Des plaisirs de limagination Si les mots plaisir imaginaire - TopicsExpress



          

Des plaisirs de limagination Si les mots plaisir imaginaire signifient un plaisir qui na rien de réel, gardons-nous de les employer jamais. Le pauvre qui tous les jours, pendant douze heures, dormait et se croyait revêtu de lautorité royale, avait un sort exactement semblable à celui du roi qui, rêvant pendant le même nombre dheures, croyait souffrir le froid, la faim, et solliciter dans les rues la pitié des passants. Tous nos plaisirs sont fugitifs, et tous sont réels. Faculté merveilleuse, limagination réveille les plaisirs passés, charme linstant qui sécoule, et voile lavenir ou lembellit despérances. Bannissons ce préjugé vulgaire qui nous représente la raison et limagination comme deux ennemies, dont lune doit étouffer lautre. La raison ne dédaigne aucun plaisir facile et pur. Lerreur même dun songe peut avoir du prix à ses yeux ; et quels avantages les rêves de limagination nont-ils pas sur ceux du sommeil ! Ma volonté fait naître les premiers ; je les prolonge, les dissipe et les renouvelle à mon gré. Tous les hommes qui sétudient à multiplier les instants heureux, savent jouir daimables chimères, et peignent avec enchantement les heures divresse quils doivent à leffervescence dune imagination riante. Il est des circonstances où la raison na plus à nous donner dautre conseil que celui de nous livrer aux illusions, qui peuvent mêler encore quelques plaisirs à nos douleurs. Un homme de mérite qui, dans nos temps orageux, a passé vingt mois en prison, me disait quune nuit il rêva que sa femme et ses enfants lui apportaient la liberté. Ce rêve lui laissait un souvenir si profond, une émotion si vive quil forma le projet de le renouveler, par la pensée, chaque jour. Tous les soirs, excitant son imagination, il cherchait à se persuader quil était au moment de la réunion désirée ; il se représentait les transports de sa femme, les caresses de ses enfants, et ne laissait que des chimères occuper son esprit, jusquà linstant où le sommeil lui faisait tout oublier. Lhabitude, me disait-il, avait rendu mes illusions plus fortes quon ne pourrait le croire : jattendais la nuit avec impatience ; et la certitude que le jour finirait par quelques instants heureux me faisait constamment éprouver je ne sais quelle exaltation qui métourdissait sur mes peines. Dans linfortune, les douces illusions ressemblent à ces feux brillants et colorés qui, durant les tristes hivers du pôle, présentent au milieu des nuits limage de laurore. Une faculté mobile et vive, qui trompe le malheur, doit embellir le bonheur même. Aux avantages quon possède elle unit ceux quon désire. Par sa magie, nous renouvelons les heures dont le souvenir nous est cher, nous goûtons les plaisirs que promet un avenir lointain, et nous voyons du moins lombre légère de ceux qui nous fuiront. Les illusions, a dit un sombre philosophe, sont leffet dune démence passagère. Ah ! les idées folles sont celles doù naissent les ennuis, et les idées raisonnables sont celles qui charment la vie. Si vous rejetez ces principes, nadoptez pas du moins une fausse et lugubre sagesse ; croyez plutôt que tout est folie sur la terre. Mais alors, je distingue des folies tristes, des folies gaies, des folies effrayantes, des folies aimables, et je veux choisir celles dont les prestiges sont riants et les erreurs consolantes. Comment cet être morose, qui naperçoit sur la terre, que des méchants, et dans lavenir que des malheurs, accuse-t-il de se laisser tromper par limagination celui qui se berce despérances flatteuses ? Tous deux sabusent ; mais lun souffre de ses erreurs, lautre vit de ses illusions. Ils ont des idées étranges, ces prétendus sages qui voient, dans les secours de limagination, la ressource des âmes faibles ! Linquiétude, la tristesse, lennui, voilà les véritables signes de faiblesse. Il reçut une âme élevée celui qui, poursuivi par linjustice, sourit encore à des illusions, et qui, pour échapper aux misères du monde réel, labandonne et fuit vers un monde idéal. La sagesse ne dédaigne point une faculté brillante, et, pour goûter tous les plaisirs de limagination, il faut avoir une raison exercée. Limagination ressemble tantôt à ces magiciennes qui transportaient sur des bords enchantés le héros objet de leur amour, tantôt à leurs ennemies qui multipliaient autour de lui les périls. Livrée à ses caprices, peut-être nous ferait-elle redouter mille maux chimériques, aussi féconde pour enfanter des tourments quelle est ingénieuse à créer des plaisirs. La raison, qui ne peut la suivre toujours, doit lui montrer quels sentiers le bonheur linvite à parcourir. La raison est nécessaire encore à linstant où les chimères disparaissent. Cet instant nous afflige ; mais je serais dans la situation dont un rêve enchanteur me faisait goûter les délices, que je pourrais encore et désirer et mattrister. Tout homme dont lesprit est élevé, le coeur bon, sest plu à supposer que, loin des sots, à labri des méchants, seul avec quelques amis, il vivait dans une contrée riante, séparée du reste du monde. Que ce rêve se réalise, demain lasile paisible, ignoré, nous verra donner des regrets aux lieux que nous aurons quittés, et former des désirs pour échapper aux ennuis de la nouvelle patrie. Puisque notre sort changerait vainement, étudions lart den adoucir les peines, apprenons à jouir de tous ses avantages, et quils soient embellis par les heureux prestiges dune imagination féconde. Nos regrets naîtraient-ils de la rapidité avec laquelle les illusions disparaissent ? Eh quoi ! jai vu des riches et des grands dépouillés en un instant de leur fortune, de leur pouvoir, et je maffligerais lorsquun songe sévanouit pour moi ! Mais encore, ces infortunés ont perdu pour jamais les biens qui leur étaient si chers, et moi, je renouvelle à mon gré mes illusions et mes plaisirs. Loin de sacrifier aucune de nos facultés, exerçons-les toutes ; et quelles se prêtent mutuellement des secours. Il faut, lorsquon avance dans la vie, que la raison acquière le calme de lâge mûr ; mais que le coeur et limagination conservent encore des étincelles du feu de la jeunesse. Joseph Droz, Essai sur lart dêtre heureux, Chap. XVII
Posted on: Thu, 24 Oct 2013 08:57:49 +0000

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