Homage à Henri Alleg 3 [Arrivée au camp de Lodi, après un - TopicsExpress



          

Homage à Henri Alleg 3 [Arrivée au camp de Lodi, après un mois d’ « interrogatoire renforcé » dans un des centres du général Massu, à El Biar (La Question)] J’arrivais épuisé, flageolant sur mes jambes et affamé. Les premières paroles que j’entendis me semblèrent venir d’un autre monde ; René Zaquin –un ancien de la Jeunesse communiste, devenu secrétaire du syndicat CGT des hospitaliers-, qui avait été promu chef cuisinier du camp, me dit : « Tu veux pas manger un bifteck et des frites ? Ça te ferait du bien… ». Je pensai un instant que c’était une mauvaise plaisanterie. Mais non. Dans la simple saveur d’un plat, je retrouvais le goût de la vie et la chaleureuse camaraderie à laquelle j’étais habitué. (p. 221) Des pas résonnaient dans le couloir de la division [des condamnés à mort]. Des clefs tintaient. Une serrure grinçait. Comme tous mes camarades, j’étais là, debout derrière le guichet fermé de la cellule, la gorge serrée, accompagnant en pensée celui que les gardiens entraînaient, enchaîné, vers la cour d’honneur, où l’attendaient le bourreau et la guillotine. Un homme, un patriote algérien, un frère dont je connaissais la voix pour avoir pu converser avec lui à travers le grillage serré de sa lucarne, mais dont je n’avais peut-être jamais vu le visage de près, se préparait à mourir. Selon la tradition, il demandait à ses compagnons et à ceux qui l’entendaient de pardonner les offenses dont il avait pu se rendre coupable à leur égard et il criait sa certitude qu’au-delà des tourments et des deuils viendrait le temps de la liberté. D’un coup, la prison entière s’unissait dans un même chant, rejoint par le chœur vibrant et aigu des femmes détenues dans le bâtiment contigu, tranchant la nuit comme un couteau. Au-delà des murs, toute la Casbah proche, les mères, les femmes et les sœurs montées sur les terrasses reprenaient le chant d’une seule voix, accompagnant le condamné ou les condamnés – parfois deux ou trois à mourir ensemble- jusqu’à ce que tombe le couperet. La prison était comme l’image même de l’Algérie dressée dans son élan libérateur. (p. 231)
Posted on: Fri, 19 Jul 2013 15:56:35 +0000

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