Chapitre 8 La Trevassière-sur-Loire Alexandre Rey traînait - TopicsExpress



          

Chapitre 8 La Trevassière-sur-Loire Alexandre Rey traînait avec peine son sac de voyage derrière lui. L’allée menant au lieu-dit de la Trevassière-sur-Loire suivait le flan escarpé d’une colline non loin du fleuve. La demeure était stabilisée sur de larges pilotis. Les arbres autour, que les saisons chaudes rendaient habituellement feuillus et denses, étaient là, élancés, nus et tortueux. Devant les hauts candélabres, ils zébraient de leurs ombres filiformes un chemin craquelant de boue gelée. L’adolescent râlait, la rage au cœur, impuissant face à la détresse de sa famille et voulait servir à autre chose pour retrouver sa sœur qu’être remis en babysitting auprès de son grand-père. Ce vieil homme le suivait, sereinement emmitouflé dans un épais manteau d’hiver. Tout avait ici une odeur constante. Des vêtements sombres aux bottines de cuir, qu’il semblait toujours avoir portés, l’éternel van noir, resté quelques mètres en contrebas, le parfum boisé qu’il se mettait toujours – toujours le même… et cette maison qu’il allait encore une fois retrouver. Il voulait autre-chose et plus il marinait dans sa tête ses contrariétés et plus ses jambes s’alourdissaient. D’un coup, il sentit une force derrière lui. Rémy s’était saisi de l’arrière du sac pour l’aider à grimper. Plus que quelques pas. ─ Et bien garçon, dit-il, tu ne fais plus trop de sport ! Tu traînes… Dans le van, tandis qu’il s’était fait conduire, Alexandre n’avait rien dit, la rancœur tenace, il avait encore en travers de la gorge le fait que ses parents avaient insisté pour qu’il se fasse raccompagner chez Rémy après les péripéties à Argord. Il était davantage devenu un boulet qu’une quelconque aide. Il n’était pas venu en renfort pour rechercher Tatiana, mais en renfort pour l’héberger, le plus loin possible de tout ce qui semblait être un danger à Stacuffy. Alexandre ne répondit pas à son grand-père. Il resta muet. Arrivés à la porte d’entrée, Rémy tâtait ses poches à la recherche de ses clefs. Il l’invitait à faire un sourire en tentant un échange de regards plein de complicité, mais il se murait davantage dans le silence. Une fois qu’ils parvinrent à ouvrir la porte, Alexandre redécouvrit la maison spacieuse dans le salon. Il était froid, à l’image de la cheminée de pierres grises qui était éteinte. Le couloir principal était plongé dans le noir. Les meubles en bois massifs sentaient une bonne odeur de cire. Autant de souvenirs d’enfance. Il le savait, depuis qu’il était seul, Rémy ne s’occupait plus que des pièces principales, la cuisine, le salon, sa chambre et la salle de bain au rez-de-chaussée. Les autres portes à l’étage étaient fermées. On y accédait par un escalier, large, en colimaçon, avec une rambarde taillée dans un bois sculpté à l’ancienne avec des motifs de petits personnages gravés en demi-relief. ─ Je vais vite faire un feu, tu pourras t’installer à l’étage dans la chambre orange. Alexandre sourit à l’idée de retrouver cette pièce. Quand il y passait ses vacances, il y dormait toujours. Cette chambre restait sa préférée, malgré la tapisserie semblable à une grosse moquette d’époque délavée. Ils s’y mettaient avec sa sœur et tous les matins, quand ils descendaient, ils dévalaient les marches et sautaient les trois, quatre ou cinq dernières au gré de leurs challenges. La chambre orange était celle décorée d’un tableau représentant une scène de chasse, avec des épagneuls marron, aux aguets au premier plan et des hommes en chevaux, majestueux. Deux lits simples côte-à-côte, revêtus d’un édredon blanc, épais, dont on dirait qu’il était tissé à la main, et qui lui générait des allergies. Le style était particulièrement réfléchi. Une porte vitrée donnait directement sur la terrasse. Sa mère la faisait toujours fermer à clef par les volets blancs, qu’elle contrôlait comme un toc. Cette terrasse l’inquiétait car elle surplombait le vide, avec un garde-corps fin, métallique, aux décors symbolisant des tiges arrondies et entremêlées. Elle craignait qu’il ne souhaite s’appuyer pour profiter de la vue attirante surplombant tout cet océan d’arbres. * * * * * Rémy s’approchait d’Alexandre qui profitait des flammes le dos en appui contre le rebord de la cheminée. Le feu était désormais vivace et irradiait les mains qu’Alexandre exposait volontiers. Cette chaleur n’apaisait pas son inquiétude, qui se lisait sur son visage. ─ Je suis tout autant inquiet que toi, Alex. Mais ici, ensemble, crois-moi, nous ferons mieux avancer l’enquête que quiconque. Le petit-fils leva son regard, plein d’amertume. ─ Ici, rajouta Rémy, tu ne vas pas te reposer, mon grand, comme je te disais, nous avons un sacré travail, mais tu vas commencer par te recharger tes batteries par un bon repas chaud. Le truc de son grand-père était de faire de la soupe de poisson. C’était un mets semblable à de l’eau marécageuse, pâteuse. Alexandre s’empressait toujours d’y mettre une quantité impressionnante de gruyère râpé et de croutons à l’ail pour faire passer le goût. Il avalait alors des cuillérées spongieuses et, tandis que la grosse horloge du salon comblait seul le silence, il songeait à quel point son grand-père vivait dans un lieu reclus. Extrêmement seul. Il se limitait à inviter Alexandre, sa sœur et ses parents pour les fêtes de famille. Il était toujours parti. Tous ses voyages étaient certainement une forme d’exutoire à sa solitude. Le visage de Rémy était tiré par la fatigue et les rides plissaient ses yeux fins, profondément sombres, qui semblaient sourire quand il mangeait. Ses cheveux, en partie dégarnis, étaient blancs comme de la neige. Il reposa sa cuillère. ─ Ecoute. Nous n’allons pas faire traîner nos histoires plus longtemps. Comme je te disais l’autre fois, tu devras faire quelques exercices pour que nous cultivions ton don. Il pourrait nous servir à retrouver ta sœur. Alexandre acquiesçait et trouvait dans son grand-père un soutien qu’il ne pouvait alors imaginer jusqu’ici. Il s’essuya sa bouche avec sa serviette à carreaux. Avant de dire : ─ Tu permets. Il fouilla la poche de son blouson, qu’il avait posé sur le dossier de sa chaise. ─ Je dois prendre mon smartphone Il s’attendait à des questions, mais Rémy était attentif et offrit à Alex un bon sourire. ─ Je vais te montrer un scan de mon dernier dessin et… Alexandre fit le tour de la table. Il était content de pouvoir expliquer à quelqu’un tout ce qu’il avait vécu : le dessin, le cauchemar, ce qui avait failli être un accident de vélo, la disparition de sa sœur, mais il ne savait pas par où commencer et, quelque part, avec Ben, Rémy était le seul humain suffisamment ouvert pour l’aider. Il alluma son appareil. ─ Tu vois, ça, c’est le scan de Ben. C’est un ami qui a réussi à récupérer une photo du dessin que j’ai fait en cours de Maths et… Rémy resta silencieux, le temps que la messagerie s’ouvre, il essaya de ne surtout pas lui montrer qu’il ne comprenait rien. Le laisser parler était essentiel, il sortait de son mutisme. ─ Tiens regarde ! La pièce jointe s’ouvrit et le visage du colosse apparut sur l’écran. Rémy s’aventura une question. ─ Il est bien fait ton dessin, c’est qui ? ─ Le kidnappeur de Tatiana ! ─ Tu l’as vu quand ? ─ A un moment, il a essayé de l’écraser avec sa voiture quand on allait à l’école. ─ Tu aurais pu donner ce portrait - robot là à… la police… Attends, on ne sait jamais… ─ Papy ? ─ Oui ? Quoi ? ─ En fait, le problème, c’est que ce dessin, je l’ai fait avant de le voir… Ce visage que j’ai dessiné, il date de la veille de son kidnapping. Rémy fronça les sourcils, tandis que son pouce glissait sur l’écran tactile pour rendre visible la date de réception du mail. ─ Je ne comprends pas tout. Qui est ce Ben qui te l’envoie… Alexandre n’avait consulté ses messages qu’une fois dans le van. Il n’avait pas réellement su comment lui en parler. ─ Ce dessin, je ne me rappelle pas exactement comment je l’ai fait, mais c’était en cours. Ben est un ami qui est allé le récupérer auprès du prof de Maths, il me l’a pris en photo. ─ Et après que tu aies fait ce dessin, le gars que tu as dessiné a essayé d’écraser Tatiana ? ─ Oui. ─ Mais regarde bien dessus. En écartant les doigts sur l’écran tactile, il mit à jour des dessins à côté du portrait. ─ Sidérant, s’exclama-t-il, tu as aussi schématisé des clusters génétiques et le symbole du danger nanoparticulaire ! Comment as-tu pu faire ça ? Alexandre était brumeux. Il ne parvenait pas à comprendre ce qu’il voulait dire. Il accusait des heures de fatigue et de route. Il était près d’avoir passé une nuit blanche. Son grand-père sourit. ─ On attendra demain matin… * * * * * Le sommeil peinait à venir, malgré l’écrasante fatigue. Alexandre s’était tout juste emmitouflé sous l’énorme édredon blanc, couvert jusqu’au nez. Pour l’instant il sentait le froid l’étreindre. La petite lampe de chevet vieillotte, la tapisserie orange aux reliefs en zigzag, le tableau de chasse, les volets battants blancs, il regardait chaque chose, une à une, tentant de canaliser son attention sur autre chose que ses frissons. Une vague de chaleur allait bientôt l’envelopper et le faire glisser au pays des songes. Déjà, ses yeux se fermaient, mais des bruits latents, dans le silence, le faisaient revenir à lui. Peut-être des grattements de souris, ou le vent faisant grincer les lames de volets. Parfois, il se forçait à fermer les yeux et percevait le bruit de l’horloge du rez-de-chaussée. Il n’éteignit pas pour l’instant la petite lampe de chevet, elle était une présence rassurante. Les années précédentes, quand il venait ici, il était accompagné de Tatiana, qui se mettait dans le lit, cette nuit, vide à côté. Maintenant, il était seul. Il se retourna. Le lit était presque vide. Quand Rémy avait passé un coup d’aspirateur, il avait dû poser les chaises, à l’assise tressée, sur le lit d’à côté. Personne n’avait pris la peine de les remettre à l’endroit. Alexandre ne voulait pas y penser, il se tournait à nouveau vers la porte, fermée. Elle était semblable à un grand rectangle blanc. La poignée de la porte était immobile. Curieusement, Alexandre la fixait. Absurde, de toute façon, elle ne risquait pas de pouvoir bouger. Et lui se sentait bien à l’abri sous sa couette, qui commençait à le réchauffer. Il repensait aux chaises. Il est toujours curieux de constater que l’on peut sentir des choses derrière-nous, simplement par un jeu de l’esprit. Ces chaises, bon sang, on dirait une présence. La pénombre n’arrangeait rien. Il s’aventura un pied hors de sa couette. L’air était froid. Mais il valait mieux vite remettre les chaises. Les pieds entrèrent au contact du bois du lino et l’air frais glissant sous le lit lui léchait les chevilles… Idée absurde. Arrête de tourner les idées complètement dingues dans ta tête, cela n’arrange rien. Il fit des petites foulées jusqu’au lit d’à côté, se saisit des chaises et, une à une les retourna pour les aligner dans le coin de la chambre. Puis, d’un coup, dans la bêtise de sa solitude, il regagna le plus rapidement possible son lit en sautant dessus et se retournant dans l’édredon pour se tenir au chaud. Il s’était mis à moitié assis contre son oreiller. Le silence. La quasi-pénombre. Pas moyen de s’endormir. Bêtement, il pensa qu’il ferait mieux de regarder sous le lit. Il n’expliquait pas son angoisse, étrange de ne pas être réellement seul et d’être regardé. Il pencha sa tête. Ses cheveux touchèrent le sol et, à l’envers, il regardait sous le lit. Rien. Evidemment qu’il n’y a rien. Il se remit assis, contre son traversin. Le chien du tableau de chasse était immobile, il le regardait sans arrêt. ─ Ça m’agace ! Il avait parlé à voix haute, peut-être pour s’entendre, ça avait quelque chose de rassurant. Il décida d’éteindre définitivement la lampe de chevet. Le noir complet. Il se replongea sous l’édredon, des idées folles dans la tête, notamment celles de ne pas vraiment être seul. Une curieuse certitude. Son cuir chevelu le démangea. Il se gratta. Et si quelqu’un, un esprit, me faisait un mauvais tour ? Arrête de penser à un truc comme ça, tu te fais un film ; se dit-il à lui-même. Avec ses propres idées, il se fit lui-même peur. Il se redressa d’un coup, ses intuitions le trompaient rarement. Il tâtonna dans le noir à la recherche du cordon, qu’il suivait de ses doigts pour trouver l’interrupteur de la lampe. Je ne le trouve pas. D’un coup, il alluma. La lumière révéla un calme incroyable dans la chambre. Le volet, à cause du vent bougeait peut-être un peu. Il se sentait terriblement mal à l’aise dans la chambre et voulait absolument sortir. Peur ? non… je suis mal à l’aise. Après avoir patienté quelque peu, il sortit du lit, ouvrit la porte et vit le couloir. Il ne voulait pas y allumer la lumière, de peur que cela ne réveille son grand-père. Juste boire un verre d’eau Il regarda, à gauche puis à droite, rien que le noir d’encre du couloir. Il décida d’utiliser la torche de son téléphone portable qui projeta son aura dorée. Il balayait l’espace avec ce cercle de lumière comme il pouvait. Il déambulait lentement, longeant le mur, puis il s’agrippa à la rambarde pour descendre les marches ajourées, qu’il descendit doucement. Enfin, il arriva à la cuisine et il alluma la lumière. Il se fit couler un verre d’eau au robinet de la cuisine. La fenêtre au-dessus du lavabo, close par de lourds volets en bois, faisait ressortir les traits de son visage, en reflet sur la vitre. Il avait les yeux creusés par la fatigue et son regard était tiraillé par la culpabilité de ne pas avoir su protéger sa sœur. Au fond de lui, elle lui avait été confiée. Il observait machinalement son reflet boire, il ne se reconnaissait plus. Il avait eu une telle soif, qu’il sentit l’eau froide couler le long de son œsophage et se diffuser en lui. Il inspira ensuite profondément, pour essayer de se calmer, ferma les yeux deux secondes, puis expira doucement. ─ Cette frousse bizarre dans la chambre, c’est dans ton imagination, Alex, se chuchota-t-il à lui-même. Tu dois grandir, bon sang et ne plus penser à des trucs pareils. C’est pas bon pour toi, de te faire peur tout seul, ainsi ! Il rouvrit les yeux et, au moment où il suivit du regard sa main poser le verre sur le bord de l’évier, il crut sentir son cœur momentanément s’arrêter de peur. Il avait vu quelque chose derrière lui, du coin de l’œil, dans le reflet de la vitre. C’était au seuil de la porte ; une silhouette blanchâtre. Désormais en alerte, il surveillait ses arrières, via la vitre qui lui faisait office de miroir. Ses sens s’aiguisaient, boostés à l’adrénaline, et son cœur battait à tout rompre. Il surveillait pour s’assurer qu’il avait bien halluciné. Le verre qui avait été posé en équilibre, s’éclata au sol, à côté de ses pieds nus. Peut-être un geste de sa main maladroite. Il sursauta, puis recula, pris de panique et se retourna. Rien. Rien que son angoisse, purement irrationnelle dans la solitude de la cuisine, aux carrelages froids. Il baissa ses yeux. De larges débris de verre qui attrapaient la lumière et de multiples éclats : autant de petites pépites brillantes sur plusieurs mètres. ─ Arrête d’halluciner Alex, se répéta-t-il en boucle pour se convaincre. Il prit le balai qui était accroché derrière la porte, ramassa le verre, ouvrit la porte sous l’évier et jeta le tout dans la poubelle. Cette fois-ci, il se dit qu’il n’allait pas se contenter de son portable pour s’éclairer pour regagner la chambre orange, tant pis si ça devait réveiller son grand-père. De toute façon, la chute du verre avait détonné dans le silence. Un bruit à réveiller un mort Il alluma la lumière, courut dans les escaliers et pensa qu’il en avait que pour quelques secondes. Il éteindrait une fois à l’étage. Ne plus penser à la silhouette blanche Une fois en haut, essoufflé, il fit quelques pas pour atteindre la porte de sa chambre qu’il ouvrit sans bruit après avoir éteint le couloir. Il pensait qu’il était tellement stressé, qu’il s’endormirait avec la lumière comme les gamins. Cette idée le fit sourire, si sa sœur savait ça… Avant de soulever son édredon, il porta machinalement son attention sur le lit d’à-côté : Les chaises. Elles étaient posées dessus. C’est pas possible, pensa-t-il, je les avais descendues au sol. Qui les a remises ? Est-ce que je deviens fou ? Il recula, sortit de la chambre, à laffût de tout. La quiétude et le silence l’enserraient d’une angoisse quasi palpable, au fond de sa gorge, qui l’empêchait de sortir un seul mot. Si ça se trouve, je ne les avais pas remises… La gorge sèche, il recula jusqu’à appuyer son dos contre le mur du couloir, il se laissa glisser et se mit assis, recroquevillé. ─ Alex, suis-moi si tu veux retrouver ta sœur, geignit une jeune voix féminine dans sa tête. Il tourna sa tête vers la droite et vit, avec une netteté effrayante, une demi-seconde qui devint l’éternité, une silhouette s’élancer contre le mur avant de s’y fondre, à la manière d’une volute de fumée. Alexandre appela son grand-père, jamais un tel niveau d’angoisse ne l’avait emparé. La lumière du couloir s’alluma puis s’amplifia jusqu’à l’envelopper intégralement et l’éblouir. Il dut fermer ses yeux et se sentit légèrement porter en hauteur, comme soulevé par le col. Alexandre se mit à hurler, à s’en décrocher la mâchoire.
Posted on: Thu, 07 Nov 2013 20:05:54 +0000

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