C’est une touffe de broussailles au milieu de la savane. Pas de girafe là-dedans, pas de lion, pas de gazelle. Il n’y a pas un brin de vent, mais ça frissonne tout le temps. Approchons-nous. Ça n’est pas moins qu’un éléphant, mais comme il est allongé, on peut passer sans le voir. A son côté, il y a un homme. L’homme est blessé et l’éléphant lui donne à boire. Il vient de puiser au point d’eau, son ombre lente et assurée dans la poussière du matin. Avec sa trompe en arrosoir, il lui fait du goutte à goutte, du bouche à bouche, du nez à nez, car il est déterminé, notre éléphant, à le sauver. Les habitants du village battent la brousse pour les trouver et on les entend passer, pas très loin, dans la journée. S’ils mettaient la main sur l’homme, ils l’étendraient dans sa case, feraient venir le sorcier, pour le soigner. S’ils attrapaient l’éléphant, ils transperceraient sa peau des lances qu’ils ont aiguisées. Alors, et l’homme et l’éléphant restent cachés dans les fourrés. S’ils attrapaient l’éléphant, ils livreraient aux braconniers ses longues défenses d’ivoire. S’ils soignaient l’homme, ils demanderaient qu’il livre, pour les remercier, son éléphant aux braconniers. Alors, et l’homme et l’éléphant restent cachés dans les fourrés. L’homme a connu l’éléphant alors qu’ils étaient enfants. Il lui a donné à manger, a partagé son amitié: un éléphant, ça peut aimer énormément. Il a appris à s’évader sur la montagne de son dos, où soufflent des vents nomades, où tout paraît beaucoup plus beau. Ensemble, ils ont sillonné toutes les pistes du désert sans s’être jamais égarés. Puis les chasseurs sont arrivés, ils ont offert de l’argent, beaucoup d’argent au village pour avoir cet éléphant qui sort de leur ordinaire. Et quand l’homme a refusé, ils ont offert plus d’argent, pour les défenses seulement. Alors, et l’homme et l’éléphant restent cachés dans les fourrés. Lorsque l’homme a refusé qu’on touche à son éléphant, les villageois qu’il connaissait depuis qu’ils étaient enfant, les villageois se sont fâchés. Ils ont brandi leur colère et sans vraiment faire exprès, ils l’ont blessé. C’était sa faute, après tout: il avait si peu à faire pour les sortir de leur misère. Dès qu’ils l’auront retrouvé, ils sauront bien lui expliquer… Alors, et l’homme et l’éléphant restent cachés dans les fourrés. S’ils en sortaient, la terre entière les comprendrait: On les prendrait à témoin contre les vilains braconniers, contre les zoos, les baleiniers, contre les chasseurs de visons. S’ils en sortaient, le monde entier les connaîtrait. On mettrait l’homme dans un bureau, avec de l’encre et du papier pour retracer, dans son désert, la piste où tout était plus beau. On logerait l’éléphant dans une cage aseptisée où on lui apporterait plein de bananes à manger. S’ils en sortaient. Alors, et l’homme et l’éléphant restent cachés dans les fourrés. © Sylvie M. Miller
Posted on: Sat, 10 Aug 2013 12:53:27 +0000
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