Dans le Monde daujourdhui : 15 novembre 2013 Alzheimer Une - TopicsExpress



          

Dans le Monde daujourdhui : 15 novembre 2013 Alzheimer Une vie presque ordinaire Weesp (Pays-Bas) Envoyée spéciale Avec ses rues, son parc, son supermarché, son coiffeur, De Hogeweyk, aux Pays-Bas, a tous les attributs dun quartier dune petite ville. A un détail près, il sagit dun lieu daccueil pour malades dAlzheimer Sous un large parapluie, à lintérieur de la galerie commerciale, une vieille dame chantonne. Elle sort tout juste de son club de musique, passe, guillerette, devant le supermarché, le café, le restaurant qui a disposé des petites tables et un kiosque à glaces devant lentrée. Puis elle simmerge dans le grand air humide, du côté du théâtre, du coiffeur et du cabinet de kinésithérapie. Ce nest pas son quartier, mais une maison de retraite pionnière qui en a toutes les apparences. A une vingtaine de kilomètres dAmsterdam, aux Pays-Bas, De Hogeweyk accueille des personnes âgées atteintes de la maladie dAlzheimer, ou dautres formes de démence sénile, dans leur stade ultime, sans la moindre blouse blanche, ni odeur de désinfectant ni salle commune où lon sendort au son de la télévision. Zone résidentielle de la petite commune de Weesp. Un long bâtiment de brique rouge. Une fois passé le hall dentrée, puis une porte vitrée, on accède à une curieuse ville dans la ville. Avec ses rues, placettes, bancs et fontaines, son parc, ses immeubles bas disposés autour de passerelles, patios et terrasses, qui invitent à sortir, à fréquenter ses voisins. Au même endroit, jadis, se tenait sur six étages une maison de retraite classique dont léquipe de direction sest un jour posé la bonne question : Avons-nous envie que nos parents, sils étaient atteints de démence sénile, viennent vivre ici ? La réponse (négative) fut tout aussi unanime que lenvie dinventer un autre modèle, où la qualité de vie et lattention à la personne importeraient autant que le soin. Où le quotidien serait aussi proche que possible de la normalité passée afin que les journées reprennent sens. De cette réflexion collective est né un village sécurisé respectant toutes les normes sanitaires en vigueur, presque entièrement financé par lEtat (17,5 millions deuros, complétés par 2 millions deuros de sponsoring), dont les premiers habitants se sont installés en décembre 2009. Les personnes atteintes de démence sénile peuvent “fonctionner” de façon assez normale quand elles sont dans un environnement normal , assure la directrice, Jannette Spiering. Normalité factice peuplée de caissiers, de barmen, de coiffeurs, qui sont autant de membres du personnel formés à la maladie dAlzheimer. Un reality-show permanent décrit dans la plaquette de présentation : Tout est fait pour aider à reconnaître la réalité créée et à avoir prise sur le quotidien. Est-ce faux ? Pour la personne atteinte de démence sénile, pas du tout. Les cent cinquante-deux résidents, dont lâge moyen avoisine les 83 ans, vivent par groupes de six ou sept, dans une vingtaine de vastes appartements gérés par des infirmières qui se relaient du petit matin jusque tard le soir, prenant soin tant des occupants que des tâches ménagères – la nuit, une alarme acoustique permet au personnel de garde daider ceux qui errent à lextérieur à regagner leur domicile. La composition des maisons ne dépend pas des pathologies, mais de lancien mode de vie ainsi que des valeurs culturelles des hébergés, que leur famille, longuement questionnée, aura contribué à cerner. Sept ambiances sont recréées, mélangeant lattachement à la tradition, la culture, la religion, au milieu rural ou urbain, aux racines étrangères ou aux plaisirs ménagers et familiaux… De quoi éviter, par exemple, les frictions entre adeptes de la télé continue et ceux qui ne la supportent pas ; frictions dautant plus risquées que la démence lève généralement toute inhibition. Les patients ne sadaptent pas à linstitution, cest elle qui sadapte à eux. Pas dhoraires fixes de lever, de repas, de coucher. Aucune restriction de sortie au sein du village ni dhoraires de visites, les proches sont toujours les bienvenus. Dans lappartement de style bourgeois , les lustres de cristal, la cheminée, les panières à pain sur la table, le fond sonore de musique classique, sont autant pensés que le comportement du personnel médical, qui se garde de toute familiarité, jouant même le jeu du personnel de maison. A côté, lambiance style de vie urbain est moins guindée. Quatre pensionnaires regardent un DVD, installés dans de gros fauteuils moelleux, entourés de soignants et de proches. Theo Visser, 82 ans, qui porte encore beau en gilet à carreaux et cravate, tient tendrement la main de sa femme, dont le regard se perd dans le vague. Voilà cinq années quelle vit là. Cinq années sans paroles. Les choses ne sont jamais parfaites, mais je suis satisfait, témoigne lépoux, parce quon ne la traite pas comme dans une institution psychiatrique, et quelle se sent ici chez elle. Alie De Vlught, 83 ans, semble avoir plaisir à ouvrir la porte de sa chambre pour discuter. Elle sait encore quelle travaillait dans la mode, mais plus depuis combien de temps elle réside ici. Ce nest pas comme à la maison, dit-elle demblée, mais cest bien tout de même. On marche. On rencontre des gens. Une soignante sourit : Elle aime aller boire un petit rhum-Coca au restaurant, chaque après-midi, avec une résidente amie. Tous sont incités à demeurer actifs, à participer aux tâches ménagères, ne serait-ce quen épluchant quelques pommes de terre ou en touillant une sauce. Sils ne le peuvent plus, poursuit Jannette Spiering, ils sont assis dans un fauteuil adapté au milieu des autres, de la routine quotidienne, des bruits et des odeurs, rassurantes, car familières, de cuisine ou de lessive. Même le repassage a une odeur… Parce que ne pas se sentir enfermés diminue leur anxiété, donc les médicaments, les pensionnaires sont libres daller et venir au sein de cette microsociété, de se balader ou de prendre ensemble un café, de fréquenter lun des vingt-cinq clubs de loisirs – dont les plus prisés sont ceux de musique, de danse et de bingo. Libres aussi de changer. Votre mère était très “lady”, dorénavant elle aime siroter une bière en écoutant de la musique folk ? Laissez-la, ce qui lui fait plaisir est bon pour elle , peuvent, à loccasion, se voir expliquer les familles, qui doivent accepter pour leur proche une vie moins aseptisée quen institution classique. Ici, maman peut prendre la pluie quelques minutes avant dêtre conviée à rentrer mettre un manteau. Et papa acheter trois bouteilles de vin à la supérette avant que le coup de fil du caissier à linfirmière permette une intervention, en douceur, de retour à lappartement… A âge et pathologie équivalents, les habitants de De Hogeweyk vivent plus longtemps ici quailleurs, fait-on valoir. Quelque deux années et demie en moyenne. Quant au coût de cette maison de retraite du groupe Vivium (une fondation réinvestissant tous ses profits), il nest pas supérieur à celui dautres établissements néerlandais pour personnes âgées dépendantes, nous assure-t-on. 2 200 euros par personne et par mois, pris en charge pour lessentiel par la sécurité sociale – les personnes âgées dont la retraite le permet sont mises à contribution. Lencadrement médical et social est à peu près le même, insiste la directrice. Sauf que nous avons fait le choix de limiter léquipe dirigeante et que, dans les maisons, le personnel est multitâche, ce qui limite les intervenants. Qui bénéficient du précieux renfort de cent soixante bénévoles. Comme Maud Verstift, la cinquantaine avenante. Dans la salle à manger du club dexpression artistique décorée façon brocante, elle échange quelques confidences avec une dame très âgée en fauteuil roulant. Sa grand-mère a vécu ici deux mois, il y a cinq ans, heureuse . Jaime cet endroit, il y a beaucoup de liberté, dattention. Ma grand-mère, qui venait dIndonésie, a pu manger son riz et écouter sa musique avec dautres personnes de même origine. Le village de De Hogeweyk se veut le plus ouvert possible sur lextérieur, avec son restaurant de standing, ses concerts et ses expositions. Pourtant, les proches ne viennent pas autant quavaient pu limaginer les promoteurs du projet en peaufinant ce cadre de vie. Lesthétique, lapparente normalité du cadre ne changent pas tout. Ne plus être reconnu savère parfois trop difficile à supporter. On vient en revanche du monde entier observer ce modèle pionnier. Deux ou trois initiatives similaires se préparent en Suisse et en Allemagne. Guère plus. Cest compliqué, et un peu effrayant, de renoncer à toute lorganisation précédente, comprend Jannette Spiering. Et puis, les maisons de retraite ont tellement de monde sur liste dattente. Pourquoi se donneraient-elles ce mal ? Aucun professionnel français na fait le déplacement, à ce jour. Mais le docteur Linda Benattar, responsable médicale du groupe de maisons de retraite Orpea, confirme que la tendance est bien là. La liberté dans un environnement adapté. Sans aller aussi loin dans la reproduction dun quotidien ordinaire de quartier, ni dans la liberté laissée aux malades, Orpea propose déjà, à Saint-Rémy-lès-Chevreuse (Yvelines), sur 7 hectares, un village de petits pavillons, doté dune épicerie, dun cabinet desthétique, dun spa. Car, croit la gériatre, plus lunivers est permissif, plus les malades, qui ne savent plus appréhender les contraintes du monde extérieur, sont heureux . Labsence de liberté, un être humain la ressent toujours , appuie Pascal Champvert, directeur de plusieurs établissements et services à domicile, et président de lAssociation des directeurs au service des personnes âgées. Bien sûr que cest ce quil faut quon fasse en France ! Rompre avec la culture hospitalière, aller vers une logique de domiciles protégés regroupés… Encore faut-il, selon lui, que les Français acceptent de déplacer le curseur sur laxe sécurité-liberté. Nous sommes beaucoup du côté sécurité, avec toutes ces normes imposées. On veut surtout quil narrive rien à maman. Du coup, il ne se passe plus rien du tout. Il semble encore bien loin, le petit rhum-Coca entre copines de De Hogeweyk. Pascale Krémer
Posted on: Fri, 15 Nov 2013 11:10:01 +0000

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