Grenade memories Je me souviens quun de mes amis aimait citer la phrase quon aurait dite a lémir Bouadbil après quil eut perdu le dernier royaume musulman dEspagne, cest-à- dire Grenade, reprise par Isabelle la Catholique : Pleure comme une femme la ville que tu nas pas su défendre comme un homme. Cétait en 1492. Je me rappelle cette date parce que, la même année, on découvrait lAmérique et Gutenberg inventait limprimerie. Dans Le fou dElsa, Aragon raconte cette traîtrise de Bouadbil qui aurait abandonné ses Maures et, pour ne pas être vu, se serait caché derrière un bouquet de laurier-roses. Grenade, jen ai parlé beaucoup dans un livre a venir, Les Maîtres de chant, jy évoque la dernière promenade de Federico Garcia Lorca. Il aimait tellement cette ville quil y était revenu au péril de sa vie, car, pour Lorca, Grenade était la ville du jeu et de la théorie du duende. Et dy penser seulement, jen ai un serrement de cœur. Cétait au mois daoût 1936, Garcia Lorca se baladait dans la campagne grenadine, avec ses amis, dans une buick couleur cerise. La même nuit, ils seront abattus comme des chiens par les franquistes. Grenade, jai découvert aussi que cest le sirop anglais, la ville andalouse où je suis, et une dentelle raffinée. Grenade, ce furent les cinq jours damour fou de René de Chateaubriand avec Natalie de Noailles, quon surnommait Mouche. Javais raconté cette histoire à Jean Guy Santamaria, dans un bar, sur le port de Toga, à Bastia, le jour même de la naissance de Santu Lisandru, le fils de Guy Calvelli . Je men souviens parce que je lai écrit dans une chronique qui sintitule : Natalie avec h ou sans h? Cétait la question quavait posée Jean dOrmesson à Pierre-Jean Marchetti, qui le priait de dédicacer un de ses livres à sa femme, Nathalie (avec h, comme on peut le voir). Jean-Guy avait été intrigué par la demande de Jean. Il avait bien compris que ce nétait pas une question dorthographe. En effet, cétait un voyage interminable de Venise à Jerusalem, un retard de quatre mois au rendez-vous initial. Natalie en avait eu assez dattendre, elle était partie. René lavait cherchée désespérément et retrouvée, presque par hasard, dessinant, dans les jardins du palais de lAlhambra, à Grenade. Il fut ébloui. Elle aussi. Ils tombèrent dans les bras lun de lautre. Mais il fallut bien rentrer a Paris. René se lassa de Natalie. Elle mourut seule, enfermée dans un asile quelque vingt ans plus tard. René ny était pour rien, il faut le préciser, le raccourci serait trop facile. Les écrivains ne rendent pas fous ceux quils aiment, mais linverse peut être vrai. Quoi quil en soit, René eut toujours beaucoup de compassion pour Natalie. Pauvre Mouche, écrivait-il, dans ses mémoires... Ainsi, de cette ville mythique, je sais des moments de vie racontés par des écrivains chers a mon coeur. Je suis donc ce soir dans un monde familier et inconnu, car, de Grenade, je ne connais que le fleuve sur lequel donne mon hôtel. Jen ai vu la couleur - ce vert épais, liquoreux, presque noir - et les murs des remparts, ocres, presque rouges , mais cette impression est peut être fausse, causée par la lumière électrique, car nous sommes arrivés à la nuit tombée. Il est tard. Mais comment sendormir dans une chambre inconnue, et avec la fatigue qui vous tient en éveil et aux aguets? Aussi je relis le Romancero gitano de Lorca que jai emporté avec moi comme un talisman : le poème à la lune. Cest la probité de lart. Tout y est pur et enfantin. La lune vient à la forge avec ses volants de nards. lenfant, les yeux grand ouverts, la regarde la regarde. dans la brise qui sémeut La lune bouge les bras, dévoilant, lascive et pure, ses seins blancs de durs métal. Va-ten lune, lune, lune. Si les gitans arrivaient, ils feraient avec ton coeur bagues blanches et colliers. Enfant, laisse-moi danser. Quand viendront les cavaliers, ils te verront sur lenclume étendu, les yeux fermés. Va-ten lune, lune, lune. je les entends chevaucher...
Posted on: Mon, 18 Nov 2013 01:12:31 +0000
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