J. de Groote et le Rwanda J. de Groote a été également partie - TopicsExpress



          

J. de Groote et le Rwanda J. de Groote a été également partie prenante de l’action de la BM et du FMI au Rwanda. Dans une interview déjà citée publiée par Le Soir, Béatrice Delvaux lui pose la question : « Et dans le cas de la lettre au président rwandais Habyarimana, où vous évoquiez, en la soutenant, la nécessité selon le Fonds d’une dévaluation ? » Jacques de Groote répond : « Au début des années 80, ce pays n’avait pas apporté de voix, lors de la constitution du conseil, à l’administrateur africain. Il m’avait demandé de le représenter. Après y avoir été autorisé par les différents pays que je représente, j’ai consulté les services du FMI et de la Banque nationale du Rwanda. Et mon attention a été attirée par l’anomalie du rattachement du franc rwandais au dollar, qui avait conduit à une appréciation de 35 % de la monnaie, comme je l’ai expliqué au président. Je devais attirer son attention là-dessus à partir du moment où je m’occupais de ses intérêts. Il y a peu de cas pour lesquels le FMI ait pris une position aussi formelle. » |29| La journaliste Colette Braeckman a publié dans Le Soir en janvier 1991 un important article sur l’action de J. de Groote au Rwanda. En voici un extrait éclairant : « Gros employeur à l’échelle rwandaise, le patron de la Somirwa [une société minière possédée à 51% par la Géomines du baron van den Branden], M. van den Branden, fait le siège du président Habyarimana pour qu’il consente à solliciter d’importants crédits internationaux. […] Alors que la situation est bloquée entre les Rwandais et la Somirwa, l’intervention de M. de Groote, considéré comme un technicien est sollicitée : il a la confiance des autorités rwandaises, il est l’ami de M. van den Branden, qui fait régulièrement le voyage à Washington et se targue, auprès de qui veut l’entendre, de ses relations américaines. Le verdict de M. de Groote est clair : il recommande une dévaluation du franc rwandais, et plaide en faveur du renflouage de la société. Suivant en cela la doctrine de son organisation, M. de Groote combat la surévaluation du franc rwandais et parie sur les exportations du secteur minier. Le verdict de l’« arbitre » est donc favorable à la Somirwa, même s’il s’inspire des critères habituels du FMI. Le ‘Wall Street Journal’ relève que c’est à cette époque que M. de Groote emprunte de l’argent à la banque Nagelmaekers, dirigée par le même M. van den Branden, qu’il vit dans une maison financée indirectement par ce dernier à Georgetown, et le quotidien américain voit là l’exemple même du ‘conflit d’intérêt’. » |30| Il est important de revenir sur l’action néfaste de la Banque mondiale et du FMI au Rwanda. Retour sur le génocide de 1994 A partir du 7 avril 1994, en l’espace de moins de trois mois, près d’un million de Rwandais - le chiffre exact reste à déterminer - sont exterminés parce qu’ils sont Tutsis ou supposés tels. Il faut y ajouter plusieurs dizaines de milliers de Hutus modérés. Il y a bien eu génocide c’est-à-dire la destruction planifiée d’une collectivité entière par le meurtre de masse ayant pour but d’en empêcher la reproduction biologique et sociale. Dans ce contexte, il est fondamental de s’interroger sur le rôle des bailleurs de fonds internationaux. Tout laisse penser que les politiques imposées par les institutions financières internationales, principaux bailleurs de fonds du régime dictatorial du général Juvénal Habyarimana, ont accéléré le processus conduisant au génocide. Généralement, l’incidence négative de ces politiques n’est pas prise en considération pour expliquer le dénouement dramatique de la crise rwandaise. Seuls quelques auteurs mettent en évidence la responsabilité des institutions de Bretton Woods |31|, qui refusent toute critique à ce sujet. Au début des années 1980, quand éclata la crise de la dette du Tiers-monde, le Rwanda (comme son voisin, le Burundi) était très peu endetté. Alors qu’ailleurs dans le monde, la Banque mondiale et le FMI abandonnaient leur politique active de prêts et prêchaient l’abstinence, ils adoptèrent une attitude différente avec le Rwanda : ces institutions se chargèrent de prêter largement au Rwanda. La dette extérieure du Rwanda a été multipliée par vingt entre 1976 et 1994. En 1976, elle s’élevait à 49 millions de dollars ; en 1994, elle représentait près d’un milliard de dollars. La dette a surtout augmenté à partir de 1982. Les principaux créanciers sont la Banque mondiale, le FMI et les institutions qui y sont liées (nous les appellerons IFI, les institutions financières internationales). La BM et le FMI ont joué le rôle le plus actif dans l’endettement. En 1995, les IFI détenaient 84% de la dette extérieure rwandaise. Le régime dictatorial en place depuis 1973 garantissait de ne pas verser dans une politique de changements structurels progressistes. C’est pourquoi il était soutenu activement par des puissances occidentales : la Belgique, la France et la Suisse. En outre, il pouvait constituer un rempart par rapport à des États qui, dans la région, maintenaient encore des velléités d’indépendance et de changements progressistes (la Tanzanie du président progressiste Julius Nyerere, un des leaders africains du mouvement des non alignés, par exemple). Durant la décennie 1980 jusqu’à 1994, le Rwanda reçut beaucoup de prêts et la dictature d’Habyarimana s’en appropria une partie considérable. Les prêts accordés devaient servir à insérer plus fortement l’économie rwandaise dans l’économie mondiale en développant ses capacités d’exportation de café, de thé et d’étain (ses trois principaux produits d’exportation) au détriment des cultures destinées à la satisfaction des besoins locaux. Le modèle fonctionna jusqu’au milieu des années 1980, moment où les cours de l’étain d’abord, du café ensuite, et du thé enfin, s’effondrèrent. Le Rwanda, pour qui le café constituait la principale source de devises, fut touché de plein fouet par la rupture du cartel du café provoquée par les Etats-Unis au début des années 1990. Utilisation des prêts internationaux pour préparer le génocide Quelques semaines avant le déclenchement de l’offensive du Front Patriotique Rwandais (FPR) en octobre 1990, les autorités rwandaises signent avec le FMI et la BM à Washington un accord pour mettre en œuvre un programme d’ajustement structurel (PAS). Ce PAS est mis en application en novembre 1990 : le franc rwandais est dévalué de 67%. En contrepartie, le FMI octroie des crédits en devises à décaissement rapide pour permettre au pays de maintenir le flux des importations. Les sommes ainsi prêtées permettent d’équilibrer la balance des paiements. Le prix des biens importés augmente de manière vertigineuse : par exemple, le prix de l’essence grimpe de 79%. Le produit de la vente sur le marché national des biens importés permettait à l’État de payer les soldes des militaires dont les effectifs montent en flèche. Le PAS prévoyait une diminution des dépenses publiques : il y a bien eu gel des salaires et licenciements dans la fonction publique mais avec transfert d’une partie des dépenses au profit de l’armée. Alors que les prix des biens importés grimpent, le prix d’achat du café aux producteurs est gelé, ce qui est exigé par le FMI. Conséquence : la ruine pour des centaines de milliers de petits producteurs de café |32|, qui, avec les couches les plus appauvries des villes, ont dès lors constitué un réservoir permanent de recrues pour les milices Interahamwe et pour l’armée. Parmi les mesures imposées par la BM et le FMI au travers du PAS, il faut relever en outre : l’augmentation des impôts à la consommation et la baisse de l’impôt sur les sociétés, l’augmentation des impôts directs sur les familles populaires par la réduction des abattements fiscaux pour charge de famille nombreuse, la réduction des facilités de crédit aux paysans... Pour justifier l’utilisation des prêts du couple BM/FMI, le Rwanda est autorisé par la BM à présenter d’anciennes factures couvrant l’achat de biens importés. Ce système a permis aux autorités rwandaises de financer l’achat massif des armes du génocide. Les dépenses militaires sont triplées entre 1990 et 1992 |33|. Pendant cette période, la BM et le FMI ont envoyé plusieurs missions d’experts qui ont souligné certains aspects positifs de la politique d’austérité appliquée par Habyarimana, mais ont néanmoins menacé de suspendre les paiements si les dépenses militaires continuaient à croître. Les autorités rwandaises ont alors mis au point des artifices pour dissimuler des dépenses militaires : les camions achetés pour l’armée ont été imputés au budget du ministère des Transports, une partie importante de l’essence utilisée par les véhicules des milices et de l’armée était imputée au ministère de la Santé... Finalement, la BM et le FMI ont fermé le robinet de l’aide financière début 1993, mais n’ont pas dénoncé l’existence des comptes bancaires que les autorités rwandaises détenaient à l’étranger auprès de grandes banques et sur lesquelles des sommes importantes restaient disponibles pour l’achat d’armes. On peut considérer qu’elles ont failli à leur devoir de contrôle sur l’utilisation des sommes prêtées. Elles auraient dû stopper leurs prêts dès début 1992 quand elles ont appris que l’argent était utilisé pour des achats d’armes. Elles auraient dû alerter l’ONU dès ce moment. En continuant à réaliser des prêts jusqu’au début 1993, elles ont aidé un régime qui préparait un génocide. Les organisations de défense des droits de l’homme avaient dénoncé dès 1991 les massacres préparatoires au génocide. La Banque mondiale et le FMI ont systématiquement aidé le régime dictatorial, allié des États-Unis, de la France et de la Belgique. La montée des contradictions sociales Pour que le projet génocidaire soit mis à exécution, il fallait non seulement un régime pour le concevoir et se doter des instruments pour sa réalisation, mais aussi une masse appauvrie, prête à réaliser l’irréparable. Dans ce pays, 90% de la population vit à la campagne, 20% de la population paysanne dispose de moins d’un demi-hectare par famille. Entre 1982 et 1994, on a assisté à un processus massif d’appauvrissement de la majorité de la population rurale avec, à l’autre pôle de la société, un enrichissement impressionnant pour quelques-uns. Selon le professeur Jef Maton, en 1982, les 10% les plus riches de la population prélevaient 20% du revenu rural ; en 1992, ils en accaparaient 41% ; en 1993, 45% et au début 1994, 51% |34|. L’impact social catastrophique des politiques dictées par le couple FMI/BM et de la chute des cours du café sur le marché mondial (chute à mettre en corrélation avec les politiques des institutions de Bretton Woods et des États-Unis qui ont réussi à faire sauter le cartel des producteurs de café à la même époque) joue un rôle clé dans la crise rwandaise. L’énorme mécontentement social a été canalisé par le régime Habyarimana vers la réalisation du génocide. Il est important de restituer l’action de J. de Groote dans ce contexte général car, selon ses propres paroles, il a prêté activement son assistance au régime d’Habyarimana (avant le génocide). Après être revenu sur le contexte historique et social dans lequel l’action de J. de Groote en Afrique se situait au cours des années 1960 jusqu’à la fin de son mandat au FMI en 1994, revenons sur le continent européen.
Posted on: Wed, 26 Jun 2013 16:36:01 +0000

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