Goodbye Dostoïevski 1 « Mais voici que sonne la retraite : - TopicsExpress



          

Goodbye Dostoïevski 1 « Mais voici que sonne la retraite : ceux qui étaient attaché aux poteaux sont ramenés vers nous, et on nous lit que S.M.I. nous fait don de la vie. Ensuite on nous a lu les véritables sentences. » FD, Lettre à son frère. J’ai passé toute ma matinée à prendre des notes pour ce projet fumeux d’essai sur Dostoïevski. Enfin, un essai, c’est vite dit. Je lis ses romans, j’en fais des résumés, j’en dégage des thématiques. Je passe surtout beaucoup de temps à fumer des blondes à la fenêtre en tentant de me souvenir du quand et surtout du pourquoi ce projet m’a pris. Le soleil, autiste, ne me répond rien. Je ne dis pas, ce pseudo travail à ses satisfactions, et il m’arrive d’être réjouis de trouver dans tel livre un personnage qui ressemble terriblement à tel autre, de tel autre livre. J’ai ainsi déniché cinq types de personnages que l’on retrouve systématiquement dans chacun des romans du russe. Aucune prouesse ici, je n’imagine nullement tenir la primeur d’une telle découverte ! Que fais-je d’autre, après tout, que de réduire à quelques idées-tiroirs et à quelques archétypes l’oeuvre la plus foisonnante, la plus troublante du 19ème Siècle ? J’en fais une collection de santons bien mesquins, de Lazares d’opérette et de Sainte-Térèse travesties en bas-bleu. Donnez moi la fulgurance cauchemardesque d’un grand homme, j’en rends une belle copie en trois parties. La synthèse est aisée, c’est toujours la même : sans Dieu, rien de possible. Et monte chaque fois en moi la satisfaction idiote de saisir le grand homme, – ou plutôt : celle de l’avoir rendu à peu de choses dans un sursaut d’orgueil puéril. Je bois un ou deux scotchs en finissant mon paquet de clopes, je mets Mozart sur la chaîne. Jupiter, comme d’hab. Je relis ce que j’ai noté dans la matinée. Un carnaval d’idées ressassées. Rien de neuf. Je me lève, prend mon lancé fluo, je m’en vais à la pèche. Commençons sous le pont. Ici, c’est tranquille, ombré, il fait frais, et pas un passant pour faire de vous un spectacle vivant. Peignons la rivière, de gauche à droite, ménageant nos effets, en bon stratège, accélérant, ralentissant, effectuant quelques courbes bien pensées du poignet. La cuillère revient, toute frétillante et toute feu. Ces poissons sont bien difficiles.... Quand la canne plie, ce qui peut arriver, c’est bien plus souvent pour ramener une grosse branche des bas-fonds qu’une foutue truite ! Saint-Avertin. Son école, ses commerces, son cloché. Son étang, bien sûr. Pas mal de Carpistes professionnel avec leurs batteries de cannes et leur tente. Quelques branquignoles dans le genre Je pèche au lancé en tenue de soirée. Ai-je besoin de préciser que je fais partie de la joyeuse bande des seconds ? Quand j’en ai marre de rien prendre, je remballe mon petit lancé fluo et je file à l’épicerie. – Alors, la pèche ? me demande Jean. – Rien, toujours rien. – Mais t’y retourne chaque jour ! Je prends une bouteille de single Malt avec trois cannettes de Coca Cola. Hop, un billet de 20 tout craquelant. – Et le boulot ? me demande-t-il encore. – Je travaille toujours sur Dostoïevski. Pas certain que cela aboutisse à grand-chose. Je ne vois rien de nouveau à dire dessus. – Eh bien, pourquoi bosser sur lui ? Je récupère ma monnaie. Comment faire comprendre – toute ironie gardée – à un bon père de famille la nécessité qu’il y a de se charger d’un fardeau inutile ? – Le croiras-tu, je dis, mais je me pose chaque jour la même question. Je pense que j’ai juste besoin d’enquiller du boulot… – Eh bien, enquille mon garçon ! Je sors de l’épicerie, croise Laure, la femme de Laurent ; je lui tape la bise. « Ca va, Paul ? » ; « Ca va, et toi ? » ; « Ca va ! » ; puis je passe au boucher. Une Bavette, un bon morceau. Comme ça ? Oui, c’est parfait. Rentré, je me pose dans la cuisine, face à la fenêtre, j’ouvre ma bouteille de Single Malt. Un bon verre avec un voile de Coca, juste pour la couleur. La première gorgée me refile la nausée ; accroche toi à la seconde, Paul ! Fou, sinon, comme le beau temps vient vite en Touraine… Les hirondelles sont déjà de retour. Le ciel est bleu, dégagé ; un bleu plus bleu, d’ailleurs, serait impensable. C’est un bleu comme j’en croisé pas mal. Ce bleu des côtes du sud, celui de ma chère Normandie natale, aussi ce bleu impeccable de l’Afrique du Nord. Pour concurrencer l’universalité de ce bleu-là, il me semble qu’il n’y a, à la rigueur, que le noir sans lune. Au fait, Suni doit rentrer dans quoi, une heure, deux heures ? Servons nous un second scotch dans son nuage de coca. Au bout d’une demi-bouteille de scotch, c’est l’été dans le sang. Moins de nuance. Les idées, toutes contractées, s’aiguisent en idées fixes ; des trous noirs ou des flashs de lumière, c’est selon. Une politique des extrêmes sur toute choses, le scotch peut rendre semblable à un surhomme n’importe quel Bernard. Perfusé sous cette potion un professeur des écoles quelque peu tatillon se transforme soit en poète (et quel poète !), soit en une brute ordurière de première (quelque peu pédophile). Pour l’heure, je suis plutôt en mode béat sur le ciel bleu à l’âme. Suni arrive en avance. Elle est mignonne dans sa petite robe multicolore, drôle juchée sur ses bottes cavalières. Elle pose son sac sans rien dire sur le bar américain, puis, mimant l’inquiétude : – Ca va, mon coeur ? Elle est très douée pour jouer la petite fille inquiète. Son petit front sans ride remonte, elle entrouvre la bouche, sa lève inférieure s’affaisse un peu. – Tu fais quoi de beau ? – Ô, je bois… Le ciel est splendide. Elle contourne le bar, tire une chaise, s’assoit à mes côtés. Elle me prend la main. – Tu ne prends pas un verre ? je demande. – Je vais prendre une douche avant… – Il reste du scotch, je précise. – Tu sais bien que le scotch, c’est trop fort pour moi… – Il y a du cidre dans le frigo, je crois. – Tout à l’heure… Son corps fond sous la douche. Le savon glisse sur ses seins, son dos, entre ses cuisses. Elle ressort habillé en crevette. Pyjama rose ridicule mais touchant. Ses cheveux noirs et rares en queue de cheval. Je me dis Les femmes sont toutes des petites filles, enfin, celle-ci n’a que vingt ans, Paul. Rien de trop piquant, pas trop d’effets, non, seulement un corps fins et des lèvres rose d’enfant, une odeur de noix de coco dans la chambre. – Du cidre, mon coeur ? – Ouais… J’ouvre la bouteille, qui mousse un peu par terre. Et un demi verre de sang de pomme fermenté, un ! – Ta journée ? je demande. – Bien. Jusqu’à ce soir. On a eu pas mal de commandes. Mais le bus, ce satané bus ! Pas moyen de prendre l’autre, je me suis tapé celui qui passe aux fontaines. Encore tous ces arabes sans gênes, ces noirs à gueuler dans leur langue. C’est insupportable. – Faut faire abstraction, mon coeur… – Ô ! C’est facile à dire pour toi, tu ne sors jamais de Saint-Avertin. Entre ton bureau et l’étang, la racaille ne pullule pas ! Les femmes s’énervent très vite, ce doit être hormonal. – Paul, il y avait encore un de ces groupes de femmes, des grosses mamas en boubou, tu vois le genre. Elle arrêtait pas de piailler entre elle, à rire. Je sentais que c’était fait dans le seul but d’agacer tout le monde. Ça n’a pas raté : alors qu’elles descendent aux fontaines, l’une dit : « Ah, ce qu’ils sont tristes ces français.. » Les autres se marrent. Dans le bus, personne ne dit rien, tu penses ! – Ça t’économise une visite au zoo, mon coeur. – Ô ! Paul ! Tu serais spirituel si tu n’étais pas tant dans le vrai ! – La conséquence des rêves de négriers du Medef, mon coeur. – Hi ! Hi ! Hi ! Je me ressers un verre, j’en ai encore une vieille à moustache et brassard qui remonte comme un glaçon : – Tu sais, mon coeur, si tu trouves la Bible trop longue, trop compliquée, Guillaume Musso et Marc Lévy l’on réécrit pour toi. Son nom ? Le Coran. – Elle est d’aujourd’hui, celle là ? – A force de lire ce gros facho de Dostoïevski, faut croire que je déteins… Lorsqu’elle ne boit que son cidre, Suni devient tendre ; elle coule entre mes doigts. Mais lorsqu’il lui prend l’idée de tirer sur mon scotch comme ce soir, ça devient problématique. Elle me snipe alors de loin. Le CD s’enraille. J’entends monter des profondeurs cette chanson mièvre et populaire, ce Zellers mâtiné de Biolay. – On ne fait jamais rien ensemble, Paul. Je me fais chier le week-end. Tu passes ton temps dans ton bureau. Rien, rien, rien, on ne fait rien. Puis, un verre après : – Moi, ce que je veux, c’est un bébé. Maintenant que j’ai mon CDI, hein, qu’attend on pour faire un bébé ? – C’est toujours la même chose… – Quoi, toujours la même chose ? – Tu attends le moment où je suis bourré pour parler de choses sérieuses. Je déteste aborder des sujets sérieux lorsque je suis bourré. S’il te plaît, causons de choses sérieuses, causons de littérature… – Ah. Ah. Très drôle. Tu es toujours bourré de toutes façons. Lorsque j’en suis vers la fin de la bouteille, évidemment, je vois trouble et j’ai tendance à perdre mon légendaire sang froid. Soit je lui en fous une, mais douce, oui, oui, très douce, une chiquenaude de rien du tout, juste une humiliation en passant, comme rien, une chips à peine ; soit je joue le grand numéro. Tout dépend de l’humeur, du projet, cela peut se jouer parfois sur une question d’éclairage. Tamisé ? Cru ? Il pleut dehors ? Tu as tes règles ? Ciel, c’est la mer rouge ?! – Paul, j’en ai ras le bol. Je choppe mon porte feuille. Suni me guette, me file. Un mirador, celle-la. J’aligne un billet de 50 sur la table. – Ô ! Paul ! – Suni ? – Je te jure que je serais sage, Paul, je te jure que je serai sage ! Son petit corps d’asticots roule sous la lumière de la télévision. Son petit cul s’agite. Je lui fous un doigt dans la bouche, qu’elle suce. Je retire ce doigt, glisse mes mains sous ses fesses, les écarte. Son petit cul s’agite encore. C’est comme la basse d’un bon jam de funk bien gras. Du Prince ou du Parliament. On s’endormira bientôt, lovés comme deux jeunes groupies épuisées. 2 « Il n’y a ni fiel ni rancune dans mon coeur : je voudrais tant aimer et embrasser au moins un de tous ceux d’autrefois, en cet instant. C’est une consolation, je l’ai éprouvé aujourd’hui en disant adieu à mes amis avant la mort… » Je me suis amusé ce matin à découper des extraits des Lettres de Dostoïevski à son frère. Voilà. Il y parle du bagne, de la crasse, tout un tas d’observations pleines de finesse sur cette espèce de surhumanité dévoyé des bagnes, puis viens le jugement. La mort. Le jour de l’exécution, coup de théâtre juste devant les poteaux d’exécution : S.M.I. les gracie. Quelque chose s’inverse alors chez Dostoïevski. Fini le rebelle gauchiste, ratamé le révolutionnaire en goguette ! Il retrouve Dieu, dans sa pure évidence. Le Christ, l’amour, la charité. Cette vision ne le quittera plus de toute sa vie. Je pense que c’est là le patron fantôme, informulé, de tous ses romans (si l’on omet, bien sûr, les romans antérieurs à cette condamnation, comme Les Pauvres gens et Le Double). L’homme peut être relevé, tout le mystère de l’art littéraire de Dostoïevski consistera à cerner le moment de cette grâce. Son contexte. Ses moyens. Je ne peux m’empêcher de penser, buvant mon premier scotch de la journée devant ce montage de textes, Quel chouette projet littéraire ! Je bois encore un verre, puis un troisième. Il est peut-être temps d’abandonner Dostoïevski. J’ai trouvé la clé, après tout. Une évidence de plus. Je prends mon lancé fluo, le reste du scotch ; il fait un temps idéal pour taquiner la truite. A treize heures, je reçois un sms de Lucie : « Tu manges au restaurant avec nous ce soir ? » On est Jeudi, son père est là. Pas besoin de passer chez le boucher. Le ponton de la zone Jeunes couples et veuves aux cheveux bleus. Quand soudain : une chasse de perches ! Je peigne l’étang lorsque je vois Lucie arriver. Je me dis Tu l’as trouverait encore plus belle si tu ne la connaissais pas. Vraiment, que c’est con toutes ces choses qu’Eluard a écrit sur l’amour. – Alors, mon coeur, ça mord ? – Ça peigne dans le vide, comme d’hab. J’ai ramené un vieux chandail tout à l’heure… Puis une coquille Saint-Jacques, le restaurant d’à coté doit se servir de l’étang comme d’une poubelle… J’aurais du manger, je tremble de partout à cause du scotch. – Putain, tu fais chier, Paul. Mon père vient nous chercher dans deux heures et tu es déjà bourré ! – Je l’emmerde ton père, mon coeur. – T’es vraiment qu’un connard. Tu m’as dit oui, puis maintenant, – quoi ? Je vais dire quoi, moi ? – Ton père n’a jamais pu me voir… – Après toutes tes frasques, c’est logique ! – Mes flasks ? Mais c’est parce que tu es insupportable, mon coeur. Nous filons sur le chemin des restaurants ; j’ai ma canne fluo dans la main droite, ma Lucie multicolore dans la gauche. Elle est toute ravie du billet de 50 que je lui ai offert. – Il est tout neuf celui-là, dit-elle. C’est le plus beau billet que tu m’ais donné ! – Je crois que je vais être obligé de me faire vomir en rentrant, histoire d’être net. – Ah, c’est cool, mon amour, on va enfin aller se promener ensemble à Tours ! – J’aurais dû me faire le reste des pâtes d’hier soir au micro-onde… Tout un rien acide comme un long filet de bave dans les toilettes, puis je me lave les dents, pas assez superficiellement puisque ça me presse de nouveau vers les toilettes. – Paul ! m’appelle Lucie de la chambre. Tu préfères que je mette ma robe noire ou celle avec toutes ces couleurs ? – Celle qui fait petite fille, mon coeur… – Celle avec toutes les couleurs, la dernière ? – Oui, celle qui laisse tout passer… J’ai bouffé deux trois poignets de Curly, je suis complètement dessoulé. Je me sers un scotch très léger, un doigt à peine, le petit même. – Mon père est en bas, amour ! – Il ne monte pas ? J’ai ouvert les Curly. – Mon père est en bas ! – Alors Paul, et le boulot ? – Il taffe sur Dostoïevski, dit Lucie. Alain me lance un regard approbateur du rétroviseur. – C’est un peintre, c’est cela ? – Plutôt un écrivain, russe, un type assez nerveux, orthodoxe… – Et vous faîtes quoi au juste ? – Je l’ai lu, j’ai pris des notes, c’est fini. – Ça donne un livre, un article ? – Non, non, rien du tout. Alain me lance un autre regard, moins ambitieux. Celui d’un fan de Modiano tombé sur une page de Sein und Zeit. – Ça fait combien de temps que vous bosser là-dessus ? – Deux, trois ans. – Et ça ne donne rien ? – J’ai fait un montage de ses lettres à son frère, deux pages. – Ah, tout de même ! Je me dis Tu aurais du orienter la discussion sur la pèche. Les choix des cuillères, l’argent au soleil, la doré si le temps est couvert… A moins que ce soit le contraire… On arrive dans le centre, c’est blindé. Merde, on est Jeudi, les étudiantes sont de sorties. De mignonnes membranes sur pattes, des haleines qui empestent la menthol, partout, partout ! – Et la saison est bonne, sinon ? – J’ai encore rien pris. – Vous péchez souvent ? – Oui, tous les jours, après avoir bosser sur Dostoïevski ; histoire de m’aérer. – Ah, d’accord. Dans le parking souterrain, la radio passe Chopin. Je me dis Cela doit être tout de même plus agréable de se faire violer là-dessus que sur Radio Nostalgie. – Tiens, c’est Chopin, je dis. Alain est perplexe. – Vous aimez Chopin, me demande-t-il. – Oui, mais je préfère Mozart ; c’est plus sain. – Plus sain ? – Chopin était cyclothymique, sa musique l’est aussi. Soit il est trop triste, soit il s’emporte un peu trop. Un malade, quoi. Et la musique de Malade me rend malade. Même si, j’adore, cela dit… – Et Dostoïevski, il est sain ? – Non, Alain, il était à enfermer. Un gros 4/4 BMW est garé là. Logique, on est en plein centre-ville. – Sacré véhicule, dit Alain. – C’est un peu gros, non, dit Lucie. J’approuve Alain, ouais, sacré véhicule ! Un adjectif assez vague pour complaire à mon total inintérêt pour l’objet en question. – Mais je préfère les Porches, je lance, comme ça, pour rien. – Ah oui, les Porches, souligne Alain, songeur. – C’est plus sobre. J’aime la sobriété. – Mais ce n’est pas pratique lorsque l’on a des enfants, vous ne trouvez pas, Paul ? – Certes… (J’aperçois une 205) Tiens, une voiture de collection ! Ah, ces bourgeois ! Alain ne tique pas. Je me tape un plat. Ah si, Lucie sourit un peu. Il est vrai que papa paye l’ISF… On sort du parking, on arrive place du Monstre. Pleins de restaurants, d’étudiantes, de gobelets écrasés par terre. Entre la ville et le parking, la lumière a sombré d’un coup. Ça ressemble aux pages de mon roman préféré. Ces personnages floues, plein d’ombres et de reflets de réverbères. Des scènes charmantes et absurdes vont se jouer. Des musiques charmantes et absurdes couvriront tout dialogue. Des langues charmantes et absurdes s’enrouleront sur des non-dits, des impressions fausses, des fantômes du passé. La vie, enfin, comme un caillou lancé sur une ruche. Alain marche devant. Je prends Lucie par la main. – On devrait sortir plus souvent en ville, me dit-elle. Tu sortais toujours avant. – Je ne pense pas que ce soit une bonne idée, mon coeur. On trouve un restaurant, ils vendent tous la même merde industrielle de toute façon, on commande nos steaks bleus. Lucie et moi, on sort se fumer une clope. Je lorgne sur la carte du restaurant d’en face, le Hokami. – On devrait voyager, me dit-elle. Le Japon, le Maroc, la Grèce… – Les châteaux en Espagne… – Ô ! Oui ! L’Espagne ! Il y a un bar, pas loin. L’étudiant. Avec pleins d’étudiants devant, comme quoi. Un jeune couple passe, un second. Rien à dire, Lucie est la plus belle. Même si je me taperais avec plus de plaisir n’importe qu’elle autre fille, même la ronde là-bas. Tant que c’est la femme d’un autre, en vérité… Puis c’est un autre couple, un mixte cette fois. Lucie ne comprend vraiment pas comment des jeunes filles peuvent sortir avec des noirs. Elle trouve cela dégueulasse. Je lui explique que le monde est peuplés de fanfarons, de gens qui pensent qu’on peut-être un ancien sénateur, un francmaçon, et mener la révolution ; il a des végétariens aussi, des Témoins de Jéhovah, des graines de Djihadistes qui portent aujourd’hui des nikes, des jeunes filles qui sortent avec des noirs… Que tout l’exercice consiste à s’en foutre. Tu vois, c’était d’ailleurs le mot d’ordre de Stendhal en fin de vie : SFDT ; se foutre de tout. – Mais tu ne te fous pas de tout, toi, Paul, hein ? Je lui file un billet de 50. – Ô ! Mon amour ! Après le restaurant, le tarte au pomme de chez Métro et le café (un café, oui, j’essaie de sauver les meubles avec Alain), après la parking, après la route, après l’inspiration gâtée qui m’a pris de verser un scotch-coca à Lucie… – Mon père, lui, il emmène ma belle-mère au restaurant chaque weekend… – Lucie, s’il te plaît… – Il vont se faire un voyage tous les deux au mois de Juin. Une semaine aux Baléares ! – Lucie… – Je suis tolérante, moi, Paul. J’accepte de vivre avec un type qui passe ses journées enfermées dans un bureau même quand je suis là, un type qui boit tous les jours… Bon, je renonce à lui donner un autre billet comme à lui foutre sur la gueule. Elle me saoule, point barre. Je vais dormir dans le bureau, sur cette foutue veilleuse ! Habillé, à la Napoléon ! Ce n’est pas la première fois. Rêver un départ, un meublé dans une ville, un cendrier plein et des bouteilles partout sur le sol. La vraie vie est absente, – ah ça, la voilà qui claque encore les portes ! 3 « Je garderai pur mon esprit et mon coeur. Je renaîtrai meilleur. Voilà tout mon espoir, ma consolation ! La casemate a suffisamment tué en moi les besoins charnels… » FD, Lettre à son frère. Bon, ça c’est fait comme ça. Une histoire de température idéale et de scotch, l’impression d’être dans un rêve. Un dimanche après-midi dans les rues désertées de Tours. Entre deux bars, un banc devant la Loire. Le courant, furieux. Des truites par centaines, certainement des saumons. Julie m’a dit : – Ce que je voudrais, moi, c’est un mariage, une vie normale. Avec toi ! – Si tu veux, Julie, si tu veux… – Donc c’est oui ? Oui, pourquoi pas ? Je suis peut-être heureux avec elle, en fin de compte. Et il doit bien me rester 20 000 sur mon compte épargne, belle-maman possède une villa dans le sud, elle est malade… – Goodbye Dostoïevski ! Elle m’a pris la main, on s’est levé. On est repartie par la rue nationale, on s’est posé, Tours oblige, à la terrasse du Balzac. Des jeunes couples, des vieux couples, des gosses insupportables. Un scotch s’il vous plaît. Un second, un troisième. Et puis quoi ? Un amour, un mariage, un enfant, un amour, un mariage, un enfant, un amour, un mariage, un enfant, et on prolonge la longue chaîne de l’insignifiance…
Posted on: Thu, 12 Sep 2013 15:22:53 +0000

Trending Topics



Recently Viewed Topics




© 2015