Et Dieu créa Nizar Qabbani: Mon fils pose devant moi sa palette - TopicsExpress



          

Et Dieu créa Nizar Qabbani: Mon fils pose devant moi sa palette de couleurs Et me demande de lui dessiner un oiseau. Je plonge le pinceau dans la couleur grise Et lui dessine un carré Avec des barreaux et un cadenas. Mon fils me dit, tout surpris : Mais c’est une prison, père, Ne sais-tu donc pas dessiner un oiseau ? Je lui dis : mon fil, excuse-moi, Je ne sais plus comment sont faits les oiseaux. Mon fils pose devant moi ses crayons de couleurs Et me demande de lui dessiner la mer. Je prends un crayon mine Et lui dessine un cercle noir. Mon fils me dit : Mais c’est un cercle noir, père, Ne sais-tu donc pas que la mer est bleue ? Je lui dis : écoute, mon fils, Jadis, je savais très bien dessiner les mers, Mais on m’a confisqué ma canne à pêche, On m’a pris mon bateau, On m’a interdit toute relation avec la couleur bleue, Et avec le poisson de la liberté. Mon fils pose devant moi son cahier de dessin Et me demande de lui dessiner un épi de blé. Je prends un crayon Et lui dessine un revolver. Mon fils se moque de mon ignorance Et me dit, tout étonné : Ne fais-tu donc pas la différence Entre un épi de blé et un revolver ? Je lui réponds : écoute, mon fils, Je savais jadis comment était fait l’épi de blé, Comment était la galette de pain, Comment était la rose, Mais en ce temps métallique, Où les arbres de la forêt Se sont enrôlés dans la milice, Où la rose est en tenue léopard, En ce temps d’épis armés, D’oiseaux armés, De culture armée, Je n’achète pas une galette de pain Sans y trouver un revolver, Je ne cueille pas une rose dans un bosquet Sans qu’elle me menace de son arme, Je ne feuillette pas un livre dans une librairie Sans qu’il explose entre mes mains. Mon fils s’assoit sur le bord de mon lit Et me demande de lui réciter un poème. Je verse une larme sur l’oreiller. Il la ramasse et me dit : Mais c’est une larme, père, et non un poème. Je lui dis : Quand tu seras grand Et que tu liras la somme de la poésie arabe, Tu sauras que le mot et la larme sont frère et sœur Et que le poème arabe N’est qu’une larme qui coule entre les doigts. Mon fils pose devant moi sa boîte de couleurs Et me demande de lui dessiner une patrie. Le pinceau tremble dans ma main Et je fonds en larmes…
Posted on: Thu, 27 Jun 2013 16:01:00 +0000

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