LA PESADILLA DEL ESTILO PERFECTO Pierre Assouline en La - TopicsExpress



          

LA PESADILLA DEL ESTILO PERFECTO Pierre Assouline en La République des livres LE 23 JUIN 2013 Rien ne devrait faire fuir comme l’idée de perfection associée à l’art, qu’il s’agisse de peinture, de cinéma, de théâtre ou de littérature. Il n’existe pas de roman « parfait » (quelle horreur !) car il n’existe pas de critère de la perfection littéraire. Il y a bien des canons mais on ne mesure pas un livre à l’aune du respect qui leur serait dû. C’est donc avec une certaine appréhension mêlée de curiosité que j’ai ouvert Le rêve du style parfait (222 pages, 24 euros, Puf), néanmoins rassuré par la typographie du titre en couverture : régulière tout au long, elle s’effondre quand se forment les lettres de « …fait ». Un signe rassurant qui donne envie d’y aller voir. L’auteur, Gilles Philippe, est professeur à l’université de Lausanne ; nous avons gardé un bon souvenir de sa maîtrise d’œuvre de La Langue littéraire, histoire de la prose en France de Gustave Flaubert à Claude Simon (Fayard, 2009) ; il s’est également signalé par un Dictionnaire Sartre (2004) et l’édition critique des Œuvres complètes de Marguerite Duras en Pléiade ; il doit être Suisse car on n’imagine pas un Français donner simplement du « France » à Anatole France tout au long d’un essai touffu, érudit, bourré de fécondes intuitions, en lointain écho à l’essai lumineux de Roland Barthes Le degré zéro de l’écriture. Et, il convient de le préciser eu égard au sujet, bien composé et bien écrit (sauf un « gèrent » à propos de deux phrases de Balzac et Flaubert qui reste coincé dans la gorge, un « j’y fait » oublié et un « Disons-le tout net » qui ferait sourire s’il ne faisait fuir –enfin, chacun ses repoussoirs). Voilà un livre où il est question de style à toutes les pages mais, étrangement, assez peu de styliste. Et d’esthétique ou de forme ? Pas davantage. Le bien-écrire : y penser toujours en parler jamais ? C’est à croire. En tout cas, de nos jours ; c’est à peine si à propos de Michel Houellebecq, il en est encore pour mollement polémiquer sur l’absence/présence de son style en forme de refus de style ; mais au XIXème siècle et jusqu’aux années 60, qu’est-ce qu’on se l’envoyait à la figure ! Ils en ont tous parlé. Depuis, tout pour les styles, rien pour le style sous peine de passer pour ringard, réac, rétro. Pourtant, il ne manque pas de professeurs de l’éternel beau malgré son caractère subjectif, personnel, arbitraire. Un conseil : tous les rejeter en bloc, à l’exception de ceux qui ont le bon goût de parer de toutes les vertus le point virgule, pilier du classicisme ; Gilles Philippe nous apprend d’ailleurs que, aux yeux des étrangers, c’est « un ponctuant particulièrement français » car, comme dans les cas des Mémoires de De Gaulle, il permet le compromis entre « l’expressivité littéraire de la phrase longue et l’exigence nationale de la phrase brève ». Cela dit, que de « tandis que », « sinon », « de fait », d’ailleurs », « cependant », « du reste », « nul doute que », « probablement », « à vrai dire », « en effet » et… « cela dit » dans le même paragraphe chez celui que l’on en considère pas moins comme un grand auteur latin ! (mais Proust, en le pastichant, avait déniché de semblables sutures en pagaille sous la plume de Renan). Le même Proust a laissé échapper dans une lettre encolérée de 1908 à Mme Straus que la perfection du style existait. Mais qu’est-ce qui est bien écrit et qu’est-ce qui est mal écrit ? Florilège à partir de citations pêchées dans ce livre notamment du côté de chez Gracq : « Les rails quadruplés semblent tenir lieu à la vallée de rivière » (La Presqu’île), « Il se sentait mieux presque qu’heureux » (idem), « Le sentiment plus vif qu’il avait de rentrer chez lui lui coulait une chaleur » (Un Balcon en forêt), « Le cœur malgré lui lui battait plus fort » (idem), « La bienfaitrice trempa le pain de l’exilé dans l’absinthe des reproches » (La Cousine Bette), « Une chose digne de remarque est la puissance d’infusion que possèdent les sentiments » (Le Père Goriot)… … étant entendu qu’une phrase suffit à faire pendre n’importe quel écrivain. Dans le meilleur des cas, on dira l’hiatus particulièrement gauche, incorrect ; mais qui saura jamais décrire la lourdeur sans se ridiculiser ? On sait ce que c’est, on sait comment c’est fait et quel effet ça fait, mais de là à la démonter… (sauf en s’y mettant soi-même). De toutes façons, il est aussi facile de pointer des défauts d’écriture qu’il est malaisé de définir un idéal du bien écrire. D’autant que des données sociologiques viennent souvent parasiter le jugement. Si Gide plutôt que Valéry, et Sartre plutôt que Camus, ont été chacun en leur temps considérés comme les maîtres de style, c’est aussi en raison de leur situation littéraire (maîtrise des réseaux, magistère etc). L’auteur fait son miel des lieux communs, poncifs et tartes à la crème que la critique a ressassé sur le sujet. Le principal tient en un axiome qui a suscité des dizaines de milliers de pages : « Flaubert écrivait bien, Balzac écrivait mal, Stendhal n’écrivait pas ». A asséner si possible en société sur un ton qui ne souffre pas la contradiction. Au cas où un commensal oserait relever, l’achever par le coup de grâce : « Quant à Zola, médiocre styliste, grand écrivain ». Avec Maupassant, ça se complique ; on nage en plein paradoxe car d’un côté, on le décrète sans style, et de l’autre, on convient qu’il est l’héritier de Flaubert, dernier écrivain classique par le travail du style. Des critiques et des universitaires y ont consacré des essais savants : Gustave Lanson, Antoine Albabat, Ferdinand Brunetière, Albert Thibaudet… L’auteur y a puisé matière à réflexion jusqu’à les épuiser ; il l’a fait avec rigueur et précision, même s’il est permis de nourrir de sérieux doutes sur la « consigne » (pas du tout son genre) qu’aurait donnée Gaston Gallimard (et à qui ? on l’ignore) d’écrire dans « un style clair, correct, dépouillé, qui n’attire pas l’œil » (et la source de cette « information » est bien faible : le Petite histoire de la langue française, 1958, de Charles Bruneau…). Tout cela pour introduire un chapitre bien tourné sur le style Qualité France – rien à voir avec l’Anatole mais tout à voir avec le mythique « style Nrf », revue et éditions mêlées, dénoncé dans les années vingt par le polémiste Henri Béraud comme une « croisade des longues figures » ; il est vrai qu’il les croyait tous protestants, derrière Gide et Schlumberger, et tous hostiles à la moindre emphase, assoiffés de discrétion, de pureté, de nudité, de pauvreté de la langue, au nom de la plus grande clarté, du sens du rythme et de la recherche de l’unité, jusqu’à aboutir à une écriture d’une blancheur inquiétante. Au vrai, comme l’explique bien Gilles Philippe, cette tendance préexistait à la création de la Nrf ; Flaubert lui-même, en 1867, disait atteindre la sècheresse idéale dès lors que, pour décrire un arbre, il suffisait d’écrire son nom ; simplement les animateurs de la Nrf surent catalyser cette tendance et l’incarner, tant et si bien qu’on crut dès lors que là résidait prétendu « style parfait ». Il faudra que Valéry y mette son grain de sel pour que ce dépouillement s’enrichisse d’une vraie densité et d’une certaine rigueur, d’un culte du liant et de la continuité dans la succession des phrases plutôt que d’une religion du mot juste, le tout débarrassé des maniérismes, coquetteries, archaïsmes du grand prosateur en titre, André Gide. Le fait est qu’avec le recul, Gide sonne parfois daté quand Valéry demeure sans âge. Gaëtan Picon, dont on ne louera jamais assez le génie visionnaire dans le regard panoramique qu’il jeta sur l’histoire littéraire, observait à juste titre que Valéry était le dernier des classiques en ce sens qu’il était un écrivain de conversation : comme la prose du Grand siècle et des Lumières, sa prose avait eu la conversation pour modèle, loin de la tyrannie du style léché et des ravages de l’écriture artiste. De là à faire désormais de l’illusoire style Nrf « une marque d’infamie », n’exagérons rien. Pas sûr non plus que la modernité ait été à ce point avide de « bien écrire » en fonction de règles valables pour tous, sauf à exclure de ladite modernité Mort à crédit entre autres… Ah, les fameuses négligences de Stendhal, ses répétitions, ses épithètes banales, la monotonie de son lexique… On préfèrerait mal écrire comme Stendhal que bien écrire comme… (au choix). D’ailleurs, l’auteur reconnaît que, contrairement à Proust, il préfère souvent les textes mal écrits aux textes bien écrits. Le tout n’est-il pas de s’entendre sur la norme ? Après cela, on se demande ce qui peut bien rester des stylistes et maîtres de style des deux derniers siècles. Flaubert bien sûr, même si parfois le travail se voit encore et pèse ; Ernest Renan malgré ses germanités et son obsession de la nuance ; Anatole France en héritier du précédent ; Paul Valéry qui, en succédant à celui-ci à l’Académie française, réussit l’exploit de ne jamais citer son nom mais d’user sept fois de « classique » pour le désigner. Il est frappant de constater que lorsque la parole du romancier se fait si limpide, économe, simple, qu’elle en est transparente, celui-ci mérite le compliment que Barthes adressait au Camus de l’Etranger : « Il accomplit un style de l’absence qui est presque une absence idéale de style ».On aura compris que le grand style relève justement de l’invisible : c’est le style qui ne se voit pas mais se devine à peine. Ne pas en faire trop avec un style en habits du dimanche paré des signes de la Littérature ; éviter de ne pas en faire assez avec un style d’une pauvreté ostentatoire. L’idéal est dans l’entre-deux, où se situe un abime. Mais il est inutile d’y chercher la perfection, laquelle n’est pas de ce monde. (« Tireur à Alep » photo Javier Manzano/Afp, prix Pulitzer 2013; « Chicago » photo Fernando Scianna, courtesy Agence Magnum) Cette entrée a été publiée dans Histoire Littéraire.
Posted on: Mon, 01 Jul 2013 23:28:32 +0000

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