Islam et droits fondamentaux (suite 2) de Osire GLACIER, - TopicsExpress



          

Islam et droits fondamentaux (suite 2) de Osire GLACIER, Doctorante à l’Université McGill et à l’Institut islamique II. Les enjeux sous-jacents à la formulation de la Charte arabe et de la Déclaration islamique A. La Charte arabe Pour mieux comprendre les enjeux qui sous-tendent la Charte arabe, nous proposons préalablement de jeter un bref coup d’œil à la Convention [européenne] de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales19. Mentionnons d’abord que cette Convention a été produite par le Conseil de l’Europe en 1950, c’est-à-dire par des puissances coloniales à une époque où certaines d’entre elles exerçaient encore leur domination sur de nombreux pays arabes et nord-africains. Nous déduisons entre autres de l’article 7, al. 2 de cette Convention que les pays membres du Conseil de l’Europe se considèrent comme des nations civilisées : « d’après les principes généraux de droit reconnus par les nations civilisées ». Or, parler de nations civilisées sous-entend l’existence de peuples sauvages, ou mieux, de nations non civilisées. Ainsi, comme le fait remarquer Alain Finkielkraut20 en parlant du rapport que l’Occident entretient avec les populations non européennes, «un “arbitraire culturel” s’arroge le monopole de la légitimité, dévalorise les modes de pensée, les savoir-faire et les arts de vivre qui ne sont pas les siens, et les rejette dans les ténèbres de la sauvagerie ou de l’ignorance ». Et c’est pour faire face à cet ethnocentrisme, et à toute la dévalorisation culturelle qu’il engendre, que la Charte arabe glorifie la civilisation arabe et son héritage musulman, comme on peut le constater d’ores et déjà au premier paragraphe de son préambule : «Proclamant la foi de la nation arabe dans la dignité de l’Homme, du jour où Dieu a privilégié cette nation en faisant du monde arabe le berceau des religions révélées et le foyer des civilisations […] ». Il s’avère intéressant de noter ici que l’arabisme n’est pas dissociable de l’Islam : On est tenté, souvent de présenter la vie politique arabe, au Moyen-Orient, comme inspirée des années cinquante par le nationalisme arabe, puis à partir de 1967, par l’islamisme […] Aussi est-il commode certes, mais difficile en réalité, de discerner entre l’arabisme et l’islamisme dans la succession des décennies depuis l’après-guerre. L’Islam est présent ; et bien présent dans les pays arabes et dans leurs codes.21 Mais si l’Islam est bien présent dans la Charte arabe, comme on l’a vu précédemment, le nationalisme arabe l’est également comme peut en témoigner la formulation « Dieu a privilégié cette Nation […] » mentionnée dans son préambule. Certes, un certain degré de nationalisme peut avoir des effets bénéfiques pour les individus, les nations et la communauté internationale, ne serait-ce que parce qu’à l’instar de l’affirmation de soi, une affirmation culturelle saine apporte à l’humanité toute la diversité des modes de pensées et des modes de vie qui peuvent exister à l’échelle planétaire : National pride is comparable, from a psychological standpoint, to the good narcissistic image that the child gets from its mother and proceeds, through the intersecting play of identification demands emanating from both parents, to elaborate into an ego ideal.22 Toutefois, à l’instar d’un ego blessé, un nationalisme exacerbé ou une survalorisation culturelle et/ou religieuse peuvent être symptomatiques d’une fierté nationale blessée, voire agressée par les forces contemporaines internationales. Et dans le cas du nationalisme arabe, de nombreuses dispositions de la Charte arabe nous renseignent amplement sur la nature des blessures et agressions extérieures qu’il a essuyées. À ce propos, citons seulement l’article 1 de cette Charte : « a) Tous les peuples ont le droit de disposer d’eux-mêmes […] b) Le racisme, le sionisme, l’occupation et la domination étrangère sont un outrage à la dignité humaine […] ». Autrement dit, derrière le nationalisme arabe se cache la protestation d’un ordre mondial avilissant, puisqu’il prive, ou a privé, certains peuples de leur droit à l’autodétermination, et les nationaux de certains pays, de leur dignité humaine. En effet, tout en se plaçant au sommet des civilisations, l’ethnocentrisme occidental établit une hiérarchie entre les nations et, parallèlement, une hiérarchie entre tous les citoyens à l’échelle planétaire. Ce faisant, si, selon la Convention européenne, par exemple, il y a des nations civilisées et des nations non civilisées, il y a les citoyens des nations civilisées, d’une part, et les citoyens des nations non civilisées, d’autre part, c’est-à dire « les autres», comme on le verra dans l’exemple ci-dessous. Or, réduire un ensemble de citoyens à « l’Autre » n’est en fait qu’une forme de déshumanisation. Et ceci est d’autant plus grave qu’ainsi déshumanisés, ces citoyens voient leur dignité humaine plus aisément bafouée : « Whether operating as initial justification or as subsequent rationalization, the tendancy to dehumanize “different” societies and persons underlies much of the exploitation and oppression of one society by another [...] »23. Ainsi, par exemple, si l’un des buts déclarés de la Convention européenne est, comme le mentionne le préambule, « [d’]assurer la reconnaissance et l’application universelles et effectives des droits qui y sont énoncés », cette reconnaissance et cette application universelles des droits ne s’étendent pas à tous les citoyens, mais seulement à certains d’entre eux. Pour étayer nos idées, nous empruntons un exemple à Aldeeb Abu-Sahlieh qui cite l’article 56 de la Convention européenne : 1. Tout État peut, au moment de la ratification ou à tout autre moment par la suite, déclarer, par notification adressée au Secrétaire Général du Conseil de l’Europe, que la présente Convention s’appliquera, sous réserve du paragraphe 4 du présent article, à tous les territoires ou à l’un quelconque des territoires dont il assure les relations internationales. 3. Dans lesdits territoires les dispositions de la présente Convention seront appliquées en tenant compte des nécessités locales.24 Autrement dit, les États membres du Conseil de l’Europe sont autorisés à ne pas étendre l’application de la Convention dans les territoires qui sont extérieurs à la métropole. Nous concluons donc, comme Abu-Sahlieh, que ces États peuvent considérer les nationaux de certains pays comme des citoyens de deuxième classe : « […] these States can classify certain human beings as second class, depriving them of the protection of their human rights ». Derechef, pour protester contre l’existence tacite de citoyens de deuxième classe à l’échelle planétaire, la Ligue arabe propose une valorisation de l’identité arabe comme on peut le déduire notamment de l’article 35 de la Charte arabe qui affirme que « [t]out citoyen a le droit de vivre dans un milieu intellectuel et culturel qui glorifie les idéaux de la nation arabe et le respect des droits de l’Homme […] ». Interprétons que les citoyens arabes ont le droit de vivre leur identité culturelle sans avoir à subir les humiliations dues à une quelconque domination étrangère, une dévalorisation culturelle ou une marginalisation dans la communauté internationale. Par conséquent, l’adoption par la Ligue arabe de sa propre Charte des droits humains exprime avant tout une protestation envers l’ordre mondial. Mais si la Charte arabe proclame une valorisation de l’héritage arabo-musulman pour faire face à toutes formes de domination étrangère, la Déclaration islamique quant à elle propose un retour à un Islam radical sauf qu’ici, il s’agit de surcroît d’une protestation envers l’ordre économique mondial jugé contraire aux valeurs spirituelles de l’Islam comme on le verra ci-après. B. La déclaration islamique Si le préambule de la Déclaration universelle affirme que la plus haute aspiration de l’être humain est « l’avènement d’un monde où les êtres humains seront libres de parler et de croire, libérés de la terreur et de la misère », le préambule de la Déclaration islamique nous fait remarquer que cette aspiration n’a pas été satisfaite : « Considérant que l’aspiration séculaire des hommes à un ordre du monde plus juste où les peuples pourraient vivre, se développer et prospérer dans un environnement affranchi de la peur, de l’oppression, de l’exploitation et des privations est loin d’être satisfaite ». D’ailleurs, de nombreux défenseurs de l’approche théocratique des droits humains ne manquent pas de le souligner. Ainsi, par exemple, Abul A’La Maududi avance que : « In the middle of the present century, the United Nations made a Declaration of universal human rights […] Yet, human rights have been violated and trampled upon at different places, and the United Nations has been a helpless spectator »25. Selon le Conseil islamique, l’incapacité des Nations Unies d’assurer la protection des droits humains, et en l’occurrence des droits économiques à l’échelle planétaire, se traduit par l’existence massive des privations. Et ces privations paraissent d’autant plus aberrantes qu’elles ne sont pas dues à un manque de ressources, mais plutôt à un problème de distribution des richesses entre les peuples et entre les individus, comme on peut le déduire du préambule de la Déclaration islamique: «les moyens de subsistance économique surabondants dont la miséricorde divine a doté l’humanité sont actuellement gaspillés, ou inéquitablement ou injustement refusés aux habitants de la terre […] ». Or, qui dit problème de distribution, dit primauté des intérêts d’une minorité économiquement puissante au détriment de la dignité de la majorité qui, le plus souvent, n’a que sa force de travail à vendre pour survivre. Et c’est entre autres contre un tel ordre économique que la Déclaration islamique s’élève en proposant un retour radical aux valeurs de partage de l’Islam. La Déclaration islamique a consacré une longue disposition à « l’ordre économique et [aux] droits qui en découlent ». Ainsi, l’article 15, al. a) postule : « Dans leur activité économique, toutes les personnes ont droit à tous les avantages de la nature et de toutes ses ressources. Ce sont des bienfaits accordés par Dieu au bénéfice de l’humanité entière ». Mais pour que les avantages de la nature et de toutes ses ressources soient accessibles à l’humanité entière, au lieu d’être le privilège d’une minorité, à savoir les détenteurs du capital, de nombreux juristes, défenseurs de l’approche théocratique des droits humains, préconisent l’instauration d’une constitution véritablement islamique. D’ailleurs, l’une des recommandations faite aux États par l’Union des avocats arabes est « [la] nécessité de déployer de nouveaux efforts en vue d’appliquer le régime et la réglementation islamiques s’appuyant sur les principes islamiques, au lieu du régime économique actuel, considéré comme un reliquat du colonialisme passé, car le régime islamique constitue le seul espoir de sauver l’humanité de l’exploitation sociale et économique […] »26. Bien entendu, comme les constitutions en vigueur sont considérées comme un produit du colonialisme, le Conseil islamique a proposé en 1983 un modèle de constitution conforme aux valeurs islamiques27. Nous y retrouvons, selon nous, les mêmes conceptions de distribution des richesses que celles énoncées à l’article 15, al. a) de la Déclaration islamique, comme on peut le déduire de l’article 47 : The economic order [...] shall seek to mobilize and develop the human and material resources of society, in a planned and harmonious manner, to satisfy the spiritual, material and social needs of all members of the community. Cependant, pour qu’une telle distribution des richesses entre les membres de la société soit possible, il est nécessaire d’opérer un déplacement des intérêts des particuliers, des entreprises et des institutions vers un intérêt unique, celui de la communauté, comme l’affirme l’article 15, al. e) de la Déclaration islamique : «Tous les moyens de production doivent être utilisés dans l’intérêt de la communauté (ummah) dans son ensemble […] », ou encore l’article 49, al. a) de la Constitution islamique : « All natural and energy resources belong originally to the society as do enterprises and institutions established through the public exchequer ». Soulignons cependant que le droit à la propriété privée des moyens de production ne signifie pas pour autant le droit à la libre entreprise au sens capitaliste du terme. En effet, de nombreuses dispositions visent à restreindre toute poursuite du profit qui entrerait en conflit avec les intérêts de la communauté. À ce sujet, citons en premier lieu l’article 15, al. d) de la Constitution islamique qui postule : « Les pauvres ont droit à une part définie de la prospérité des riches, fixée par la Zakat, imposée et collectée conformément à la Loi ». Autrement dit, en instaurant la Zakat, une forme d’impôt sur le revenu et sur les propriétés, l’État islamique interviendrait dans le libre jeu du marché pour permettre une redistribution équitable des revenus entre toutes les strates sociales. De façon similaire, l’article 15, al. f) de la Déclaration islamique dispose : Afin de promouvoir le développement d’une économie équilibrée et de protéger la société de l’exploitation, la Loi islamique interdit les monopoles, les pratiques commerciales excessivement restrictives, l’usure, l’emploi des mesures coercitives dans la conclusion de marchés et la publication de publicités mensongères. Cela signifie que l’État islamique pourrait intervenir dans le libre jeu du marché pour prohiber toutes formes de gains excessifs si celui-ci est contraire aux valeurs spirituelles de l’Islam voulant qu’on ne doive pas s’enrichir sans travailler, c’est à dire sans produire en contrepartie un service pour la communauté. Il va sans dire que l’État islamique aurait par ailleurs la responsabilité d’abolir le système capitaliste dans sa totalité, puisque ce dernier est considéré comme un système de gains excessifs à l’échelle internationale dont sont victimes les pays défavorisés et, quant à nous, la majorité des pays arabo-musulmans, comme on peut le déduire de l’article 54 de la Constitution islamique : « The State shall take all such measures as may be necessary to terminate and prevent foreign economic domination ». Si, en tentant d’allier les valeurs spirituelles de l’Islam aux valeurs marchandes, le système économique islamique est de nos jours à l’origine de modes opérationnels révolutionnaires, notamment dans les domaines bancaire et financier, il n’en reste pas moins que la volonté d’islamiser l’ordre économique correspond avant tout à la nostalgie d’un ordre socio-économique qui a été ébranlé par les forces internationales contemporaines : Avant l’invasion de la civilisation matérialiste occidentale, pendant la période de notre décadence sociale, les gens avaient l’habitude de s’occuper les uns des autres entre parents, voisins, habitants du même quartier ou du même pays. Ils avaient l’habitude de croire fermement qu’ils étaient frères, que leur vie dans ce monde n’était que passagère, et qu’ils ne jouiraient pas des bénédictions de la vie éternelle s’ils abandonnaient les pauvres à leur misère, tout en se livrant eux-mêmes à leurs propres plaisirs […].28 De plus, cette nostalgie s’accompagne de la protestation d’un ordre économique mondial jugé responsable de l’enrichisse-ment des uns au détriment des autres qui s’appauvrissent et, selon nous, de la majorité des pays arabo-musulmans, comme peuvent en témoigner les nombreuses allusions de la Déclaration islamique quant à l’incapacité des Nations Unies de protéger tous les êtres humains contre l’exploitation et les privations. Toutefois, si aussi bien la Charte arabe que la Déclaration islamique protestent contre l’ordre mondial contemporain en inscrivant les droits humains dans un système de valeurs culturelles et religieuses, cette inscription a des répercussions négatives sur les droits humains des citoyens arabo-musulmans.
Posted on: Fri, 22 Nov 2013 22:05:09 +0000

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