Jacqueline Desbaresdes – Episode 11 Tante Clarisse ! Est-ce - TopicsExpress



          

Jacqueline Desbaresdes – Episode 11 Tante Clarisse ! Est-ce donc ainsi qu’il me faudra m’accoutrer pour faire honneur à l’événement ? demanda Jacqueline en disposant sur la table basse du salon les trois croquis proposés par le couturier, je pourrais tout aussi bien me ficher une plume dans le derrière ! Clarisse sourit. Elle attribuait d’ordinaire à sa nièce une maturité qui lui faisait pourtant parfois défaut. Elle a bien le temps, pensa-t-elle en observant l’adolescente pester contre les papiers griffonnés. Quoique ! Ne trouves-tu pas, tante Clarisse, qu’il est malheureux d’avoir à faire l’article de sa personne pour voir sa valeur considérée ? L’enfant ! pensa Clarisse, l’enfant qui ignore que rien au monde n’a d’autre valeur que celle attribuée par le marché qui l’englobe. Comment un homme comme mon frère, d’argent et de convenances par-dessus tout, a-t-il engendré un être à ce point ignorant du fonctionnement du monde en général, et du sien en particulier ? Mais sans doute rien n’y fera jamais, peut-être ne peut-on dans le même temps attendre du monde qu’il cache l’innommable et en révèle les mystères. Elle sut qu’il lui restait peu de temps pour observer Jackie qui, d’un instant à l’autre, lèverait les yeux de la table pour crier son effroi, et elle profita de ces quelques secondes avec autant d’énergie que s’il lui eut fallu réaliser l’impossible. Quand le regard de Jackie se posa sur elle, un immense regret l’envahit : le temps passait sur l’enfant comme sur elle-même, menait la première au monde et la seconde au tombeau, et Clarisse échoua à déterminer lequel de ces deux crimes lui soulevait le cœur. Eh bien, qu’en dis-tu ? C’est agaçant à la fin ! Tu restes là, sans mot dire, tandis qu’à la fin de la semaine j’aurai à affronter le monde habillée en abat-jour ! Fais ce que tu veux, répondit Clarisse encore distraite par la lassitude qui l’avait attaquée, fais ce que tu veux. Jacqueline écarta les croquis de son champ de vision : ce que je veux est impossible, et la vie me force à ce point à ravaler mes aspirations que j’ai le sentiment de m’asseoir dessus. Le corps de Clarisse se raidit d’une traite et une larme se forma sur sa paupière inférieure. Elle contracta les muscles de son visage de telle sorte que la larme n’emprunte pas le chemin de la joue. Quand Jackie se retourna prendre une cigarette, Clarisse cligna de l’œil et de la manche de son tailleur essuya la larme arrivée au bout du nez. Tu fumes ? Jackie fit face à sa tante, gênée. Parfois, oui. J’ai commencé quelques jours avant le concours, ça m’aide à me retrouver. Clarisse profita du changement de conversation pour balayer la peine ressentie : en effet, j’ai lu récemment que fumer occupe en public le champ investi en privé par la pratique masturbatoire : théorie amusante s’il en est ! Eh bien, maugréa Jackie en déposant le briquet, vous saurez tous ce qu’il vous reste à faire pour éviter de me voir traverser l’existence une main vissée entre les jambes ! Je suis pareille, décréta Jackie après avoir observé la découpe noire de sa silhouette dans la clarté du miroir. Pareille, telle qu’en moi-même ! Elle pressa l’interrupteur et alla s’asseoir à la coiffeuse. Elle déboutonna le chemisier qu’elle fit glisser jusqu’aux hanches, ouvrit un tiroir du meuble et y rangea un bracelet abandonné le matin sur la tablette. Le tiroir refermé elle approcha son visage du miroir, ausculta à nouveau la commissure de ses paupières et, sans redresser son buste, éteignit la lumière. C’était la pleine lune qui donnait maintenant la lumière du contre-jour et l’image de ses dix-huit ans réapparut.
Posted on: Fri, 26 Jul 2013 10:01:14 +0000

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