissement. C’est essentiellement sur la base des motifs figurant dans lesdites décisions, ainsi que des faits non contestés indiqués par l’intéressé dans ses recours, que la Cour doit déterminer s’il y a eu ou non violation de l’article 5 § 3 de la Convention (Assenov et autres c. Bulgarie, 28 octobre 1998, § 154, Recueil des arrêts et décisions 1998‑VIII et Paradysz c. France, no 17020/05, § 65, 29 octobre 2009). 47. La persistance de raisons plausibles de soupçonner la personne arrêtée d’avoir commis une infraction est une condition sine qua non de la régularité du maintien en détention, mais au bout d’un certain temps elle ne suffit plus ; la Cour doit alors établir si les autres motifs adoptés par les autorités judiciaires continuent à légitimer la privation de liberté. Quand ceux-ci se révèlent « pertinents » et « suffisants », la Cour cherche de surcroît si les autorités nationales compétentes ont apporté une « diligence particulière » à la poursuite de la procédure (voir, notamment, les arrêts Letellier c. France, 26 juin 1991, § 35, série A no 207, I.A. c. France, 23 septembre 1998, § 102, Recueil des arrêts et décisions 1998‑VII, Debboub alias Husseini Ali c. France, no 37786/97, 9 novembre 1999, P.B. c. France, no 38781/97, 1er août 2000 et Kudła c. Pologne [GC], no 30210/96, §§ 110-111, CEDH 2000‑XI). 48. En l’espèce, les juridictions d’instruction ont utilisé, tout au long de la procédure, des motifs relativement constants pour rejeter les demandes de mise en liberté ou ordonner la prolongation de la détention provisoire : risques de fuite, de réitération de l’infraction et de concertation frauduleuse, ainsi que trouble exceptionnel et persistant à l’ordre public. i. Le danger de fuite 49. La chambre de l’instruction a estimé que la détermination criminelle des individus mis en cause, la gravité de la peine encourue, l’absence d’obligations personnelles contraignantes du requérant obéraient ses garanties de représentation ; elle a jugé les mesures de contrôle judiciaire insuffisantes. 50. Si la Cour conçoit que les éléments invoqués peuvent être susceptibles de caractériser un danger de fuite, elle rappelle qu’un tel risque ne peut s’apprécier sur la seule base de la gravité de la peine ; il doit s’analyser en fonction d’un ensemble de données supplémentaires propres soit à en confirmer l’existence, soit à le faire apparaître à ce point réduit qu’il ne peut justifier une détention provisoire (Tomasi, précité, § 98). La Cour constate que la chambre de l’instruction, dans ses décisions rendues entre le 8 juillet 2009 et le 27 avril 2010, a omis de spécifier en quoi il y avait lieu de considérer qu’un tel risque persistait. Certes, la Cour constate que les décisions litigieuses font référence à l’insuffisance d’un contrôle judiciaire. Toutefois, elle se doit de noter la motivation générale et abstraite desdites décisions sur la mise en place d’un contrôle judiciaire du requérant, lequel s’était déclaré prêt à remettre son passeport aux autorités et avait produit une promesse d’embauche, ainsi qu’une attestation d’hébergement de sa mère habitant dans la région (mutatis mutandis, Gombert et Gochgarian c. France, nos 39779/98 et 39781/98, § 48, 13 février 2001 et, a contrario, Tinner c. Suisse, nos 59301/08 et 8439/09, §§ 56 et 57, 26 avril 2011). ii. Le risque de récidive 51. S’agissant du risque de réitération de l’infraction, au motif que le requérant n’avait pas tenu compte de l’avertissement qui lui avait été donné du fait de sa condamnation en 2005 à six mois d’emprisonnement, et pour autant que le Gouvernement indique que le requérant avait reconnu, lors de la procédure, avoir déjà participé à une première tentative d’interception d’un véhicule et avoir recruté une autre personne mise en cause afin de participer aux événements litigieux, la Cour se doit d’emblée de constater que ces éléments ne figuraient pas parmi les motifs des décisions de la chambre de l’instruction pour justifier le rejet des demandes de mise en liberté ou la prolongation de la détention provisoire. 52. Ensuite et en tout état de cause, la Cour rappelle qu’elle a eu l’occasion de préciser que « la gravité d’une inculpation peut conduire les autorités judiciaires à placer et laisser le suspect en détention provisoire pour empêcher des tentatives de nouvelles infractions. Encore faut-il, entre autres conditions, que les circonstances de la cause, et notamment les antécédents et la personnalité de l’intéressé, rendent plausible le danger et adéquate la mesure » (Clooth c. Belgique, 12 décembre 1991, § 40, série A no 225). Aussi a-t-elle relevé que « la référence aux antécédents ne peut suffire à justifier le refus de mise en liberté » (Muller c. France, 17 mars 1997, § 44, Recueil des arrêts et décisions 1997‑II). 53. En l’espèce, la Cour estime que les conditions susmentionnées ne sont pas remplies. En effet, l’acte délictueux, qui avait valu au requérant une condamnation antérieure à six mois d’emprisonnement par le tribunal pour enfants, n’était pas suffisamment comparable, par son degré de gravité, aux charges qui pesaient contre lui dans la procédure litigieuse. Par ailleurs, face à l’argumentation du requérant (voir paragraphe 19 ci-dessus), la chambre de l’instruction n’a fourni aucun élément d’explication concret qui aurait justifié en quoi la personnalité du requérant rendait plausible le danger de réitération de l’infraction. iii. Le risque de concertation frauduleuse 54. La Cour constate que le motif tiré d’un risque de pressions et de concertation frauduleuse au vu de la violence utilisée par les individus, dont le requérant, pour parvenir à leurs fins n’a pas été étayé, les juges internes s’y étant référé sans viser les circonstances précises de la cause et sans caractériser, par conséquent, un risque sérieux de concertation frauduleuse ou de pression de nature à entraver le bon déroulement de l’information. A cet égard, la Cour juge pertinent de rappeler qu’à chaque fois que la chambre de l’instruction s’est prononcée sur le maintien en détention provisoire du requérant, toutes les personnes mises en cause dans l’affaire, à l’exception de J.-F.D., étaient déjà mises en accusation. iv. Le trouble exceptionnel et persistant à l’ordre public 55. La Cour reconnaît que, par leur gravité particulière et par la réaction du public à leur accomplissement, certaines infractions peuvent susciter un trouble social de nature à justifier une détention provisoire, au moins pendant un temps. Dans des circonstances exceptionnelles, cet élément peut donc entrer en ligne de compte au regard de la Convention, en tout cas dans la mesure où le droit interne reconnaît la notion de trouble à l’ordre public provoqué par une infraction. Cependant, on ne saurait l’estimer pertinent et suffisant que s’il repose sur des faits de nature à montrer que l’élargissement du détenu troublerait l’ordre public. En outre, la détention ne demeure légitime que si l’ordre public reste effectivement menacé ; sa continuation ne saurait servir à anticiper sur une peine privative de liberté (I.A., précité, § 104). 56. La Cour considère qu’en l’espèce, un tel risque n’a pas été suffisamment démontré par les autorités internes pour justifier, au fil du temps, la détention du requérant. 57. En effet, les juridictions nationales se sont bornées à faire abstraitement référence à la gravité des faits reprochés et au trouble à l’ordre public, sans étayer le caractère certain et actuel de l’atteinte à l’ordre public et sans préciser en quoi l’élargissement du requérant, en tant que tel, aurait eu pour effet de le troubler. En tout état de cause, la gravité des faits et le trouble à l’ordre public ne peuvent justifier à eux seuls une aussi longue détention provisoire (Gérard Bernard c. France, no 27678/02, § 46, 26 septembre 2006). v. Conclusion 58. La Cour estime que les motifs invoqués par les autorités judiciaires n’étaient pas suffisants pour justifier le maintien en détention provisoire du requérant pendant quatre ans et trois mois. Partant, il y a eu violation de l’article 5 § 3 de la Convention. fbls.net/5-3delaidetention.htm
Posted on: Thu, 03 Oct 2013 09:15:35 +0000

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