Finette Cendron Mme dAulnoy Il était une fois un roi et une - TopicsExpress



          

Finette Cendron Mme dAulnoy Il était une fois un roi et une reine qui avaient mal fait leurs affaires. On les chassa de leur royaume. Ils vendirent leurs couronnes pour vivre, puis leurs habits, leurs linges, leurs dentelles et tous leurs meubles, pièce à pièce. Les fripiers étaient las dacheter, car tous les jours ils vendaient chose nouvelle. Quand le roi et la reine furent bien pauvres, le roi dit à sa femme : Nous voilà hors de notre royaume, nous navons plus rien, il faut gagner notre vie et celle de nos pauvres enfants ; avisez un peu ce que nous avons à faire, car jusquà présent je nai su que le métier de roi, qui est fort doux. La reine avait beaucoup desprit ; elle lui demanda huit jours pour y rêver. Au bout de ce temps, elle lui dit : Sire, il ne faut point nous affliger ; vous navez quà faire des filets dont vous prendrez des oiseaux à la chasse et des poissons à la pêche. Pendant que les cordelettes suseront, je filerai pour en faire dautres. A légard de nos trois filles, ce sont de franches paresseuses, qui croient être de grandes dames ; elles veulent faire les demoiselles. Il faut les mener si loin, si loin, quelles ne reviennent jamais ; car il serait impossible que nous puissions leur fournir assez dhabits à leur gré. Le roi commença de pleurer, quand il vit quil fallait se séparer de ses enfants. Il était bon père mais la reine était la maîtresse. Il demeura donc daccord de tout ce quelle voulait ; il lui dit : Levez-vous demain de bon matin, et prenez vos trois filles, pour les mener où vous jugerez à propos. Pendant quils complotaient cette affaire, la princesse Finette qui était la plus petite des filles, écoutait par le trou de la serrure ; et quand elle eut découvert le dessein de son papa et de sa maman, elle sen alla tant vite quelle put à une grande grotte fort éloignée de chez eux, où demeurait la fée Merluche, qui était sa marraine. Finette avait pris deux livres de beurre frais, des œufs, du lait et de la farine pour faire un excellent gâteau à sa marraine, afin den être bien reçue. Elle commença gaîment son voyage ; mais plus elle allait, plus elle se lassait. Ses souliers susèrent jusquà la dernière semelle ; et ses petits pieds mignons sécorchèrent si fort que cétait grande pitié ; elle nen pouvait plus. Elle sassit sur lherbe, pleurant. Par là passa un beau cheval dEspagne, tout sellé, tout bridé ; il y avait plus de diamants à sa housse, quil nen faudrait pour acheter trois villes ; et quand il vit la princesse, il se mit à paître doucement auprès delle ; ployant le jarret, il semblait lui faire la révérence ; aussitôt elle le prit par la bride : Gentil dada, dit-elle, voudrais-tu bien me porter chez ma marraine la fée ? Tu me feras un grand plaisir, car je suis si lasse que je vais mourir ; mais si tu me sers dans cette occasion, je te donnerai de bonne avoine et de bon foin ; tu auras de la paille fraîche pour te coucher. Le cheval se baissa presque à terre devant elle, et la jeune Finette sauta dessus ; il se mit à courir si légèrement, quil semblait que ce fût un oiseau. Il sarrêta à lentrée de la grotte, comme sil en avait su le chemin ; et il le savait bien aussi, car cétait Merluche qui, ayant deviné que sa filleule la voulait venir voir, lui avait envoyé ce beau cheval. Quand elle fut entrée, elle fit trois grandes révérences à sa marraine, et prit le bas de sa robe quelle baisa ; et puis elle lui dit : Bonjour, ma marraine ; comment vous portez-vous ? voilà du beurre, du lait, de la farine et des œufs que je vous apporte pour vous faire un bon gâteau à la mode de notre pays. - Soyez la bien venue, Finette, dit la fée ; venez que je vous embrasse. Elle lembrassa deux fois, dont Finette resta très joyeuse, car madame Merluche nétait pas une fée à la douzaine. Elle dit : Ça, ma filleule, je veux que vous soyez ma petite femme de chambre ; décoiffez-moi et me peignez. La princesse la décoiffa et la peigna le plus adroitement du monde. Je sais bien, dit Merluche, pourquoi vous venez ici ; vous avez écouté le roi et la reine qui veulent vous mener perdre, et vous voulez éviter ce malheur. Tenez, vous navez quà prendre ce peloton, le fil nen rompra jamais ; vous attacherez le bout à la porte de votre maison, et vous le tiendrez à votre main. Quand la reine vous aura laissée, il vous sera aisé de revenir en suivant le fil. La princesse remercia sa marraine, qui lui remplit un sac de beaux habits, tous dor et dargent. Elle lembrassa ; elle la fit remonter sur le joli cheval, et en deux ou trois moments, il la rendit à la porte de la maisonnette de leurs majestés. Finette dit au cheval : Mon petit ami, vous êtes beau et très sage ; vous allez plus vite que le soleil ; je vous remercie de votre peine ; retournez doù vous venez. Elle entra tout doucement dans la maison, cachant son sac sous son chevet ; elle se coucha sans faire semblant de rien. Dès que le jour parut, le roi réveilla sa femme : Allons, allons, madame, lui dit-il, apprêtez-vous pour le voyage. Aussitôt elle se leva, prit ses gros souliers, une jupe courte, une camisole blanche et un bâton. Elle fit venir laînée de ses filles qui sappelait Fleur-dAmour, la seconde Belle-de-Nuit et la troisième Fine-Oreille : cest pourquoi on la nommait ordinairement Finette. Jai rêvé cette nuit, dit la reine, quil faut que nous allions voir ma sœur, elle nous régalera bien ; nous mangerons et nous rirons tant que nous voudrons. Fleur dAmour, qui se désespérait dêtre dans un désert, dit à sa mère : Allons, madame, où il vous plaira, pourvu que je me promène, il ne mimporte. Les deux autres en dirent autant. Elles prennent congé du roi, et les voilà toutes quatre en chemin. Elles allèrent si loin, si loin, que Fine-Oreille avait grande peur de navoir pas assez de fil, car il y avait près de mille lieues. Elle marchait toujours derrière ses sœurs, passant le fil adroitement dans les buissons. Quand la reine crut que ses filles ne pourraient plus retrouver le chemin, elle entra dans un grand bois, et leur dit: Mes petites brebis, dormez ; je ferai comme la bergère qui veille autour de son troupeau, crainte que le loup ne le mange. Elles se couchèrent sur lherbe, et sendormirent. La reine les quitta, croyant ne les revoir jamais. Finette fermait les yeux, et ne dormait pas. Si jétais une méchante fille, disait-elle, je men irais tout à lheure, et je laisserais mourir mes sœurs ici, car elles me battent et mégratignent jusquau sang. Malgré toutes leurs malices, je ne les veux pas abandonner. Elle les réveille, et leur conte toute lhistoire ; elles se mettent à pleurer, et la prient de les mener avec elle, quelles lui donneront leurs belles poupées, leur petit ménage dargent, leurs autres jouets et leurs bonbons. Je sais assez que vous nen ferez rien, dit Finette, mais je nen serai pas moins bonne sœur ; et se levant, elle suivit son fil, et les princesses aussi ; de sorte quelles arrivèrent presque aussitôt que la reine. En sarrêtant à la porte, elles entendirent que le roi disait : Jai le cœur tout saisi de vous voir revenir seule. - Bon, dit la reine, nous étions trop embarrassés de nos filles. - Encore, dit le roi, si vous aviez ramené ma Finette, je me consolerais des autres, car elles naiment rien. Elles frappèrent, toc, toc. Le roi dit : Qui va là? Elles répondirent : Ce sont vos trois filles, Fleur-dAmour, Belle-de-Nuit, et Fine-Oreille. La reine se mit à trembler : Nouvrez pas, disait-elle, il faut que ce soit des esprits, car il est impossible quelles fussent revenues. Le roi était aussi poltron que sa femme, et il disait : Vous me trompez, vous nêtes point mes filles. Mais Fine-Oreille, qui était adroite, lui dit : Mon papa, je vais me baisser, regardez-moi par le trou du chat, et si je ne suis pas Finette, je consens davoir le fouet. Le roi regarda comme elle lui avait dit, et dès quil leut reconnue, il leur ouvrit. La reine fit semblant dêtre bien aise de les revoir ; elle leur dit quelle avait oublié quelque chose, quelle létait venu chercher ; mais quassurément elle les aurait été retrouver. Elles feignirent de la croire, et montèrent dans un beau petit grenier où elles couchaient. Ça, dit Finette, mes sœurs, vous mavez promis une poupée, donnez-la-moi. - Vraiment tu nas quà ty attendre, petite coquine, dirent-elles, tu es cause que le roi ne nous regrette pas. Là-dessus prenant leurs quenouilles, elles la battirent comme plâtre. Quand elles leurent bien battue, elle se coucha ; et comme elle avait tant de plaies et de bosses, elle ne pouvait dormir, et elle entendit que la reine disait au roi : Je les mènerai dun autre côté, encore plus loin, et je suis certaine quelles ne reviendront jamais. Quand Finette entendit ce complot, elle se leva tout doucement pour aller voir encore sa marraine. Elle entra dans le poulailler, elle prit deux poulets et un maître coq, à qui elle tordit le cou, puis deux petits lapins que la reine nourrissait de choux, pour sen régaler dans loccasion ; elle mit le tout dans un panier, et partit. Mais elle neut pas fait une lieue à tâtons, mourant de peur, que le cheval dEspagne vint au galop, ronflant et hennissant ; elle crut que cétait fait delle, que quelques gens darmes lallaient prendre. Quand elle vit le joli cheval tout seul, elle monta dessus, ravie daller si à son aise : elle arriva promptement chez sa marraine. Après les cérémonies ordinaires, elle lui présenta les poulets, le coq et les lapins, et la pria de laider de ses bons avis, parce que la reine avait juré quelle les mènerait jusquau bout du monde. Merluche dit à sa filleule de ne pas saffliger ; elle lui donna un sac tout plein de cendre : Vous porterez le sac devant vous, lui dit-elle, vous le secouerez, vous marcherez sur la cendre, et quand vous voudrez revenir, vous naurez quà regarder limpression de vos pas ; mais ne ramenez point vos sœurs, elles sont trop malicieuses, et si vous les ramenez, je ne veux plus vous voir. Finette prit congé delle, emportant, par son ordre, pour trente ou quarante millions de diamants en une petite boîte, quelle mit dans sa poche : le cheval était tout prêt, et la rapporta comme à lordinaire. Au point du jour, la reine appela les princesses ; elles vinrent , et elle leur dit : Le roi ne se porte pas trop bien ; jai rêvé cette nuit quil faut que jaille lui cueillir des fleurs et des herbes en un certain pays où elles sont fort excellentes, elles le feront rajeunir ; cest pourquoi allons-y tout à lheure. Fleur-dAmour et Belle-de-Nuit, qui ne croyaient pas que leur mère eût encore envie de les perdre, saffligèrent de ces nouvelles. Il fallut pourtant partir ; et elles allèrent si loin, quil ne sest jamais fait un si long voyage. Finette, qui ne disait mot, se tenait derrière les autres, et secouait sa cendre à merveille, sans que le vent ni la pluie y gâtassent rien. La reine étant persuadée quelles ne pourraient retrouver le chemin, remarqua un soir que ses trois filles étaient bien endormies ; elle prit ce temps pour les quitter, et revint chez elle. Quand il fut jour, et que Finette connut que sa mère ny était plus, elle éveilla ses sœurs : Nous voici seules, dit-elle, la reine sen est allée. Fleur-dAmour et Belle-de-Nuit se prirent à pleurer : elles arrachaient leurs cheveux, et meurtrissaient leur visage à coups de poings. Elles sécriaient : Hélas ! quallons-nous faire ? Finette était la meilleure fille du monde ; elle eut encore pitié de ses sœurs. Voyez à quoi je mexpose, leur dit-elle ; car lorsque ma marraine ma donné le moyen de revenir, elle ma défendu de vous enseigner le chemin ; et que si je lui désobéissais, elle ne voulait plus me voir. Belle-de-Nuit se jette au cou de Finette, autant en fit Fleur-dAmour ; elles la caressèrent si tendrement, quil nen fallut pas davantage pour revenir toutes trois ensemble chez le roi et la reine. Leurs majestés furent bien surprises de revoir les princesses ; ils en parlèrent toute la nuit, et la cadette qui ne se nommait pas Fine-Oreille pour rien, entendait quils faisaient un nouveau complot, et que le lendemain, la reine se remettrait en campagne. Elle courut éveiller ses sœurs. Hélas ! leur dit-elle, nous sommes perdues, la reine veut absolument nous mener dans quelque désert, et nous y laisser. Vous êtes cause que jai fâché ma marraine, je nose laller trouver comme je faisais toujours. Elles restèrent bien en peine, et se disaient lune à lautre : Que ferons-nous ? Enfin, Belle-de-Nuit dit aux deux autres : Il ne faut pas sembarrasser, la vieille Merluche na pas tant desprit quil nen reste un peu aux autres : nous navons quà nous charger de pois ; nous les sèmerons le long du chemin et nous reviendrons. Fleur-dAmour trouva lexpédient admirable ; elles se chargèrent de pois, elles remplirent leurs poches ; pour Fine-Oreille, au lieu de prendre des pois, elle prit le sac aux beaux habits, avec la petite boîte de diamants, et dès que la reine les appela pour partir, elles se trouvèrent toutes prêtes. Elle leur dit : Jai rêvé cette nuit quil y a dans un pays, quil nest pas nécessaire de nommer, trois beaux princes qui vous attendent pour vous épouser ; je vais vous y mener, pour voir si mon songe est véritable. La reine allait devant et ses filles après, qui semaient des pois sans sinquiéter, car elles étaient certaines de retourner à la maison. Pour cette fois la reine alla plus loin encore quelle nétait allée : mais pendant une nuit obscure, elle les quitta et revint trouver le roi ; elle arriva fort lasse et fort aise de navoir plus un si grand ménage sur les bras. Les trois princesses ayant dormi jusquà onze heures du matin se réveillèrent ; Finette saperçut la première de labsence de la reine ; bien quelle sy fût préparée, elle ne laissa pas de pleurer, se confiant davantage pour son retour à sa marraine la fée, quà lhabileté de ses sœurs. Elle fut leur dire toute effrayée : La reine est partie, il faut la suivre au plus vite. - Taisez-vous, petite babouine, répliqua Fleur-dAmour, nous trouverons bien le chemin quand nous voudrons, vous faites ici ma commère lempressée mal à propos. Finette nosa répliquer. Mais quand elles voulurent retrouver le chemin, il ny avait plus ni traces ni sentiers ; les pigeons, dont il y a grand nombre en ce pays-là, étaient venus manger les pois ; elles se mirent à pleurer jusquaux cris. Après avoir resté deux jours sans manger, Fleur-dAmour dit à Belle-de-Nuit : Ma sœur, nas-tu rien à manger ? - Non , dit-elle. Elle dit la même chose à Finette : Je nai rien non plus, répliqua-t-elle, mais je viens de trouver un gland. - Ha ! donnez-le-moi, dit lune. - Donnez-le-moi, dit lautre. Chacune le voulait avoir. Nous ne serons guère rassasiées dun gland à nous trois, dit Finette ; plantons-le, il en viendra un autre qui nous pourra servir. Elles y consentirent quoiquil ny eût guère dapparence quil vînt un arbre dans un pays où il ny en avait point, on ny voyait que des choux et des laitues, dont les princesses mangeaient ; si elles avaient été bien délicates, elles seraient mortes cent fois ; elles couchaient presque toujours à la belle étoile ; tous les matins et tous les soirs elles allaient tour à tour arroser le gland, et lui disaient : Croîs, croîs, beau gland. Il commença de croître à vue dœil. Quand il fut un peu grand, Fleur-dAmour voulut monter dessus, mais il nétait pas assez fort pour la porter ; elle le sentait plier sous elle, aussitôt elle descendit ; Belle-de-Nuit eut la même aventure ; Finette plus légère sy tint longtemps ; et ses sœurs lui demandèrent : Ne vois-tu rien, ma sœur ? Elle leur répondit : Non, je ne vois rien. - Ah ! cest que le chêne nest pas assez haut , disait Fleur-dAmour. De sorte quelles continuaient darroser le gland et de lui dire : Croîs, croîs, beau gland. Finette ne manquait jamais dy monter deux fois par jour : un matin quelle y était, Belle-de-Nuit dit à Fleur-dAmour : Jai trouvé un sac que notre sœur nous a caché ; quest-ce quil peut y avoir dedans ? Fleur-dAmour répondit Elle ma dit que cétait de vieilles dentelles quelle raccommode, et moi, je crois que cest du bonbon , ajouta Belle-de-Nuit ; elle était friande, et voulut y voir ; elle y trouva effectivement toutes les dentelles du roi et de la reine, mais elles servaient à cacher les beaux habits de Finette et la boîte de diamants. Hé bien ! se peut-il une plus grande petite coquine, sécria-t-elle, il faut prendre tout pour nous, et mettre des pierres à la place. Elles le firent promptement. Finette revint sans sapercevoir de la malice de ses sœurs, car elle ne savisait pas de se parer dans un désert ; elle ne songeait quau chêne qui devenait le plus beau de tous les chênes. Une fois quelle y monta et que ses sœurs, selon leur coutume, lui demandèrent si elle ne découvrait rien, elle sécria : Je découvre une grande maison, si belle, si belle que je ne saurais assez le dire ; les murs en sont démeraudes et de rubis, le toit de diamants : elle est toute couverte de sonnettes dor, les girouettes vont et viennent comme le vent. - Tu mens, disaient-elles, cela nest pas si beau que tu le dis. - Croyez-moi, répondit Finette, je ne suis pas menteuse, venez-y plutôt voir vous-mêmes, jen ai les yeux tout éblouis. Fleur-dAmour monta sur larbre : quand elle eut vu le château, elle ne sen pouvait taire. Belle-de-Nuit qui était fort curieuse, ne manqua pas de monter à son tour, elle demeura aussi ravie que ses sœurs. Certainement, dirent-elles, il faut aller à ce palais, peut-être que nous y trouverons de beaux princes qui seront trop heureux de nous épouser. Tant que la soirée fut longue, elles ne parlèrent que de leur dessein, elles se couchèrent sur lherbe ; mais lorsque Finette leur parut fort endormie, Fleur-dAmour dit à Belle-de-Nuit : Savez-vous ce quil faut faire, ma sœur, levons-nous et nous habillons des riches habits que Finette a apportés. - Vous avez raison , dit Belle-de-Nuit ; elles se levèrent donc, se frisèrent, se poudrèrent, puis elles mirent des mouches, et les belles robes dor et dargent toutes couvertes de diamants ; il na jamais été rien de si magnifique. Finette ignorait le vol que ses méchantes sœurs lui avaient fait ; elle prit son sac dans le dessein de shabiller, mais elle demeura bien affligée de ne trouver que des cailloux ; elle aperçut en même temps ses sœurs qui sétaient accommodées comme des soleils. Elle pleura et se plaignit de la trahison quelles lui avaient faite ; et elles den rire et de se moquer. Est-il possible, leur dit-elle, que vous ayez le courage de me mener au château sans me parer et me faire belle ? - Nous nen avons pas trop pour nous, répliqua Fleur-dAmour, tu nauras que des coups si tu nous importunes. - Mais, continua-t-elle, ces habits que vous portez sont à moi, ma marraine me les a donnés, ils ne vous doivent rien. - Si tu parles davantage, dirent-elles, nous allons tassommer, et nous tenterrerons sans que personne le sache. La pauvre Finette neut garde de les agacer ; elle les suivait doucement et marchait un peu derrière, ne pouvant passer que pour leur servante. Plus elles approchaient de la maison, plus elle leur semblait merveilleuse. Ha ! disaient Fleur-dAmour et Belle-de-Nuit, que nous allons nous bien divertir ! que nous ferons bonne chère, nous mangerons à la table du roi, mais pour Finette elle lavera les écuelles dans la cuisine, car elle est faite comme une souillon, et si lon demande qui elle est, gardons-nous bien de lappeler notre sœur : il faudra dire que cest la petite vachère du village. Finette qui était pleine desprit et de beauté, se désespérait dêtre si maltraitée. Quand elles furent à la porte du château, elles frappèrent : aussitôt une vieille femme épouvantable leur vint ouvrir, elle navait quun œil au milieu du front, mais il était plus grand que cinq ou six autres, le nez plat, le teint noir et la bouche si horrible, quelle faisait peur ; elle avait quinze pieds de haut et trente de tour. 0 malheureuses ! qui vous amène ici ? leur dit-elle. Ignorez-vous que cest le château de logre, et quà peine pouvez-vous suffire pour son déjeuner ; mais je suis meilleure que mon mari ; entrez, je ne vous mangerai pas tout dun coup, vous aurez la consolation de vivre deux ou trois jours davantage. Quand elles entendirent logresse parler ainsi, elles senfuirent, croyant se pouvoir sauver, mais une seule de ses enjambées en valait cinquante des leurs ; elle courut après et les reprit, les unes par les cheveux, les autres par la peau du cou ; et les mettant sous son bras, elle les jeta toutes trois dans la cave qui était pleine de crapauds et de couleuvres, et lon ne marchait que sur les os de ceux quils avaient mangés. Comme elle voulait croquer sur-le-champ Finette, elle fut quérir du vinaigre, de lhuile et du sel pour la manger en salade ; mais elle entendit venir logre, et trouvant que les princesses avaient la peau blanche et délicate, elle résolut de les manger toute seule, et les mit promptement sous une grande cuve où elles ne voyaient que par un trou. Logre était six fois plus haut que sa femme ; quand il parlait, la maison tremblait, et quand il toussait, il semblait des éclats de tonnerre ; il navait quun grand vilain œil, ses cheveux étaient tout hérissés, il sappuyait sur une bûche dont il avait fait une canne ; il avait dans sa main un panier couvert ; il en tira quinze petits enfants quil avait volés par les chemins, et quil avala comme quinze œufs frais. Quand les trois princesses le virent, elles tremblaient sous la cuve, elles nosaient pleurer bien haut, de peur quil ne les entendît ; mais elles sentredisaient tout bas : Il va nous manger tout en vie, comment nous sauverons-nous ? Logre dit à sa femme : Vois-tu, je sens chair fraîche, je veux que tu me la donnes. - Bon, dit logresse, tu crois toujours sentir chair fraîche, et ce sont tes moutons qui sont passés par là. - Oh, je ne me trompe point, dit logre, je sens chair fraîche assurément ; je vais chercher partout. - Cherche, dit-elle, et tu ne trouveras rien. - Si je trouve, répliqua logre, et que tu me le caches, je te couperai la tête pour en faire une boule. Elle eut peur de cette menace, et lui dit : Ne te fâche point, mon petit ogrelet, je vais te déclarer la vérité. Il est venu aujourdhui trois jeunes fillettes que jai prises, mais ce serait dommage de les manger, car elles savent tout faire. Comme je suis vieille, il faut que je me repose ; tu vois que notre belle maison est fort malpropre, que notre pain nest pas cuit, que la soupe ne te semble plus si bonne, et que je ne te parais plus si belle, depuis que je me tue de travailler ; elles seront mes servantes ; je te prie, ne les mange pas à présent ; si tu en as envie quelque jour, tu en seras assez le maître. Logre eut bien de la peine à lui promettre de ne les pas manger tout à lheure. Il disait : Laisse-moi faire, je nen mangerai que deux. - Non, tu nen mangeras pas. - Hé bien, je ne mangerai que la plus petite. Et elle disait: Non, tu nen mangeras pas une. Enfin après bien des contestations, il lui promit de ne les pas manger. Elle pensait en elle-même : Quand il ira à la chasse, je les mangerai, et je lui dirai quelles se sont sauvées. Logre sortit de la cave, il lui dit de les mener devant lui ; les pauvres filles étaient presque mortes de peur, logresse les rassura ; et quand il les vit, il leur demanda ce quelles savaient faire ? Elles répondirent quelles savaient balayer, quelles savaient coudre et filer à merveille, quelles faisaient de si bons ragoûts, que lon mangeait jusques aux plats, que pour du pain, des gâteaux et des pâtés, lon en venait chercher chez elles de mille lieues à la ronde. Logre était friand, il dit : Ça, çà, mettons vite ces bonnes ouvrières en besogne ; mais, dit-il à Finette, quand tu as mis le feu au four, comment peux-tu savoir sil est assez chaud ? - Monseigneur, répliqua-t-elle, jy jette du beurre, et puis jy goûte avec la langue. - Hé bien, dit-il, allume donc le four. Ce four était aussi grand quune écurie, car logre et logresse mangeaient plus de pain que deux armées. La princesse y fit un feu effroyable, il était embrasé comme une fournaise, et logre qui était présent, attendant le pain tendre, mangea cent agneaux et cent petits cochons de lait. Fleur-dAmour et Belle-de-Nuit accommodaient la pâte. Le maître ogre dit : Hé bien, le four est-il chaud ? Finette répondit : Monseigneur, vous lallez voir. Elle jeta devant lui mille livres de beurre au fond du four, et puis elle dit : Il faut tâter avec la langue, mais je suis trop petite. - Je suis grand, dit logre, et se baissant, il senfonça si avant quil ne pouvait plus se retirer, de sorte quil brûla jusquaux os. Quand logresse vint au four, elle demeura bien étonnée de trouver une montagne de cendre des os de son mari. Fleur-dAmour et Belle-de-Nuit, qui la virent fort affligée, la consolèrent de leur mieux ; mais elles craignaient que sa douleur ne sapaisât trop tôt, et que lappétit lui venant, elle ne les mît en salade, comme elle avait déjà pensé faire. Elles lui dirent : Prenez courage, madame, vous trouverez quelque roi ou quelque marquis, qui seront heureux de vous épouser. Elle sourit un peu, montrant des dents plus longues que le doigt. Lorsquelles la virent de bonne humeur, Finette lui dit : Si vous vouliez quitter ces horribles peaux dours, dont vous êtes habillée, vous mettre à la mode, nous vous coifferions à merveille, vous seriez comme un astre. - Voyons, dit-elle, comme tu lentends ; mais assure-toi que sil y a quelques dames plus jolies que moi, je te hacherai menu comme chair à pâté. Là-dessus les trois princesses lui ôtèrent son bonnet, et se mirent à la peigner et la friser ; en lamusant de leur caquet, Finette prit une hache, et lui donna par derrière un si grand coup, quelle sépara son corps davec sa tête. Il ne fut jamais une telle allégresse ; elles montèrent sur le toit de la maison pour se divertir à sonner les clochettes dor, elles furent dans toutes les chambres, qui étaient de perles et de diamants, et les meubles si riches quelles mouraient de plaisir ; elles riaient et chantaient, rien ne leur manquait, du blé, des confitures, des fruits et des poupées en abondance. Fleur-dAmour et Belle-de-Nuit se couchèrent dans des lits de brocart et de velours, et sentredirent : Nous voilà plus riches que nétait notre père, quand il avait son royaume, mais il nous manque dêtre mariées, il ne viendra personne ici, cette maison passe assurément pour un coupe-gorge, car on ne sait point la mort de logre et de logresse. Il faut que nous allions à la plus prochaine ville nous faire voir avec nos beaux habits ; et nous ny serons pas longtemps sans trouver de bons financiers qui seront bien aises dépouser des princesses. Dès quelles furent habillées, elles dirent à Finette quelles allaient se promener, quelle demeurât à la maison à faire le ménage et la lessive, et quà leur retour tout fût net et propre ; que si elle y manquait, elles lassommeraient de coups. La pauvre Finette qui avait le cœur serré de douleur, resta seule au logis, balayant, nettoyant, lavant sans se reposer, et toujours pleurant. Que je suis malheureuse, disait-elle, davoir désobéi à ma marraine, il men arrive toutes sortes de disgrâces ; mes sœurs mont volé mes riches habits ; ils servent à les parer ; sans moi, logre et sa femme se porteraient encore bien ; de quoi me profite de les avoir fait mourir ? Naimerais-je pas autant quils meussent mangée que de vivre comme je vis ? Quand elle avait dit cela, elle pleurait à étouffer, puis ses sœurs arrivaient chargées doranges de Portugal, de confitures, de sucre, et elles lui disaient : Ah ! que nous venons dun beau bal ! quil y avait de monde ! le fils du roi y dansait ; lon nous a fait mille honneurs : allons, viens nous déchausser et nous décrotter, car cest là ton métier. Finette obéissait ; et si par hasard elle voulait dire un mot pour se plaindre, elles se jetaient sur elle, et la battaient à la laisser pour morte. Le lendemain encore elles retournaient et revenaient conter des merveilles. Un soir que Finette était assise proche du feu sur un monceau de cendres, ne sachant que faire, elle cherchait dans les fentes de la cheminée ; et cherchant ainsi elle trouva une petite clé si vieille et si crasseuse, quelle eut toutes les peines du monde à la nettoyer. Quand elle fut claire, elle connut quelle était dor, et pensa quune clé dor devait ouvrir un beau petit coffre ; elle se mit aussitôt à courir par toute la maison, essayant la clé aux serrures, et enfin elle trouva une cassette qui était un chef-d’œuvre. Elle louvrit : il y avait dedans des habits, des diamants, des dentelles, du linge, des rubans pour des sommes immenses : elle ne dit mot de sa bonne fortune ; mais elle attendit impatiemment que ses sœurs sortissent le lendemain. Dès quelle ne les vit plus, elle se para, de sorte quelle était plus belle que le soleil. Ainsi ajustée, elle fut au même bal où ses sœurs dansaient ; et quoiquelle neût point de masque, elle était si changée en mieux, quelles ne la reconnurent pas. Dès quelle parut dans lassemblée, il séleva un murmure de voix, les unes dadmiration, et les autres de jalousie. On la prit pour danser, elle surpassa toutes les dames à la danse, comme elle les surpassait en beauté. La maîtresse du logis vint à elle, et lui ayant fait une profonde révérence, elle la pria de lui dire comment elle sappelait, afin de ne jamais oublier le nom dune personne si merveilleuse. Elle lui répondit civilement quon la nommait Cendron. Il ny eut point damant qui ne fût infidèle à sa maîtresse pour Cendron, point de poète qui ne rimât en Cendron ; jamais petit nom ne fit tant de bruit en si peu de temps ; les échos ne répétaient que les louanges de Cendron ; lon navait pas assez dyeux pour la regarder, assez de bouche pour la louer. Fleur-dAmour et Belle-de-Nuit, qui avaient fait dabord grand fracas dans les lieux où elles avaient paru, voyant laccueil que lon faisait à cette nouvelle venue, en crevaient de dépit ; mais Finette se démêlait de tout cela de la meilleure grâce du monde ; il semblait, à son air, quelle nétait faite que pour commander. Fleur-dAmour et Belle-de-Nuit, qui ne voyaient leur sœur quavec de la suie de cheminée sur le visage, et plus barbouillée quun petit chien, avaient si fort perdu lidée de sa beauté, quelles ne la reconnurent point du tout ; elles faisaient leur cour à Cendron comme les autres. Dès quelle voyait le bal prêt à finir, elle sortait vite, revenait à la maison, se déshabillait en diligence, reprenait ses guenilles ; et quand ses sœurs arrivaient : Ah ! Finette, nous venons de voir, lui disaient-elles, une jeune princesse qui est toute charmante ; ce nest pas une guenuche comme toi ; elle est blanche comme la neige, plus vermeille que les roses ; ses dents sont de perles, ses lèvres de corail ; elle a une robe qui pèse plus de mille livres, ce nest quor et diamants : quelle est belle ! quelle est aimable ! Finette répondait entre ses dents : Ainsi jétais, ainsi jétais. - Quest-ce que tu bourdonnes ? , disaient-elles. Finette répliquait encore plus bas : Ainsi jétais. Ce petit jeu dura longtemps ; il ny eut presque pas de jour que Finette ne changeât dhabits, car la cassette était fée, et plus on y en prenait, plus il en revenait, et si fort à la mode, que les dames ne shabillaient que sur son modèle. Un soir que Finette avait plus dansé quà lordinaire, et quelle avait tardé assez tard à se retirer, voulant réparer le temps perdu et arriver chez elle un peu avant ses sœurs, en marchant de toute sa force, elle laissa tomber une de ses mules, qui était de velours rouge, toute brodée de perles. Elle fit son possible pour la retrouver dans le chemin ; mais le temps était si noir, quelle prit une peine inutile ; elle rentra au logis, un pied chaussé et lautre nu. Le lendemain le prince Chéri, fils aîné du roi, allant à la chasse, trouve la mule de Finette ; il la fait ramasser, la regarde, en admire la petitesse et la gentillesse, la tourne, retourne, la baise, la chérit et lemporte avec lui. Depuis ce jour-là, il ne mangeait plus ; il devenait maigre et changé, jaune comme un coing, triste, abattu. Le roi et la reine, qui laimaient éperdument, envoyaient de tous côtés pour avoir de bon gibier et des confitures ; cétait pour lui moins que rien ; il regardait tout cela sans répondre à la reine, quand elle lui parlait. Lon envoya quérir des médecins partout, même jusquà Paris et à Montpellier. Quand ils furent arrivés, on leur fit voir le prince, et après lavoir considéré trois jours et trois nuits sans le perdre de vue, ils conclurent quil était amoureux, et quil mourrait si lon ny apportait remède. La reine, qui laimait à la folie, pleurait à fondre en eau, de ne pouvoir découvrir celle quil aimait, pour la lui faire épouser. Elle amenait dans sa chambre les plus belles dames, il ne daignait pas les regarder. Enfin elle lui dit une fois : Mon cher fils, tu veux nous faire étouffer de douleur, car tu aimes, et tu nous caches tes sentiments ; dis-nous qui tu veux, et nous te la donnerons, quand ce ne serait quune simple bergère. Le prince, plus hardi par les promesses de la reine, tira la mule de dessous son chevet, et layant montrée : Voilà, madame, lui dit-il, ce qui cause mon mal ; jai trouvé cette petite pouponne, mignonne, jolie mule en allant à la chasse ; je népouserai jamais que celle qui pourra la chausser. - Hé bien, mon fils, dit la reine, ne tafflige point, nous la ferons chercher. Elle fut dire au roi cette nouvelle ; il demeura bien surpris, et commanda en même temps que lon fût avec des tambours et des trompettes, annoncer que toutes les filles et les femmes vinssent pour chausser la mule, et que celle à qui elle serait propre, épouserait le prince. Chacune ayant entendu de quoi il était question, se décrassa les pieds avec toutes sortes deaux, de pâtes et de pommades. Il y eut des dames qui se les firent peler, pour avoir la peau plus belle ; dautres jeûnaient ou se les écorchaient afin de les avoir plus petits. Elles allaient en foule essayer la mule, une seule ne la pouvait mettre et plus il en venait inutilement, plus le prince saffligeait. Fleur-dAmour et Belle-de-Nuit se firent un jour si braves, que cétait une chose étonnante. Où allez-vous donc? leur dit Finette. - Nous allons à la grande ville, répondirent-elles, où le roi et la reine demeurent, essayer la mule que le fils du roi a trouvée ; car si elle est propre à lune de nous deux, il lépousera, et nous serons reines. - Et moi, dit Finette, nirai-je point ? - Vraiment, dirent-elles, tu es un bel oison bridé : va, va arroser nos choux, tu nes propre à rien. Finette songea aussitôt quelle mettrait ses plus beaux habits, et quelle irait tenter laventure comme les autres, car elle avait quelque petit soupçon quelle y aurait bonne part ; ce qui lui faisait de la peine, cest quelle ne savait pas le chemin, le bal où lon allait danser nétait point dans la grande ville. Elle shabilla magnifiquement ; sa robe était de satin bleu, toute couverte détoiles et de diamants ; elle avait un soleil sur la tête, une pleine lune sur le dos ; tout cela brillait si fort, quon ne la pouvait regarder sans clignoter les yeux. Quand elle ouvrit la porte pour sortir elle resta bien étonnée de trouver le joli cheval dEspagne qui lavait portée chez sa marraine. Elle le caressa et lui dit : Sois le bien venu, mon petit dada ; je suis obligée à ma marraine Merluche. Il se baissa ; elle sassit dessus comme une nymphe. Il était tout couvert de sonnettes dor et de rubans ; sa housse et sa bride navaient point de prix ; et Finette était trente fois plus belle que la belle Hélène. Le cheval dEspagne allait légèrement, ses sonnettes faisaient din, din, din. Fleur-dAmour et Belle-de-Nuit les ayant entendues, se retournèrent et la virent venir ; mais dans ce moment quelle fut leur surprise ? Elles la reconnurent pour être Finette Cendron. Elles étaient fort crottées, leurs beaux habits étaient couverts de boue : Ma sœur, sécria Fleur-dAmour, en parlant à Belle-de-Nuit, je vous proteste que voici Finette Cendron ; lautre sécria tout de même, et Finette passant près delles, son cheval les éclaboussa, et leur fit un masque de crotte : elle se prit à rire, et leur dit : Altesses, Cendrillon vous méprise autant que vous le méritez ; puis passant comme un trait, la voilà partie. Belle-de-Nuit et Fleur-dAmour sentre-regardèrent. Est-ce que nous rêvons ? disaient-elles ; qui est-ce qui peut avoir fourni des habits et un cheval à Finette ? Quelle merveille le bonheur lui en veut, elle va chausser la mule, et nous naurons que la peine dun voyage inutile. Pendant quelles se désespéraient, Finette arrive au palais ; dès quon la vit, chacun crut que cétait une reine, les gardes prennent leurs armes, lon bat le tambour, lon sonne la trompette, lon ouvre toutes les portes, et ceux qui lavaient vue au bal, allaient devant elle, disant : Place, place, cest la belle Cendron, cest la merveille de lunivers. Elle entre avec cet appareil dans la chambre du prince mourant ; il jette les yeux sur elle, et demeure charmé, souhaitant quelle eût le pied assez petit pour chausser la mule : elle la mit tout dun coup et montra la pareille, quelle avait apportée exprès. En même temps lon crie: Vive la princesse Chérie, vive la princesse qui sera notre reine ! Le prince se leva de son lit, il vint lui baiser les mains, elle le trouva beau et plein desprit : il lui fit mille amitiés. Lon avertit le roi et la reine, qui accoururent ; la reine prend Finette entre ses bras, lappelle sa fille, sa mignonne, sa petite reine, lui fait des présents admirables, sur lesquels le roi libéral renchérit encore. Lon tire le canon ; les violons, les musettes, tout joue ; lon ne parle que de danser et de se réjouir. Le roi, la reine et le prince prient Cendron de se laisser marier : Non, dit-elle, il faut avant que je vous conte mon histoire ; ce quelle fit en quatre mots. Quand ils surent quelle était née princesse, cétait bien une autre joie, il tint à peu quils nen mourussent ; mais lorsquelle leur dit le nom du roi son père, de la reine sa mère, ils reconnurent que cétaient eux qui avaient conquis leur royaume : ils le lui annoncèrent ; et elle jura quelle ne consentirait point à son mariage, quils ne rendissent les états de son père ; ils le lui promirent, car ils avaient plus de cent royaumes, un de moins nétait pas une affaire. Cependant Belle-de-Nuit et Fleur-dAmour arrivèrent. La première nouvelle fut que Cendron avait mis la mule, elles ne savaient que faire, ni que dire, elles voulaient sen retourner sans la voir ; mais quand elle sut quelles étaient là, elle les fit entrer, et au lieu de leur faire mauvais visage, et de les punir comme elles le méritaient, elle se leva, et fut au devant delles les embrasser tendrement, puis elle les présenta à la reine, lui disant : Madame, ce sont mes sœurs qui sont fort aimables, je vous prie de les aimer. Elles demeurèrent si confuses de la bonté de Finette, quelles ne pouvaient proférer un mot. Elle leur promit quelles retourneraient dans leur royaume, que le prince le voulait rendre à leur famille. A ces mots, elles se jetèrent à genoux devant elle, pleurant de joie. Les noces furent les plus belles que lon eût jamais vues. Finette écrivit à sa marraine, et mit sa lettre avec de grands présents sur le joli cheval dEspagne, la priant de chercher le roi et la reine, de leur dire son bonheur, et quils navaient quà retourner dans leur royaume. La fée Merluche sacquitta fort bien de cette commission. Le père et la mère de Finette revinrent dans leurs états, et ses sœurs furent reines aussi bien quelle.
Posted on: Sun, 13 Oct 2013 12:11:10 +0000

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