Dans libé. «Agir sans attendre la croissance» Pour Michel - TopicsExpress



          

Dans libé. «Agir sans attendre la croissance» Pour Michel Rocard et Pierre Larrouturou, la crise du capitalisme oblige à bâtir d’autres modèles : VITTORIO DE FILIPPIS Chômage de masse, précarité, crise financière, peut-on espérer un retour à la croissance pour sortir de la crise ? «Ce serait se bercer d’illusions», répondent en substance Michel Rocard et Pierre Larrouturou. Dans leur dernier essai, la Gauche n’a plus le droit à l’erreur, les auteurs ne se contentent pas de poser leur diagnostic, ils dressent une longue liste de solutions marquées à gauche. LA GAUCHE, AU POUVOIR DEPUIS UN AN, RÉPOND-ELLE À LA CRISE ? Michel Rocard : Tous nos dirigeants parlent de crise, ce mot qui décrit la phase aiguë d’une maladie, après laquelle soit le malade meurt, soit il revient à un état «normal». Parler de crise implique donc que nous pourrions revenir «comme avant». Or il est impossible de croire à un retour «à la normale». L’urgence est de construire un nouveau modèle de développement. Et, dans ce contexte, la gauche ne propose pas de solutions à la hauteur des dangers qui nous menacent. Nous faisons fausse route en pensant que la croissance va revenir et régler tous les problèmes. Si crise il y a, elle est aussi intellectuelle. C’est une crise de la pensée organisatrice du monde. Or face à une crise du capitalisme, les socialistes devraient être, a priori, les mieux préparés pour apporter des réponses… ALORS, PAS DE «REPRISE DE LA CROISSANCE AU COIN DE LA RUE», COMME LE DIT LE GOUVERNEMENT ? Pierre Larrouturou : Non, pas de croissance en vue. Il faut évidemment tout faire pour sortir de la récession, mais c’est se mentir que de croire que la croissance va revenir et sera assez forte pour sortir du chômage. Regardez la croissance en France, décennie après décennie, elle ne cesse de diminuer. Cela fait trente ans que nous n’avons pas les 2,5% de croissance que nous promettent nos dirigeants. La plupart des économistes pensent que sans un changement radical de nos politiques, le scénario le plus favorable est un scénario à la japonaise : depuis vingt ans qu’a éclaté sa bulle, le Japon n’a connu que 0,7% de croissance moyenne annuelle. Et ce même en faisant des plans de relance pharaoniques - qui portent la dette publique à 240% du PIB - ou en développant une politique de recherche très ambitieuse… M.R. Et ce constat concerne tous les pays développés. Aux Etats-Unis, même en mettant 1 200 milliards de dollars [900 milliards d’euros, ndlr] sur la table en un an, Obama n’arrive pas à sortir de la trappe. Le chômage n’est stable que parce que, tous les mois, des centaines de milliers de citoyens renoncent à chercher un emploi et ne sont plus comptés comme chômeurs. A 63%, le taux d’activité est ainsi à un plus-bas historique. P.L. En réalité, plus on attend un retour miraculeux de la croissance et plus on augmente les risques de s’engluer dans une récession sans fin ou de subir une nouvelle crise. En Chine, la bulle immobilière est plus grosse qu’elle ne l’était en Espagne. Et elle est en train d’éclater. Il est donc urgent que la gauche opère une révolution copernicienne, en cessant de dire que l’emploi viendra du retour de la croissance. Nous montrons, nous, comment créer massivement des emplois, même avec une croissance nulle. Et si plus de 2 millions de personnes retrouvent un emploi et un salaire, cela aura sans doute un effet très positif sur l’activité de toutes les branches. CRISE DE LA DETTE, CRISE DE L’ETAT OU CRISE DU CAPITALISME DÉRÉGULÉ ? QUEL EST LE BON DIAGNOSTIC ? P.L. C’est une crise du capitalisme. Quand on regarde l’évolution de la dette totale (privée et publique) aux Etats-Unis, on voit qu’elle était parfaitement stable entre 1950 et 1981. C’est à partir de l’arrivée de Ronald Reagan qu’il faut toujours plus de dette. Pourquoi ? Parce que, dans tous nos pays, on a dérégulé le marché du travail. On a supprimé les règles qui assuraient une hausse des salaires égale aux gains de productivité du travail. Et on a totalement déséquilibré la négociation sur les salaires : dans un contexte de chômage de masse, quel salarié peut exiger une augmentation quand la négociation se résume à «si tu n’es pas content, va voir ailleurs» ? La part des salaires représentait ainsi 67% du PIB dans les pays occidentaux en 1981. Elle pèse moins de 57% aujourd’hui. Ce sont des sommes astronomiques qui auraient dû aller aux salariés, et donc aussi à l’Etat et à la Sécurité sociale, via les impôts et les cotisations. Mais qui sont finalement parties chez les actionnaires. En trente ans, nous avons ainsi accumulé une dette publique de 90% du PIB. Or, sur la même durée et en cumul, ce sont 130 à 150% du PIB qui auraient dû revenir aux salariés et qui sont allés vers les marchés financiers. La crise de la dette n’est pas une crise de l’Etat-providence. C’est une crise du capitalisme dérégulé. M.R. Et qui a pris une telle ampleur qu’elle rend inopérantes les réponses classiques de l’Etat-providence. 750 trillions de dollars, soit 750 000 milliards de dollars, soit plus de dix fois le PIB mondial, circulent chaque année sur les marchés financiers. C’est le résultat du déséquilibre dont Pierre vient de parler et de l’ensemble des produits dérivés créés par quelques milliers de spéculateurs. P.L. En 1983, Pierre Mauroy avait eu le courage de dire que les salaires étaient trop élevés par rapport aux bénéfices et nuisaient donc à l’investissement. Cette date correspond au moment où la part des salaires atteint un sommet. Trente ans plus tard, au contraire, la part des salaires est, dans tous les pays occidentaux, à un plus-bas historique. CE NE DEVRAIT PAS ÊTRE TROP DIFFICILE POUR DES SOCIALISTES DE LE DIRE À VOIX HAUTE ? P.L. En effet. Car l’important est d’agir pour un nouvel équilibre entre salariés et actionnaires. Le Medef répondra que la part des salaires est encore plus basse en Allemagne. C’est vrai, hélas. Voilà pourquoi il faut agir au niveau français et négocier un traité de convergence sociale au niveau européen. M.R. En 2003 déjà, la Banque des règlements internationaux (BRI) affirmait que la planète risquait une récession généralisée, car ce qui allait aux salaires - et donc à la consommation - était trop faible. Tous nos pays auraient été en récession si l’on n’avait pas distribué, par la dette privée, le pouvoir d’achat qu’on ne donnait pas via le salaire. Le capitalisme est en train de s’autodétruire, et le Joseph Stiglitz a raison de dire que la cupidité des 1% les plus riches nous amène à la catastrophe. Sans l’endettement sans fin des ménages et des Etats, le monde serait en récession depuis quinze ans. VOUS DOUTEZ DE L’EFFICACITÉ DES POLITIQUES DE RELANCE KEYNÉSIENNE… P.L. On voit au Japon que les plans de relance qui arrosent le désert ne servent à rien. On atteint 240% de dette publique sans avoir relancé la croissance. Par contre, une action forte sur la politique du logement ou sur les questions climatiques peut créer des emplois. M.R. C’est un point fondamental : après six mille ans de conquête technique et de consommation d’énergie bon marché sans que le climat se fâche, nous arrivons là aussi à une crise-mutation. Ça tombe mal, mais nous n’avons pas le choix. Le réchauffement climatique est pour l’humanité une interdiction de continuer à fonctionner sur le plan énergétique comme elle le fait jusqu’ici. P.L. C’est pourquoi il faut très vite négocier un «Pacte européen Energie-Climat-Pouvoir d’achat», financé par la Banque centrale européenne. L’objectif fondamental de la BCE est de lutter contre l’inflation, or la seule inflation qui existe aujourd’hui est celle du prix de l’énergie ! Il faut permettre à tous les pays membres d’investir chaque année 1% de leur PIB dans des économies d’énergie. Et la BCE devrait financer ce plan. Faut-il souligner que pour sauver les banques, la BCE a mis 1 000 milliards sur la table au taux de 1%. Personne n’a protesté. Pourquoi est-on incapable de mobiliser les mêmes moyens pour sauver le climat et lutter contre le chômage ? D’AUTRES URGENCES ? M.R. Baisser le temps de travail très fortement. Si l’on vise le plein-emploi, il faudrait se diriger vers les 29 heures de travail hebdomadaires. Alors qu’aujourd’hui, la durée réelle d’un temps plein reste aux alentours de 39 heures. Il faut que les partenaires sociaux négocient au plus vite. P.L. En 1993, c’est Antoine Riboud, l’un des plus patrons du pays, qui affirmait : «Il faut passer à 32 heures, quatre jours sans étape intermédiaire.» En octobre 1995, la CFDT et le CNPF [ancêtre du Medef, ndlr] signaient un accord historique pour réduire le temps de travail et créer des emplois. Hélas, aucune branche n’a négocié la mise en œuvre effective de cet accord. En 1995 aussi, le rapport Boissonnat rédigé à la demande de Balladur affirmait qu’il fallait baisser de 20 à 25% le temps de travail d’ici à 2015. Nous sommes bientôt en 2015 et la durée d’un temps plein est toujours aux alentours de 39 heures alors que des millions de chômeurs sont à zéro heure. Si le gouvernement veut sauver les retraites et lutter contre le chômage, il n’y a pas le choix : il faut négocier un autre partage du travail tout au long de la vie. Partout, le débat revient : aux Etats-Unis, c’est l’ancien ministre du Travail de Clinton, Robert Reich, qui affirme que c’est «la» grande réforme que doit faire Obama. En Allemagne, le syndicat Ver.di demande le passage à 30 heures. En Espagne, c’est le président de la commission du budget au Parlement qui réclame le passage à la semaine de quatre jours… M.R. Pour aller vers la semaine de quatre jours, il faut une aide pour les entreprises qui, par exemple, créeront 10% d’emplois en CDI, en les exonérant de cotisations chômage. LA FRANCE EST-ELLE À L’ABRI D’UNE NOUVELLE CRISE FINANCIÈRE ? M.R. Nous n’avons pas fait le maximum pour éviter une prochaine explosion financière. Il faut revenir à une séparation totale entre banques de dépôts et banques d’affaires. P.L. La loi est toujours en discussion au Parlement. Les parlementaires doivent comprendre que la solution retenue, la filialisation, n’est pas à la hauteur : en 2008, l’assureur AIG a été coulé par la filiale d’une filiale. Les risques accumulés par une dizaine d’employés basés à Paris ont suffi à faire chuter le numéro 1 mondial de l’assurance et Obama a dû mettre 180 milliards de dollars sur la table pour éviter un effondrement généralisé. Que se passerait-il en France si demain ou dans deux ans, Hollande devait trouver 180 milliards? En Grande-Bretagne comme en Allemagne, les députés (de droite) ont gagné contre les lobbies bancaires et ont obtenu des réformes plus exigeantes. Pourquoi ne fait-on pas de même ? Nous sommes à un moment crucial de l’histoire de notre pays et de la gauche. Elle ne peut pas se contenter de gérer les conséquences de la crise du capitalisme. Il est urgent de provoquer un sursaut. M.R. Une fois ces précautions prises, on pourra revenir vers l’économie réelle et construire une société plus équilibrée, plus conviviale. Une société plus frugale, qui retrouve le goût de la fête.
Posted on: Fri, 28 Jun 2013 19:03:53 +0000

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