LES COMMIS VOYAGEURS - Louis Boily 1. Des filous ont pour métier De rouler les honnêtes gens; Vous dépouille sans pitié La fraternité des agents. 2. Ils arrivent à toute heure En disant que c’est important. Vous quêtant un p’tit quart d’heure Pour écouter leurs boniments. 3. Gare si vous ouvrez la porte, Dans leurs filets, vous serez pris, Leur harangue vous emporte, Vous ensorcelle, vous étourdit. 4. Empoisonnée, votre famille, Vos marmites, contaminées; Ayez des chaudrons qui brillent, Qui vous durent des années. 5. Oh ! Vous vivrez jusqu’à cent ans Sans aucune infirmité; Grâce à vos plats reluisants, Vous s’rez toujours en bonne santé 6. Voyez, ça ne coûte pas cher : Un petit cinq dollars comptant, Une magnifique affaire, La solde à tempérament. 7. Vite, c’est ici qu’on signe Car demain serait trop tard. Votre nom sur cette ligne Comblera tous mes efforts. 8. Partant, la main on vous serre En vous faisant des compliments. Des éloges, ça n’coûte pas cher Et ça rapporte énormément. 9. Vient un agent d’assurance Sonner un autre son de cloche; Mon vieux, ne prends pas de chance, Tu sais, ton destin approche. 10. Depuis le début du monde, Pas un seul n’y a échappé. On y passe tous à la ronde, Tu fais mieux de te préparer. 11. Que deviendraient tes dépendants Si ton heure allait sonner ? Allons, mon vieux, sois donc prudent Et presse-toi de t’assurer. 12. Je te vends une police Dans le but de t’avantager. Elle te payera des bénéfices, Devra, de plus, te protéger. 13. Cette aubaine sans pareille, Il faut vite en profiter. Ne te fais pas tirer l’oreille. Tu aurais à le regretter. 14. Signe là, sur le pointillé; Seulement cinq dollars comptant, Tu sauras bien te débrouiller; Ça se paye par versements. 15. Voici l’vendeur d’accessoires Qui s’attaque à vos deniers. Il vous arrive un beau soir Avec un beau chansonnier. 16. Il vous tient pendant des heures, Accoudé dans la cuisine, S’apitoyant sur vos labeurs Tout en vantant ses machines. 17. Sans jamais perdre haleine, Il faut bien qu’il vous explique Une merveilleuse chaîne, Ses tours, ses effets magiques. 18. Un système sans compromis Par lequel, sans les consulter, Vous faites payer vos amis Pour tout ce que vous achetez. 19. Signez ici, je vous prie, En plus, donnez-moi cinq dollars. Pour le reste, c’est bien compris, Vous nous payerez un peu plus tard. 20. Cédez au malin compère, Signez c’contrat redoutable, Vous en aurez regrets amers. C’est à lui qu’il est profitable. 21. Ça sonne dans l’après-midi. À la porte, plié en deux, Le vendeur de brosses vous dit : Je viens vous aider de mon mieux. 22. Des brosses pour tous usages, Il y en a pour tous les goûts; Pour les fous et pour les sages, Pour les sobres et pour les saouls. 23. Achetez-en tant qu’il faut : Nous voulons vous satisfaire Moyennant un petit dépôt Et payement hebdomadaire. 24. Vos enfants vont à l’école. Ils sont vos futurs érudits, Mais à leur sujet s’affole Un vendeur d’encyclopédie. 25. Seulement cinq dollars comptant, Cinq cents payements mensuels; Ce n’est rien de bien encombrant Vu les succès éventuels. 26. Signez donc cette facture, Ne soyez pas réticent. Pour votre progéniture Il n’est rien de plus pertinent. 27. Puis il vous faut des tentures, Des meubles, tapis et divans, Sans oublier les fourrures Qu’on paye toujours par versements. 28. Votre auto est démodée, Cell’ du voisin en fait preuve. On saura vous accommoder Vous en vendre une toute neuve. 29. On signe de nouveaux documents, C’est la mode comm’ de raison. Comment fera-t-on les payements? Voilà une autre chanson. 30. En entendant la sonnette, On sort du bain tout en sueurs, Revêtu d’une serviette En redoutant quelque malheur. 31. Mais, qui peut bien à cette heure Venir faire la courbette, En m’adressant des mots flatteurs M’enliser dans plus de dettes ? 32. Excusez l’heure tardive, Mais c’est tellement important. J’ai pour vous une missive Que je vous livre à l’instant. 33. Viens vite, je te prie, mon vieux, Un Monsieur très élégant, Avec des larmes dans les yeux, Te réclame incessamment. 34. Il aurait un pressentiment Que s’achèvent nos misères. Il nous prépare gentiment Une place au cimetière. 35. Puis il faut penser au cercueil Et à la plaque tombale. C’est un légitime orgueil Qu’un dernier pageant théâtral. 36. Ce n’est rien, cinq dollars comptant, La balance à tant par mois; Vos héritiers seront contents. Vous leur aurez épargné ça. 37. Vous adressant des discours pieux, Il part, vous laissant en émoi, Le beau parleur astucieux, Tel un vautour sûr de sa proie. 38. Ma vieille, c’est décourageant … Où vont toutes nos recettes ? Je n’ai jamais assez d’argent Pour payer toutes nos dettes. 39. Confiez-nous vos affaires, Vous dit un bruyant annonceur. Vos épreuves pécuniaires Se dissiperont en vapeur. 40. On arrive, gêné, tremblant. Au bureau du fonctionnaire. On lui dévoile son bilan Et ses soucis monétaires. 41. Avec ton présent salaire, Il faudra quatre-vingt-dix ans Pour honorer tes affaires Et rencontrer tous tes payements. 42. Signe au bas de la page Donne-moi cinq dollars comptant. C’est ainsi que tu t’engages À me donner tout ton argent. 43. Puis un jour, devant Saint Pierre, Arrive inopinément. Celui-ci, d’un air sévère, Dit : As-tu fait tous tes paiements ? 44. Bon saint Pierre, je vous en prie, Accordez-moi quelque délai. Par la mort, je fus surpris Mais j’ai payé les intérêts. 45. Deux cents ans de purgatoire Et je me montre indulgent. En enfer, comme tu dois voir, Tu en aurais pour plus longtemps. 46. Voilà les termes faciles Que l’on a toujours vantés Et dont l’échéance vile Me poursuit dans l’éternité. 47. De ces couplets, la morale : Méfiez-vous des beaux parleurs. Évitez comme la gale Leur langage ensorceleur. 48. Honni, le carcan des dettes. Ce que l’on paye en intérêt Sur les choses qu’on achète, C’est là autant de moins pour soi. 49. Si vous ne payez pas maintenant, Comment ferez-vous plus tard ? Les dettes à retardement Ça éclate comme des pétards. Juillet 1965.
Posted on: Sat, 13 Jul 2013 17:12:38 +0000