Discours de Sékou Touré Président du Conseil de - TopicsExpress



          

Discours de Sékou Touré Président du Conseil de Gouvernement Député-maire de Conakry Monsieur le Président du Gouvernement de la République Française, Dans la vie des Nations et des Peuples, il y a des instants qui semblent déterminer une part décisive de leur Destin ou qui, en tout cas, sinscrivent au registre de IHistoire en lettres capitales autour desquelles les legendes sédifient, marquant de manière particulière au graphique de la difficile évolution humaine, les points culminants, les sommets qui expriment autant de victoires de lHomme sur lui-même, autant de conquêtes de la Société sur le milieu naturel qui lentoure. Monsieur le Président, vous venez en Afrique précédé du double privilège dappartenir à une légende glorieuse qui magnifie la Victoire de la Liberté sur lasservissement et dêtre Ie premier Chef du Gouvernement de la République Française à fouler le sol de Guinée. Votre présence parmi nous symbolise non seulement la « Résistance » qui a vu le triomphe de la Raison sur la force, la Victoire du Bien sur le mal, mais elle représente aussi, et je puis même dire surtout, un nouveau stade, une autre période décisive, une nouvelle phase dévolution. Comment le peuple africain ne serait-il pas sensible à ces augures, lui qui vit quotidiennement dans lespoir de voir sa dignité reconnue, et renforce de plus en plus sa volonté détre égal aux meilleurs ? La valeur de ce peuple, Monsieur le Président, vous la connaissez sans doute mieux que nul autre, pour en avoir été juge et témoin aux heures les plus difficiles que la France ait jamais connues. Cette période exceptionnelle à lissue de laquelle la liberté devait resurgir avec un éclat nouveau, une force décuplée, est marquée par lhomme dAfrique dune manière toute particulière, puisquil a, au cours de la dernière guerre mondiale, rallié, sans justification apparente, la cause de la Liberté des peuples et de la Dignité Humaine. A travers les vicissitudes de lHistoire chaque peuple sachemine vers ses propres lumières, agit selon ses caractéristiques particulières et en fonction de ses principales aspirations sans quapparaissent nécessairement les mobiIes réels qui le font agir. Notre esprit, pourtant rompu à la logique implacable des moyens et des fins, ainsi quaux dures disciplines des réalités quotidiennes, est constamment attiré par les grandes nécessités de lElévation et de lEmancipation Humaines. Lépanouissement des valeurs de lAfrique est freiné, moins à cause de ceux qui les ont façonnées, quà cause des structures économiques et politiques héritées du réginne colonial en désequilibre avec ses aspirations davenir. Cest pourquoi nous voulons corriger, non par des réformes timides et partielles, mais fondamentalement, ces structures afin que le mouvement de nos sociétés suive la ligne ascendante dune constante évolution, dun perpétuel perfectionnement. Le Progrès est en effet une création continue, un développernent ininterrompu vers le Mieux, pour le Meilleur. Etape après étape, les sociétés et les peuples élargissent et consolident leur droit au bonheur, leurs titres de dignité, et développent leur contribution au Patrimoine économique et culturel du monde entier. LAfrique Noire nest pas différente en cela de toute autre société ou de tout autre peuple. Selon nos voies propres, nous entendons nous acheminer vers notre bonheur et cela avec dautant plus de volonté et de détermination que nous connaissons la longueur du chemin gue nous avons à parcourir. La Guinée nest pas seulement cette entité géographique que les hasards de lHistoire ont délimitée suivant les données de sa colonisation par la France, cest aussi une part vive de lAfrique, un morceau de ce continent qui palpite, sent, agit et pense à la mesure de son destin singulier. Mais aussi vaste que soit notre ère dinvestigation, aussi étendu que soit notre champ daction, cela est insuffisant en regard de nos propres exgences dévolution. Pour y répondre, nous devrons engager non seulement lensemble de nos potentialités propres, mais encore tout ce qui constitue les biens et les connaissances universels, lesquels chaque jour se développent et saccroissent de manière inappréciable. A travers le désordre moral dû au fait colonial et à travers les contradictions profondes qui divisent le monde, nous devons taire les pensées idéales afin de serrer au plus près les possibilités réelles, les moyens efficaces et imrnédiatement utilisables ; nous devons nous préoccuper des conditions exactes de nos populations afin de leur apporter les éléments dune indispensable évolution, sans laquelle le mieux-être quelles prétendent légitimement obtenir ne pourrait être créé. Si nous ne nous employions pas à cette tâche, nous naurions aucune raison de vouloir remplir les fonctions dont nous avons la charge, aucun droit à la confiance de nos populations. Cest parce que nous nous interdisons de confisquer à notre profit la souveraineté des populations guinéennes, que nous devons vous dire sans détour, Monsieur le Président du Conseil, les exigences de ces populations pour quavec elles, soient recherchées les voies les meilleures de leur Emancipation totale. Le privilège dun peuple pauvre est que le risque que courent ses entreprises est mince, et les dangers quil encourt sont moindres. Le pauvre ne peut prétendre quà senrichir et rien nest plus naturel que de vouloir effacer toutes les inégalités et toutes les injustices. Ce besoin dégalité et de justice nous le portons dautant plus profondément en nous, que nous avons été plus durement soumis à linjustice et à linégalité. Lanalyse logique et une connaissance de plus en plus grande de nos valeurs particulières, de nos moyens potentiels, de nos possibilités réelles nous laissent cependant exempts de tout complexe et de toute crainte : nous sommes uniquement préoccupés de notre avenir et soucieux du bonheur de notre peuple. Ce bonheur peut revêtir des aspects multiples et des caractéristiques diverses selon la nature de nos aspirations, de nos désirs, selon notre état propre ; il peut être aussi bien une chose unique quun faisceau de mille choses, toutes également indispensables à sa réalisaton. Nous avons, quant à nous, un premier et indispensable besoin, celui de notre Dignité. Or, il ny a pas de Dignité sans Liberté, car tout assujettissement, toute contrainte imposée et subie dégrade celui sur qui elle pèse, lui retire une part de sa qualité dHomme et en fait arbitrairement un être inférieur. Nous préférons la Pauvreté dans la Liberté la Richesse dans lesclavage. Ce qui est vrai pour lHomme lest autant pour les sociétés et les peuples. Cest ce souci de Dignité, cet impérieux besoin de Liberté qui devait susciter aux heures sombres de la France les actes les plus nobles, les sacrifices les plus grands et les plus beaux traits de courage. La Liberté, cest le privilège de tout homme, le droit naturel de toute société ou de tout peuple, la base sur laquelle les Etats Africains sassocieront à la République Francaise et à dautres Etats pour le développement de leurs valeurs et de leurs richesses communes. Monsieur le Président, ous me permettrez de rappeler un passage du discours que jai prononcé à loccasion de la visite récente dun Représentant du Gouvernement Français, M. Gérard Jaquet, ancien Ministre de la France dOutre-Mer. Notre option fondarnentale qui, à elle seule, conditionne les différents choix que nous allons effectuer, réside dans la décolonisation intégrale de lAfrique : ses hommes, son économie, son organisation administrative, et, en vue de bâtir une Communauté Franco-Africaine solide et dont la pérennité sera dautant plus garantie quelle naura plus dans son sein des phénomènes dinjustice, de discrimination ou toute cause de dépersonnalisation et dindignité. En effet, le monde évolue rapidement et les impératifs de la vie moderne posent avec brutalité le problème du choix entre la stagnation et le progrès, entre la division des peuples et leur union fraternelle, entre lesclavage et la liberté, enfin entre la guerre et la paix. Pour lAfrique Noire dinfluence française, ces problèmes doivent être abordés avant tout avec un esprit réaliste, compréhensif. Notre coeur, notre raison, en plus de nos intérêts les plus évidents, nous font choisir, sans hésitation, linterdépendance et la liberté dans cette union, plutôt que de nous définir sans la France et contre la France. Et cest en raison de cette orientation politique que nos exigences doivent être toutes connues pour que leur discussion soit facilitée au maximum. Daucuns en parlant des rapports franco-africains situent leur raisonnement dans le domaine économique et social exclusivement, et concluent fatalement, compte tenu du grand retard des pays sous-développés dAfrique, par lapologie de laction coloniale de la France. Ces hommes oublient quau-dessus de léconomique et du social il y a une valeur autrement plus importante, qui oriente et détermine le plus souvent laction des homrnes dAfrique ; cette valeur supérieure réside essentiellement dans la Conscience quapportent les hommes dAfrique à la lutte politique, tendant à sauvegarder leur Dignité et leur Originalité et libérer totalement leur Personnalité. Qui ne sait aujourdhui que les drames douloureux enregistrés dans lhistoire coloniale française en Indochine et en Afrique du Nord sont interprétés aussi différemment selon que lon donne la suprématie à léconomie, ou que le Droit à lindépendance, le respect de la Dignité des peuples sont considérés comme les bases les plus solides de toute association de peuples différents ! Aujourdhui, en raison de lévolution de la situation internationale et surtout du giganteque progrès du mouvement de décolonisation dans les pays dépendants, nous pouvons affirmer que la Force Militaire dirigée contre la Liberté dun pays ne peut plus garantir ni le prestige, ni les intérêts dune Métropole. Le rayonnement de la France, la garantie et le développement de ses intérêts en Afrique ne sauraient désormais résulter que de lassociation libre des pays dOutre-Mer. Laction économique et culturelle de la France demeure encore indispensable à lévolution harmonieuse et rapide des Territoires dOutre-Mer. Cest en fonction de ces leçons du passé et des impératifs de cette évolution nécessaire, de ce progès général irréversible déjà accompli, de la ferme Volonté des peuples dOutre-Mer à accéder à la totale Dignité Nationale excluant définitivement toutes les séquelles de lancien régime colonial, que nous ne cessons, dans le cadre dune Communauté Franco-Africaine égalitaire et juste, de proclamer la reconnaissance mutuelle et lexercice effectif du Droit à lindépendance des peuples dOutre-Mer. Certains attributs de Souveraineté qui seront exercés au niveau de cette Communauté devront se résumer en quatre domaines : • Défense • Relations diplomatiques • Monnaie • Enseignement supérieur Un pays qui exclut toute interdépendance dispose de quatre Pouvoirs essentiels: 1. La Défense 2. La Monnaie 3. Les Relations extérieures et la Diplomatie 4. La Justice et la Législation Nous acceptons volontairement certains abandons de Souveraineté au profit dun ensemble plus vaste parce que nous espérons que la confiance placée dans le Peuple Français et notre participation effective au double échelon législatif et exécutif de cet Ensemble sont autant de garantie et de sécurité pour nos intérêts moraux et matériels. Nous ne renonçons pas et ne renoncerons jamais à notre droit légitime et naturel à lindépendance car, à léchelon franco-africain nous entendons exercer souverainement ce droit. Nous ne confondons pas non plus la jouissance de ce droit à lindépendance avec la sécession davec la France, à laquelle nous entendons rester liés et collaborer à lépanouissement de nos richesses communes. Le projet de Constitution ne doit pas senfermer dans la logique du régime colonial qui a fait juridiquement de nous des citoyens français, et de nos Territoires, une partie intégrante de la République Française Une et Indivisible. Nous sommes Africains et nos Territoires ne sauraient être une partie de la France. Nous serons citoyens de nos Etats africains, membres de la Communauté Franco-Africaine. En effet, la République Française, dans lAssociation Franco-Africaine, sera un élément tout comme les Etats Africains seront également des éléments constitutifs de cette grande Communauté Multinationale composée dEtats Libres et Egaux. Dans cette Association avec la France, nous viendrons en peuples libres et fiers de leur Personnalité et de leur Originalité, en peuples conscients de leur apport au patrimoine commun, enfin en Peuples Souverains participant par conséquent à la discussion et à la détermination de tout ce qui, directement ou indirectement, doit conditionner leur existence. La qualité ou plutôt la nouvelle nature des rapports entre la France et ses anciennes colonies devra être déterminée sans paternalisme et sans duperie. En disant NON de manière catégorique à tout aménagement du régime coloniaI et à tout esprit paternaliste, nous entendons ainsi sauver dans le temps et dans lespace les engagements qui seront conclus par la nouvelle Communauté Franco-Africaine. En dehors de tout sentiment de révolte, nous sommes des participants résolus et conscients à une évolution politique en Afrique Noire, condition essentielle à la reconversion de tout lacquis colonial vers et pour les populations africaines. Le nom de notre Association nous importe peu, ce qui importe sera le contenu de notre Association, la somme des possibilités nouvelles dévolution quelle offrira aux Territoires Africains actuellement engagés dans le grand mouvement démancipation qui exige la disparition totale du phénomène colonial et létablissement dune ère de liberté vraie, dégalité et de fraternité agissante. Monsieur le Président, nous savons que vous vous êtes donné pour mission de sauver lUnité de la Nation Française. Cette noble ambition, leffort quelle suppose seront à la mesure de votre pouvoir si elle comprend et sait respecter également les points de sensibilisation de laction des peuples associés à la Nation Française. En effet, les Territoires actuels dAOF et dAEF ne doivent pas être des entités définitives. Limmense majorité des populations intéressées veut substituer aux actuelles entités AOF-Togo et AEF deux Etats puissants fraternellement unis à la France. Des considérations humaines et sociales autant quéconomiques et politiques plaident en faveur de la constitution de ces Etats qui seront dotés de Parlements et de Gouvernements démocratiques. Ces grandes perspectives qui vont pouvoir accélérer lhistoire de nos pays, en leur permettant de transcender les particularismes et les égoismes ou plutôt leurs contradictions internes, demeurent pour notre génération la voie la plus s&ucir;re, la plus directe qui aboutit à la Paix et au Bonheur. Ces mêmes perspectives, positives pour les Territoires dOutre-Mer et pour la Grandeur de la France dans le monde, exigeront de nous, Africains, Malgaches et Français, des efforts pIus grands, à la fois plus nobles et plus exaltants que ne laurait exigé la solution destructive dune séparation. Je rappelle souvent que la vie de lhomme va de zéro à cent alors que çelle de nos peuples est éternelle. Nous sommes quant à nous Africains de Guinée, sûrs que notre courage et notre loyauté, notre communion daction créatrice de biens, et notre amour de la Justice et du Progrès sauront conduire, à travers le temps, notre future Communauté avec toujours plus de Puissance, et dans la Prospérité et la Liberté. Pour résumer la position guinéenne vis-à-vis du projet de Constitution qui fera lobjet du Référendum du 28 septembre, nous affirmons quelle ne sera favorable quà condition que la Constitution proclame : 1. Le Droit à lindépendance et à légalité juridique des peuples associés, droit qui équivaut à la liberté pour ces peuples de se doter dinstitutions de leur choix et dexercer dans létendue de leurs Etats et au niveau de leur ensemble, leur pouvoir dautodétermination et dautogestion ; 2. Le Droit de divorce sans lequel le mariage franco-africain pourra être considéré, dans le temps comme une construction arbitraire imposée aux générations montantes ; 3. La Solidarité agissante des peuples et des Etats associés afin daccélérer et dharmoniser leur évolution. Dans lintérêt bien compris des peuples dOutre-Mer et de la France, nous osons penser, Monsieur le Président, que votre Gouvernement saura proposer au Référendum un projet de Constitution tenant compte, non pas des conceptions juridiques basées sur un régime impopulaire, mais seulement des exigences exprimées par des peuples mûrs, tous solidairement et fermement décidés de se construire un Destin de liberté, de Dignité et de Solidarité fraternelle pour la Communauté Multinationale que sera lAssociation de nos Etats, pour lUnité et lEmancipation de lAfrique: Vive la Guinée ! Vive la France ! quels est votre avis sur ce discourt ?
Posted on: Thu, 28 Nov 2013 03:49:44 +0000

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