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La Cour de justice de la CEDEAO a rendu sa décision dans le différend opposant Hissène Habré à la République du Sénégal le 5 novembre 2013. Copie non conforme. -------------------------- LA COUR DE JUSTICE DE LA COMMUNAUTE ECONOMIQUE DES ETATS DE LAFRIQUE DE LOUEST (CEDEAO) SIEGEANT A ABUJA, AU NIGERIA CE 05 novembre 2013 Dans lAffaire Hissein Habré Requérant Contre République du Sénégal Défendeur ROLE GENERAL No. ECW/CCJ/APP/11/13 ARRET NO: ECW/CCJ/RUL/05/13 du 18 novembre 2010 Composition de la Cour 1. Hon. Awa Nana Daboya - Présidente 2. Hon. M. Benfeito Ramos - Membre 3. Hon. Hansine Donli - Membre 4. Hon. Clotilde Médégan Nougbodé - Membre 5. Hon. Eliam M. Potey - Membre Assisté de Me Athanase Atannon - Greffier I) Faits et procedure 1. Attendu que par requête en date du 27 mars 2013 enregistrée au Greffe de la Cour le 23 avril 2013, Monsieur Hisseine Habré, ayant pour conseils Maître Mamadou Ismaïla KONATE, avocat au Barreau du Mali, Maître François Serres, avocat au Barreau de Paris ayant élu domicile au Cabinet de Me KONATE, et Maître Ibrahim DIAWARA, avocat au Barreau du Sénégal, a saisi la Cour aux fins de constater, d’une part que l’Accord intervenu entre la République de Sénégal et l’Union Africaine et portant sur la création des chambres africaines extraordinaires au sein des juridictions sénégalaises ainsi que le Statut desdites chambres violent la décision de la Cour de céans du 18 novembre 2013, le droit constitutionnel sénégalais ainsi que le droit international, et, d’autre part, qu’il résulte de la simple existence de l’Accord et du Statut desdites chambres la violation continue de ses droits de l’homme; qu’il estime en outre qu’il pourrait résulter de la mise en œuvre de l’Accord et dudit Statut aux fins de poursuivre et juger les auteurs des crimes internationaux commis au Tchad entre le 7 juin 1982 et le 1er décembre 1990, la violation desdits droits. 2. Attendu que par deux requêtes séparées datées du 27 mars 2013 enregistrées au Greffe de la Cour le 23 avril 2013, il sollicite respectivement, sur le fondement de l’article 59 du Règlement de la Cour, de l’article 21 nouveau du Protocole relatif à la Cour tel qu’amendé par le Protocole additionnel du 19 janvier 2005 et de l’article 79 du même Règlement, une procédure accélérée et des mesures provisoires ; 3. Attendu que la requête introductive d’instance ainsi que les deux demandes précitées ont été notifiées à l’Etat du Sénégal le 23 avril 2013. 4. Attendu que, après cette notification, l’Etat du Sénégal, représenté par M. Hamady Coumba Gadiaga, agent judiciaire de l’Etat assistés de ses Conseils, Maître Sadel Ndiaye, avocat au Barreau du Sénégal, et Monsieur Alioune Sall, professeur de droit à l’Université de Dakar au Sénégal, a communiqué au Greffe de la Cour ses observations écrites sur la demande de mesures provisoires le 06 juin 2013 ; 5. Attendu que suite à l’exception soulevée par les conseils du requérant au sujet de la représentation de la République du Sénégal par le Professeur Alioune Sall précédemment omis du Tableau de l’Ordre des Avocats du Sénégal, la Cour, avant -dire- droit, a rejeté la constitution de celui-ci mais a admis la validité des conclusions et pièces en ce qu’elles ont été signées par au moins un avocat habilité devant la Cour ; elle a, partant, ordonné la poursuite de la procédure. 6. Attendu qu’à l’audience du 12 juin 2013, la Cour a entendu les parties sur la demande de mesures provisoires. 7. Que, cependant le requérant ayant demandé de soumettre sa requête à la procédure accélérée, il échet d’y statuer au préalable ; A) Arguments du requérant 8. Attendu que Monsieur Hissein Habré demande à la Cour de constater : - que le mandat de l’Union africaine ainsi que la décision de la Cour Internationale de Justice avaient pour objet de mettre en œuvre des poursuites devant les juridictions sénégalais compétentes et que de telles entreprises s’inscrivent en droite ligne de la violation des dispositions de l’arrêt de la Cour de Justice de la CEDEAO et ses droits de l’homme ; que pourtant le Sénégal a renoncé audit mandat comme base juridique de l’action qui lui avait été confiée par l’Union africaine devant la Cour Internationale de Justice ; -qu’il estime que la République du Sénégal a néanmoins poursuivi avec l’Union africaine, des actions qui n’avaient d’autre but et objectif de créer une juridiction au sein du système judiciaire étatique sénégalais, venant ainsi en contradiction avec les principes posés par la Cour de Justice de la Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest dans le dispositif de son arrêt du 18 novembre 2010 et en violation de ses droits de l’homme ; - qu’il affirme que le cadre juridique et la procédure qui sont mis en œuvre au niveau des chambres africaines ne répondent pas aux critères posés en matière de juridiction ad’hoc et de procédure internationale ad’hoc, perpétuant ainsi la violation de ses droits de l’homme et que de telles dispositions qui ne visent qu’à organiser le procès du président Habré dans les conditions décrites n’ont d’autre effet que d’entraîner la violation du principe de présomption d’innocence, d’égalité devant la loi et de non discrimination qui interdit toute discrimination fondée sur des considérations personnelles dans la détermination de la juridiction habilitée à juger une personne ; que les actions ainsi mises en œuvre perpétuent les violations sanctionnées par la Cour ; - qu’il allègue que les chambres africaines ne sont pas un tribunal établi conformément à la loi internationale et à la loi constitutionnelle et que le statut de ces chambres africaines vient contredire les dispositions fondamentales de la Constitution sénégalaise de nature à garantir et protéger les droits des justiciables ainsi que leur égalité devant la loi ; que la structure, l’organisation, la composition et les règles de procédure mises en place sont de nature à porter atteinte aux règles du procès équitable et à ses droits. - Qu’il poursuit que les actions entreprises par le Sénégal n’ont d’autre objet que de vouloir contourner au sein même du système judiciaire étatique sénégalais les différents obstacles de droit aux poursuites intentées à son encontre (notamment par référence aux règles de légalité des infractions et des peines, non bis in idem, ou encore en matière d’immunité ou de prescription) que par ailleurs les règles relatives à la désignation des magistrats, aux règles de procédure qui renvoient au Code de procédure pénale sénégalais, aux règles gouvernant l’administration de la preuve, aux conditions d’intervention de la défense, ou encore en matière de recours, portent atteinte à l’indépendance des fonctions judiciaires au sein de ces chambres extraordinaires ou sont limitatives des droits de l’accusé ; 9. Attendu que le requérant ajoute que les actions d’ores et déjà mises en œuvre en amont de la création des chambres qui doivent leur création au concours financier du Tchad, et ce, depuis leur installation assurent à l’exécutif sénégalais un rôle essentiel dans la définition du champ des poursuites, la conduite des enquêtes et l’administration de la preuve, en violation des principes d’indépendance et d’impartialité de l’organe judiciaire, et du principe corollaire de l’égalité des armes ; 10. Attendu que le requérant demande en outre à la Cour de dire que : - les infractions visées au titre du mandat de l’Union africaine et de l’arrêt de la CIJ sont limitées aux faits de violation de la Convention contre la torture ; - les actions poursuivies par le Sénégal depuis la dernière décision de la Cour violent ses droits de l’homme ; - le Sénégal viole lesdits droits en le maintenant en résidence surveillée depuis 2001 sans titre judiciaire ou administratif ; - le Sénégal ne saurait répondre favorablement à une demande d’extradition le concernant vers la Belgique sans violer les règles fondamentales d’ores et déjà affirmées par la Cour de Justice de la CEDEAO ; 11. Attendu que le requérant prie également la Cour d’ordonner au Sénégal de: - cesser toute action, enquête ou acte de procédure visant à poursuivre et à le faire juger en violation desdits droits, et partant, le cas échéant, d’ordonner la cessation de toute procédure à son encontre; - faire cesser toutes les mesures ayant pour objet ou pour finalité de le placer en résidence surveillée, de le priver de sa liberté de mouvement tant à l’intérieur du territoire sénégal qu’à l’extérieur ; - donner satisfaction à la demande formulée par lui d’obtenir, en vertu de son statut de réfugié politique, tout document lui permettant de se déplacer y compris de voyager hors du Sénégal ; - respecter l’ensemble de ses droits, en sa qualité de réfugié politique, tel que garantis par les dispositions des conventions internationales sur les droits des réfugiés ; - lui garantir le droit au respect de sa vie privée, à la santé morale de sa famille, à la sécurité à l’instar de tout réfugié politique, ainsi qu’au respect de sa personne en faisant cesser toute campagne médiatique portant atteinte à son honneur et à sa réputation. 12. Attendu qu’enfin, le Sieur Hissein Habré prie la Cour de condamner la République du Sénégal à lui payer : - la somme de cinq cent millions (500 000 000) de francs CFA au titre de la réparation du préjudice qu’il a subi depuis 2001 du fait des actions du Sénégal mises en œuvre en violation de ses droits, aux atteintes portées à sa liberté, son honneur, sa réputation, au principe de la présomption d’innocence, sa santé morale et celle de sa famille ; - la somme de deux cent cinquante millions (250 000 000) de francs CFA au titre des frais de justice qu’il a engagés depuis 2001. 13. Attendu que par ailleurs, le requérant rappelle qu’en dépit de l’autorité de la chose jugée attachée à la décision du 18 novembre 2010 de la Cour de Justice de la Communauté qui s’impose aux autorités sénégalaises, la République du Sénégal poursuit son dessein de le faire juger devant ses juridictions sans aucun égard aux principes posés par ladite Cour et multiplie en conséquence de nouvelles violations des principes élémentaires des droits de l’homme et des principes directeurs du procès. 14. Attendu que ces violations découlent selon le requérant : - du non respect de l’autorité de la chose jugée et du principe de non rétroactivité du droit pénal ; - de la persistance du Sénégal à vouloir le faire juger à l’intérieur de son système judiciaire disqualifié par la Cour ; - de la mise en œuvre d’un processus judiciaire dans le cadre d’un accord passé avec l’Union africaine dont la Cour a jugé qu’elle n’avait pas qualité pour administrer la justice ; - de la création des chambres extraordinaires africaines qui ne répondent pas aux standards internationaux tant du point de vue de la nature des juridictions ad’hoc que du point de vue de l procédure à caractère international ; - de la volonté de l’exécutif du Sénégal de contourner la règle de « non bis in idem », d’immunité et de prescription, de la présomption d’innocence, d’égalité devant la loi et de non discrimination ; - et de la création de chambres, d’un processus d’enquête sous contrôle du pouvoir exécutif du Sénégal et celui du Tchad ; 15. Attendu par conséquent que, pour le requérant, il y a urgence à empêcher le Sénégal de poursuivre des violations déjà sanctionnées par la Cour de céans mais également, d’assurer le respect absolu de la décision de la Cour. 16. Qu’en effet, selon le requérant il y a des indices concordants de violations des droits de l’homme qui découlent tant de l’organe lui-même que de la procédure mise en place avant sa mise en examen, qu’il justifie l’urgence par la gravité des violations invoquées et leur caractère irrémédiable qui nécessitent l’intervention de la Cour. 17. Que dès lors, pour le requérant il est primordial que la Cour agisse dans l’extrême urgence afin de statuer sur les violations graves, répétées et irréversibles de ses droits de l’homme consécutives aux mesures, actes préparatifs illégaux entrepris par l’Etat du Sénégal. 18. Que se fondant sur le Traité révisé de la CEDEAO, sur différents instruments internationaux des Droits de l’Homme et sur le Protocole additionnel de 2005, sur le Règlement de la Cour du 28 août 2002, ainsi que sur les décisions de la Cour du 14 mai 2001 et du 18 novembre 2010 rendues dans l’affaire Hissein Habré c : République du Sénégal, le requérant demande à la Cour de constater l’urgence et d’ordonner la mise en œuvre de la procédure accélérée prévue par l’article 59 du Règlement de la Cour. 19. Attendu que le requérant demande également à la Cour d’ordonner les mesures provisoires, qu’il argue que les circonstances justifiant le mesures sollicitées sont réunies ; qu’il souligne notamment que le risque de l’aggravation du litige et d’un préjudice irréparable se trouvent remplies ; qu’en effet, selon le requérant de la poursuite des actions sénégalaises en violation de ses droits, de la décision précédente de la Cour et la mise en œuvre de mesures préparatoires en contradiction avec les règles du procès équitable, ne peuvent que conduire à de nouvelles violations, y compris la condamnation potentielle du requérant, voire son incarcération préventive, et seraient la source d’un dommage à la fois considérable et, naturellement, irréparable pour lui ; qu’il argue qu’il y a urgence à effectuer le contrôle de conformité du Statut des chambres avec l’Arrêt de la Cour de Céans du 18 novembre 2010. 20. Attendu qu’il affirme que toutes les juridictions régionales des droits de l’homme et les juridictions internationales posent les mêmes conditions afin d’ordonner les mesures provisoires ; qu’il s’agit en l’occurrence de la gravité de et l’imminence du dommage pour le requérant. 21. Attendu qu’il poursuit que dans l’appréciation qu’elle fait des demandes de mesures provisoires, la Cour Internationale de Justice a dégagé les principes relatifs, notamment à l’existence de préjudice grave (Affaire Congo c. France, ordonnance du 17 juin 2003), (2) à l’urgence et (3) à la menace de dommages irréparables (Affaire Argentine c. Uruguay, ordonnance du 13 juillet 2006) ; qu’il ajoute que, selon la Cour mondiale, le risque d’un préjudice irréparable n’a pas besoin d’être certain pour justifier d’une mesure provisoire ; il suffit qu’il soit potentiel ou virtuel (cf. Affaire Anglo-iranian oil, ordonnance du 5 juillet 1951, Rec. 1951, p.93). 22. Attendu qu’il fait observer que la Cour Africaine des Droits de l’Homme dans l’Arrêt Commission c. Libye a apprécié deux éléments pour ordonner les mesures provisoires : le premier est relatif à l’existence de la compétence prima facie de la Cour, et le deuxième à l’existence d’un préjudice grave et imminent contre le requérant. 23. Attendu qu’il affirme que chacune de ces conditions se trouvent réunies en l’espèce et demande à ce qu’il plaise à la Cour d’ordonner à la République du Sénégal : - de suspendre immédiatement les mesures prises, les enquêtes, les actes de poursuite entrepris ou à entreprendre dans le cadre de l’application du statut des chambres et de la mise en œuvre des procédures afférentes. - à titre de mesures provisoires, de produire le budget mis en place depuis 2007, comprenant l’ensemble des appuis extérieurs obtenus ou à venir en terme de ressources financières ou humaines, les modalités de son affectation, ainsi que le budget du procès ; - de tenir la Cour informée de toutes les mesures qu’elle a prises pour donner effet à cette ordonnance dès notification de la décision à venir. B) Arguments de l’Etat défendeur 24. Attendu que la République du Sénégal dans ses écritures n’a pas entendu répliquer à la demande de procédure accélérée formulée par le requérant dont de la signification lui a été faite le 24 avril 2013. 25. Attendu que l’Etat du Sénégal s’oppose cependant à l’indication des mesures provisoires arguant principalement du fait que les conditions préalables à l’obtention de telles mesures ne sont pas réunies en l’espèce ; qu’en effet, soutient-il, les mesures provisoires doivent nécessairement satisfaire une condition ou une circonstance qui est l’urgence et répondre à l’un des buts suivants : prévenir un préjudice irréparable, sauvegarder les droits des parties, ou encore obvier à une aggravation du litige ; qu’il affirme qu’en l’espèce, il n’y a pas suffisamment d’éléments pour justifier que la Cour interrompe le processus judiciaire déclenché par l’Accord intervenu entre l’Union Africaine et le Gouvernement du Sénégal. 26. Attendu qu’il développe qu’il n’est fait mention par le requérant d’aucun péril sur son intégrité physique, d’aucune atteinte à sa vie ; que rien dans les circonstances qu’il expose pour justifier la prise de mesures provisoires ne se rapporte à ses conditions de vie et la preuve que des menaces pèseraient sur lui ; qu’il étaye ses arguments en se fondant, entre autres, tant sur la jurisprudence de la Cour de Céans, sur celle de la Cour Européenne des Droits de l’Homme, de la Cour Inter Américaine des Droits de l’Homme que celle de la Cour Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples. 27. Attendu que l’Etat défendeur souligne que la demande de mesures provisoires formulée par le requérant vise plutôt à faire échec au processus judiciaire enclenché au Sénégal, paralyser le plus possible le déroulement du processus, retarder chaque fois que cela se peut la marche vers le procès ; qu’il conclut au mal fondé de la demande de mesures provisoires et à la condamnation au dépens du requérant. 28. Attendu que relativement aux conditions de la conclusion de l’Accord du 22 août 2012 « portant création des chambres extraordinaires africaines au sein des juridictions sénégalaises », le Sénégal rappelle qu’il s’est conformé à l’arrêt de la Cour du 18 novembre 2010 et à la pratique diplomatique relative aux « Tribunaux nationaux internationalisés » telle que les Nations Unies l’ont consacrée. 29. Qu’à cet effet, il affirme que les arguments du requérant portant sur le mandat de l’Union africaine sont désuets ; qu’il attire l’attention de la Cour, qu’elle ne saurait apprécier, comme le lui demande le requérant, la conformité ou la non-conformité de l’Accord qu’il a conclu avec l’Union Africaine par rapport au droit international ou à sa constitution ; qu’il soutient que la procédure usitée pour créer les chambres extraordinaires, le choix des membres les composant, tout comme la détermination de sa compétence pour juger Mr. Hissein Habré ne souffrent d’aucun vice ; qu’in fine se fondant sur la pratique internationale des tribunaux ad-hoc, ou des tribunaux internationalisés, il fait constater que leur compétence ratione personae a été déterminée par leur statut en des termes ne laissant aucune doute sur l’identité de leurs futurs justiciables ; qu’à ce stade on ne peut parler de violation de la présomption d’innocence ou du droit de la défense du requérant. II) Analyse de la Cour 30. Attendu que le requérant demande à la Cour d’une part d’examiner sa requête suivant la procédure d’urgence et d’autre part d’ordonner à son profit des mesures provisoires ; A) Sur la demande de procédure accélérée 31. Attendu que Mr. Hissein Habré a sollicité de la Cour d’ordonner la mise en œuvre de la procédure accélérée conformément à l’article 59 du Règlement de la Cour en ce qu’il y a urgence d’empêcher le Sénégal de poursuivre les violations des droits de l’homme déjà sanctionnées par la Cour de céans eu égard à leur gravité, leur répétition et leur caractère irrémédiable pour lui sans l’intervention prompte de la Cour ; que la République du Sénégal n’a pas conclu sur cette demande en dépit de la signification qui lui en a été faite le 23 avril 2013, 32. Attendu que le requérant justifie sa demande par le fait que la poursuite de la procédure mise en œuvre par le Sénégal risque de préjudicier à ses droits humains de manière irréversible ; Attendu que la Cour, tenant compte des risques de dommage irréparables allégués qui pourraient résulter des violations des droits de l’homme du requérant, de l’imminence de la mise en œuvre de la procédure judiciaire d’une part et d’autre part, de ce que l’Etat défendeur en ne concluant pas sur cette demande n’a pas entendu s’y opposer, a pris la mesure de l’urgence à statuer dans la procédure en cours à laquelle elle a apporté toute l’accélération qu’elle requiert ; qu’en conséquence, sur le principe, la Cour, Avant Dire Droit, fait droit à la demande de procédure accélérée ; B) Sur la demande de mesures provisoires 33. Attendu que la Cour peut prendre des mesures provisoires lorsqu’elle constate la violation des droits de l’homme dans un Etat Membre, qu’elle a, à cet égard indiqué dans son arrêt Badini contre Salfo c/ République du Faso (ECW/CCJ/JUD/13/12paragraphe 59) que : « les mesures qu’elle ordonne lorsqu’elle constate la violation des droits de l’homme ont principalement pour finalité la cessation desdites violations et la réparation » ; que cette décision est conformé à l’article 21 du Protocole du 9 janvier 2005 et de l’article 79 de son règlement sur lesquels la Cour s’est fondée pour définir des critères qui permettent d’ordonner les mesures provisoires (cf arrêt Avant Dire Droit Godswill Mirakpor et autres c/ Conférence des Chefs d’Etats et de Gouvernement de la CEDEAO & ONUCI du 18 mars 2011 paragraphe 17.) 34. Attendu que lorsqu’elle statue, en application des textes précités sur une demande de mesures provisoires, la Cour n’est amenée à ordonner lesdites mesures que lorsque se trouve réunie une triple condition. i) Si elle est prima facie compétente pour connaître du différend principale ou si elle n’est pas manifestement incompétente pour statuer sur les demandes principales formulées ii) Si la requête principale est prima facie recevable ou n’es pas manifestement irrecevable ; et iii) S’il y a urgence au regard des circonstances de fait et de droit invoqués au soutien de la demande de mesures provisoires. 35. Attendu qu’il découle de ce qui précède que la Cour ne peut prendre des mesures provisoires que dans les domaines qui relèvent de sa compétence ;qu’il s’agit d’une règle générale qui détermine le cadre d’action des juridictions régionales d’intégration ; qu’il échet donc pour la Cour de déterminer au prime abord sa compétence au regard du différend principal qui lui est soumis et s’il y a lieu la recevabilité de la demande et l’urgence à y statuer ; 36. Attendu que de la requête initiale, il ressort que M. Hissein Habré articule ses griefs relatifs à la violation ses droits de l’homme, violation actuelle, continue et à venir pour l’essentiel autour du mandat de l’Union Africaine, de l’invalidité de l’Accord conclu par le Sénégal avec l’Union Africaine en violation des règles de droits international et du droit national, en violation du droit constitutionnel sénégalais, de l’irrégularité juridique de la Constitution et de la composition des chambres africaines extraordinaires, l’inexécution de la décision rendue par la Cour les 14 mai et 18 novembre 2010 dans l’Affaire Hissein Habré c/ République du Sénégal. Sur la Compétence prima facie de la Cour 37. Attendu que la Cour est une juridiction régionale qui a, entre autres compétences, la sanction de la violation des droits de l’homme par les Etats membres ainsi que l’interprétation et l’application des actes de la Communauté CEDEAO ; qu’elle est juge des droits de l’homme et juge du droit communautaire de la CEDEAO dans l’exercice de ces deux principales compétences. 38. Attendu que le requérant se plaint certes de la violation continue de ses droits de l’homme du fait du non respect de l’Arrêt de la Cour de céans du 18 novembre 2010 et de violations à venir desdits droits en ce qu’il sera très probablement mis en cause, qu’il argue en outre que les mesures prises en application de l’Accord et du Statut des Chambres Extraordinaires Africaines pourraient le viser directement et violeraient ses droits de l’homme motifs pris de ce que l’Accord serait contraire aux règles de droit international et qu’en outre les juridictions qui en sont issues n’auraient aucun caractère international. 39. Attendu que si la question de violation des droits de l’homme apparaît dans la requête de Monsieur Hissein Habré, la Cour fait observer que celle-ci n’est pas le fond du litige, 40. Qu’en effet, il résulte de la requête initiale que le cœur du différend principal porte en réalité sur : - l’appréciation de la validité de l’Accord conclu entre la République du Sénégal et l’Union Africaine ainsi que du Statut qui y est annexé au sujet de la création des Chambres Extraordinaires Africaines au sein des juridictions sénégalaises pour juger et punir les auteurs des crimes internationaux commis au Tchad entre le 7 juin 1982 et le 1er décembre 1990, - l’appréciation de leur compatibilité et de celle des mesures subséquentes prises par la République du Sénégal dans le cadre de leur mise en œuvre avec les engagements communautaires du Sénégal, notamment l’obligation de respecter l’arrêt de la Cour de céans du 18 novembre 2010 et les drotis de l’homme sur son répertoire, d’une part - L’existence de vices affectant la mise en place des Chambres Extraordinaires Africaines, d’autre part. 41. Attendu que la Cour entend d’abord examiner si des motifs d’incompétence ou d’irrecevabilité manifestes existent, en application des critères rappelés ci-dessus et des dispositions de l’alinéa 1 de l’article 88 de son Règlement qui dispose : « lorsque la Cour est manifestement incompétente pour connaitre d’une requête ou lorsque celle-ci est manifestement irrecevable, la Cour peut, sans poursuivre la procédure, statuer par voie d’ordonnance motivée ». 42. Attendu que dans son arrêt du 18novembre 2010 entrepris, la Cour rappelle qu’elle avait indiqué que l’Etat du Sénégal avait « une mission de conception et de suggestion de toutes modalités propres à poursuivre et faire juger dans le cadre stricte d’une procédure spéciale ad-hoc à caractère international telle que pratiquée en droit international par toutes les nations civilisées ». Qu’Il découle de cet arrêt qu’il revenait à l’Etat du Sénégal de prendre les dispositions pour la mise en place d’une juridiction à caractère international aux fins de faire juger Hissein Habré et autres. 43. Attendu que La Cour constate que dans cette veine, l’Etat défendeur a conclu avec l’Union Africaine un Accord portant création de Chambres Extraordinaires Africaines au sein des juridictions sénégalaises pour juger le requérant. Qu’ainsi la procédure judiciaire incriminée par Mr. Hissein Habré repose sur cet Accord International conclu par la République du Sénégal pour réprimer des crimes internationaux tenus pour graves, punissables et imprescriptibles par le droit des gens. Or une telle entreprise prend sa source dans l’obligation pour le Sénégal de respecter ses engagements internationaux et est fondée sur la mise en œuvre du treaty-making power respectivement de cet Etat et de l’Union Africaine ; que dès lors, le Sénégal accomplit des actes qui relèvent de l’exercice de sa souveraineté, dans le cadre, non du droit communautaire CEDEAO, stricto sensu, mais dans le cadre du droit international général, du droit de l’Union africaine et de son droit national. 44. Attendu que pour la Cour, l’Union Africaine est une organisation internationale dotée de la personnalité juridique disposant de ses propres règles de fonctionnement et d’organes en charge d’apprécier et de contrôler les actes qu’elle prend. Aussi, la Cour estime-t-elle, qu’en dénonçant la validité de l’Accord précité, sa compatibilité avec le droit communautaire et notamment l’obligation pour un Etat membre de respecter les Droits de l’Homme sur son territoire d’une part, et en soumettant d’autre part, cette question à l’appréciation de la Cour de céans le requérant lui demande tout simplement de sanctionner ledit Accord et, partant, de s’ériger en juge des actes pris par l’Union Africaine. A cet égard, la Cour rappelle sa jurisprudence constante suivant laquelle elle n’a pas compétence pour apprécier la conformité des accords internationaux conclus par les Etats membres, ni suspendre les procédures judiciaires engagées par ceux-ci. En conséquence, la Cour dit et juge qu’elle n’a pas compétence pour effectuer le contrôle de conformité de la validité de tels actes qui ne relèvent pas de la mise en œuvre d’une norme primaire ou dérivée du droit communautaire CEDEAO, un tel contrôle étant du ressort d’autres mécanismes du droit international général en matière de traité. 45. Attendu qu’en ce qui concerne l’inexécution par la République du Sénégal des décisions rendues par la Cour de Céans les 14 mai et 18 novembre 2010 dans l’Affaire Hissein Habré c/ République du Sénégal, la Cour rappelle, comme elle l’a déjà souligné dans l’Affaire Karim Wade c/ République du Sénégal, que le contentieux de l’exécution des décisions de la Cour obéit à une procédure spécifique définie par l’article 15 de l’Acte Additionnel du 17 février 2012 ; qu’aux termes de cet article, la requête tendant à déterminer si un Etat Membre s’est conformé ou non à une décision de la Cour relève de l’examen des manquements des Etats Membres à leurs obligations envers la communauté et ne peut être introduite que par les Etats Membres ou le Président de la Commission conformément à l’article 10 du Protocole Additionnel du 19 janvier 2005. La Cour estime dès lors que le recours introduit par une personne physique ou morale autres que ceux prévus par ce texte contre une de ses décisions est, pour le motif sus-évoqué, irrecevable. 46. Attendu que s’agissant de l’existence de vices affectant les « Chambres Extraordinaires Africaines » quoi ne répondent en rien aux standards internationaux, ni en terme de juridiction Ad’hoc, d’organe juridique indépendant, ni en terme de procédure à caractère international équitable etc, la Cour réaffirme que la création de ces Chambres, leurs règles d’organisation et de fonctionnement, leurs compétences sont régies par l’Accord querellé et leurs propres statuts. La Cour dit et juge donc qu’elle n’a aucun mandat pour apprécier l’indépendance de ces juridictions qui ne ressortissent pas à sa compétence. 47. Attendu que par rapport au moyen tiré du caractère international ou non des Chambres Extraordinaires, la Cour rappelle qu’elle a elle-même expliqué dans son arrêt du 18 novembre 2010 qu’il est impérieux que la juridiction ad’ hoc à mettre en place par l’Etat du Sénégal offre la garantie d’une juridiction de standard international en vue d’un procès équitable. Pour la Cour, les Chambres Extraordinaires Africaines, même si elles ont été créées au sein des juridictions nationales sénégalaises n’ont pas moins un caractère international du fait de leur mode de création d’une part (Accord international) et leurs règles de fonctionnement différentes de celles des juridictions nationales sénégalaises (statut des Chambres), d’autre part : que l’existence sur un territoire national (en l’espèce le Sénégal) et la composition du moins partielle au sein de ces Chambres de juges nationaux (Sénégalais en l’occurrence) n’enlèvent en rien à ces juridictions leur caractère international. que, dès lors, la Cour estime que l’Accord international qui a créé les Chambres Extraordinaires Africaines et leurs propres règles de fonctionnement déterminées dans leur statut confèrent à celles-ci un caractère international. 48. Attendu qu’il est de doctrine et de jurisprudence constante qu’il n’y a pas de hiérarchie entre les juridictions internationales ; qu’en conséquence, la Cour dit qu’elle ne saurait exercer aucun contrôle sur les règles régissant le fonctionnement des Chambres Africaines Extraordinaires ; 49. Attendu qu’en définitive, la Cour dit qu’elle est incompétente pour connaître de la requête principale, dans ses aspects touchant au contrôle de validité et de compatibilité de l’Accord signé entre la République du Sénégal et l’Union Africaine ; qu’en outre, les autres aspects de la requête relatifs à l’existence de violations continues découlant du non respect de la décision du 18 novembre 2010 et à l’existence de violations à venir sont manifestement irrecevables pour les raisons évoquées ci-dessus; qu’enfin que le caractère international des Chambres Extraordinaires est avéré ; Qu’il n’est point besoin d’examiner les autres critères définis au paragraphe 34 ; 50. Attendu que la Cour étant prima facie incompétente à l’égard d’une partie de la requête et l’autre partie étant manifestement irrecevable, il n’y a pas lieu d’ordonner des mesures provisoires. 51. Attendu que l’action principale ne pouvant prospérer : il échet pour la Cour de prononcer la fin de l’instance ; que partant ; toute autre action incidente serait sans objet. Par ces motifs : - VU le Traité Révisé de la CEDEAO du 7 juillet 1998 ; - VU le Protocole relatif à la Cour tel qu’amendé par le Protocole Additionnel du 19 janvier 2005 ; - VU le Règlement de la Cour du 03 juin 2002 ; Statuant, publiquement et contradictoirement et après en avoir délibéré, Avant-Dire-Droit : - Fait droit à la demande de procédure accélérée - Dit que la Cour est incompétente prima facie pour connaître de la requête principale - Dit qu’en conséquence, il n’y a pas lieu d’ordonner les mesures provisoires - Ordonne la fin de l’instance et de toute autre action incidente - Dit que chaque partie supporte ses dépens Ainsi fait et prononcé en français, langue de procédure, en audience publique au siège de la Cour à Abuja, le cinq novembre deux mille treize. --------------------------
Posted on: Fri, 08 Nov 2013 17:09:22 +0000

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