Eric Molodtzoff est fils de sidérurgiste. De Longwy à Gandrange - TopicsExpress



          

Eric Molodtzoff est fils de sidérurgiste. De Longwy à Gandrange en passant par Florange, il est également celui qui couvre les conflits liés à l’acier lorrain depuis une trentaine d’année pour la télévision régionale. Il nous livre ici la suite de son retour à Florange. Une vision complexe et désenchantée du traitement médiatique et politique infligé aux sidérurgistes lorrains. En janvier 2006, Arcelor N°1 mondial de l’acier sûr de sa suprématie ( « la noix est trop dure pour être croquée » dixit Guy Dollé son PDG ) gare sa formule1 en double file en laissant le moteur tourner pour acheter des cigarettes. Un certain Mr Mittal voyant l’aubaine prend place au volant et part avec le bel engin. Stupéfaction. L’Europe découvre que son champion -Arcelor- est une société ouverte à tous les vents de la bourse ! Aucun mécanisme de protection type « noyau dur » n’est prévu pour décourager les appétits d’éventuels prédateurs. Seuls les Etats Luxembourgeois et belges ont encore des parts. L’Etat français s’est débarrassé des siennes depuis longtemps. Les dernières participations ont été vendues par DSK sous Lionel Jospin. Pour avoir rencontré les dirigeants de l’époque, je peux témoigner que ces derniers se voyaient au sommet de la chaîne alimentaire plutôt qu’au niveau des inoffensifs herbivores ou du fragile plancton. Il faudra qu’on explique à ceux comme moi qui « n’ont pas faits les grandes écoles » comme disait mon défunt ajusteur de père comment est possible une telle étourderie ( j’ai bien pensé à un autre mot mais il faut rester correct ) Revenons à nos sidérurgistes de la vallée de la Fensch avec leur haut-fourneau dans la tête. Ils assistent impuissants au démantèlement de leur filière liquide. La CGT agite le chiffon rouge, la CFDT multiplie les actions médiatiques. La presse accourt de tous les points de l’ hexagone pour voir les sidérurgistes casqués en colère. Réminiscences sans doute des grandes luttes des années 80 où les gardes mobiles surnommés « les majorettes » avaient peur de ces gars butés qui trouvaient encore la force de faire du foot et du rugby après 8 heures d’un boulot harassant et dangereux. Ca fait des belles images. Et comme un malheur n’arrive jamais seul: La campagne présidentielle s’empare du sujet : Raz de marée journalistique. On en comptera jusqu’à 200 lors de la visite du candidat Hollande puis du ministre Montebourg plus tard à Florange. Les Florangeois voient le dossier industriel s’effacer pour devenir un problème politique ! Partout la même histoire tourne en boucle : Les gentils ouvriers, le méchant Mittal. Le carré sémiotique de Greimas est en place pour raconter la fable de la vallée de la Fensch. Le cliché, principal ennemi du journaliste ( c’est ce que l’on enseigne dans les écoles où je n’ai jamais mis les pieds ) tourne à plein régime. Il renvoie à une imagerie qui fait consensus : le patron prédateur dégénéré animé des plus noirs desseins et l’ouvrier, être pur, pétri de courage et d’innocence, maltraité et atteint jusqu’au tréfonds de son âme à savoir : le Haut-fourneau. Fusion et confusion ! La fable balayée, il reste les questions : Qui parmi les journalistes est entré dans l’usine pour voir l’état des installations, et capable d’en juger ? Qui a expliqué ce que ces gens fabriquent ? Qui a parlé des centres de recherche ? Pépites qui intéressaient Mittal au premier chef ? Qui s’est intéressé à la décision de faire venir les brames de Dunkerque pour les laminer plutôt que de les produire sur place ? Pourquoi les syndicats se sont-ils battus pour empêcher la construction d’une 2ème voie ferrée pour alimenter l’ usine ? Qui s’est interrogé sur les investissements massifs faits dans les mines de fer et de charbon et l’extinction lente des installations sidérurgiques en Europe ? Qui sait que même si Mittal acceptait de redémarrer ses HF il ne pourrait plus le faire faute de chef-fondeurs et haut-fournistes expérimentés ? Qui a expliqué que ULCOS ce fameux programme de captation du CO2 qui doit équiper le P6 de Florange est de la poudre aux yeux et n’intéresse en rien Mr Mittal ? Qui est allé voir les sarrois de Sarresthal et les autrichiens de Voestalpine qui recrutent, investissent en pleine crise et sont rentables sur les mêmes créneaux que Florange ? Pourquoi une si faible mobilisation des sidérurgistes ? La CFDT par l’intermédiaire de son charismatique leader Edouard Martin a bien vu le problème. Le combat s’est déporté sur le terrain de la communication avec les opérations coups de poings jusqu’à épuisement…Les journalistes n’ont dans leur grande majorité saisi que cette écume. L’absence de mobilisation des ouvriers et surtout de la population a des raisons historiques et économiques précises : Des décennies de contrôle social de l’ensemble de la vallée par la famille Wendel ( voir la répression des prêtres-ouvriers dans les années 50, la police privée autorisée à entrer jour et nuit dans les logements d’usine ), la présence massive des sous-traitants peu attachés à l’usine, la proximité du Luxembourg pour retrouver du boulot. Enfin, 40 ans de destruction industrielle ont laissé des traces douloureuses dans la tête des lorrains. Autre cliché : L’attachement du sidérurgiste à son Haut-fourneau. Pour évoquer un souvenir personnel : mon père Haut-fourniste à Longwy a tout fait pour que mon frère et moi n’allions pas à l’usine. Un haut-fourneau c’est dangereux. Vivre à proximité réduit considérablement l’espérance de vie. A Longwy, la principale occasion de sortie des retraités est l’enterrement des copains. L’amiante utilisée massivement et sans protection pendant les 30 glorieuses continue à faire son sale boulot. Ils faut les écouter parler les anciens. Le vocabulaire des hauts-fournistes ressemble à celui de la guerre : Les gaz, les explosions, les « balles » lorsque des gouttes de fonte entrent en contact avec de l’eau et fusent, brûlures et amputations.Mon père n’était pas une exception. Ils étaient nombreux ceux qui voulaient que leurs enfants fassent autre chose. Marcel Donati lamineur et militant CGT à Rehon devenu poète et acteur sur le tard avait résumé cette relation ambigüe entre le sidérurgiste et son outil de travail. C’était dans l’ émission « la marche du siècle » animée par Jean-Marie Cavada : « Comment peut-on être aussi attaché viscéralement à un outil qui nous tue à petits feux tous les jours ? » Il disait aussi en direction de son syndicat qu’il appelait « ma grande CGT » : On a trop fait rêver l’ouvrier à travers les chaînes de son boulot » Le PS qui a répété sans vergogne à Florange le scénario des promesses non tenus à Longwy en 79 ferait bien de méditer cette phrase lourde de colère rentrée. Mr Mittal n’a fait que continuer ce qu’Arcelor en 2003 avait programmé : le plan dit « Appolo chaud » qui condamnait à la fermeture définitive les hauts fourneaux mosellans à l’horizon 2010. Il met le point final à la longue histoire du fer en Lorraine. Cette Histoire est émaillée de choix industriels aberrants et de décisions politiques surréalistes. De ce naufrage programmé, ne surnage que le dernier carré des militants syndicaux regroupés autour de figures surexposées de l’imprécateur CFDT infatigable Edouard Martin ou le sensible et réfléchi cégétiste Lionel Burriello. Tous deux sont les deux faces d’un même visage : Celui écoeuré de l’Homme du fer si peu respecté dans son histoire et ses qualités. Et toujours ce haut-fourneau dans la tête… Depuis décembre 2012 il n’y a quasiment plus de journalistes à Florange. La marée s’est retirée laissant visible depuis l’autoroute les carcasses froides des P3 et P6. Si on part du principe qu’un bout de bois flotté en dit aussi long sur l’océan qu’une visite dans un musée océanographique alors il suffit de grimper sur la colline de la Vierge et d’observer la peau rouillée des Haut-fourneaux. Il suffit de tendre l’oreille et d’écouter la rumeur de la vallée pour comprendre que le vrai travail journalistique commence maintenant.
Posted on: Wed, 17 Jul 2013 12:08:15 +0000

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