Journalistes pigistes et intermittents du spectacle, qui étaient - TopicsExpress



          

Journalistes pigistes et intermittents du spectacle, qui étaient autrefois des exceptions dans un monde du travail dominé par le contrat à durée indéterminée et les garanties qu’il apporte, sont désormais rejoints par un nombre croissant de salariés de plus en plus précarisés dans des domaines toujours plus nombreux, comme en témoignent l’émergence depuis une dizaine d’années de ceux qu’on désigne comme les « intellos précaires » - enseignants, chercheurs, architectes, scénaristes etc. Le recours aux CDD dans le secteur privé a été multiplié par 4 entre 1982 et 2008, de même que les effectifs des intérimaires. Le cas des pigistes et des comédiens ou professionnels du spectacle était relativement justifié par les contingences propres à ces métiers, les entreprises de spectacle fonctionnant à coup de projets à durée variable et limitée, et les entreprises de presse et d’information étant soumises aux aléas de l’actualité. Aujourd’hui ce sont les nécessités économiques qui servent de prétexte à cet alignement des conditions sur le moins-disant social dans le monde du travail. Et même si l’on peut penser que pigistes et comédiens constituent de ce fait un « laboratoire où s’élaborent les contours du travail à venir », il faut bien reconnaître que la flexibilité voire la précarité subie qui ne cesse de gagner du terrain n’a qu’un rapport lointain avec la situation en principe choisie par ceux dont le profil de carrière s’accommode d’employeurs multiples et dont la profession suppose une part importante d’autonomie et de créativité. Et pourtant, un phénomène de convergence semble gagner les professions du spectacle et de l’information en tirant vers le bas une population de précaires de plus en plus nombreuse. C’est ce que montre Olivier Pilmis dans la double enquête de sociologie des organisations qu’il a menée auprès des pigistes et des intermittents du spectacle. Les données disponibles auprès de la Commission de la Carte d’Identité de Journaliste Professionnel montrent une forte augmentation de la part des pigistes et des titulaires de CDD qui correspond sans doute davantage à une évolution des conceptions en matière de recrutement et de gestion des ressources humaines dans les entreprises concernées qu’à un alourdissement des contraintes en matière d’information ou à un emballement subit et durable de l’actualité. Au milieu des années 60, un journaliste sur quinze était pigiste, cette proportion s’élève à un sur dix au milieu des années 80 pour atteindre un sur cinq au milieu des années 2000. De même, si le nombre des comédiens n’a cessé d’augmenter pour tripler depuis 20 ans, la durée moyenne des contrats est en baisse constante, passant de plus de 14 jours en 1987 à 8 jours en 1990 et à 4 jours au milieu des années 2000. Du coup leur nombre a crû en proportion, multiplié par 7 au cours de la même période. Pourtant, comme l’a montré Pierre-Michel Menger dans son enquête sur les intermittents du spectacle, l’augmentation des effectifs des professionnels du spectacle ne s’est pas traduite par une augmentation proportionnelle de la consommation de spectacle vivant et ce, malgré le développement de la politique culturelle et le doublement du budget du ministère de la culture au début des années 80, à l’ère Mitterrand/Jack Lang. D’où un déficit chronique de l’UNEDIC qui finance le chômage des intermittents. Et une question posée : « le risque de chômage est-il véritablement assurable dans un régime d’emploi hyperflexible ? » Les entreprises qui poussent des cris d’orfraie devant des charges sociales qu’elles estiment excessives mais qui usent et abusent de l’intermittence ou de l’intérim quel que soit leur domaine d’activité devraient cesser de voir systématiquement midi à leur porte et élargir leur horizon socio-économique. Ce que montre l’auteur, c’est que la précarisation d’un nombre croissant de journalistes a pour conséquence une forme de précarisation de l’information elle-même, soumise comme les pigistes à la loi du marché et de la concurrence, à la surenchère du « scoop » dans n’importe quel domaine de l’actualité, à la loi de la convergence médiatique et du coup, comme le dénonçait déjà Bourdieu dans sa leçon sur la télévision, à « la circulation circulaire de l’information ». Les propos recueillis par l’auteur témoignent de la redoutable pression exercée sur les vacataires esseulés au milieu de la nuit, priant le ciel pour que l’actualité ne se déchaîne pas subitement quelque part dans le monde alors qu’ils sont astreints aux tâches du desk, la rédaction et la mise en forme toutes les vingt minutes de nouvelles brèves et de dépêches présentant une information brute, tout en préparant les articles de 4000 signes destinés à l’édition du lendemain, non sans réécrire les messages rédigés en style sms par les jeunes blogueurs du site internet. L’angoisse et la solitude du gardien de but au moment du penalty, rapportée à ce que le sociologue Alain Accardo désignait à la suite de Bourdieu comme la « misère de position », l’impossibilité d’accomplir sa tache à son poste dans les standards de qualité définis par la profession. Evidemment, il y a pigiste et pigiste mais la majorité des précaires dont le nombre a enflé dans les rédactions n’appartient pas à la catégorie des possesseurs d’un riche « portefeuille d’employeurs » et d’un capital social qui leur permet de choisir leur port d’attache. Permanent et intermittent à la fois, c’est la condition schizoïde de nombre de ces pigistes ordinaires qui finissent très vite par conserver un employeur principal, avec lequel une relation de confiance et de nécessité réciproque s’est établie, conduisant à cette situation paradoxale et solidaire que – je cite « la rupture d’une collaboration durable devient coûteuse pour l’un comme pour l’autre ».
Posted on: Wed, 05 Jun 2013 06:45:45 +0000

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