Fan Gang : « La Chine a encore le profil d’un pays en - TopicsExpress



          

Fan Gang : « La Chine a encore le profil d’un pays en émergence.» La croissance stabilisée, la nouvelle équipe au pouvoir à Pékin va se consacrer à la lutte contre les inégalités, déclare cet économiste réformiste, à la veille du XVIIIe congrès du PC chinois. Fan Gang, ancien membre du Conseil de politique monétaire de la Banque centrale de Chine, est professeur à la Business School de l’université de Pékin et directeur de l’Institut national de recherche économique (NERI). Enjeux Les Echos l’a interviewé aux Rencontres économiques d’Aix 2013. Le ralentissement de la croissance des pays émergents inquiète leurs partenaires occidentaux. En Chine, c’est le gouvernement qui l’a décidé… Pourquoi? Dans un certain sens, oui, le gou­ver­nement chinois a décidé de ralentir la croissance du pays. En fait, la décision a été prise… en 2010. De 2004 à 2007, l’économie était en surchauffe sur fond d’emballement financier mondial. Le gouvernement a appuyé sur le frein dès le début de 2008. Mais en septembre, la crise provoquée par la chute de Lehman l’a poussé à un vaste plan de relance. Les collectivités locales ont été encouragées à emprunter pour investir, ce qui a remis l’économie en surchauffe jusqu’au début de 2010. A partir d’avril, les autorités se sont donc attachées à dégonfler la bulle immobilière et à mettre le holà aux dépenses des villes et des régions. Depuis, il n’y a plus de lancement de nouveaux projets. Ces changements ont entraîné un ralentissement général de la croissance que la nouvelle équipe au pouvoir n’a pas l’intention de stimuler davantage: 7 à 8% par an, c’est raisonnable et suffisant. Voir l’intervention vidéo de Fan Gang (chapitre 8) aux Rencontres d’Aix, 2013 Quelles sont les principales priorités de la nouvelle équipe au pouvoir? L’équipe précédente arrivée en 2003 a eu fort à faire pour stabiliser l’économie et lisser les à-coups. La nouvelle équipe va pouvoir davantage se consacrer aux sujets de long terme et aux réformes de fond. Elle a déjà annoncé des premières mesures comme l’allégement des procédures de contrôle dans la vie des affaires et des modifications du régime de fixation des taux d’intérêt. D’autres réformes plus structurelles du système financier sont à venir. Qu’en est-il des craintes que soulève la santé du système financier chinois, dont la partie «privée» croît dangereusement hors de tout contrôle? J’ai une opinion très différente sur le sujet. Que fait en réalité cette finance chinoise de l’ombre? Elle aiguille des dépôts bancaires vers des projets d’investissement à risque élevé. Si le projet n’offre pas le rendement attendu, l’épargnant-investisseur perd sa mise. C’est plus sain que le crédit apporté par les banques publiques. On peut le croire plus transparent, mais les banques chinoises se retrouvent souvent dans des schémas à la Ponzi: lorsque la rentabilité financière de tel ou tel projet s’avère insuffisante, elles prêtent davantage pour payer les investisseurs. De plus, ce secteur bancaire officiel est trop concentré et monométier. Les problèmes de liquidité de l’été dernier n’ont pas été causés par les acteurs financiers privés, mais par des banques traditionnelles de crédit dont la Banque centrale a voulu ralentir la progression des encours. Cela fait longtemps que la Chine souhaite avoir un système financier plus diversifié. C’est ce qu’apporte le soi-disant shadow banking (gestion de fortune, fonds d’investissement, trusts…), par ailleurs en cours de régulation. L’été dernier, la France a reçu en grande pompe une délégation d’entrepreneurs chinois privés. La Chine étatiste, c’est fini? Votre étonnement révèle une perception encore largement répandue, mais fausse, d’une économie chinoise «tenue» par des entreprises publiques. En fait, l’économie chinoise est largement privée. Les sociétés publiques ne contribuent qu’à 20% du PIB et à 10% des exportations. Elles opèrent surtout dans des activités monopolistiques telles que l’eau, l’électricité, les télécoms, les matières premières et la finance. Certes, elles contrôlent l’essentiel des ressources, elles sont trop grosses et leur situation de monopole leur assure des rentes qui leur permettent d’investir énormément. Mais le secteur privé gagne aussi beaucoup d’argent. Ses profits expliquent d’ailleurs l’essentiel du niveau élevé du taux d’épargne en Chine. C’est pourquoi les investisseurs privés cherchent désormais des opportunités à l’extérieur. Jusqu’ici, la circulation des capitaux était contrôlée et les entrepreneurs ne pouvaient pas librement investir à l’étranger. C’est en train de changer. En janvier, le renminbi sera convertible à Shanghai. C’est une première. A quand le statut de devise internationale? On en est encore au tout début et la route sera longue. Le renminbi est de plus en plus utilisé comme devise de transaction avec la Chine, mais pas vraiment comme devise tierce, à l’instar de l’euro et du dollar. Il y a des accords officiels d’échanges de devises (swap) entre banques centrales, comme avec la BCE récemment. Mais la détention de renminbi dans les réserves est rare et très limitée. La devise chinoise deviendra une monnaie internationale à part entière lorsqu’elle sera totalement convertible et que le pays sera entré dans un régime de change flexible. Il n’y a pas de calendrier. Ce doit être un processus évolutif lent et mûri, sans précipitation. La Chine a soutenu l’euro durant les phases aiguës de la crise ces deux dernières années… Etes-vous rassuré maintenant? Elle en a même souffert… Personne n’avait anticipé que cette crise durerait aussi longtemps. Depuis, la confiance dans la monnaie unique s’est raffermie, même si des pays ont encore des problèmes. Qu’un petit Etat comme Chypre puisse causer tant de turbulences est une source de déception. Nos exportations vers l’Europe sont en baisse cette année et cela a contribué au ralentissement de notre économie. La Chine souhaite donc vivement que la zone euro se stabilise, renoue avec la croissance et que les différends commerciaux s’aplanissent. La Chine et l’Allemagne vivent une véritable lune de miel. Où en est la grande amitié franco-chinoise? Je ne suis pas expert en géopolitique, mais je peux confirmer que les Chinois ont une vive admiration pour l’industrie et la technologie allemandes… Qualité industrielle, stabilité politique, flexibilité du marché du travail, tout cela donne du poids à l’Allemagne, sans oublier le rôle qu’elle a joué pour stabiliser la zone euro durant la crise. Pour beaucoup de Chinois, c’est donc l’Allemagne qui détient le vrai pouvoir financier et industriel. Deuxième économie du monde, la Chine va-t-elle assumer les responsabilités qui découlent de son rang? La réponse tient en quelques chiffres: le PIB par tête est de 6000dollars. C’est 25% de plus qu’il y a dix ans. Mais un tiers de la population active est encore employé dans l’agriculture, contre à peine 2 ou 3% en Europe; 52% seulement de la population vit en ville et 70% des Chinois ont de faibles revenus. Sur ces 70%, la moitié sont des migrants intérieurs qui gagnent aux alentours de 3000dollars, l’autre moitié vit de l’agriculture et gagne environ 1000 à 1500dollars. C’est très peu. Ces très grandes inégalités de revenus, et la corruption qui en découle, font de la Chine un pays typiquement en développement avec son cortège de problèmes propres à cette phase – sécurité alimentaire, pollution, exigences nouvelles de la population. Sa croissance lui cause aussi des soucis de voisinage. La vérité est que ses gouvernants sont concentrés sur les problèmes intérieurs et n’ont pas forcément le temps pour se pencher sur les grands problèmes mondiaux, ni les compétences. Il faudra encore des années avant, qu’à l’échelle d’une génération, un assez grand nombre de personnels politiques et administratifs aient acquis une connaissance et une compréhension du monde suffisante pour que le pays s’investisse davantage dans les affaires internationales. On parle beaucoup du rattrapage des salaires et d’une éventuelle perte de compétitivité des entreprises. Qu’en est-il réellement ? Quelques entreprises chinoises quittent les côtes pour l’étranger, mais c’est essentiellement à cause du surcoût des nouvelles normes environnementales plus strictes. La plupart partent pour le centre du pays, où les salaires sont plus bas et dont l’amélioration des infrastructures de transport diminue les coûts d’acheminement. Le fait que les migrants doivent repartir après quelques années, faute d’avoir le droit de rester en ville, provoque aussi des tensions sur le marché du travail. Certes, de nouveaux pays sont en phase d’émergence, les prix de l’énergie diminuent aux Etats-Unis et certaines entreprises s’y relocalisent, des activités polluantes s’en vont. Mais ces évolutions ne remettent pas sérieusement en cause la compétitivité du secteur manufacturier chinois. A l’avenir, tout dépendra de sa capacité à améliorer sa productivité.
Posted on: Wed, 30 Oct 2013 10:03:01 +0000

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