Chapitre 9 : Le test Le lendemain matin, Hélios avait à peine - TopicsExpress



          

Chapitre 9 : Le test Le lendemain matin, Hélios avait à peine rejoint Kaly et Gam dans la salle des repas que retentit un signal sonore. Puis une voix métallique s’éleva : - Le colonel Kern se présente devant la porte, dit la voix. Hélios qui portait à sa bouche un premier petit pain, suspendit son geste en se rendant compte que c’était la maison qu’il venait d’entendre parler. - Et bien, ouvre-lui la porte pour qu’il puisse entrer, répondit Kaly sur un ton impatient. La voie monocorde s’éleva à nouveau. - Je lui ai déjà ouvert la porte, mais il ne souhaite pas rentrer. Il dit qu’il préfère rester dehors pour attendre le garçon. Comprenant que son petit déjeuner risquait bien de tourner court, Hélios avala en deux bouchées le petit pain qu’il tenait toujours à la main. Puis, puisant des deux mains dans le plat, il se remplit les poches. Déjà Kaly se dirigeait vers la porte à grands pas. Hélios la suivit en enfournant les petits pains à la confiture qu’il tenait dans ses mains. L’homme debout devant la maison ressemblait étonnamment à Bor, à ceci près que sa peau était pale. Le teint cuivré de Bor devait donc lui venir de sa mère. Le colonel Kern se tenait à une distance prudente du seuil de la maison. - Bonjour Kern, dit Kaly d’une voix sucrée, tu ne veux pas entrer un instant boire quelque chose avec nous avant d’emmener Hel. - Je vous remercie de votre invitation Kaly, répondit le colonel d’un ton inquiet en reculant encore d’un pas, mais je suis désolé de devoir refuser, car je suis particulièrement pressé ce matin. Hélios comprit sans peine son mouvement de recul, car l’œil bagarreur de Kaly démentait l’affabilité de ses paroles. Il sortit donc de la maison pour suivre l’homme qui s’éloignait en marche arrière comme quelqu’un qui craindrait de tourner le dos à l’adversaire. - Je vous enverrai un message pour vous informer du résultat des tests d’Hel, conclut finalement le colonel en s’engouffrant dans son véhicule. Silencieusement, Hélios prit place à ses côtés. Au départ, ils empruntèrent le même chemin que celui qu’Hélios avait suivi la veille avec ses compagnons pour aller rejoindre Kom et Mok. C’est du moins ce qu’il sembla au garçon, car il n’était pas facile d’avoir le moindre repère avec ces maisons toutes identiques. Et puis soudain, le véhicule obliqua vers la gauche pour prendre une rue perpendiculaire. Au bout de quelques minutes, Hélios aperçut le pont qui prolongeait la rue, pont qui débouchait sur une petite île mitoyenne. En le franchissant, Hélios eut le temps d’embrasser un instant du regard les hauts murs qui cernaient tout l’îlot, apparemment une base militaire. De l’autre côté du pont, le véhicule stoppa devant une barrière : - Colonel Kern, s’identifia l’homme en s’adressant manifestement à la barrière elle-même puisque nul être humain ne la gardait. Ce garçon m’accompagne, ajouta-t-il. Au bout d’un instant, la barrière s’ouvrit laissant avancer le véhicule qui entra dans la base. Hélios fut très étonné de ne voir dans l’enceinte que quelques bâtiments petits et bas ; cela ressemblait plus à un vaste parking sur lequel on aurait éparpillé quelques hangars qu’à l’idée qu’il se faisait d’une base militaire extraterrestre. Le périmètre était également à peu près désert, on n’apercevait ça et là que quelques personnes qui se pressaient vers une porte ou une autre, après avoir abandonné leur véhicule. Sitôt garé ou plutôt posé, Kern fit comme eux, en priant simplement Hélios de le suivre. C’étaient les premières paroles que lui adressait le colonel depuis leur départ de la maison. En passant la porte, Hélios comprit le peu d’importance des bâtiments de surface. La base, presque entièrement souterraine, était construite dans les entrailles de l’îlot. Négligeant le monumental escalier roulant qui s’ouvrait devant eux, Kern entraîna Hélios vers l’un des nombreux ascenseurs installés autour du hall d’entrée. - Je me rends dans mon bureau avec ce garçon, indiqua le colonel à l’appareil qui refermait ses portes. Pendant les quelques instants que dura la descente, Kern persista dans son mutisme. Hélios eut même l’impression que l’homme évitait de croiser son regard, mais peut-être était-il simplement perdu dans ses pensées. Quand les portes s’ouvrirent, Kern jaillit littéralement de l’ascenseur et enfila sans se retourner le couloir situé en face de l’appareil. Marchant à grades enjambées, il obligeait Hélios à forcer l’allure pour le suivre. Brusquement, le colonel pivota vers la gauche pour pénétrer dans une pièce dont la porte s’était ouverte à leur approche. Sans s’attendre à rien de particulier, Hélios fut tout de même surpris par la pièce qui ne ressemblait en rien aux bureaux qu’il avait eu l’occasion de voir sur Terre. Aucun papier ne traînait sur le bureau et aucun clavier n’était placé sous le vaste écran éteint qui s’étalait sur le mur. Le garçon n’eut pas le temps de prolonger son examen. A peine rentré dans son bureau, Kern avait prononcé un mot que le dispositif dont Hélios était équipé, avait traduit par « pensecouteur », ce qui ne signifiait pourtant rien pour lui. En tous cas, un tiroir s’était ouvert et le colonel s’était emparé du petit objet noir qu’il contenait pour le placer dans son oreille droite. - Viens Hel, c’est dans la pièce d’à côté que ça se passe, avait immédiatement enchaîné l’homme en désignant à Hélios une porte ouverte située à l’opposé de celle par laquelle ils étaient entrés dans le bureau. Vas-y, passe devant, ajouta-t-il sur un ton plus autoritaire que poli. Un peu désarçonné par cette invitation impérieuse, Hélios s’exécuta d’un pas incertain. Il ne fit cependant que trois mètres dans la pièce avant de se retourner sentant que l’homme ne le suivait pas. Effectivement, toujours planté au milieu de son bureau, le colonel Kern le fixait intensément pour la première fois. - Je commence à mieux comprendre ce que Kaly a vu en toi, murmura-t-il sur un ton tel qu’Hélios se demanda s’il s’adressait réellement à lui ou s’il se parlait à lui-même. Autant comme prétexte pour entamer le dialogue que par curiosité réelle, le garçon demanda : - Un détecteur d’activité mentale est caché dans le chambranle de la porte, n’est-ce pas ? Le colonel perdu dans ses pensées sursauta. - Qu’est-ce que tu dis ? S’exclama l’homme brusquement tiré de ses réflexions. - Je vous demandais si un détecteur d’activité mentale est bien dissimulé dans le chambranle de la porte, répéta Hélios. Kern resta quelques instants muet comme s’il hésitait sur l’attitude à adopter. - Comment as-tu entendu parler de ça ? Demanda-t-il sur un ton bref. « Aie ! J’aurais dû y penser », se reprocha Hélios. Dans son souci de créer un contact avec cet homme impénétrable, il s’était montré imprudent et en avait trop dit contrairement à son habitude. Comme il était trop tard pour reculer, le garçon opta pour la franchise. - Gam et moi avons entendu une partie de votre conversation d’hier avec Kaly, lâcha-t-il sans quitter le colonel du regard. J’ai compris que c’est un appareil de ce genre qui a permis à Kaly de me repérer sur la Terre. - Personne de t’a donc encore appris à ton âge que c’est mal d’écouter aux portes, reprit l’homme avec sévérité. - A la vérité, il n’y avait pas besoin d’écouter aux portes. Pour ne pas vous entendre, il aurait vraiment fallu que nous nous bouchions les oreilles, se défendit le garçon. Pour la première fois depuis qu’il était passé chercher Hélios, Kern esquissa un sourire. - Je reconnais que les échanges entre le général Bo et Kaly sont souvent vifs. Il est clair que vous n’avez pas dû avoir besoin de faire beaucoup d’efforts pour saisir l’objet de leur discussion, déclara-t-il avec une pointe d’amusement dans la voix. Il s’arrêta un instant comme pour jauger le garçon debout à quelques pas de lui. - Et bien oui, soupira-t-il enfin. Cette porte est munie d’un dispositif permettant de mesurer la Mentalix potentielle des Dix. Cela a été longtemps l’un des secrets les mieux gardés de cette base, mais ce temps est révolu. Aujourd’hui, nous avons besoin que les Dix apprennent à se servir de leurs capacités mentales pour défendre la liberté de Hath. Kern avança de quelques pas pour rejoindre Hélios dans la pièce attenante à son bureau. Il s’arrêta à un pas de lui et plongea son regard dans le sien. - Je dois te dire que ton pouvoir mental potentiel est très important, articula le colonel solennellement. Peu d’entre nous en ont autant. Si l’on tient compte de ton âge, c’est même assez exceptionnel. - Parce que notre capacité d’influence se modifie avec l’âge ? L’interrompit Hélios soudain plus intéressé encore. - Oui, à ce qu’il paraît, répondit Kern. Tes capacités mentales vont donc continuer de se développer au fur et à mesure que tu vas grandir. Mais il faut que tu comprennes bien que les capacités potentielles ne suffisent pas, il faut absolument que tu apprennes à les mettre en œuvre pour pouvoir être utile à la défense de Hath. A ce moment, Hélios faillit objecter qu’il savait très bien se servir pour sa part de son pouvoir mental. Mais il craignit que Kern ne puisse le prendre pour un stupide vantard. Et puis, à la vérité, il n’avait jamais utilisé son influence mentale dans le sens attendu par son interlocuteur, car il ne s’agissait plus d’apporter le bien-être à son entourage mais de provoquer le malaise des envahisseurs. Il préféra donc se taire. - J’ai donc besoin de savoir, poursuivait le colonel, si tu es capable de déclencher les pensées négatives qui déstabilisent les betchs, et pour le savoir je te propose de te soumettre dès ce matin au TIAM, Test Individuel d’Activation du Mentalix. Tous les Dix civils vont y être soumis demain. Tu vas me dire que tu n’as jamais eu d’occasion de t’exercer, alors qu’eux sont à l’entraînement depuis vingt-cinq jours, mais j’ai l’expérience des militaires qui ont été les premiers testés. La plupart de ceux qui ont un potentiel semblable au tien ont réussi assez rapidement à mettre en œuvre leur pouvoir. Comme Kern semblait attendre une réaction de sa part, Hélios opina en signe d’assentiment. - Je vais donc t’expliquer ce que tu dois faire pour que ton cerveau produise des pensées négatives, continua le colonel. Il faut que tu t’obliges à ressentir de la colère. Ensuite, tu dois concentrer cette colère sur un objet particulier. Une colère suffisamment forte va te permettre d’émettre des pensées négatives. Voilà, je sais que c’est un peu succinct comme explication, mais on va voir ce que tu es capable de faire avec ça. En écoutant parler Kern, Hélios était passé de l’effarement à l’énervement, puis de l’énervement à l’incrédulité, bien que son visage n’ait rien trahi de ses émotions. Le colonel se moquait-il de lui ou le prenait-il pour un gamin de trois ans incapable de maîtriser ses pensées ? Manifestement ni l’un ni l’autre, puisqu’il croyait même nécessaire d’appuyer ses explications de mimiques de colère parfaitement grotesques. Tout rouge à force de contorsionner ses traits, Kern s’arrêta finalement pour demander à Hélios : - Est-ce que tu as compris ? - Je crois que oui, mentit le garçon qui au contraire se demandait à quoi rimait la pantomime ridicule à laquelle se livrait le colonel ; mais craignant d’être jugé désagréable ou même insolent, Hélios n’osa pas questionner Kern. - Bon, dit le colonel en désignant du doigt un appareil qui ressemblait à s’y méprendre au périscope d’un sous-marin, on va faire un essai. Sur un signe de sa main, la binoculaire de l’appareil descendit pour se positionner au niveau du visage d’Hélios. - Tu vas regarder là-dedans Hel et essayer de concentrer ton ressentiment sur le personnage que tu vas y voir. Prends le temps de faire quelques essais, et puis, quand tu te sentiras prêt, je procéderai à une mesure. Hélios colla son visage aux sortes de jumelles qui terminaient de l’instrument. Sur un fond clair, il aperçut une silhouette qui lui fit penser au betch qui les avait contrôlés Gam et lui dans le Réseau. Pour juger du fonctionnement de l’appareil et puisqu’il en était à la phase des essais, Hélios décida de commencer par faire ce qu’il savait faire et non pas ce que Kern attendait de lui. Il adressa donc un flux de pensées positives au personnage virtuel. Le résultat lui confirma la grande qualité du simulateur. Comme s’il s’agissait d’un betch réel, Hélios sentit ses pensées pénétrer l’esprit de l’individu. Il ne restait plus au garçon qu’à vouloir du mal à la silhouette imprécise dont l’appareil lui renvoyait l’image. D’abord prudemment, il tenta de lui adresser un flux de pensées négatives. Le garçon jugea ce premier essai à la fois désagréable et rassurant. Désagréable, car l’envoi des pensées négatives provoquait une sensation plutôt pénible contrairement aux pensées positives qu’Hélios avait l’habitude d’émettre pour se concilier les gens. Mais rassurant, car il ne lui paraissait pas plus difficile de produire des pensées négatives que des pensées positives. Hélios concentré sur l’analyse de ses diverses sensations sursauta en entendant la voix de Kern l’interpeller depuis son bureau : - Comment ça marche ces essais ? - Je crois que c’est bon, répondit distraitement Hélios. Cette réponse provoqua l’hilarité du colonel. - Tu crois avoir réussi en si peu de temps, s’exclama-t-il d’un ton moqueur. Ce serait un record de rapidité ! Mais si tu veux, on peut faire un premier TIAM, ajouta-t-il en voyant Hélios froncer les sourcils d’un air vexé. En guise d’assentiment, Hélios se repositionna les yeux rivés au viseur de l’appareil. Il tournait ainsi le dos à Kern. « Tant mieux, ça va au moins m’éviter d’avoir à faire des grimaces simiesques pour avoir l’air d’être en colère », songea Hélios en concentrant son mécontentement vers la silhouette immatérielle que lui proposait l’engin. Presque toute de suite, un flash de lumière verte passa devant ses yeux, immédiatement suivit par une exclamation de surprise. Abandonnant sa victime virtuelle, Hélios se retourna vers le colonel dont les yeux exorbités suffisaient à dire tout l’étonnement. - Et bien, c’est un record, finit par articuler lentement ce dernier. Tu as réussi ton TIAM avec seulement cinq minutes d’entraînement. Félicitations ! Il semblait sincère dans ses félicitations, ce qui fit s’envoler toute trace de ressentiment chez Hélios. Kern poursuivit : - Tu viens donc de passer allègrement le premier degré de l’entraînement des Dix civils et tu vas pouvoir rejoindre dans quatre jours un groupe d’entraînement collectif comme tous ceux qui réussiront le test dans les trois prochains jours. Et je ne doute pas que ton apport se révèle précieux pour notre prochaine offensive contre les betchs. Ce qui ne veut pas dire, se hâta-t-il d’ajouter que j’approuve en rien les plans ahurissants de Kaly. Après cette déclaration, Kern fit demi-tour pour se diriger vers la porte du bureau qui donnait dans le couloir. - Viens, dit-il à l’adresse d’Hélios, je vais te reconduire chez toi. Quelques minutes plus tard, il avait repris place dans le véhicule de Kern. Ce n’est qu’en ressortant sur le parking que le garçon fut frappé par le fait que tous les véhicules qui y étaient garés avaient le même couleur gris terne. Décidément, les haths n’appréciaient pas plus la variété des couleurs pour leurs véhicules que pour leurs habitations ou leurs vêtements. C’était pourtant étonnant qu’ils ne tirent pas la moindre inspiration de la magnifique palette qu’offraient ici le bleu du ciel, le vert de la mer et l’ocre du sol à l’état naturel qui apparaissait encore à quelques rares endroits. Comme ils traversaient le pont qui séparait l’îlot du secteur Parnas, Kern les yeux inutilement fixés sur son pare-brise, sachant que l’engin se dirigeait tout seul, se racla la gorge. - Tu sais je suis désolé, déclara-t-il abruptement, désolé de n’avoir pas compris la véritable signification du message de ton père. Si, il y a treize ans alors que nous avions encore une certaine liberté dans nos voyages spatiaux, j’avais pu imaginer que tu puisses être sain et sauf quelque part dans l’univers, je te jure que j’aurais fait l’impossible pour aller te récupérer. Quoi que l’on puisse te dire à ce sujet, je voudrais que tu me croies. C’est très important pour moi. En prononçant ces derniers mots, il tourna vers Hélios un regard angoissé. - Je vous crois, répondit gravement le garçon touché par la sincérité qui perçait dans le ton du colonel. Pour la première fois depuis qu’il était passé chercher Hélios le matin, Kern sembla se détendre. Ils continuèrent quelques minutes leur route en silence. Le système de propulsion du véhicule qui flottait à quelques centimètres du sol n’émettait pas le moindre bruit. - Je me demande …, commença soudain Hélios avant de s’arrêter. - Qu’est-ce que tu te demandes ? L’encouragea Kern. - Je me demande, reprit Hélios, pourquoi mes parents ont sacrifié leur vie plutôt que de se rendre aux betchs après m’avoir déposé sur la Terre. A nouveau, le visage de l’homme se crispa : - Je n’en sais vraiment rien, répondit-il alors qu’un éclair jaune traversait le champ de vision d’Hélios. Le garçon jugea bien courte la réponse du colonel et il se demanda si celui-ci lui disait vraiment toute la vérité. Quelques minutes plus tard, leur véhicule s’arrêtait devant la maison de Kaly. - An revoir, murmura Hélios en sautant du véhicule sans attendre la réponse de Kern Il ne se retourna que lorsqu’il eut presque atteint le seuil de la maison. Le colonel était déjà reparti. Hélios pénétra dans l’entrée, mais la maison ne referma pas la porte derrière lui. La voix artificielle qu’il avait déjà entendu le matin s’éleva : - J’ai un message de Kaly pour toi : « Tu dois aller chez Dana, elle t’attend. ». - D’accord, merci, dit Hélios en faisant demi-tour pour ressortir. Il se sentait un peu ridicule d’avoir ainsi remercié la maison. Sur Terre, aurait-il songé à remercier le répondeur téléphonique après avoir écouté les messages. Car, après tout, robotisée ou pas, la maison n’était qu’un vulgaire objet, quoi que … Hélios se promit d’observer le comportement des haths vis-à-vis de tous les engins intelligents qui les entouraient, pour savoir quel ton il convenait d’employer avec eux. Le garçon trouva le hall de la maison de Dana désert, mais il entendit la voix de sa sœur qui le hélait depuis l’intérieur : - Excuse-moi de ne pas venir t’accueillir Hel, mais je suis un peu fatiguée. Viens me rejoindre dans la salle de jour. Bien qu’ignorant ce qu’était une salle de jour, Hélios se guidant à la voix de Dana eut vite fait de retrouver celle-ci. La jeune femme était lovée au creux d’un immense canapé. Pour améliorer son confort, les coussins se refermaient autour d’elle pour former une sorte de cocon. Sur le mur situé derrière elle, Dana avait fait simuler une large fenêtre panoramique sur laquelle s’étalait le paysage de bord de mer exotique qu’appréciait Hélios. La jeune femme vit les yeux de son frère se poser sur cette ouverture factice. - Gam m’a dit que tu n’aimais pas beaucoup vivre dans un espace clos, expliqua-t-elle. - C’est vrai, reconnut Hélios, j’ai vraiment l’impression d’étouffer dans ces pièces fermées. Et puis, l’illusion est tellement parfaite que je ne me lasse pas de ce faux paysage ; on entend même le vent dans le feuillage, le bourdonnement des insectes et le clapotis des vagues. Cette nuit, j’ai gardé la fenêtre dans ma chambre, et j’ai eu l’impression de dormir sur une plage à la belle étoile. Son enthousiasme fit sourire sa sœur. Comme Hélios s’apprêtait à prendre place dans un fauteuil en face d’elle, Dana suspendit son mouvement d’un geste de la main. - Est-ce que tu as faim ? Demanda-t-elle. Interrogeant son estomac, Hélios fut surpris de se découvrir affamé. Il répondit donc par l’affirmative à la question de sa sœur. - Je te propose que nous mangions ici, dit-elle sur un ton presque coupable. Mais surtout, si ça te gêne de manger ici, n’hésite pas à me le dire. - Je ne vois pas en quoi cela pourrait me gêner, s’étonna Hélios. - Je veux dire ici, dans la salle de jour, précisa Dana guettant la réaction de son frère. Voyant que ce nouvel élément ne semblait provoquer chez celui-ci ni surprise, ni mouvement de recul, elle ajouta : - Vois-tu, la plupart des haths détestent manger dans une autre pièce que la salle des repas. Et je dois dire que je n’aime pas beaucoup cela non plus. Mais je me suis trop agitée hier pour finir de préparer la chambre du bébé et Thyr qui est passé ce matin, m’a ordonné d’éviter au maximum de bouger aujourd’hui. Me voilà donc condamnée à rester sur ce canapé. Et puisque, manifestement, tu n’as pas les mêmes préventions sur l’endroit où il convient de manger, je te propose de poser le repas sur cette table basse avant de t’assoir. - Je vais l’avancer pour que tu sois plus à l’aise pour te servir, proposa Hélios en considérant la distance qui séparait ce meuble de sa sœur. - Inutile, répliqua-t-elle, la maison va s’en charger. Au même instant, la table basse commença à avancer silencieusement jusqu’à venir s’accoler au canapé de Dana. - Comment ça marche ? S’écria Hélios ébahi. - Honnêtement, je n’en sais rien, répondit sa sœur avec indifférence. S’il te plaît va chercher à manger et viens t’asseoir. « Aller chercher à manger », c’était plus facile à dire qu’à faire. Où trouver les fameuses assiettes pleines de petits pains ? Hélios dut avouer son ignorance à Dana. - Oh, c’est moi qui suis stupide de te demander cela sans rien t’expliquer, s’excusa-t-elle. Comme dans n’importe quelle pièce, le tiroir est à droite de la porte et pour l’ouvrir tu effleures le mur. Hélios considéra avec perplexité le pan de mur désigné par sa sœur, le fameux tiroir était parfaitement invisible. - A quel niveau se situe-t-il ? Demanda-t-il sans s’approcher du mur. - Mais, là où tu veux ! S’exclama Dana qui ne comprenait manifestement pas son problème. - Parce que les tiroirs peuvent s’ouvrir à différents endroits du mur, insista Hélios qui voulait être certain d’avoir bien compris. - Bien sûr, tout le monde ne fait pas la même taille ! Remarque sa sœur amusée. Hélios faillit répliquer qu’il était né dans un monde où les tiroirs étaient fixés à des meubles et s’ouvraient à une hauteur déterminée à l’avance, et qu’en outre, on n’y trouvait pas toujours ce que l’on y cherchait si l’on manquait d’ordre ou de mémoire. Mais il renonça. Les habitants de Hath étaient tellement habitués à la technologie qui les entourait qu’elle leur paraissait naturelle et indispensable. Il suivit donc sans rien dire les recommandations de Dana et passa un doigt prudent sur la surface du mur. Aussitôt un tiroir rempli de deux assiettes fumantes s’ouvrit à l’endroit qu’il avait ainsi désigné. Hélios apporta avec précaution le repas jusqu’à la table basse. - Que veux-tu boire, lui demanda Dana pendant qu’il les déposait. - J’aime beaucoup une boisson vert fluo que j’ai goûtée hier, mais je ne sais pas comment on la nomme, lui répondit son frère. - Je vois ce que tu veux dire, le rassura sa sœur. C’est du jus d’ab. Vas chercher les verres et viens t’assoir, le déjeuner va refroidir. Hélios faillit demander où il devait aller chercher les verres, mais il retint à temps sa question dont la réponse serait forcément « dans le tiroir ». Deux grands verres remplis pour l’un de jus d’ab et pour l’autre d’un liquide doré s’y trouvaient en effet. - C’est quoi ce que tu bois ? Interrogea Hélios en tendant son verre à sa sœur. - Un mélange que l’on donne aux femmes en fin de grossesse pour fortifier le bébé, expliqua Dana. Je me demande si je vais commencer par le salé ou par le sucré, ajouta-t-elle en considérant les assiettes posées devant elle. - Comment les différencies-tu ? Demanda Hélios qui avait peu apprécié la veille pendant le pique-nique de passer à plusieurs reprises du salé au sucré, faute de distinguer les petits pains les uns des autres. - C’est très simple, répondit Dana en désignant tour à tour du doigt plusieurs petits pains pour illustrer son explication. Les pains sucrés ont une croûte parfaitement lisse et unie, alors que ce n’est jamais le cas des pains salés. En regardant mieux, Hélios vérifia que la pâte de certains petits pains semblait effectivement mélangée d’herbes, d’épices ou de graines diverses. - Et je suis certaine, reprit la jeune femme en souriant, que tu as bien d’autres questions à me poser que celle-là. Alors vas-y je t’écoute. Du coup, son frère ne savait plus par où commencer. - Parle-moi des membres de notre famille, lança-t-il un peu au hasard histoire de dire quelque chose. Et d’abord de ceux que je connais, je voudrais être sûr de bien comprendre les liens de parenté entre les uns et les autres. - Pour des militaires, je veux dire pour des Dix, nous avons relativement peu de famille proche, dit Dana en attrapant un premier petit pain. Car, Kaly n’a eu que deux enfants, Lath, notre mère, et ensuite Valia. Valia a épousé Lex, un cousin de notre père, et Ourk est leur seul enfant. Comme tu le vois, on a vite fait le tour des membres de la famille. - Et du côté de notre père ? Demanda Hélios. - Shor était fils unique, expliqua Dana. Il a perdu ses parents très tôt à la suite d’un accident. C’était bien avant son entrée dans l’armée, et bien avant ma naissance. Comme il en parlait rarement, je sais peu de choses sur eux. Par contre, nous avons de son côté de nombreux cousins éloignés, mais que nous voyons rarement, à part Lex évidemment, car ils vivent dans d’autres secteurs. - Tu ne m’as pas parlé de Thyr, qui est-il ? Interrogea Hélios. - C’est un cousin de Kaly et c’était aussi le meilleur ami de son mari. Quand notre grand-père a brutalement disparu, il s’est senti une responsabilité envers nous. N’ayant ni femme, ni enfant, il a demandé à s’installer tout près d’ici afin de veiller sur Gam et moi et d’aider Kaly. - Pourtant, elle ne semble guère avoir besoin d’aide, remarqua Hélios. - Il ne faut pas te laisser abuser comme les autres par la dureté apparente de Kaly, répondit gravement Dana. Je sais bien qu’elle a le verbe haut et la réplique facile, mais elle est loin d’être aussi solide qu’elle en a l’air. Gam est trop jeune pour s’en souvenir, mais moi je sais à quel point elle était désemparée quand Lath et Shor ont disparu. Pour ne pas changer nos habitudes alors que notre vie venait déjà d’être bouleversée, c’est Kaly qui a déménagé pour venir s’installer dans la maison que nous habitions Gam et moi avec nos parents. Kaly et elle y habitent toujours aujourd’hui. La première chose qu’elle a faite en arrivant a été d’ordonner à la maison de fermer la chambre préparée pour le bébé, afin que plus personne ne puisse jamais y pénétrer. Et c’est ainsi que pendant des années, ta chambre d’enfant est demeurée un sanctuaire inviolable. Malgré les réflexions de tous les gens, comme Valia ou même Thyr, qui voulaient l’inciter à tourner la page et à utiliser cet espace perdu, elle n’est jamais revenue sur sa décision. Ce n’est que le jour où la communication du message de Shor lui a fait espérer que tu puisses être vivant qu’elle a permis qu’on rouvre cette porte pour installer un chambre correspondant à ton âge actuel. Tu sais, j’ai récupéré pour mon fils les meubles et les jouets qui avaient été préparés pour toi. - Tu as bien fait, s’exclama Hélios, ça me fait vraiment plaisir ! Dana sembla touchée par la sincérité de son ton. - Alors comme ça, tu attends un garçon, reprit Hélios. Comment vas-tu l’appeler ? - Yuv et moi avons décidé de le nommer Shor, répondit Dana. Que penses-tu d’avoir bientôt un neveu qui porte le nom de ton père ? - Je pense, je pense que c’est une très bonne idée, lui dit Hélios presque surpris lui-même que cette perspective le rende aussi content. Le frère et la sœur restèrent un instant sans parler, perdus chacun dans leurs pensées. Hélios fut le premier à rompre le silence : - Dis-moi, Dana, sais-tu comment nos parents voulaient m’appeler ? - Je suis désolée Hel mais je n’en sais rien du tout. En fait, ils n’ont jamais voulu le dire. Je me souviens encore du dîner que nous avons pris en famille la veille de leur départ. Val et Lex leur ont posé la question, mais ils ont expliqué vouloir garder le secret jusqu’à ta naissance. Tiens, ça me fait penser que nous avons fait des images ce soir là, veux-tu les voir ? Hélios se contenta de hocher la tête, il songeait au fait qu’il ne saurait jamais par quel nom l’avait appelé sa mère pendant les quelques instants où elle l’avait tenu dans ses bras, et cette pensée le remplissait de tristesse. - Alors vas chercher le cube dans le tiroir que je te montre ça, poursuivit Dana. Hélios, la gorge toujours serrée, se leva sans rien dire. Il retira du tiroir un cube noir de la taille de ceux que les enfants de la Terre empilent. Quand il revint auprès de sa sœur, la table basse s’était retirée loin du canapé. - Comment fait-on pour s’en servir ? Demanda Hélios qui considérait avec circonspection l’objet d’apparence banale qu’il tenait dans sa main. Il ne voyait pas comment ce cube pourrait leur montrer la moindre photo. - Pose-le simplement par terre, répliqua Dana en pointant son doigt vers un endroit situé entre leurs deux sièges. - Et dans quel sens je le pose ? L’interrogea encore son frère qui retournait inutilement l’objet pour chercher une différence entre les faces. - Mais ça n’a pas d’importance, s’exclama Dana visiblement étonnée par la question. Sans chercher plus avant, Hélios déposa le cube noir par terre à égal distance entre sa sœur et lui. - Image de Lath et Shor, la veille de leur départ, dit simplement Dana. Hélios ne pu retenir un cri de surprise en voyant deux personnes jaillir littéralement du sol. Rassemblant ses esprits, il réalisa rapidement à la luminosité légère des deux personnages immobiles au milieu du salon qu’il s’agissait d’un hologramme d’une extraordinaire qualité. Sans même s’en rendre compte, Hélios s’était levé pour aller à la rencontre de ses parents. Lath ressemblait à Dana d’une façon d’autant plus saisissante que leur état de grossesse avancée leur donnait une silhouette identique. Cependant, les cheveux de Lath étaient plus foncés et quelque chose de décidé dans son regard rappelait plus Kaly que Dana. A un ou deux centimètres près, Hélios faisait aujourd’hui la même taille que sa mère. Shor devait faire quinze bons centimètres de plus. C’est à lui que faisait évidemment penser Gam et Hélios. La voix de Dana interrompit les comparaisons d’Hélios. - Veux-tu voir l’image qui a été réalisée avec Gam et moi le même soir ? Demanda Dana. - Bien sûr, répondit son frère. L’image du couple s’estompa et c’est un groupe de quatre personnes qui surgit au centre du salon. Cette fois, Shor tenait dans ses bras une petite fille qui devait avoir deux ou trois ans dans laquelle on voyait déjà se dessiner les traits de Gam. Dana qui pouvait avoir huit ou neuf ans, se tenait debout entre ses parents. Le bras gauche de Lath entourait les épaules de sa fille aînée. Et puis soudain, une évidence s’imposa à Hélios, il y avait cinq personnes et non quatre dans cette famille immobile devant lui, et il était cette cinquième personne. Bien que caché encore dans le ventre de sa mère, il était bel et bien présent lui aussi dans cet hologramme. Cette maison, cette planète, tout cela était son histoire à lui aussi. Aucun argument n’aurait pu l’en convaincre aussi bien que cette image d’une famille heureuse, quelques treize ans plus tôt, le dernier soir où ils avaient été réunis. La voix de la maison de Dana s’éleva : - Gam appelle de sa maison pour savoir si elle peut venir vous rejoindre. - Dis lui que nous l’attendons, répondit Dana avant d’enchaîner immédiatement à l’adresse du cube, stop image ! Instantanément, la famille d’Hélios s’évanouit laissant l’impression d’un vide au centre de la pièce. Avant qu’Hélios ait eu le temps de prononcer le moindre mot pour s’étonner de la réaction de sa sœur, celle-ci le pria d’une voix pressante de ramasser le cube pour le ranger dans le tiroir. Comme son frère s’exécutait sans protester malgré sa surprise, Dana expliqua à voix basse et rapide : - Au fond d’elle-même, Gam continue de considérer le départ de nos parents comme une sorte d’abandon. Ces images du dernier soir viennent toujours raviver cette blessure mal refermée. Il vaut mieux qu’elle ne nous voit pas les regarder. - Je comprends, murmura Hélios une seconde avant que Gam ne pénètre dans la pièce.
Posted on: Sun, 11 Aug 2013 08:47:17 +0000

Trending Topics



Recently Viewed Topics




© 2015