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Dr LUC MARIUS IBRIGA « En démocratie, ce n’est pas la légalité qui crée la légitimité mais bien l’inverse » Publié le mercredi 24 juillet 2013 le pays Page visitée 225 fois Après l’interview que le professeur Luc Marius Ibriga nous avait accordée dans notre édition du 20 juin dernier, un lecteur a voulu en savoir davantage sur le fonctionnement de la démocratie burkinabè. A cet effet, il nous a envoyé une série de questions que nous avons fait parvenir au professeur qui a bien voulu nous répondre. En plus des réponses qu’il a apportées aux préoccupations de notre lecteur, nous saisissons l’occasion pour vous proposer in extinso l’interview que nous avez tant aimée et appréciée au-delà des frontières. Car, comme le disait quelqu’un, on ne se lasse pas de lire les belles œuvres et c’est pour cela que certains sont parvenus à faire de certains livres leur bréviaire. Bonne lecture à vous ! « Le Pays » Comment évaluez-vous aujourd’hui la démocratie burkinabè ? Luc Marius Ibriga : La démocratie burkinabè apparait de plus en plus comme une démocratie de façade, une démocratie fragile. Trois éléments permettent d’étayer cette affirmation : 1°)- il s’agit d’une démocratie surveillée, contrôlée, impulsée d’en haut d’autant plus que la « transition démocratique » au Burkina Faso a davantage été « un changement graduel au sein du régime plutôt qu’un changement graduel du régime », avec la mise en place « d’un système politique qui, tout en maintenant une apparence démocratique, permet de ne pas exposer le pouvoir au risque du pluralisme et de la libre compétition ». Née dans l’ambiguïté, la construction démocratique bégaye et piétine parce qu’elle souffre d’un manque de pratique institutionnelle, de la faiblesse du constitutionnalisme et de l’Etat de droit. Elle se limite à la dimension minimaliste, formelle de la « démocratie-procédure » sans atteindre la dimension maximaliste ou substantive de la « démocratie-culture ». Il s’agit d’une démocratie sans alternance. Or, c’est à l’aune de l’alternance que se mesure l’enracinement démocratique. Elle est aujourd’hui la caractéristique des démocraties qui fonctionnent. Elle est même devenue le critère d’un régime démocratique, ainsi que le notait l’ancien président français Valery Giscard d’Estaing cité par Quermonne : « Rien n’est plus simple que de savoir si un régime politique est démocratique ou non…. Il est inutile de se référer aux affirmations de ses dirigeants. Ce régime admet-il l’existence d’une opposition effective, disposant de la possibilité de devenir à son tour la majorité ? Il est réellement démocratique et populaire. Le refuse-t-il ? Dans ce cas, quelles que soient les justifications avancées, il n’est ni populaire, ni démocratique ». Sans alternance pacifique, aucun processus démocratique ne peut jurer de sa durabilité. Il s’agit d’une démocratie à basse intensité sociale et citoyenne. En effet, dans la construction démocratique au Burkina Faso, on semble avoir oublié que la démocratie ne s’épuise pas dans ses volets économiques (liberté des affaires) et politique (pluralisme politique) mais doit, pour être efficiente, embrasser le volet social à travers la démocratie sociale (répartition équitable de la richesse nationale). Ainsi que le relève fort pertinemment Achille Mbembé, « si l’avènement du multipartisme a permis, à peu près partout, l’éclosion de nouveaux espaces de liberté, il a rarement conduit à des transformations qualitatives et irréversibles tant du point de vue de la vie civique que du point de vue du bien-être matériel des populations ». Or, force est de constater la paupérisation croissante de la population burkinabè et concomitamment la polarisation de la richesse entre les mains d’une minorité. Comme le relevait le Collège de sages dans son rapport, le constat est celui de « l’absence de justice sociale se traduisant par l’inégalité dans la répartition des ressources nationales et des revenus en même temps qu’une concentration de plus en plus croissante des richesses entre les mains d’une minorité ». A l’analyse et au fil du temps, ce que nous appelons démocratie prend les allures de ce que le Pr Tshiyembe Mwayila appelle le despotisme légal. Selon lui, le fondement du despotisme légal est « la corruption et l’anéantissement de toute vertu civile et politique ». « Dans cette logique, l’enjeu du pouvoir n’est ni ce qu’il fait ni ce à quoi il sert. Bien au contraire, l’enjeu du pouvoir despotique est la durée de la mandature, sinon la présidence à vie ». « Sa mission est d’acheter les consciences afin d’endormir les intelligences et de disperser les dévouements, au profit des avantages matériels ou moraux. Les élites gouvernantes ou élites institutionnelles sont les maîtres d’œuvre de cette tragédie qui accélère chaque jour la cadence de l’appauvrissement du plus grand nombre ». Force est de dire, pour reprendre l’heureuse formule d’un grand esprit burkinabè, que le Burkina Faso est sur le chemin de la « démocrature ». Pour conjurer ce sort funeste, il nous faut nous atteler à la construction d’une démocratie républicaine. Dans cette optique, l’enracinement du constitutionnalisme et de l’Etat de droit sont les vecteurs essentiels pour construire une démocratie républicaine. Le constitutionnalisme instruit que l’on ne peut pas prendre des libertés avec la Constitution. Quant à l’Etat de droit, il implique que le droit enserre, encadre et saisisse toutes les relations sociales. Dans cette œuvre de construction, il s’agira d’assurer les trois niveaux de garantie que sont : la garantie normative par l’existence de textes consensuels ; la garantie juridictionnelle par le développement de la fiabilité et de l’impartialité de l’appareil judiciaire ; la garantie d’utilisation des droits par l’information et la formation. En somme, il s’agit de travailler à asseoir la construction démocratique sur un cadre normatif consensuel garanti par un juge impartial pouvant être actionné par des citoyens avertis. Au regard de l’état actuel des choses, qu’en est-il du contrôle de l’action gouvernementale par l’actuelle Assemblée nationale ? L’un des constats fait par le MAEP était que les rapports entre Parlement et Exécutif restent marqués par un profond déséquilibre. En outre, il est à souligner la faiblesse du contrôle parlementaire qui se limite pour l’essentiel au contrôle informatif à travers la pratique des questions écrites, orales ou d’actualité qui, à la vérité, ne permettent que d’obtenir des informations ponctuelles et généralement superficielles. Avec le parlementarisme rationalisé, le scrutin de liste avec monopole des partis politiques et la discipline de parti, la majorité parlementaire a tendance à oublier la fonction de contrôle de l’Assemblée pour ne voir que son rôle de soutien de l’action gouvernementale. Préoccupés par le souci de s’assurer une longévité à l’Assemblée, les députés de la majorité en viennent à devenir des députés godillots, prompts à aller au devant des désirs de l’Exécutif que d’en contrôler le bien-fondé et la pertinence. Mais le contrôle n’incombe pas à la seule majorité. Il appartient à l’opposition parlementaire d’être plus perspicace, de lever les bons lièvres et de proposer des alternatives aux choix du gouvernement. C’est d’ailleurs à elle d’être pugnace et de prendre à cœur cette prérogative constitutionnelle et la faire vivre. Au terme de la Constitution actuelle révisée en 2012, les conventions internationales priment sur le droit interne. Qu’en est-il des contradictions internes entre les conventions et autres accords internationaux signés et ratifiés par l’Assemblée nationale actuelle ? Je crois qu’il y a une confusion dans la question parce que l’Assemblée nationale (on devrait dire aujourd’hui le Parlement) ne ratifie pas des traités ou accords internationaux mais autorise la ratification conformément aux dispositions de l’article 149 de la Constitution. Ce ne sont d’ailleurs pas tous les traités et accords qui sont soumis à la procédure d’autorisation préalable par l’Assemblée nationale. L’article 149 limite l’application de cette procédure aux traités de paix, aux traités de commerce, aux traités qui engagent les finances de l’Etat, ceux qui modifient les dispositions de nature législative et ceux qui sont relatifs à l’Etat des personnes. Les autres types de traités peuvent être ratifiés sans l’autorisation du Parlement. Au plan international, l’incomplétude de notre parlement n’a pas d’effets vis-à-vis des autres sujets de droit international avec lesquels nous contractons. Ici, il est fait application de l’adage « nul ne peut se prévaloir de sa propre turpitude ». Il ne fait aucun doute que toutes les normes ayant au plus le rang de lois au sens formel ou organique du terme sont subordonnées aux règles internationales conventionnelles ou communautaires, comme les traités UEMOA et OHADA. Dans ce sens, l’article 151 de la Constitution dispose : « Les traités et accords, régulièrement ratifiés ou approuvés, ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois, sous réserve, pour chaque accord ou traité, de son application par l’autre partie ». C’est dire que la supériorité des traités classiques sur les lois est suspendue à la réalisation de trois conditions à savoir la satisfaction à la procédure de ratification ou d’approbation, de publication et le respect du principe de réciprocité. Le principe de réciprocité a pour conséquence que la supériorité des traités sur les lois n’est pas absolue mais relative et contingente. Au regard de l’importance que devrait revêtir le Conseil constitutionnel, pensez-vous que cette institution remplit ou joue pleinement, et en toute indépendance, son rôle dans le processus actuel ? « Les Constitutions sont faites pour être violées car elles ne crient pas », disait Victor Hugo. Ceci pour poser un vrai problème : celui de la protection de la Constitution, de la nécessité de mettre celle-ci à l’abri des manipulations et autres interprétations déviantes. En effet, on assiste souvent à un contournement des prescriptions constitutionnelles aboutissant à des révisions obliques ou occultes et la tentation est toujours grande pour les acteurs du jeu politique de prendre des libertés par rapport à la Constitution. Voilà pourquoi, dans la plupart des Constitutions, le pouvoir constituant originaire aménage des garde-fous d’ordre matériel ou procédural afin de se prémunir contre les tentations des majorités du moment de plier les institutions à leurs intérêts égoïstes. Voilà pourquoi la Constitution a besoin, pour tenir son rang, d’une sentinelle apte à conjurer les voies de fait et autres usurpations de titres. Le juge constitutionnel, le Conseil constitutionnel au Burkina Faso, est appelé à jouer ce rôle de gardien de la Constitution. La question fondamentale qui se pose ici est celle de savoir si le gardien du temple accomplit sa mission à la satisfaction de façon à assurer la suprématie de la Constitution. A ce titre, il ne fait aucun doute que la Justice constitutionnelle, en Afrique, souffre d’une « crise de confiance », décriée qu’elle l’est souvent par la société civile et les forces politiques d’opposition, parfois malmenée par les gouvernants du moment. Une crise qui n’épargne pas le juge constitutionnel burkinabè auquel est reprochée, à tort ou à raison, son inféodation politique. En effet, la Justice constitutionnelle burkinabè traîne de graves faiblesses qui hypothèquent son rôle de gardien de la Constitution et, par ricochet, affectent la suprématie de la Constitution. Le gardien du temple apparaît tour à tour : désarmé face aux atteintes insidieuses à la Constitution du fait de la faible institutionnalisation du pouvoir, conduisant à l’absence d’une véritable pratique institutionnelle se manifestant par le peu de considération faite aux textes ; instrumentalisé parce que trop dépendant du pouvoir politique et de par la non- objectivation de sa composition, vu que c’est discrétionnairement que les autorités politiques nomment les membres du Conseil constitutionnel. Le président du Faso nommant, à lui seul, jusqu’en juin 2012, sept des dix membres du Conseil constitutionnel dont son président qui n’avait pas de mandat ; méconnu et peu accessible du fait de l’option pour un système fermé de saisine uniquement réservé aux politiques et écartant les citoyens du prétoire du juge constitutionnel. Certes, la révision constitutionnelle de juin 2012 a introduit la question prioritaire de constitutionnalité (article 157 al.2) et l’auto-saisine (article 157 al.3). Mais les derniers évènements concernant le Sénat donnent déjà une indication de la passivité du Conseil constitutionnel face au non-respect de la Constitution. En effet, la loi constitutionnelle n’ayant pas prévu de dispositions transitoires, le Conseil constitutionnel aurait dû s’autosaisir pour indiquer l’impérieuse nécessité pour le fonctionnement des institutions. En outre, en l’absence de dispositions transitoires, il aurait dû déclarer la loi organique non conforme à la Constitution, puisque depuis la révision de juin 2012, toute loi doit être l’œuvre du Parlement c’est-à-dire de l’Assemblée nationale et du Sénat. Il ressort de ce qui précède que le Conseil constitutionnel, par son activité actuelle, ne se positionne pas comme la sentinelle à même de protéger la Constitution. Il devrait méditer la vérité selon laquelle « les Constitutions existent pour servir les intérêts à long terme des sociétés et non les objectifs à court terme des dirigeants ». Car, permettre que l’on rabaisse la Constitution par des manipulations partisanes, c’est faire le lit des pouvoirs de fait, c’est ouvrir la voie aux apprentis sorciers du messianisme putschiste car « nulle Constitution ne protège du coup d’Etat ». Le Sénat, dans sa mouture présente, est-il légal et légitime ? L’adoption de la loi constitutionnelle N°033-2012/AN du 11 juin 2012 a abouti à la modification du titre V de la Constitution et, par le truchement du nouvel article 78, au changement de la structure du pouvoir législatif qui, de monocaméral, devient bicaméral. Art. 78. [Loi N°033-2012/AN du 11 juin 2012 - Art. 1er. Le Parlement comprend deux chambres : l’Assemblée nationale et le Sénat. Partant de là, le Sénat, dans sa mouture actuelle, jouit de la légalité constitutionnelle, eu égard à la déclaration de conformité de la loi organique portant organisation et fonctionnement du Parlement à la Constitution, prononcée par le Conseil Constitutionnelle. La légalité est la “qualité de ce qui est légal ou l’ensemble des choses prescrites par la loi” qui est elle-même un « acte de l’autorité souveraine, qui règle, ordonne, permet, défend ». Par contre, la légitimité est la « qualité de ce qui est légitime », c’est-à-dire “juste et équitable”. Elle repose plus sur la conviction intime de la justice naturelle que sur la lettre de la loi. Dans les sociétés démocratiques, la légalité coïncide souvent mais pas toujours avec la légitimité. En effet, quand le légal résulte d’un compromis entre des options différentes, retrace des valeurs partagées et est issu d’autorités relativement bien reconnues, il a tendance à se confondre avec le légitime. Mais il peut arriver qu’une distanciation s’instaure entre ce qui est légal et ce qui est légitime. C’est pour cela qu’en démocratie, le pouvoir légal doit régulièrement ressourcer sa légitimité à travers des élections libres, transparentes et crédibles. Cependant, quand la légalité vise à protéger les intérêts de la “coalition” au pouvoir et non le bien commun, il perd de sa légitimité et devient source de contestations. En démocratie, ce n’est pas la légalité qui crée la légitimité, mais bien l’inverse. Dans l’Etat qu’organise le régime démocratique, l’idée selon laquelle « certains sont faits pour commander et d’autres pour obéir » n’a pas droit de cité. La lecture complète de la Constitution n’offre-t-elle pas une opportunité réelle, garantissant une paix sociale et une transition sécurisée pour notre pays et surtout une crédibilité pour tous les acteurs ? Procéder à la lecture complète de la Constitution ne relève pas de la révision constitutionnelle mais de l’élaboration d’une nouvelle constitution. Cela peut constituer un moyen d’asseoir la paix sociale si l’ensemble des acteurs du corps social sont conscients que la Constitution, norme suprême de régulation de la vie étatique, s’assimile à un « traité d’armistice » parce qu’elle soustrait à la lutte partisane les principes fondamentaux considérés comme essentiels à l’organisation et à l’action des pouvoirs publics. Ce faisant, sa modification, encore plus le changement de Constitution, doivent obtenir la plus large adhésion et reposer sur un consensus. Cela doit être le fruit d’une démarche mûrement réfléchie et véritablement participative. Il faut éviter les révisions intempestives, passionnelles et les changements intéressés. Cela doit se faire sans précipitation et de manière inclusive avec comme principe cardinal le respect de la parole donnée. Cependant, une telle démarche, dans le contexte actuel, comporte un risque d’ouvrir la porte au continuisme. En effet, si nous élaborons une nouvelle Constitution, cela voudrait dire que nous passons à la Ve République. Ce faisant, les pendules seront remises à zéro et on ne tiendra pas compte des mandats déjà effectués. Cela voudrait dire que le président du Faso en exercice pourra, de nouveau, se présenter à l’élection présidentielle, quel que soit le nombre de mandats effectué. Il y a donc des préalables à poser avant de se lancer dans l’élaboration d’une nouvelle Constitution, sinon on risque d’ouvrir la boîte de Pandore. J’évoque avec plaisir le président Obama qui, dans son discours d’investiture de son premier mandat, n’avait pas manqué d’égratigner les adeptes de la présidence à vie en ces termes : « A ceux qui s’accrochent au pouvoir par la corruption, la tromperie et en réduisant la contestation au silence, sachez que vous êtes du mauvais côté de l’histoire. » Propos recueillis par La Rédaction Répondre à cet article
Posted on: Wed, 24 Jul 2013 10:48:44 +0000

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