Didier Van Cauwelaert « La demie pensionnaire » Sa jeunesse - TopicsExpress



          

Didier Van Cauwelaert « La demie pensionnaire » Sa jeunesse évidente mo pose un problème. C’est le genre de fille qui a trente ans et qui en paraît vingt parce qu’elle n’y pense pas. Mais si sa mère est octogénaire, à quelâgel’a-t-elleeue ? Certainement, l’une des deux triche avec le temps : les apparences mentent dans un sens ou dans l’autre. A moins qu’Hélène ne soit adoptée. …/…(46) Elle paraît si normale et si exceptionnelle à la fois. Si spontannée, si réfléchie. Contradictoire et naturelle. …/…(52) De la même manière que, dans le métro, je regarde les nains, les obèses et les enfants trisomùiques : à la fois pourleur suggérer un instant qu’ils sont comme les autres, et pour tenter de leur exprimer combien je me sens moi aussi différent des gens qui pensent être normaux. …/…(57) J’avais une vie résolument vide, qui m’offrait chaque matin au réveil l’impression que tout pouvait m’arriver, puisque je n’étais retenu par rien. Comme il ne m’arrivait pas grand-chose, je conservais l’espoir et je tuais le temps : les journées ne passaient pas plus vite mais elles laissaient moins de traces…./…(75) Je n’arrive pas à savoir si chez elle l’humour est une forme d’agression, de délicatesse ou de pudeur. Mais j’ai l’impression qu’elle se protège moins du regard des autres qu’elle ne les défend contre leurs propres réactions. …/…(81) Elle décrit l’image qui l’a sauvée, d’après elle. On venait de lui apprendre qu’elle ne marcherait plus. Elle était à Garches, au foyer, la grande salle de lecture, télé, billard et jeux vidéo que les plus anciens appellent entre eux la salle des pas perdus. Elle compulsait des revues médicales pour infirmer le diagnostic, trouver un médicament miracle, une nouvelle technique, un espoir quelconque. En face d’elle, un garçon de quinze ans, recroquevillé dans un fauteuil électrique, le coprs sanglé à son dossier, lisait un roman. Concentré, absorbé, isolé des bruits de flipper et de Nintendo. Toutes les minutes et demie, son visage se contractait et c’était la torture : il devait s’y reprendre à dix fois pour commander son geste, rassembler ses forces, coordonner ses mouvements et finalement réussir, au prix d’un effort de volonté intense, l’opération si simple de tourner la page. Entre le troisième et le quatrième étage, je me suis formulé toutes les objections qui se présentaient. Je n’avais jamais réussi pour personne. Dans le meilleur des cas, j’avais laissé quelqu’un de mieux déteindre sur moi : quelqu’un qui m’avait aimé en connaissance de cause. Mais dans le désarroi où se trouvait Hélène, elle aurait fait sa proposition à n’importe qui. Et ça, je le refusais. J’acceptais la rigueur d’être manipulé, pas d’être interchangeable. C’était la dernière fierté qui me restait. En atteignant le palier du cinquième, ma clé à la main, je m’étais à peu près raisonné. Cette histoire n’était pas pour moi. Rien ne me destinait à pousser les fauteuils roulants, à prendre les avions pour des tambours de lave-linge ni à kidnapper les vieilles dames pour qu’elles échappent à l’hospice. J’avais déjà une famille – du moins une mère et des remords, et le seul moyen de leur féchapper était de fonder un foyer à mon tour, avec une fille sur pied qui me ferait un enfant virgule sept pour entrer dans la norme. Dès demain matin, j’irais implorer le pardon de Melle Herbelin afin de conserver ma place à la Sacem où, si je continuais d’êtrre bien noté, je pourrais me faire, sans angoisse du lendemain ni surmenage abusif, un avenir à l’usure. Le chèque qui m’avait propulsé dans l’univers délétère de l’avenue Foch était sans provision ; l’aventure était close. Et puis j’ai carressé mes plantes, machinalement. Mes plantes adoptives qui envahissent le palier, grimpent jusqu’au vitrage du toit. Cet îlot de verdure, c’est tout ce qui reste de mes voisins, des retraités qui d’année en année avaient sorti les yuccas, les fucus et les philodendrons de leur deux-pièces, à mesure qu’ils devenaient trop grands. J’avais à peine connu la dame, hopitalisée juste après mon arrivée. Je disais bonjour au monsieur, très digne et très affecté, qui laissait jaunir les feuilles depuis que sa femme était malade. Le lendemain de sa mort, il est sorti comme tous les matins, à la même heure que moi, on s’est salués et, au lieu de se rendre à l’hôpital Saint-Louis, il est allé se jeter dans la Seine. Les neuveux sont venus vider l’appartement ; ils en demandent trop cher et il est resté vide. C’est moi qui m’occupe des plantes. J’effleure les troncs, écarte doucement les feuilles pour dégager les nouvelles pousses, les promesses de fleurs. Mes orphelines, comme je les appelle, sont magnifiques depuis que je les arrose, que je leur parle et que je les caresse. Cette miniforêt tropicale sous les combles de la rue Mouffetard est sans doute ma seule victoire sur terre. Je n’ai rien crée, rien voulu : je me contente d’entretenir, d’accompagner, sans y être obligé, et c’est le rôle qui me convient le mieux. Les plantes ne m’appartiennent pas et c’est pourquoi je veille sur elles, et c’est pourquoi peut-être, aussi, elles survivent. Pour me faire plaisir, pour me remercier. Parce que je les aime sans raison, sans droit ni titre, sans rien attendre en retour. …/…(132-134) Le vrai drame, la vraie injustice, c’est de survivre tout seul quand on se sent inutile. Ou de mourir pour rien en croyant qu’on va sauer quelqu’un. …/…(150) -Elle a envoyé l’argent à ma fille,et une photocopie du chèque à mon juge de tutelle. Ca n’a servi à rien. Elle s’est dépouillée et ça n’a pas suffi. Le monde est vraiment laid, Charles. C’est pour ça que nous volons, tous, pour échapper… L’attraction terrestre, la vraie, qu’est-ce que c’est ? Le pognon. …/…(168)
Posted on: Sat, 19 Oct 2013 19:58:06 +0000

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