«Game of Thrones», le générique monde Par Bertrand Pleven - TopicsExpress



          

«Game of Thrones», le générique monde Par Bertrand Pleven Géographe (équipe Géographie-Cités) «Game of Thrones», le générique monde«Game of Thrones», le générique monde Le prélude de la série télévisée, adaptée des romans de George R. R. Martin, annonce un univers sombre, froid et miné par la guerre. Une minute quarante-deux, c’est beaucoup pour un générique, mais c’est assez peu, a priori, pour couvrir le monde. Même si celui-ci est fictif et encore un écoumène réduit à une grande île bornée au nord par un glacier et au sud par un détroit ouvrant sur d’autres terres. Game of Thrones, série adaptée par HBO des écrits de George R. R. Martin, en passe par la projection cartographique du royaume des sept couronnes dans la plus pure tradition de la medieval fantasy. Cependant, plus encore que couvrir, un générique se doit de faire émerger l’univers fictionnel. Et là est le beau dilemme auquel se frotte notre objet. On peut le lire comme une carte télévisée, une forme hybride de l’image concrète et de l’écriture sérielle de l’espace. Pour le dire plus simplement, ce générique est une mise en scène d’une carte, de LA carte. SAS.Game of Thrones, comme Dallas,les Soprano ou encore Dexter, répète, épisode après épisode (avec quelques variations), ces sas que sont les génériques, à grand renfort de thèmes musicaux souvent entêtants. Ils sont des moments forts de la participation affective du spectateur. D’ailleurs, à la fin, ils font souvent figure d’images qui restent quand une série s’éteint. Ces œuvres dans les œuvres jouissent pour les plus célèbres d’entre elles d’une carrière quasiment autonome (prix type Grammy, parodies…). Parce que ces objets condensent l’espace et surtout le dramatisent, ils excitent l’attention de celui qui cherche à interroger les géographies et les mondes que fabriquent les séries et les manières par lesquelles elles chevauchent la réalité. Le générique de Game of Thrones figure un monde imaginaire qui est déjà en partie écrit et cartographié : les contours de la carte sur lesquels plonge la caméra sont précis et laissent deviner une île aux littoraux échancrés, les toponymes indiquent que ces espaces sont appropriés. Bien sûr, par ce procédé, on nous rappelle implicitement qu’il s’agit d’une adaptation, une réécriture de la série de romans intitulée le Trône de fer. Surtout, la série télévisée pose là d’entrée une rhétorique des territoires : les royaumes au-dessus desquels la caméra nous porte sont ainsi figurés par des plages de couleurs qui les individualisent, tandis que des villes, dont les limites sont nettement cerclées, dominent leur campagne. En figurant de la sorte l’univers créé, le générique localise l’action dans l’espace et dans le temps, mais il l’inscrit également dans un imaginaire cartographique associé à la mystique des cartes, qui plus est anciennes. Sur ce substrat premier, la carte superpose des éléments stylisés qui détonnent et semblent sortis d’un autre temps, tels que ces courbes de niveau représentées à la manière des cartes en relief que l’on faisait, antan, réaliser aux lycéens en découpant des morceaux de carton. Les forêts de conifères sont représentées de manière somme toute sommaire, au même titre que les chemins ou les rochers, et participent de l’étrange étrangeté de cette carte, qui semble décidément assumer son caractère fake et se refuser à toute surenchère réaliste. Plus encore et corrélativement, la manière dont on appréhende ces différents éléments achève de mélanger les langages cartographiques : c’est en fait à la manière d’un globe virtuel, façon Google Earth, que défile la carte sous nos yeux, annonçant les lieux qui vont compter dans l’épisode à suivre. Ainsi, bien loin de servir uniquement à planter le décor, ce que l’on hésite désormais à appeler carte est aussi une démonstration de force de la série, de sa capacité à donner de l’épaisseur au plan, à suspendre notre incrédulité et à conduire sur un rythme martial le sens du récit, bien aidée en cela par les violons de la bande-son sans lesquels le souffle épique des images perdrait beaucoup. La caméra peut alors donner vie à ce monde fixe. Hologramme. Mais quelle vie ? Une vie animée de rouages flanqués des blasons des différents royaumes, qui font mécaniquement s’élever les tours et les palissades. Le générique entretient le mystère quant au fonctionnement de ce système monde, d’où sont remarquablement absents les acteurs, aussi bien au sens géographique que cinématographique, d’ailleurs. Faut-il aller chercher dans la sphère de feu et de fer un quelconque déterminisme astral, une cosmogonie cachée qui expliquerait que ces villes semblent filles de la terre et produits de leur site ? Faut-il considérer ce monde, au contraire, comme un espace politique tellement miné par la guerre et par la violence - qui produisent fragmentation et repli, empêchant toute forme d’organisation sociale à l’échelle du continent - que sa dimension humaine en devient invisible ? Pas de corps, pas de flux, pas de champs cultivés. Le générique campe un monde en guerre, seule essence des paysages anthropiques, seule expression d’un devenir qui annonce le choc des armes et des cultures. L’efficacité de ce générique réside en cette pure iconographie, à laquelle ne s’appose aucune circulation, autre bien sûr que celle de la caméra qui constate l’inéluctable enchaînement. Embarqués, nous le sommes, dans cet hologramme des angoisses contemporaines qui mêle inquiétude écologique, rapport conflictuel aux altérités et obsession des frontières en lui donnant formes cartographique et paysagère. Au besoin de boussole, Game of Thrones répond par une pensée géographique apparemment réactionnaire, celle du territoire borné et clos aux interpénétrations impossibles, du moins au départ. En cela, le générique semble assez emblématique de ce que Teresa Castro appelle une «culture visuelle». Celle que celui-ci propose : une balade virtuelle au-dessus d’un monde clôturé. Régression ou catharsis ? La question mérite bien d’être posée et de s’essayer à éclairer les séries par la géographie. Par Bertrand Pleven Géographe (équipe Géographie-Cités) «LIBÉ DES GÉOGRAPHES»
Posted on: Sat, 05 Oct 2013 10:52:28 +0000

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