FONTAINE… L’humilité s’apprend - TopicsExpress



          

FONTAINE… L’humilité s’apprend parfois de biens curieuses manières, surtout dans un pays étranger... Étudiant en droit de 20 ans à luniversité de Caen, je passe un jour à la caisse d’un supermarché du centre ville, en charge d’acheter les boissons pour une soirée bien arrosée. Devant moi, la file bloque. Un vieillard ou tout comme - il a bien cinquante ans - a des problèmes au moment de payer. Hésitant, embarrassé, il tient d’une main un chéquier et de l’autre un stylo sans pouvoir se décider. La caissière sourit, gênée. Je m’avance. — Je peux vous aider ? Le vieux me regarde avec cet air de chien battu que la vie à vaincu. Il hésite une seconde puis, sans un mot, me tend son chéquier. Au vue de la note, je remplis le formulaire que le pauvre bougre n’a plus qu’à signer. Ce qu’il s’empresse de faire sans me regarder. Une fois ses achats sous le bras, il disparaît parmi les passants qui encombrent la chaussée. A mon tour je passe à la caisse, la conscience claire de celui qui vient de faire une bonne action. Un peu plus tard sur le trottoir, un pack de bière sous chaque bras, je ne peux mempêcher davoir cette triste pensée. « Quelle plaie, l’analphabétisme ! Tous ces mondes que ces pauvres bougres ne connaîtront jamais au coin dune cheminée... » Puis j’oublie, obnubilé par la soirée et la petite Marie avec qui jai quelques projets. * Trente ans plus tard, une autre vie, un autre continent. J’attends de nouveau à la caisse d’un supermarché. J’avance. Pour commémorer mes cinquante ans, Annie a décidé de faire une fête et je fais les derniers achats. Pour l’occasion, j’ai invité quelques compatriotes qui habitent comme moi Belém. De son côté, Annie a appelé quelques camarades d’université. Nouveauté, ma permanence, seul document encore manquant pour pouvoir vivre définitivement au Brésil a enfin été acceptée. En prime, aujourd’hui, je viens de récupérer mon tout premier chéquier. La file avance. C’est mon tour. La caissière, jeune et jolie, passe un à un les articles devant l’œil électronique de la caisse. Et quand elle me tend la note, une fois le tout enregistré, je sors mon chéquier. Et tout à coup, panique. Si j’arrive plus ou moins à mexprimer en portugais, je suis encore incapable d’écrire le montant inscrit sur la note. Ma connaissance de la langue portugaise est encore trop sommaire. Paralysé, je bloque la file. La caissière ricane, gênée. Figé, cest à peine si je sens une main sur mon épaule. Derrière moi, un jeune homme, lunettes rondes et cheveux aux épaules, me regarde avec sympathie. — Posso ajudar ?[1] Sans un mot, interdit, je lui tends un chèque quil remplit aussitôt. Dès quil me le rend, je le signe et file sans demander mon reste avec mes achats. Alors que jattends un taxi sur le bord du trottoir, le jeune homme complaisant passe à côté de moi sans me voir. Sans se douter que je peux lentendre, il dit à la jolie métisse pendue à son bras. — Que pena essa velhinho que não sabe escrever.”[2] Rougissant, je me retiens pour ne pas lui rentrer dedans. « Pauvre imbécile ! Je t’en remontrerais tous les jours sur l’écriture…du moment que c’est en français » ne peut sempêcher de penser le pauvre analphabète que cet abruti a si gentiment aidé. Et pourquoi ne lui ai-je pas parlé aussi, simplement pour le remercier... Mon accent épouvantable maurait aussitôt dédouané dune étiquette non méritée... Dans un flash, je repense alors à cet épisode de ma vie passée, à ce petit vieux à la caisse de ce supermarché, il y a maintenant déjà tant d’années. Mais au fait, pourquoi avais-je absolument voulu que ce type soit analphabète ? Avec mes certitudes d’étudiant bien nourri, tout fier dun savoir nouvellement acquis, pourquoi nai-je pas imaginé une seule seconde quil put être un étranger, un brésilien, par exemple, nouvellement arrivé sur le territoire français, en train détrenner comme moi aujourd’hui, son nouveau chéquier...
Posted on: Thu, 21 Nov 2013 23:04:32 +0000

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