IBN SAGHIR CHRONIQUE SUR LES IMAMS ROSTEMIDES DE - TopicsExpress



          

IBN SAGHIR CHRONIQUE SUR LES IMAMS ROSTEMIDES DE TAHERT[6] TRADUCTION FRANÇAISE Au nom de Dieu clément et miséricordieux ! Récits concernant les Imams Rostemides. Plusieurs Abâdhites mont rapporté les faits suivants quils tenaient de leurs ancêtres : Lorsque les Abâdhites se furent fixés à Tâhert[7] et voulurent peupler cette ville, leurs principaux personnages se réunirent en assemblée et dirent : « Comme vous le savez, notre état ne peut être constitué et dirigé que par un Imâm, auquel nous aurons recours pour lapplication de nos lois, qui rendra justice à lopprimé contre loppresseur, présidera à nos prières, recevra la dîme aumônière que nous lui paierons et procédera aux partages entre nous. » Après avoir délibéré, ils reconnurent quil y avait dans chacune de leurs tribus un, deux ou plusieurs personnages de marque qui avaient la direction des affaires dans la tribu et étaient dignes de lImamat. « Mais, objectèrent-ils, vous êtes tous des chefs et nous ne croyons pas prudent de porter nos préférences sur lun de vous en excluant les autres, ce qui pourrait amener un changement regrettable dans leurs dispositions. Peut-être aussi celui que nous désignerions comme chef élèverait-il les membres de sa famille ou de sa fraction au détriment des autres ; il indisposerait ainsi les esprits et lon verrait les scissions se multiplier et lunion saffaiblir. Nous avons là Abd er Rahmân ben Rostem ; il na pas de tribu qui puisse laider à dominer ni de fraction qui puisse prendre parti pour lui. Déjà, lImam Abou 1 Khattâb lavait agréé pour vous comme juge et arbitre. Confiez-lui donc la direction de vos affaires ; sil est juste, il en sera comme vous le désirez. Si au contraire, il agit envers vous contrairement à la justice, vous le déposerez et il naura ni tribu pour le protéger ni famille pour le défendre. » Tous sétant ralliés à cet avis, ils se rendirent ensemble chez Abd er Rahmân : « A nos débuts, lui dirent-ils, limâm tavait agréé. Aujourdhui, cest nous qui te choisissons et voulons te mettre à notre tête. Comme tu le sais, nos affaires ne peuvent prospérer que sous la direction dun Imâm auquel nous pourrons confier nos intérêts et soumettre le règlement de nos causes ». — « Si, leur répondit il, par une promesse formelle faite au nom de Dieu, vous vous engagez à vous montrer favorables à ma gestion et à mobéir en tout ce qui sera conforme à la justice, jaccepte la mission que vous me confiez. » Us prirent solennellement lengagement demandé et, après avoir stipulé pour lui-même les conditions quil leur imposait, ils le mirent à leur tête el lui prêtèrent le serment de fidélité. Sa manière dagir avec tous, du premier au dernier, fut belle et louable et on neut jamais rien à réprouver dans ses décisions el sa conduite. Les voyageurs portèrent en tous pays le récit de ces événements. On raconte sur Abd er Rahmân diverses anecdotes quil ne mest possible de reproduire quà la condition de les relater avec une parfaite fidélité, sans en dénaturer la portée réelle et sans y rien ajouter ou retrancher. Exagérer ou tronquer les récits historiques nest pas le fait dhommes qui ont des sentiments virils et religieux ; nous ne le ferons pas, bien que nous haïssions ces gens et que nous ne puissions que réprouver et mépriser les doctrines quils professent. Si donc, nous rapportons les faits qui les concernent tels quils nous sont parvenus, si nous parlons de la justice avec laquelle ils ont gouverné, cela ne veut pas dire que nous professions de ladmiration pour leurs hauts faits et que nous approuvions leur manière dagir ; car nous savons quils considèrent connue excommunié celui auquel le Prophète (que le salut et la bénédiction soient sur lui !) a voué son amitié et au sujet duquel il a dit : « Celui qui maime aime aussi Ali ». Plusieurs personnages notables parmi les Abâdhites mont rapporté les faits suivants : Lorsque Abd er Rahmân ben Rostem eut pris la direction des affaires, il mit toute son énergie à laccomplissement de sa tâche et se conduisit dune façon digne déloges. Il siégeait dans sa mosquée pour écouter les veuves et les humbles et ne redoutait, en agissant en vue de Dieu, le blâme de personne. Sa renommée fut portée jusquaux confins de la terre, tant vers lOrient que vers lOccident et parvint jusquaux Abâdhites de Basra et autres villes. Ayant appris ce qui le concernait, ils réunirent une somme considérable dargent et la lui envoyèrent par des gens de confiance. « Il a paru dans le Maghrib, sétaient-ils dit entre eux, un Imâm qui y fait régner la justice. Il étendra bientôt son autorité sur lOrient et y fera triompher aussi la justice. Partez vers lui avec largent que nous vous confions. Quand vous serez arrivés à la ville où il réside, si vous reconnaissez que les rapports parvenus sur sa belle conduite et son excellente manière de gouverner sont exacts, remettez-lui largent. Sil en est autrement, rendez-vous compte de ses actes et de la manière dont il applique les lois à ses sujets ; revenez ensuite en nous rapportant argent et nouvelles. » Les ambassadeurs partirent. Arrivés à Tâhert, ils sarrêtèrent à loratoire où se trouve aujourdhui le tombeau de Mesâla, firent agenouiller leurs chameaux et les déchargèrent. Puis ils savancèrent avec leurs compagnons de route, pénétrèrent dans la ville par la porte dite Bâb Es-Safa, demandant à tous ceux quils rencontraient où était la maison de lImâm Abd er Rahmân. Y étant enfin arrivés, ils trouvèrent auprès de la porte un esclave qui gâchait du mortier et virent sur la terrasse un homme occupé à en boucher les fentes et auquel lesclave passait le mortier nécessaire à cette opération. Ils saluèrent lesclave, qui leur rendit le salut, puis lui demandèrent si cétait là la demeure de lImâm. Sur sa réponse affirmative, ils le prièrent de demander audience pour eux à son maître et de lui annoncer quils étaient des ambassadeurs que lui envoyaient ses frères de Basra. Lesclave sachant que son maître avait entendu la conversation, leva la tête vers lui. « Prie ces gens dattendre un instant, dit-il. » Puis il continua sa besogne jusquà ce quil eût terminé sa réparation. Pendant ce temps, les ambassadeurs le considéraient, se demandant si cétait vraiment celui auquel ils avaient affaire ou un autre. Il descendit enfin de sa terrasse pour entrer dans la maison, lava les traces de mortier qui étaient restées sur ses mains, fit ses ablutions comme pour la prière et ordonna dintroduire les envoyés. Ils entrèrent et trouvèrent un homme assis sur une simple natte recouverte dune peau. Il ny avait dans la pièce que le coussin sur lequel il dormait, son sabre, sa lance et, dans une autre partie de la maison, un cheval attaché. Après lavoir salué, ils lui apprirent quils étaient des ambassadeurs chargés dune mission au près de lui par ses coreligionnaires. Il ordonna alors à lesclave de servir son repas. Celui-ci apporta une table sur laquelle étaient des galettes réchauffées, du beurre fondu et un peu de sel. Sur lordre de lImâm, les galettes furent mises en miettes et arrosées de beurre. Puis il dit : « Au nom de Dieu, approchez-vous et mangez ». Il mangea avec eux la même nourriture puis leur dit : « Que désirez-vous et quel est le but de votre voyage ? » « Nous désirerions, lui dirent-ils, que tu nous autorises à nous concerter ; nous te parlerons ensuite. — Faites, leur dit-il. » Ils se mirent à lécart pour conférer et se dirent : « Il est inutile de faire une enquête sur son compte, nous lavons vu lui-même réparer sa maison ; nous nous sommes rendu compte de la façon dont il se nourrissait, shabillait et meublait sa maison. Cela nous suffit et nous navons plus quà lui remettre largent sans consulter personne à son sujet. » Ils convinrent donc de lui apporter les trois charges dargent quils avaient apportées. Ils revinrent chez l’Imâm et lui dirent : « Que Dieu te donne la puissance ! Nous avons avec nous trois charges dargent que tenvoient tes frères pour te permettre de pourvoir à tes dépenses et daméliorer ta situation. » « Voici le moment de la prière, répondit-il ; je vais me rendre à la mosquée cathédrale pour y présider ; puis je ferai connaître aux fidèles le but de votre voyage. » Ils sinclinèrent et sortirent avec lui pour aller à la mosquée. La prière terminée, Abd er Rahmân fit inviter par le crieur les notables de chaque tribu à rester. La foule partie, il sadressa aux ambassadeurs et les pria de faire connaître le but de leur mission aux personnages de marque présents. Ils répétèrent ce quils avaient dit à Abd er Rahmân. Celui-ci se tournant alors vers les assistants leur demanda leur avis. « Cest là, dirent-ils, un bien que Dieu nous envoie ; nos frères nous donnent spontanément cet argent que nous navons pas demandé. Notre avis est que tu fasses apporter les charges et que tu partages largent en trois : un tiers pour achat de chevaux, un tiers pour achat darmes ; le reste sera destiné aux pauvres et aux malheureux. » « Vous avez entendu la proposition de vos frères, dit lImâm aux envoyés. Quavez-vous à objecter ? » — « Nous avons entendu et nous obéissons, répondirent-ils. » Ils apportèrent largent : « Je désire, leur dit Abd er Rahmân, que vous restiez ici jusquà ce que ces sommes aient reçu leur affectation. Vous retournerez ensuite chez vos frères et leur ferez connaître ce qui sest passé. » Conformément à ce qui avait été décidé, les sommes envoyées furent divisées en trois parts, en présence des ambassadeurs. LImâm dit ensuite à ces derniers : « Partez maintenant avec la bénédiction de Dieu, si vous le désirez. » Quanti, avec largent reçu, on eut acheté des chevaux et des armes, fortifié les faibles et soulagé les misères des pauvres, la situation des habitants devint prospère : ceux qui apprirent ce qui en était les craignirent ; ils neurent plus à redouter les attaques de leurs ennemis ; car ceux-ci reconnurent que leur puissance primait celle des autres et quils pouvaient triompher de ceux dont ils craignaient auparavant les incursions armées. On commença à peupler la ville et à élever des constructions, à mettre en culture les terres jusqualors en friche, à planter des jardins, à canaliser les eaux, à créer des moulins et constituer des approvisionnements, etc. Les habitants sétendirent dans la ville agrandie. Des pays les plus éloignés, leur arrivèrent des ambassades et des caravanes. Il nétait pas un étranger sarrêtant dans la ville qui ne se fixât chez eux et ne construisît au milieu deux, séduit par labondance qui y régnait, la belle conduite de lImâm, sa justice envers ses administrés et la sécurité dont tous jouissaient pour leurs personnes et leurs biens. Bientôt, on ne voyait plus une maison en ville sans entendre dire : Ceci est à un tel de Koufa ; celle-là est à un tel de Basra, cette autre à un tel de Qaïrouân, voici la mosquée des gens de Qaïrouân et leur marché ; voici la mosquée elle marché des Basriens, celle des gens de Koufa. Les routes menant au Soudan ou aux pays de lEst et de lOuest souvrirent au négoce et au trafic. Pendant deux ans environ la situation resta telle, la population ne cessant daugmenter, pendant que les négociants et les gens de tous pays venaient y faire leur commerce. La troisième année, les Abâdhites de lOrient se donnèrent rendez-vous à Basra et sy réunirent. Instruits de ce qui concernait lImâm par les nouvelles qui leur parvenaient et déjà fixés sur son compte par le rapport de leurs ambassadeurs, qui avaient constaté et vu de leurs propres yeux ce qui en était, ils tinrent le langage suivant : « Votre Imam du Maghrib marche dignement sur les traces dAbou Bilâl Mirdâs ben Odyah et dAbou Hamzah Ech Châri. Ne lui ménagez pas votre argent et ne lui épargnez pas vos dons. Envoyez-lui tout ce qui est entre vos mains, afin de laider à affermir sa situation religieuse et matérielle. En agissant ainsi, vous obtiendrez honneur ici-bas et richesse dans la vie future. » Ils convinrent de lui envoyer dix charges dargent. A cet effet, ils mandèrent leurs premiers ambassadeurs et leur firent connaître le montant de la somme quils avaient recueillie, en leur faisant remarquer quils avaient agi secrètement en tout et à linsu des gouverneurs ou des chefs militaires qui leur auraient certainement fait un mauvais parti, sils avaient eu vent de leur démarche. Ils recommandèrent le secret aux envoyés. Ceux-ci ayant consenti à se charger des présents et à les faire parvenir à Abd er Rahmân, se mirent en route ; arrivés à Tâhert, ils firent halte à lendroit où ils sétaient arrêtés lors de leur première mission. Ils se dirigèrent ensuite vers la demeure Abd er Rahmân. Ils constatèrent de grands changements et trouvèrent que la ville sétait modifiée en tout : ils virent des châteaux bâtis, des jardins plantés, des moulins installés, une cavalerie bien montée, des sentinelles garnissant les remparts et partout un grand nombre desclaves et de serviteurs. Ce spectacle changea leurs dispositions, jusquau moment où ils parvinrent au château de lImâm ; ils le trouvèrent aussi humble et simple quils lavaient connu. Ils ne lui dirent pas ce quils avaient apporté et ne lui firent pas tout dabord connaître le but de leur mission. Ils sabouchèrent préalablement avec des personnages dont la piété leur inspirait entière confiance et sur lesquels ils pouvaient compter. Ils leur demandèrent si la conduite d’Abd er Rahmân avait changé et sil avait modifié sa manière de gouverner. Ils lui répondirent quil était resté tel quils lavaient vu et ([lie sa manière dagir était toujours la même. Les envoyés leur apprirent alors quils avaient apporté une somme dargent dont ils leur indiquèrent le montant. « Remettez-lui votre dépôt, lui dirent-ils. Sil accepte ces richesses, il les dépensera connue il convient et leur donnera certainement leur destination. Mais nous ne pensons pas quil accepte ce que vous voulez lui offrir. » Suivant ce conseil, ils se rendirent chez Abd er Rahmân, le saluèrent et linformèrent de lobjet de leur mission, en lui donnant des nouvelles de leurs frères dOrient. Il sen réjouit et les questionna sur leur situation. Etaient-ils faibles ou pouvaient-ils manifester ouvertement leurs croyances ? Y avait-il parmi eux des pauvres et des misérables ? Ils répondirent quils vivaient à létat secret et non à létat manifeste, quils étaient faibles et non puissants et que comme partout il y avait dans leurs communautés des riches et des pauvres. Il leur donna rendez-vous à la mosquée cathédrale, après la prière de midi, afin quils informassent leurs frères de la mission dont ils étaient chargés. Ils y vinrent. Lorsque les fidèles eurent terminé leur prière, le héraut dAbd er Rahmân invita les notables à rester elle peuple à se retirer. LImâm avait donné lordre aux ambassadeurs dapporter largent à la mosquée afin quil pût se rendre compte lui-même de la somme envoyée et ils sy étaient conformés. Lorsque la foule se fut écoulée, Abd er Rahmân se fit présenter les charges dargent devant les notables qui étaient restés et donna la parole aux ambassadeurs. Ils répétèrent ce quils avaient dit à lImâm. Quel est votre avis ? dit Abd er Rahmân aux assistants. —Fais comme il te plaira, répondirent-ils. — Puisque vous me laissez le soin de décider, jestime que ces biens doivent être renvoyés à leurs maîtres afin quils les remettent à leurs pauvres et à ceux qui en ont besoin. Une première fois nous avions accepté les présents quils nous avaient offerts parce que nous en avions réellement besoin et à cause de la misère qui régnait parmi les gens du peuple, nos frères. Mais actuellement, ils peuvent se passer de largent des autres. » Ces paroles impressionnèrent péniblement les envoyés et les assistants. Ils insistèrent à plusieurs reprises auprès d’Abd er Rahmân en employant les adjurations les plus solennelles. Mais il jura tout aussi solennellement quil naccepterait ni un dinar ni un dirhem et quil ne garderait rien de cet argent. Désespérant de le persuader, les envoyés se conformèrent à ses ordres et partirent avec les présents quils rapportèrent à ceux qui les leur avaient confiés. Cet événement augmenta encore la haute considération quavaient pour Abd er Rahmân les Abâdhites dOrient. Ils reconnurent que sil avait été un homme recherchant les biens de ce monde il aurait désiré garder ces richesses. A partir de ce moment, ils se rallièrent à son imamat et furent davis que le reconnaître était pour eux une obligation. Par la suite, les envoyés ne cessèrent darriver et de se renseigner sur létat de la ville dont la prospérité augmentait toujours. La manière de gouverner dAbd er Rahmân restait la même ; ses qâdhis étaient des personnages délite ; son trésor public était toujours bien rempli ; les chefs de sa police et leurs auxiliaires accomplissaient strictement leurs devoirs ; les percepteurs des aumônes remplissaient régulièrement leurs fonctions. Au moment des céréales ils sortaient ; ils touchaient leurs dîmes, à la nouvelle lune de chaque… ; ils prélevaient sur les propriétaires de moutons et de chameaux la part quils devaient légalement sans léser personne et sans être fraudés. La perception terminée, on répartissait les grains entre les pauvres, puis on procédait à la vente des moutons et des chameaux. Sur le produit de cette vente, lImâm envoyait à ses gouverneurs les sommes nécessaires à leur administration ; puis il faisait faire le compte de lexcédent et une fois fixé, ordonnait de faire le recensement de tous les habitants de la ville et de la banlieue et de dresser la liste des pauvres et des nécessiteux. Cette opération terminée, on procédait au compte des grains qui restaient dans les greniers publics. Ce qui restait du produit des aumônes était employé à lachat des vêtements de laine, de pelisses et dhuile que lon distribuait proportionnellement à chaque famille en donnant la préférence aux indigents de la secte abâdhite. Sur le produit de la capitation, du kharadj, des terres et autres revenus, il défalquait les sommes suffisantes pour lannée à son entretien et aux dépenses de sa suite, de ses qâdhis, des préposés à la police, des fonctionnaires chargés de ses affaires. Sil restait un excédent, il lemployait aux œuvres dutilité publique intéressant les musulmans. Il continua à gouverner ainsi ses sujets qui vivaient toujours dans lunion et la concorde sans voir se produire contre lui une rébellion ou une attaque jusquà ce que la mort mit fin à son règne. Javais eu connaissance de la durée de son principat, mais avec le temps, jen ai oublié le chiffre. Il avait eu pendant son règne un fils nommé Abd el Ouahhâb dune conduite louable et apte à prendre la direction des affaires après lui. Les Abâdhites lui confièrent le pouvoir après la mort de son père. Gouvernement d’Abd el Ouahhâb. Faits concernant son règne. Certains Abâdhites mont rapporté les faits suivants : A la mort d’Abd er Rahmân ben Rostem, les Abâdhites proclamèrent comme Imâm son fils Abd el Ouahhâb. Il fut un roi puissant et un sultan fort. Sous son règne, se produisit une scission parmi les Abâdhites dont les chefs se divisèrent en deux partis : un groupe dentre eux prit le nom de Nokkar et un autre celui de Ouahbites. Je ne connais pas cette dénomination. Jai entendu dire seulement quelle leur avait été donnée parce quils étaient partisans d’Abd el Ouahhâb. En ce qui concerne ces appellations, je sais, daprès les renseignements qui mont été fournis par des personnes compétentes, quun de leurs groupes était désigné sous le nom de Yezidia, cest à dire partisans d’Abdallah ben Yezid, et d’Amria partisans de Isa ben Amr et après lui dAhmed ben el Hosein. Jai pu constater que ceux quon appelait Ouahbia penchaient vers ces deux partis. Ils sappelaient également El Askaria, ou gens du camp. La plupart des Nefousa qui sont chez nous, dans la ville, se donnent ce nom. Lautorité d’Abd el Ouahhâb sur les Abâdhites ou autres avait pris une extension à laquelle les Abâdhites nétaient pas arrivés avant lui. Il obtint la soumission de groupes sur lesquels ses prédécesseurs navaient pas eu daction et rassembla des forces militaires que personne navait eues avant lui. Des gens mont raconté que sa puissance fut telle quil alla mettre le siège devant Tripoli et devint maître de tout le Maghrib jusquà une ville appelée Tlemcen. Il continua à gouverner de la sorte, sans que lunion et la concorde fussent troublées par des rebellions ou des attaques, jusquau moment où se produisit la scission. Son père Abd er Rahmân navait laissé aucun ouvrage connu dont il fût lauteur. Abd el Ouahhâb composa un livre intitulé Kitâb Masâïl Nefousa El Djebel (Questions des Nefousa de la montagne), réponse à des questions douteuses au sujet desquelles les Nefousa lui avaient écrit et dont il donna en détail la solution. Ce livre qui est entre les mains des Abâdhites a une grande célébrité parmi eux ; ils se le sont transmis de génération en génération, jusquà notre époque, si bien que jai pu en avoir communication par un membre de la famille des Rostemides, le voir et létudier. Causes qui amenèrent la scission. Plusieurs personnages parmi les Abâdhites ou autres mont rapporté les faits suivants : Les Mezâta, les Sedrâta et autres tribus avaient lhabitude, à la saison du printemps, de quitter les terres de parcours quils occupaient dans le Maghrib ou autres régions pour venir à Tâhert ou dans ses dépendances en raison des pâturages quils y trouvaient et des autres avantages que leur offrait le pays. Lannée où se produisit la scission, quand Dieu eut décidé de rompre lunion qui existait, les tribus firent vers Tâhert un mouvement de migration si important quil ne sen était pas produit une seule fois de semblable. Lorsque les nomades venaient installer leurs campements, leurs personnages et leurs chefs de groupes se rendaient en ville où ils étaient traités avec bonté et honneur puis ils retournaient à leurs moutons et à leurs chameaux et restaient dans leurs campements jusquau moment de leur départ. Au moment fixé par Dieu, quand les tribus eurent installé leurs campements aux environs de la ville, les notables citadins eurent des entretiens secrets avec leurs frères : les Mezâta se concertèrent avec les principaux personnages et les chefs nomades et chacune des tribus représentée par des gens habitant la ville en fit de même avec les chefs des tribus en migration. « La situation, dirent-ils, nest plus la même et la marche des affaires sest modifiée : notre qâdhi est injuste, notre préposé au trésor public est un concussionnaire, le chef de notre police est un scélérat et notre Imâm ne se préoccupe pas de changer cet état de choses. Cest Dieu qui vous amène. Allez trouver cet Imâm ; demandez-lui compte de la conduite de son qâdhi, de notre trésorier et de notre chef de police et exigez quil nomme à ces fonctions les meilleurs dentre nous ». Ils consentirent à faire cette démarche et se rendirent immédiatement et au grand complet chez Abd el Ouahhâb. Lorsquils eurent été introduits, celui qui était chargé de parler loua Dieu dabord, puis dit : « Tes sujets ont à souffrir de ton qâdhi, de ton trésorier et du chef de ta police. Révoque-les et mets à leur place les meilleurs parmi eux ». — « Que Dieu vous récompense pour la démarche que vous faites, répondit Abd el Ouahhâb ; vous recherchez pour le bien de lIslam ce que peuvent désirer des hommes tels que vous. Faites comme vous lentendrez. Désignez qui vous voudrez et écartez qui vous voudrez. » — « Cest bien, dirent-ils, puis après lavoir loué et remercié, ils se retirèrent. » Après leur départ, les principaux personnages de sa suite, ses qâïds et ses intimes entrèrent chez lui et lui dirent : « Pourquoi donc nos frères sont-ils venus aujourdhui en masse et leur as-tu accordé une audience particulière à laquelle dautres nont pas été admis ? » LImâm leur répéta ce quils avaient dit et conseillé. « Et tu leur as accordé ce quils demandaient ? » — Il leur fit part de sa réponse. « Tu as mal agi, répliquèrent-ils, pour toi, pour nous, pour tes frères et tes sujets. — « Et pourquoi ? Ils nont rien demandé de si extraordinaire et nont dit que des choses justes. » — « Leur intention nest pas celle que tu leur attribues, dirent-ils, ni leur pensée celle que tu crois. Ils tont demandé de révoquer ton qâdhi, ton trésorier et le chef de ta police. Si tu le fais, ils te loueront et te remercieront. Puis ils reviendront te trouver et te diront que les musulmans ont à te reprocher ou à reprocher à tes deux fils ceci ou cela. Si tu leur cèdes, ils te remercieront et te loueront encore ; mais si tu leur résistes, ils sinsurgeront et repousseront ton autorité. En supposant même que tu leur accordes tout ce quils te demandent, qui te garantit quils ne viendront pas un jour te dire : les musulmans nont pas été unanimes à te confier le pouvoir à tes débuts ; démets-toi et remets-ten à leur décision ; sils sentendent tous pour te désigner de nouveau, tu sortiras triomphant de lépreuve et ta situation nen sera que plus affermie. » « Que me faut-il faire maintenant, dit lImâm ? Ma réponse est donnée et il nest pas digne dun homme de mon rang de revenir sur ce quil a dit. » — « Sois sans inquiétude, nous allons te dire ce quil y a à faire, répliquèrent-ils. » — « Parlez, leur dit-il, avec la bénédiction de Dieu. » — « Demain, exposèrent-ils, quand ces gens viendront chez toi pour te demander ce que tu as fait, tu leur diras : la question est telle quelle a été entendue avec vous ; mais nous avons les uns et les autres des frères dont la présence nous est indispensable pour destituer ou écarter ceux qui ont voulu écarter et destituer ou pour nommer ceux que vous voulez désigner. Sils te répondent quils ne voient pas dinconvénients à notre intervention, envoie-nous chercher et nous nous chargerons de répondre pour toi. » Abd el Ouahhâb approuva leur proposition, les remercia de leur manière dagir et leur donna congé. Le lendemain les nomades se présentèrent chez Abd el Ouahhâb. Quand ils eurent été introduits et eurent pris place, ils le questionnèrent au sujet de ce qui avait été convenu avec lui. « Vous êtes libres dagir, leur dit-il ; mais il y a encore parmi nos frères des gens que ni vous ni moi ne pouvons nous dispenser de consulter pour destituer les fonctionnaires que vous visez et les remplacer par dautres. Il serait mauvais pour nous et pour vous de nous réserver la solution dune telle question sans leur concours. Cela pourrait altérer leurs bonnes dispositions et changer leurs sentiments ». — « Tu as parfaitement raison, lui répondirent-ils, fais les venir ; ils vont certainement se rallier à ce que nous avons conclu. » Mandés par lImâm, les gens qui composaient lautre groupe entrèrent et prirent place. Abd el Ouahhâb sadressant alors aux nomades, les invita à faire connaître à leurs frères le but de leur démarche et ce quils lui avaient demandé. Ils exposèrent leur avis et celui de leur Imâm. « Que Dieu vous récompense pour lIslam et les musulmans, dirent les autres ; mais il reste une question à examiner. Vous savez bien quil nest obligatoire de destituer un qâdhi ou un préposé au trésor public que pour une faute bien constatée et quil nest pas possible de prendre une telle mesure sur la simple dénonciation de rebelles ou les rapports de calomniateurs. » Interdits, les nomades dirent pour toute réponse : « Ce nest pas ce qui avait été entendu hier entre lImâm et nous ; cest une opinion nouvelle ou un mot dordre donné. » Ils sortirent alors et gagnèrent la mamelon connu sous le nom de Koudiat En-Nokkar où ils furent rejoints par ceux de leur parti. Ils jurèrent que les Arabes ne rentreraient en ville que si les destitutions quils avaient demandées étaient prononcées et que si Abd el Ouahhâb et son entourage étaient soumis au jugement du peuple. Depuis ce jour ils furent appelés Nokkar et lendroit où ils sétaient retirés prit le nom de Koudiat En-Nokkar. Quand Abd el Ouahhâb connut leur position et leurs revendications et vit quils ne renonçaient pas à leurs exigences et voulaient le soumettre à larbitrage du peuple, il convoqua les notables et les gens de son conseil et les consulta sur les mesures à prendre. Tous décidèrent quon devait les combattre après les avoir avertis des conséquences quentraînait pour eux leur rébellion. Malgré les avertissements, ils refusèrent de se soumettre et ne tinrent aucun compte du châtiment quon leur faisait prévoir. Voyant cela, Abd el Ouahhâb et ses partisans les attaquèrent. En un instant, ils furent terrassés tous, sauf ceux qui senfuirent à toute vitesse. On ne poursuivit aucun fuyard et on nacheva aucun blessé. Abd el Ouahhâb et ses partisans revinrent triomphants pendant que les tribus rebelles regagnaient leurs terres de parcours habituelles. LImâm resta maître absolu de la situation ; mais des ferments de haine subsistèrent parmi les groupes qui avaient eu des morts. Abd el Ouahhâb vit sa puissance saffermir et augmenter ; à la suite de ces événements, son imamat se transforma en royauté. Deuxième scission. Certains Abâdhites mont rapporté les faits suivants : Un groupe de Hoouâra et de gens appartenant à dautres tribus campait près de la ville de Tâhert. A la tête des Hoouâra était une famille importante, appelée El Aous et connue également sous le nom de Benou Mesâla. Daprès le récit qui ma été fait par des Abâdhites, il y avait dans une famille de marque des Berbères Louata ou autres, une fille dune grande beauté qui fut demandée en mariage par le chef dEl Aous pour lui-même ou pour son fils. On avait agréé sa demande quand un homme des Hoouâra, hostile aux Benou Aous, alla trouver Abd el Ouahhâb et lui dit : « Un tel a demandé en mariage pour lui ou pour son fils la fille dun tel. Tu sais quelle situation il occupe parmi les siens et de quelle influence il jouit parmi ses contribuables. Je ne vois pas ce mariage dun bon œil ; car cette union lui créera des parentés et des alliances et, quand une tribu marchera avec lautre, ces gens te feront de lopposition dans la ville. Demande sa fille à cet homme soit pour toi-même, soit pour ton fils ou pour quelquun qui, en raison de ton pouvoir, tournera toujours ses préférences de ton côté. » Abd el Ouahhâb, ayant mandé lhomme, eut un entretien avec lui et lui demanda la main de sa fille pour lui-même. Il la lui donna en mariage. » Quand le chef des Aous eut appris la chose, il dit : « Par ses manœuvres dirigées contre moi et en abusant de son pouvoir, il ma ravi une jeune fille que javais demandée en mariage et quon mavait accordée. Je me soucie plus dhabiter une terre où il se trouve. » Les gens de sa fraction partagèrent sa colère ; il leva le camp dans la direction du Maghrib et alla sinstaller avec eux dans la vallée des Hoouâra qui se trouve à dix milles ou plus de la ville. Ils peuplèrent le pays depuis le haut de la rivière jusquà un certain endroit… et furent rejoints là par les tribus comprises sous la dénomination de Hoouâra. Je pense quils avaient été précédés en cet endroit par certains groupes de leur tribu. Tous ceux qui partageaient leurs idées ou leurs passions se rallièrent à eux. Les intrigants ne cessèrent dès lors dagir entre les deux partis jusquà ce quils eussent allumé le feu de la guerre. Un des Chorat ma raconté, daprès ses ancêtres, quà la première expédition dirigée contre leurs ennemis, les Hoouâra rencontrèrent un jeune homme de la famille du muletier () près des villages situés sur la rivière Nahr Abou Saïd Allah. Ils le tuèrent, mais ils ne lui coupèrent pas la tête, ne lui enlevèrent aucun de ses vêtements et ne prirent ni son cheval, ni sa selle, ni sa bride. Des cris sélevèrent dans la ville et les habitants accoururent en hâte. Ils trouvèrent le jeune homme tué ; sa monture était à ses côtés, avec sa selle et sa bride ; il avait conservé intacts tous ses vêtements. Désappointés de voir quon ne lui avait rien enlevé, ils examinèrent minutieusement le corps de la victime et finirent par constater quune bague quil portait au doigt avait disparu. Aussitôt ils poussèrent le cri : Dieu est grand ! et dirent : « Ils regardent comme licite le pillage des biens ; il est donc légitime pour nous de les combattre. » Ils transportèrent le mort en ville, firent sur lui les prières rituelles et lenterrèrent. Puis ils se préparèrent à faire la guerre et à attaquer leurs ennemis. Abd el Ouahhâb vit se réunir autour de lui une quantité considérable de tribus et de guerriers. Les Hoouâra et les Abâdhites qui sétaient joints à eux apprirent quil comptait dans son armée mille chevaux de robe pie. Il sortit de la ville et se mit en marche à la tête dune armée dont Dieu seul connaissait le chiffre. Quand les Benou Aous apprirent ce mouvement, ils furent tous saisis de terreur et concentrèrent leurs forces le long dun cours deau appelé Nahr Islan. LImâm, atteint dun refroidissement, avait fait disposer sur sa chamelle un palanquin et avait pris pour lui faire contrepoids un homme des Nefousa et comme conducteur un homme de la même tribu. Parfois, quand le conducteur pressait trop lallure et que les préposés à la litière lui disaient : rouid, doucement il criait rid, avance. — « Malheur à toi, lui répétaient-ils, on te dit rouid doucement ». — « Cest bien cela », répondait-il. On continua à marcher, jusquà ce que les deux troupes fussent en vue. Abd el Ouahhâb disposa son armée et assigna la place à ses généraux. De leur côté les Benou Aous rangèrent les Hoouâra et ceux qui sétaient ralliés à leur rébellion. Alors les chevaux tournoyèrent et la bataille sengagea si violente que la poussière qui séleva obscurcit tous les points de lhorizon. LImâm suivait des yeux les phases du combat, regardant tantôt à droite, tantôt à gauche ou au centre. Quand il portait ses regards vers la droite, il apercevait un cavalier : » Quel est donc ce cavalier qui jette le désordre dans les rangs ennemis » ? disait-il. — « Cest ton fils Allah », lui répondait-on. Sil regardait à gauche, il voyait la même chose et à sa question : « Quel est ce cavalier ? » on lui répondait : « Cest encore ton fils Aflah. » Quand il tournait ses yeux vers le centre, il voyait encore le même cavalier et cétait toujours son fils Aflah. Abd el Ouahhâb sécria alors : « Aflah est certes bien digne de lImamat. » Ce fut la première fois quil fut désigné comme futur Imâm. Le combat continua sans quaucune des troupes lâchât pied, si bien quau dire des gens, lOued Islan roula ce jour des flots de sang. Pendant que les deux armées étaient aux prises, Abd el Ouahhâb criait à pleins poumons : « Dinar, serre la bride et avance dun pas ». — Dinar obéissait ; mais chaque fois quil laissait un pas en avant, le Nefousi qu’Abd el Ouahhâb avait choisi comme contrepoids, sélançait pour combattre et le côté où il était sallégeant, la litière penchait du côté de lImâm. — » Pourquoi la litière en choit-elle, » disait-il ?— « Cest ton compagnon qui est parti au combat, » lui répondait-on. — « Chargez son côté avec des pierres, » criait Abd el Ouahhâb. — Puis il criait de nouveau : Dinar, serre la bride et avance dun pas ». Et il ne cessait de pousser en avant, conduisant sa troupe vers lennemi, ordonnant, chaque fois que sa litière penchait de rétablir, léquilibre en chargeant de pierres le côté du Nefousi, jusquà ce quil eût dispersé avec ses escadrons la troupe rebelle qui prit la fuite. Il y eut dans cette journée un nombre considérable de morts parmi les diverses tribus ; mais ceux qui subirent les pertes les plus sensibles et les plus cruelles furent les Hoouâra. On dit quils se réfugièrent dans le Djebel Indjân ; dautres disent quils ne gagnèrent cette région que plus tard. Dieu seul sait la vérité ! Aflah se forma depuis au principat ; il eut autour de lui un parti tout dévoué, prit la plus grande part à la direction des affaires et attribua les faveurs. Il en fut ainsi jusquau moment où Abd el Ouahhâb fut enlevé par la mort. Le khalifat passa alors à Aflah. Gouvernement dAflah ben Abd el Ouahhâb. Lorsqu’Aflah eut pris le pouvoir, il se montra plein de décision et dénergie. Il eut un nombre de fils que navaient pas eu ceux qui lavaient précédé. Sa renommée se répandit bientôt partout. Les Nefousa du Djebel vinrent lui demander de mettre à leur tête celui quil voudrait. Quant aux Chorat, ils neurent rien à lui reprocher au sujet de ses décisions, ni de la perception de ses aumônes ou de ses dîners. Ils eurent une première occasion de le mettre à lépreuve. Un des qâdhis nommés par son père étant mort sous son règne, ils allèrent en députation chez lui et lui demandèrent de désigner pour le remplacer celui quil pensait être digne de ses fonctions. « Convoquez vos assemblées, leur dit-il, et choisissez le meilleur dentre vous. Quand vous me laurez désigné, je le contraindrai à répondre à votre appel et laiderai à agir au mieux de vos intérêts. » Ils délibérèrent sans arriver à accepter aucun dentre eux. Mais ils sentendirent pour porter leur choix sur Mohakkem el Hoouâri qui habitait le Djebel Aourâs. Ils vinrent alors trouver Aflah ben Abd el Ouahhâb et lui dirent : « Nous avons débattu la question et nous ne voulons aucun dentre vous ; mais nous portons notre choix sur Mohakkem el Hoouâri qui habite le Djebel Aourâs et nous lagréons à lunanimité pour nous tous et pour nos affaires religieuses ou temporelles ». Aflah leur répondit : « Malheur à vous, vous faites appel à un homme qui a bien les sentiments scrupuleux de piété et la valeur religieuse que vous lui prêtez ; mais il a été élevé loin des villes et ne tient aucun compte du rang et de la noblesse de qui que ce soit. Sil devient votre qâdhi, il ne faut pas penser quil laisse un seul de vous commettre une injustice ou être lésé. Il appliquera les lois dans toute leur intégralité, sans se soucier de les atténuer pour vous être agréable et sans jamais être le serviteur de personne. » — « Nous ne voulons personne autre que lui comme qâdhi, » répliquèrent-ils. Daprès lauteur du récit que je rapporte, celui qui insistait le plus pour obtenir dAflah la nomination de Mohakkem était son frère Aboul Abbâs. « Puisque vous refusez tout autre que lui, après le conseil que je viens de vous donner, dit lImâm, dépêchez-lui vos envoyés. » Les gens composant la députation se mirent en route emportant une lettre dAflah et une autre des Chorat : Au nom du Dieu suprême, était-il dans ces missives, il sest produit chez les musulmans un événement qui rend ta présence indispensable parmi eux. Ils attendent donc ton arrivée. En raison de la responsabilité que tu encours aux yeux de Dieu, il ne t’est pas possible de différer ton départ et tu ne peux le dispenser de les joindre afin de te mettre daccord avec eux sur une question qui concerne les intérêts des musulmans. » Lorsque les envoyés eurent remis leurs message à Mohakkem, il se dirigea vers sa monture, lenfourcha et ne prenant que son vêtement et son bâton, se mit en route. Arrivé à Tâhert, il gagna la grande mosquée et y descendit. Ses amis accoururent vers lui, lentourèrent et lui dirent : « Le qâdhi, un tel fils dun tel, est mort. Les musulmans et lImam ont convenu de te désigner comme son successeur. Sache que si tu refuses de répondre à notre appel, tu seras responsable de tout sang versé injustement et de toute possession illégitime de femme qui pourrait se produire. Crains Dieu et ne repousse pas loffre que te font les musulmans et lImâm. Si tu désobéis, nous te contraindrons ; si tu te soumets à notre volonté, nous te serons reconnaissants. » — « La justice est chose amère, répondit-il, plus amère quun remède et ce nest que malgré soi quon avale un remède. Vous êtes aisés et riches. Tout autre que moi vaut mieux pour vous. Cest un conseil que je vous donne, acceptez-le. » Après des pourparlers quil serait trop long de rapporter, Mohakkem finit par dire : « Puisque vous repoussez toute autre solution, retournez chez votre Imâm ; faites-lui connaître ce qui en est et consultez-le. » — « Cest déjà fait, » répliquèrent-ils. — « Eh bien soit », dit-il. Ils linstallèrent alors dans la maison connue sous le nom de maison de justice, lui achetèrent une servante de couleur et lui assignèrent sur les fonds du trésor public ce qui était nécessaire à son entretien. Sa manière dêtre avec eux justifia leur attente et leur espérance. Pendant quil exerçait ainsi ses fonctions, il arriva quAboul Abbâs, frère de limâm Aflah, qui avait conseillé de le choisir et avait poussé à la nomination eut un différend au sujet dune terre avec le beau-père de lImâm. Ils le soumirent à Aflah. Mais Aboul Abbâs étant son frère et son adversaire, son beau-père, lImâm leur dit : « Vous mêtes également chers. Portez votre affaire devant Mohakkem ». Cétait là la solution désirée par Aboul ’Abbâs qui avait fait nommer le qâdhi et avait marqué sa préférence pour lui. Elle répugnait au contraire à lautre qui aurait bien voulu voir Aflah régler laffaire en litige. Aboul Abbâs, profitant de la décision de lImâm, sempressa denfourcher une mule grise dallure rapide quil possédait pendant que son adversaire partait sur une jument dont la marche était lente. Il trouva Mohakkem seul, dans le vestibule de sa maison. Le qâdhi ne voyant personne avec Aboul Abbas le fit asseoir à son côté et se mit à causer avec lui. Sur ces entrefaites, ladversaire dAboul Abbâs qui était resté en arrière, arriva et descendit à la porte de Mohakkem. Dès quAboul Abbâs le vit là, il appela à haute voix par son nom la servante de Mohakkem et lui demanda à boire, pour montrer à son adversaire la faveur dont il jouissait auprès du qâdhi et lintimider ainsi. Quand Aboul Abbâs eut rendu à la servante le vase dans lequel il avait bu, son adversaire se dit : « A qui vais-je soumettre mon affaire ? Voilà mon adversaire assis à côté du qâdhi et se faisant servir à boire chez lui, pendant quon me laisse à la porte de la maison, sans daigner jeter un regard vers moi ». Le qâdhi ayant tout à coup tourné les yeux de ce côté, aperçut lhomme assis. « Que fais-tu là, dit-il, et que désires-tu ? — Je suis venu en qualité dadversaire dAboul Abbâs, mais layant trouvé assis à ton côté, jai pris place à lendroit où tu me vois. » Mohakkem semporta contre Aboul Abbâs et lui dit : « Comment, tu viens ici avec ton adversaire et tu tassieds à mon côté pendant quil reste à lécart et, de plus, tu te fais servir à boire dans ma maison par ma servante ! Esclave, prends Aboul Abbâs par la main ; fais-le assoira la place de son adversaire et quil nen bouge pas. Prends ensuite son adversaire par la main, amène-le à mon côté et ordonne à la servante de lui apporter à boire ». Lesclave exécuta lordre. Aboul Abbas sortit fort irrité et se rendit chez son frère Afiah. « Que tarrive-t-il donc ? » lui demanda-t-il. — « Il marrive avec ce misérable et grossier Hoouâri ce qui nest jamais arrivé à personne, » répondit-il. — « Et quoi donc ? » Il raconta lhistoire tout au long. LImâm lui dit alors : « Aboul Abbâs, je tavais déjà fait prévoir cela avant sa nomination ; mais il a bien fait dagir ainsi ; la justice doit passer avant tout. Sil avait fait autrement, il aurait trahi son devoir. » Ce propos parvint aux oreilles des notables Abâdhites ; il leur plut et ils sen réjouirent. Le règne dAflah fut plus long que tous ceux de ses prédécesseurs. Il occupa le trône pendant cinquante ans et vit grandir ses fils et ses petits-fils. Son gouvernement fut glorieux. Il construisit des châteaux et fit fabriquer une porte en fer ; il fit fabriquer de vastes écuelles et donna à manger au peuple, à lépoque dite Aiâm El Djifân, comme nous lavons dit précédemment.[8] Sous son règne la prospérité devint générale ; les richesses et les revenus se multiplièrent. Les voyageurs et les caravanes arrivèrent de tous les points de lhorizon et de tous les pays avec des marchandises diverses. Les habitants rivalisèrent dardeur pour construire et lon vit sélever des châteaux et des fermes en dehors de la ville, pendant que lon réglait le cours des eaux. Abân et Hamouia construisirent leurs deux châteaux connus à Amlâq. Abdel Ouahid bâtit également le château qui porte encore son nom aujourdhui. Il serait trop long de citer les autres. Un personnage digne de confiance ma raconté quun jour Abân et Hamouia allèrent en promenade à leurs châteaux, amenant avec eux un groupe de leurs frères. « Lorsque nous arrivâmes en vue des deux châteaux, rapporta lun deux, un de leurs esclaves prit les devants pour nous annoncer. Les habitants des deux châteaux garnirent les terrasses et les murailles pour les voir arriver. Je le jure par Dieu, il nétait pas un créneau où lon naperçût un vêtement rouge ou jaune et, sur le mur denceinte, des visages beaux comme des pleines lunes. Les différentes tribus se développèrent, créèrent des centres dhabitation et virent leurs richesses se multiplier. Les étrangers avaient élevé des châteaux ; les Nefousa avaient construit sur la rive. Les soldats venant de lIfriqiya avaient bâti la ville qui est aujourdhui peuplée. La sécurité sétablit partout et, les richesses augmentant, les gens de la banlieue et de la campagne commencèrent à sagiter. Plusieurs personnages mont rapporté que les étrangers avaient un chef nommé Ibn Ouerda qui avait installé un souq portant son nom. Lorsque le chef de la police dAflah parcourait les marchés pour les inspecter, on ne pouvait lempêcher dentrer dans le souq dibn Ouerda, mais il ny pénétrait pas par déférence respectueuse pour le propriétaire, qui était un notable appartenant au groupe des Adjem dont les restes existent encore aujourdhui sous le nom de Marmadjâna. Les Nefousa étaient chargés dexercer les tutelles déléguées par les qâdhis, de remplir les fonctions se rattachant au trésor public, de réprimer les délits commis sur les marchés et du contrôle des mœurs. Les soldats formaient la garde particulière du sultan, de ses enfants et de sa suite. Aflah avait des fils qui par leur âge, leur expérience et leur habitude des affaires étaient tous dignes de limamat. Mais le peuple considérait comme plus propres à occuper le pouvoir deux dentre eux ; lun portait le surnom dAbou Bekret lautre celui dAboul Yaqzhân ; cest sous ces dénominations quils étaient surtout connus dans la masse. Les tribus qui sétendaient autour de la ville de Tâhert étant devenues riches et, possédant des esclaves et des chevaux, montraient autant dorgueil que les habitants de la cité, si bien quAflah en vint à craindre une coalition qui pourrait lui arracher le pouvoir. Il sappliqua alors à semer la division entre les tribus voisines les unes des autres. Ses excitations entre les Loouâta et les Zenâta, les Loouâta et les Matmâta, les soldats et les étrangers amenèrent des scissions qui donnèrent lieu à des guerres. Chacune des tribus chercha dès lors à se concilier la faveur de lImam, par crainte de le voir soutenir contre elle sa rivale. On raconte, et Dieu seul connaît ceux qui ont vu ces choses, quà partir de ce moment, il put se mettre tranquillement sur son dos et étendre à son aise ses mains et ses pieds, sachant bien quil était maître de la situation. Mais des ferments de haine restèrent dans les cœurs jusquau jour où la mort emporta Aflah. Son fils Aboul Yaqzhân avait mérité lestime de tous et était réputé pour sa grande piété. Il insista vivement auprès de son père pour être autorisé à faire le pèlerinage. Il partit avec une caravane et arriva à la Mekke. Lorsquil eut accompli les tournées et les courses rituelles, il fut découvert par les émissaires des Abbasides qui avaient été dépêchés à leffet de le rechercher. On leur avait dit en effet que le fils du chef des Chorat était arrivé du Maghrib envoyé par son père pour sonder le pays, prendre contact par des messagers envoyés dans toutes les directions avec ceux qui se rattachaient à son parti ou suivaient les doctrines de sa secte en les invitant à se préparer pour le jour où son père arriverait du Maghrib. Aboul Yaqzhân fut arrêté à la Mekke avec un homme des Nefousa qui laccompagnait comme serviteur et transporté à Baghdâd. Celui qui gouvernait alors était El Motaouakkel ou un autre qui vivait à la même époque. Il donna lordre de le mettre en prison. Celui qui ma rapporté ces faits ajoutait : Mon père ma raconté quAboul Yaqzhân lui avait fait lui-même le récit suivant : « Mon incarcération coïncida avec larrestation du frère du khalife, puni pour avoir manifesté son mécontentement contre le souverain. On nous fit enfermer en même temps. et nous fûmes mis dans une même prison. On mavait attribué une pension quotidienne de cent vingt dirhems, comme au frère du khalife, pension qui me fut payée jusquà ma sortie. Lorsque jeus été mis en liberté et quon meut autorisé à retourner dans mon pays, on me demanda à qui je voulais transmettre ma pension, afin que mon souvenir restât dans le pays et que mon nom ne disparût pas des registres. « Voici à la suite de quelles circonstances je fus relaxé. Avec la volonté de Dieu, jétais devenu pendant mon séjour en prison lintime du frère du khalife qui mavait pris en grande amitié. Il ne mangeait et ne buvait rien sans mappeler à en prendre ma part et jagissais de même à son égard. Pendant que nous vivions ainsi, nous entendîmes se produire autour de nous une grande agitation et un bouleversement général : le khalife régnant venait dêtre tué et mon compagnon de captivité était proclamé à sa place. Tout à coup, les Esclavons et les soldats firent irruption dans la prison et enlevèrent le nouveau khalife. » Le narrateur ne dit pas quel était le nom du khalife tué ni comment sappelait son successeur. « Lorsque mon compagnon fut seul maître du pouvoir et quil eut organisé son gouvernement, il donna lordre de me faire sortir de la prison et de me conduire chez le vizir auquel il prescrivit de me garder, de me traiter avec honneur et de soccuper de mes affaires jusquà ce quil pût me recevoir. « Je restai chez le vizir, largement et honorablement traité. Un jour que jétais chez moi et quil revenait du palais du khalife, il arrêta son cheval dans la cour de ma maison. Je le rejoignis et restai avec lui. Or, pendant que nous étions là, arrivèrent dix personnages qui descendirent de leurs montures et vinrent lui baiser les mains et les pieds. « Savez-vous, leur demanda-t-il, pourquoi je vous ai maudits ? » — « Que Dieu maintienne le vizir en bien, nous lignorons, » répondirent-ils. — » Demain matin, leur dit-il, amenez-moi dix mille cavaliers. » — « Cest bien, répondirent ils, que Dieu protège le vizir. » Jétais resté étonné en entendant son ordre et leur réponse et je me disais : « Il se moque deux ou ils se moquent de lui. Peut-être aussi veut-il me faire croire une chose imaginaire pour que jen parle dans le Maghrib ». Il me regardait et sapercevant de ma stupéfaction, il me dit : « Quas-tu, ô Maghrébin ? Je vois que tu trouves extraordinaire ce que tu viens dentendre. » — « Comment en serait-il autrement, répondis-je. Si tu leur avais demandé de te fournir en le sortant de leurs poches un chiffre semblable de dirhems, ils nauraient pu te les apporter demain. Quen peut-il être quand il sagit de fournir dix mille cavaliers ? » — « O Maghrébin, me dit-il, tu vois ces dix cavaliers ? » — « Oui, » répondis-je. — « Eh bien chacun deux commande à dix autres. Combien cela fait-il à ton compte ? » — « Cent. » — « Chacun de ces cent commande à dix autres, combien cela fait-il ? » — « Mille. »— « Et chacun de ces mille a dix cavaliers sous ses ordres. Quel est le compte ? » — « Dix mille, » répondis-je. — « Eh bien, ajouta-t-il, chacun de ces dix cavaliers va faire appeler les dix auxquels il commande et donnera lordre à chacun deux damener son groupe de dix. Ceux-ci transmettront lordre den faire autant à chacun de ces derniers et le chiffre demandé sera complet en moins dun clin dœil. » Puis il ajouta : « Si nos richesses navaient pas été dispersées et pillées, nous naurions trouvé que lEuphrate et le Tigre capables de les contenir. » Ses paroles me plurent et je me dis : « Ce quil dit est possible. » « Pendant que nous conversions ainsi, le khalife lui fit donner lordre de mamener. Quand je fus en sa présence, il me fit asseoir et me parla de notre situation passée, en me rappelant quil avait été témoin de mon assiduité à la prière et autres pratiques. « Je veux, ajouta-t-il, tinvestir dun commandement dans une ville de lOrient que tu choisiras. » — « Ai-je à choisir dans lOrient à lexclusion de lOccident ou dans lOrient et lOccident, » lui demandai-je ? — « Dans lun et lautre, répondit-il, mais je préfère pour toi lOrient, à cause de ses richesses et veux te détourner de lOccident en raison de sa misère. » — « Puisque tu viens de me donner le choix, lui dis-je, je suis libre de choisir ce que je voudrai ? » — « Mais certainement. » — « Alors je te demande de me réunir à mon père. » — « Quel bien veux-tu chercher dans le Maghrib ? répliqua-t-il. Mais puisque telle est ta volonté, lais comme tu lentendras. » Puis se tournant vers moi il ajouta : « Et la pension que tu avais en prison ? Vois à qui tu veux la laisser afin que le souvenir de ton nom ne sefface pas parmi nous. » — « A un tel fils dun tel, le tailleur qui est près de la prison, » lui dis-je. « Javais proposé auparavant au Nefousi qui avait été conduit avec moi à Baghdâd de rester dans cette ville pour toucher la pension quotidienne de cent vingt dirhems en lui faisant remarquer que cela vaudrait mieux pour lui que de retourner dans le Maghrib. Il avait refusé : « Puisque tu refuses, lui avais-je dit, à qui penses-tu que je doive laisser la pension ? » — « Au tailleur un tel, fils dun tel, mavait-il répondu. Cest chez lui que je masseyais et me reposais ; cest lui que je consultais souvent à ton sujet ». « Quand jeus donné le nom du tailleur au khalife, il me demanda ce qui lui valait cette faveur de ma part. Je lui fis connaître ce quavait dit le Nefousi et sur son ordre la pension fut attribuée à ce tailleur. Par la suite, à Tâhert, quand le Nefousi avait un ennui ou se trouvait dans la gêne, il disait à Aboul Yaqzhân : « Je nai pas voulu accepter ce que tu mas offert. Si javais accepté, les cent vingt dirhems vaudraient mieux pour moi que ce que je possède ». Aboul Yaqzhân complétant son récit disait : « Fuis le khalife donna des ordres pour quon soccupât de moi et quon préparât mes provisions de route. Il me fit donner et monter une grande tente en forme de dais, une somme dargent et des vêtements et me remit des lettres à ladresse des gouverneurs des grandes villes, dans lesquelles il leur recommandait de veiller à ma sécurité, davoir des égards pour moi, de faire ce que je demanderais et de me traiter avec considération. Après avoir terminé mes préparatifs, je me mis en route ». Quant à Aflah ben Abd el Ouahhâb quand il eut perdu son fils Aboul Yaqzhânet sut quil avait été transporté à Baghdâd, il éprouva un chagrin violent et prolongé. Il vécut dans le deuil et la tristesse jusquà sa mort. Quand il mourut, son fils était encore en prison à Baghdâd. Les Abâdhites se réunirent et nayant plus Aboul Yaqzhan, il se trouva que parmi les fils dAflah, celui sur lequel toutes leurs préférences se portaient était Abou Bekr. Gouvernement dAbou Bekr ben Aflah. Assassinat dIbn Arfa. Un certain nombre dAbâdhites et autres mont rapporté les faits suivants concernant le gouvernement dAbou Bekr, lassassinat dIbn Arfa et larrivée dAboul Yaqzhân de lIraq. A la mort dAflah ben Abd el Ouahhâb, les gens mirent à leur tête son fils Abou Bekr. Daprès lautorité de plusieurs Abâdhites, Abd elAziz ben el Aouz criait à pleine voix : « Dieu vous demande compte de votre conduite, ô Nefousa ; quand un imâm meurt, vous le remplacez par un autre sans en référer aux musulmans et sans leur permettre, en les consultant, de choisir le plus pieux et celui qui leur agrée le mieux ». Ils ne tinrent aucun compte de ses paroles et ne soccupèrent pas de sa protestation. Investi de lImamat, Abou Bekr ne montra pas, en matière religieuse, le zèle sévère de ses prédécesseurs. Il était bon, généreux et de caractère doux. Il favorisait les mâles vertus et fréquentait volontiers ceux qui les possédaient. Il aimait la littérature, la poésie el les récits des temps passés. Il y avait dans la ville un homme appelé Mohammed ben Arfa, qui était distingué, beau, généreux et bon. Il avait été envoyé comme ambassadeur au roi du Soudan avec des présents offerts par Aflah ben Abd el Ouahhâb. Séduit par sa mine inspirant le respect, par sa beauté et son habileté à manier les chevaux, le roi du Soudan avait levé les mains en prononçant dans la langue du Soudan un mot quil est impossible de reproduire en arabe, faute de lettres équivalentes, mais qui représente un son intermédiaire entre le qaf, le kaf et le djim. Le sens de cette articulation était : « Tu es beau de visage et de prestance ; ta manière dagir est excellente ». Ibn Arfa avait une sœur ou une fille encore plus belle que lui. Abou Bekr layant demandée en mariage consomma son union avec elle. Daprès les récits rapportés, Ibn Arfa avait aussi épousé la sœur dAbou Bekr. Nominalement, le commandement appartenait à Abou Bekr, mais en réalité cétait Mohammed ben Arfa qui lexerçait. Quand, partant de sa maison, il montait à cheval pour se rendre chez Abou Bekr il était précédé suivi et entouré dune foule considérable. Les Rostemides étaient affectés de cette attitude et jalousaient le personnage ; il en était de même pour tous ceux qui entouraient Abou Bekr, mais la concorde et lunion se maintenaient et chacun gardait sa situation. Cependant les haines qui sétaient manifestées au temps dAflah entre les tribus et les citadins subsistaient dans les cœurs ; il y eut entre les tribus des guerres qui surgissaient puis sapaisaient. La ville continuait à se peupler et à prospérer. Les Hoouâra sétaient tenus à lécart et occupaient leurs emplacements dans leur vallée ; mais les inimitiés qui existaient chez les divers groupes sétaient produites aussi chez eux. Il y eut des compétitions et des partis se formèrent. Les Benou Aous avaient groupé autour deux leurs partisans et tenaient la tête avec leurs chefs. Les gens conservaient une attitude hautaine vis-à-vis de leur Imâm jusquau moment où Aboul Yaqzhân arriva de lIraq. Il trouva son frère Abou Bekr au pouvoir, les Adjem dans la situation quils avaient, les Nefousa investis des fonctions et le peuple dans les dispositions indiquées ci-dessus. Il ne changea rien à ce qui était et ne réprouva rien de ce quil voyait ; il néleva aucune prétention à limamat et ne le lui contesta pas. Au contraire, il montrait à son frère le plus grand respect et manifestait devant lui une parfaite réserve. Abou Bekr aimait les plaisirs et se laissait aller volontiers à ses passions. Il confia le soin dadministrer la ville et les dépendances à son frère Aboul Yaqzhân de qui il avait reconnu les capacités, la bonne éducation acquise au contact de lOrient et les qualités de fermeté et dénergie quil avait puisées dans lexemple du gouvernement et de la politique des Abbâsides. Aboul Yaqzhân se rendait dans la principale mosquée de la ville et y tenait séance. Il entendait les rapports faits par les gouverneurs, les qâdhis ou les chefs de la police et après avoir examiné mûrement les questions, il appliquait strictement la justice sans se soucier dêtre agréable ou de provoquer des colères, sans tenir compte de la situation humble ou considérable des parties en cause et sans craindre, quand il agissait en vue de Dieu, le blâme de personne. Il mérita ainsi les éloges des Chorat et lapprobation de son frère. A la fin de la journée il venait à la porte dAbou Bekr ; sil le trouvait prêt à le recevoir, il entrait et lui rendait compte des événements de la journée et des décisions prises. Sil le trouvait occupé, il lui dépêchait un de ceux quil savait pouvoir pénétrer dans les appartements privés du prince en lui disant : « Salue lémir de ma part et fais-lui savoir que sa ville était tranquille ce matin et quelle est tranquille ce soir ». La nuit venue, il montait à cheval et parcourait la ville jusque dans ses parties les plus éloignées, Il réglait les affaires urgentes, donnait lordre de venir le trouver chez lui sil se produisait quelque événement, puis rentrait dans sa maison. Au matin, il se rendait à la porte de son frère et quand il était reçu il linformait des événements qui avaient pu se produire ou lui annonçait que tout était calme. Il continua à agir de la sorte, si bien quil attira à lui les cœurs de tous ; les regards se tournèrent vers lui et il gagna les sympathies du peuple. Cependant, Mohammed ben Arfa étalait un faste bruyant et jouissait dune popularité considérable. Il ne faisait aucun cas dAboul Yaqzhân, ni des gens qui lentouraient ou formaient son parti et ne tournait même pas les yeux de son côté. Il navait pour lui ni déférence, ni considération et ne le craignait pas. Quand Mohammed ben Arfa arrivait à la porte dAbou Bekr, il ne se souciait pas de demander si le prince était dans la salle daudience ou dans ses appartements privés. Par contre, Aboul Yaqzhân, les frères dAbou Bekr ou ses oncles ne pénétraient jamais même dans sa salle daudience sans demander lautorisation. Mohammed ben Arfa agissait tout autrement. On nosait cependant pas chercher à le desservir à cause de la situation quoccupait près du prince sa fille ou sa sœur, dont Abou Bekr était fort épris. Les familiers de la cour attendaient pour agir quune faute se produisît et guettaient une occasion favorable. Un jour Abou Bekr les ayant convoqués pour les consulter sur une affaire, ils profitèrent du moment où ils étaient seuls avec lui pour lui dire : « Tu te perds et tu nous perds aussi. » — » Comment cela, leur demanda-t-il ? » — « Nous ne pensons pas, répondirent-ils, que tu saches avec quelle escorte dapparat Mohammed ben Arfa vient chez toi et en repart ni comment la foule encombre ta porte quand il est ici et la laisse déserte dès quil est parti ». On dit que ce fut Aboul Yaqzhân seul qui parla ainsi, hors la présence des frères et des oncles du prince. Dieu seul sait laquelle de ces versions est la vraie. Lorsqu’Abou Bekr eut entendu ces paroles il fut vivement ému et voulut se rendre compte. Il ouvrit dans le haut de son palais une fenêtre qui faisait face à la direction par laquelle arrivait Mohammed ben Arfa. Le lendemain matin, pendant quil était assis près de cette ouverture, Mohammed ben Arfa se mit en mouvement pour quitter son palais. Abou Bekr put voir de ses yeux les gens accourir vers lui de tout
Posted on: Tue, 19 Nov 2013 03:12:44 +0000

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