Journal 4 d’Antigone 466-64 Aujourd’hui, c’est lundi, je - TopicsExpress



          

Journal 4 d’Antigone 466-64 Aujourd’hui, c’est lundi, je déménage. Je vais habiter près du lieu où l’on va répéter, à l’Espace Gambidi. Paul a commandé un taxi. C’est la première fois que je vais monter dans un taxi ouagalais. D’habitude, quand Paul vient me chercher à l’aéroport, il est accompagné d’Issa, d’Abbas, de Mahamadou et de Toudéba. Ils sont avec leurs motos, et nous faisons le voyage sur les selles, les bagages entre les jambes. La première fois j’avais été surpris. Depuis, j’ai parcourus Ouaga derrière eux pendant des journées entières. Je comprends, depuis, le mal des cow-boys après une journée en selle. Le taxi !!!… Il est huit heure et je prends mon petit-déjeuner dans la grande salle, seul: un Nescafé, une moitié de baguette, du beurre et du miel burkinabè, très liquide et très bon, et encore un Nescafé. Comme tous les matins depuis mon arrivée quand je descends la télévision fonctionne déjà. C’est un grand écran plat, l’image est brouillée par la neige qui tourbillonne comme dans une sorte de blizzard, il y a deux chaînes. Sanou, un des gérants, est, comme tous les matins, assis devant sur un beau canapé en fer forgé. Il est grand, sec, élégant dans sa simplicité, avec la peau très sombre. Il se tient bien droit. Mes bagages sont prêts, j’ai réglé l’hôtel. Je suis un peu triste de partir, de quitter cet endroit qui me colle à la peau, de quitter Sanou aussi. Sanou a soixante-dix ans, il est à la retraite. Pour pouvoir vivre un peu mieux, il a repris ce travail de gérant. Ici, on ne dit pas gardien, mais gérant. A l’hôtel, ils sont quatre, plus un, le vrai. Sanou a encore deux enfants jeunes à qui il paie des études. Tous les matins, Sanou me raconte sa famille, son ancien travail, le quartier de Gounghin, Ouaga, la politique, les croyances. Sanou a gardé la religion de ses ancêtres, il est animiste. Ensemble nous avons partagé des petits moments intimes entrecoupés de fou-rires. Ce matin, on se parle juste un petit peu. Sanou n’a pas allumé la télévision. La salle semble encore plus déserte. Je remonte dans ma chambre 14-A… J’entre, je la regarde une dernière fois, je regarde les persiennes en aciers qui barrent les deux fenêtres, je regarde vers la rue, la circulation est dense, vélos, motos, voitures, avec toujours les enfants qui courent et jouent le long du goudron. Je me sens très bien dans ma 14-A. Je regarde le bureau, une petite angoisse me saisi car j’y travaille très bien aussi, ce qui n’est pas toujours évident. Je me demande comment va être la maison et comment je vais m’y sentir. Je me dis que si ça ne me convient pas, je reviendrai compter les marches de l’hôtel Ibra. Je repense au taxi. Quand même… Je fais un dernier tour de la chambre pour voir si je n’ai rien oublié. On frappe à la porte, je l’ouvre, Sanou me dit que « Monsieur Paul est en bas avec le taxi », il me propose de porter mes bagages. Je lui dis que ce n’est pas la peine. Il s’en va. Je prends mes sacs, cinq au total et je redescends chargé comme une mule. Je n’oublie pas de compter les marches. Arrivé en bas, devant la porte, le taxi est là : une vieille 205 Peugeot diésel vert délavé, cabossée, sans pare-choc, la porte arrière gauche défoncée, est garée sur la terrasse. Je sors un peu surpris, et je me dis c’est ça aussi l’Afrique. Nos vieilles vieilles voitures, nos vieux vieux vieux pneus… Tout ce qui est encore en capacité de rouler arrive ici et fait l’affaire de celui qui veut monter une affaire. Tout ce qui n’est pas mort vient finir sa vie ici. Je me dis soudain qu’il y a peut-être encore, pour tous ces choses, un pays où aller après le Burkina Faso… Le sentiment de la honte me submerge : la honte d’être blanc ! Pourtant ça roule, tout roule ici, au milieu de gros 4x4, de Mercédès, de Toyota, et toujours des motos japonaises ou chinoises… Je suis à la porte de l’hôtel fasciné par l’état du véhicule que je vois et je me dis que finalement je préfère encore les motos de Paul, d’Issa, d’Abbas, de Mahamadou et de Toudéba. Le chauffeur vient à ma rencontre, il est jeune, il a des dreadlocks qui descendent sur les épaules. Il est beau, mince, avec une belle musculature très fine. Il m’ouvre le coffre arrière tenu par des lanières de caoutchouc taillées dans de la chambre à air de motos, et j’installe mes bagages. Paul n’est pas là, il est chez le plombier. Il achète du matériel sanitaire pour la maison qu’il est en train de faire construire. Je décide d’en profiter pour aller retirer de l’argent à la machine à sous où l’on gagne à chaque fois. Je m’assieds à côté du chauffeur. Comme la 205 est un diésel, il fait chauffer les bougies. Nous attendons une minute, et puis il tire sur un starter. Le moteur démarre dans un bruit infernal de casseroles, j’ai l’impression d’être un « jeune marié » qui part chercher sa Dulcinée, au Toboso. Don Quichotte et Rossinante. En moi, je souris, mes rêves ne sont pas encore morts. Nous prenons le chemin du distributeur, à deux kilomètres de là. Il fait très chaud dans la voiture. Des automobiles nous doublent, des motos nous doublent, des vélos aussi parfois, par la droite. Eh oui ! mon chauffeur est déjà sur la file de gauche, car dans un kilomètre il devra tourner à gauche, et comme nous roulons très peu vite, il a déjà préparé le passage de son automobile dans la densité incroyable de la circulation. A l’aller comme au retour, nous sommes accompagné par le bruit, comme dans un carrosse qui roulerait sur des pavés, et j’ai l’impression que tout le monde doit nous regarder. Mais non, personne ne fait attention à nous, c’est comme ça, c’est normal. Tout, ici, est normal, la terre ocre, le goudron, le bruit des moteurs, la poussière soulevée par le passage de gros semi-remorques rafistolés, le nuage des gaz d’échappements aux heures de pointe, les chèvres qui traversent la route, les poules qui picorent sur le bord, les chiens, les chats, les oiseaux qui font leur nid dans les arbres, les pigeons, les vieilles dames vêtues de boubous bariolés de toutes les couleurs, les jeunes femmes superbes dans leurs tenues africaines, cheveux tressés de cent manières différentes, les filles vêtues à l’européenne, cheveux défrisés, perruques en fil de nylon, tenues moulantes, les hommes élégants, chaussures cirées nickel malgré la poussière, les jeunes avec leurs maillots de football européens estampillés Drogba, Ronaldinho, Messi, Iniesta et même Ménez, les histoires qu’on entend aux tables des maquis, les rires, les odeurs de maïs grillé, de poissons frits, du riz yassa, celui des poulets que tu partages au bord du goudron avec la famille, les amis, les enfants qui font le tour des tables avec leur boîte de conserve où ils mettent les morceaux de nourriture qu’ils récupèrent, le chanteur de rue qui s’installe devant toi, avec cette même boîte et qui, si tu le regardes va chanter jusqu’à ce que tu lui aies donné 200 ou 400 Francs CFA, rien pour toi, beaucoup pour lui, un repas… Tout est « normal » ! Une fois l’argent retiré, avec mon chauffeur nous reprenons la route de l’hôtel. Paul est là qui nous attend, une cigarette Hamilton à la bouche et son inséparable chapeau sur la tête. Il rit de bienvenue, monte dans le taxi 205 diésel, et nous prenons la route de mon nouveau quartier, Dassasgho, Secteur 28. Nous traversons toute la ville de Ouaga, ma maison est à l’opposée de l’hôtel. La circulation est dense, des voitures, des motos et aussi beaucoup de camions, ils me font penser à notre 205 diésel. Sur les bords de la route, de minuscules échoppes de cordonniers, de marchands de frigos, de fringues, de mécaniciens, de coiffeurs, des épiceries, des boulangeries, des maquis, des restaurants, des vendeurs ambulants de bouteilles d’essences, de cartes de téléphones, de mouchoirs jetables, de légumes, de bananes, de citrons… Tout un monde au travail qui me rappelle les banlieues du sud de l’Italie, ou de la Grèce. Nous sommes entourés de nombreuses motos, et je remarque d’un coup que la population est très jeune, comme partout où je me suis déjà rendu, dans les théâtres, les centres culturels, les maquis, au centre ville, à l’église, dans les mosquées… Je regarde avidement cette foule bigarrée, pleine d’énergie et j’oublie le vacarme et la chaleur suffocante de notre véhicule, j’oublie l’hôtel, j’oublie la France, j’oublie le Festival d’Avignon qui vient d’inaugurer sa dernière édition, j’oublie la Fête Nat., j’oublie notre Président François Hollande, les sondages, la courbe de sa popularité, j’oublie l’Europe, j’oublie le temps qui passe… Je suis en Afrique, au Burkina Faso, à Ouagadougou, aux pays des Hommes Intègres, et je suis un homme parmi les hommes. Et puis au bout d’une heure, nous arrivons dans notre nouveau quartier, Dassasgho, Secteur 28. Dassasgho est beau et populaire. Nous longeons une route très large, cabossée en terre battue, en essayant d’éviter les ornières et les flaques d’eaux. Il y a les mêmes animaux qu’à Gounghin et mon maquis préféré, chez Adjara, mais ici, il a aussi des arbres, de l’herbe, des ânes qui broutent et des zébus avec leurs petits. Puis, après avoir croisé quatre « six mètres », nous tournons à gauche, la route est la même, mais les maisons plus cossues. Un six mètre est une rue en terre qui fait six mètres de largeur. Nous arrivons devant ma future habitation… belle entrée, troènes qui l’isolent de la rue, des murs élevés couverts de tessons de bouteilles, deux beaux piliers d’un rose pastel délavé, qui me fait penser aux couleurs des habitations de la vieille ville d’Annecy, la fraîcheur en moins, ils tiennent un portail en fer plein bleu clair, avec un au centre un judas de dix centimètres sur dix. Soudain, mon œil curieux me fait remarquer le numéro de la maison, il est presque effacé sur le pilier de droite : 56… Paul sonne. Un homme jeune en uniforme sort. Il sourit et me souhaite la bienvenue. C’est le gardien de la maison. Il s’appelle Jean de Dieu.
Posted on: Sun, 21 Jul 2013 19:07:47 +0000

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