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La légende des Anges. (superbe ouvrage tant dans la forme et le fond) Auteur : Michel Serres LA LEGENDE DES ANGES Pour les religions monothéistes comme dans les anciennes légendes, lAnge porte les messages. Or nos sciences et nos techniques produisent cent métiers de communication, autant de réseaux mondiaux, une ville sans limites, dincessants déplacements qui dessinent la carte dun nouvel univers et induisent des problèmes planétaires, portés sans cesse vers nous par mille messagers. Mais cette messagerie universelle saccompagne dindicibles injustices, dune misère croissante, de famines et de guerres, dune révoltante inégalité. Voyons-nous, réalisée, partout, autour de nous, une nouvelle Légende des Anges, avec échangeurs et annonceurs, réseaux et passages, chutes et Démons, Puissances et Dominations, quête de miséricorde... ? Construisons-nous, sans la voir, une culture neuve qui convoque, ensemble, sciences, droits et religions, cest-à-dire notre raison, nos exigences de justice et nos blessures damour ? Rencontre avec Michel Serres (A propos de la parution de ce livre en 1993, lHebdo avait interviewé lauteur de La légende des Anges). «La société elle-même devient pédagogique » Pour le philosophe Michel Serres, la pédagogie de demain devra abolir toutes les distances : spatiales, psychologiques, sociales... Tour dhorizon de la question à lapproche dun nouveau millénaire. Dans une société de communication, la place réservée à lenseignement est-elle destinée à se transformer radicalement ? Je crois que nous pouvons déjà observer que la société de communication est en train de se transformer sous nos yeux en société pédagogique. Désormais la télévision est une école, le journal est une école, la rue est une école. Autrefois, vous voyiez les gens partir aux champs le matin. Puis vous les avez vu partir en bleu de travail à lusine. Maintenant, vous les voyez tous avec leur petite serviette partir à lécole. Ils vont à des réunions ; ils vont parler, sentretenir, apprendre... Jai de la peine à comprendre que, tous pays confondus, on méprise encore lenseignement alors que la société elle-même devient pédagogique. Regardez les pays du tiers monde : plus personne ne pense aujourdhui que linfrastructure cest léconomie. Tout le monde a enfin compris que cest la formation scientifique, technique et culturelle du pays. Ce nest pas trop tôt. Voilà un siècle que Prométhée était le dieu devant lequel nous sacrifiions tout. Or, depuis déjà trente ans, je dis que notre dieu commun est Hermès, le dieu des messages. Enfin on commence à comprendre que Prométhée fait vraiment des ravages et que cest une religion qui nous coûte cher. Quelles seront les principales conséquences de cette mutation ? Nous nous orientons de plus en plus vers une forme de société où la formation sera continuelle jusquà lâge de la retraite et accompagnera ainsi le métier. Dès lors, la plupart des gens qui devront être formés seront dans le travail et ne pourront pas se déplacer dans des centres de distribution du savoir comme les universités. Il sera donc nécessaire que le savoir aille à eux plutôt queux au savoir. Et il faudra probablement penser la transformation du corps enseignant en raison de ces demandes-là. Cela implique que lon utilise les systèmes techniques que nous avons déjà à notre disposition. Ce sont des systèmes extrêmement bien connectés qui vont du courrier ordinaire jusquau courrier électronique, du fax jusquà la télévision câblée. Or il se trouve que nous nen consacrons presque aucun à lenseignement, ce qui est une contradiction étrange. Cela suppose-t-il que les médias devront à lavenir mieux assumer leurs responsabilités pédagogiques ? Cela demande effectivement une sorte dexamen commun à vous, hommes de médias, et à nous, hommes denseignement, puisque vous êtes dans la pédagogie autant que nous. Nous de droit, vous de fait. Vous savez que lorsquun enfant passe la moitié de son temps devant linstituteur et lautre moitié devant la télévision, il est à demi formé par lun et à demi formé par lautre. Il faudrait que vous lacceptiez afin que lon puisse faire asseoir, autour de la table, ceux qui tiennent les réseaux et ceux qui connaissent lextraordinaire poussée de cette demande de formation. Vous avez vous-même participé à un projet duniversité à distance. Quels en seraient les avantages ? Vous faites allusion à un problème que jai étudié de façon très précise depuis déjà dix-huit mois et qui intéresse aussi bien des pays riches comme lAngleterre ou le Canada que des pays pauvres comme lInde ou le Costa Rica. Quand je dis que le savoir doit aller vers lutilisateur plutôt que lutilisateur vers le savoir, cest parce quil existe non seulement des distances spatiales, mais aussi financières, psychologiques, sociales, mille et une distances. Toute la question est de les combler. A certains égards, cette université télévisuelle peut être plus démocratique que luniversité centralisée avec des investissements lourds, des gros bâtiments, de grosses bibliothèques. Ce sera plus léger, plus adapté, plus voltigeur. Pourquoi lenseignement utiliserait-il toujours le lourd alors quon en est à la période du léger ? A vous lire on a pourtant limpression que le pire ennemi de la pédagogie réside dans les institutions où elle est mise en oeuvre... Cest vrai, les institutions sont à la fois des adjuvants et des obstacles. Des adjuvants parce quelles rendent possible la transmission, et il ny a pas de pédagogie sans transmission. Mais il arrive aussi quen gelant la transmission elles empêchent lavancée et constituent donc des obstacles. Au fond, je crois que tous les systèmes se valent et cest pourquoi jenseigne dans plusieurs pays. Le problème, cest moins les institutions que le dynamisme dans lequel on les vit, ou ce à quoi on les fait travailler. Le véritable problème, ce nest pas les institutions ni les moyens, cest la finalité. Or en pédagogie, actuellement, nous navons pas de finalité ; nous ne savons pas quoi faire parce que nous navons pas devant les yeux la personne que nous voulons former. Cest la raison pour laquelle jai écrit Le Tiers instruit . Mon idée était de décrire un individu bien déterminé parce quon ne peut pas faire un traité de pédagogie si lon ne décrit pas la personne que lon veut enseigner, lidéal que lon veut former. Pourquoi avoir choisi le personnage dArlequin pour représenter cet idéal ? Je me suis attaché à Arlequin parce quil possède un manteau composite, entièrement formé de morceaux de tailles et de couleurs diverses. Cest-à-dire quil a assimilé en soi beaucoup dautres. Tout apprentissage suppose une inclusion, un accueil, et je décris simplement lidéal de léducation comme louverture à toutes les altérités possibles. A un certain moment, je dis dans mon livre quil est arrivé un miracle à Arlequin : il est devenu Pierrot. Cest-à-dire quà force de mettre des morceaux de toutes les couleurs sur son manteau il est devenu blanc. Parce que le blanc est un accueil complet de la totalité des couleurs. Cest un universel qui ne soppose pas aux singularités. Plus précisément, comment tendre vers cet idéal ? Faut-il, comme vous semblez le souhaiter, réduire limportance accordée aux démarches analytiques dans lenseignement ? Je ne condamne pas du tout la démarche analytique mais je regrette simplement que lon ne donne pas assez de place à linventivité. On apprend aux gens à déplier, à ouvrir, à expliciter. Oui, cest très bien, mais ce nest que de lintelligence. Ce nest quamener de la lumière dans un pli quon ouvre. Au fond une oeuvre est un artichaut. On sait en défaire les feuilles mais il est très difficile de prendre ces feuilles et de fabriquer un artichaut. Rien nest plus facile que douvrir un pli mais il est très difficile de faire des plis et, pli sur pli, de fabriquer un organisme vivant. Cest ce que fait une femme dans son ventre quand elle est enceinte. Il y a un tissu, il se plie, puis se replie, puis se replie... Loeuvre cest cela : cet entassement dinformations lune sur lautre, accompli dans le noir et non dans la lumière. Vous souhaitez également que lenseignement de demain réserve une place plus importante aux sciences humaines par rapport aux sciences exactes. Pourquoi ce changement est-il nécessaire ? Le problème, cest que le savoir ou la technique nous donnent une matrise : nous matrisons une technique et, par elle, nous matrisons le monde. Or cette matrise engendre les difficultés que vous connaissez. Désormais, il ny a plus de discipline scientifique qui ne soit dans la nécessité de matriser sa propre matrise. Il est donc nécessaire dajouter à ce processus scientifique et technique de matrise un autre processus qui soit éthique dans certains cas, déontologique ou juridique dans dautres. Autrement dit, les humanités, le droit, la morale, la philosophie, etc., doivent nous permettre de devenir non pas les matres du monde, ou les matres et possesseurs de la nature, mais les sages de notre matrise. Quel est votre principal sujet dinquiétude pour lavenir ? Je crois que les parents naiment plus leurs enfants (je parle pour les Français mais tous les problèmes sont mondiaux et se ressemblent cruellement depuis quelque temps). Ils préfèrent payer les gardiens de prison plutôt que les instituteurs, et ils préfèrent promener leur chien plutôt que leurs enfants. Je vois toujours les chiens caressés et les enfants giflés. Voilà la cruelle réalité des faits : nous ne faisons plus denfants et nous ne les aimons plus. Cest un drame de la société occidentale. Au fond, il ny a peut-être pas de plus cruelle bête depuis le néolithique que lhomme occidental de quarante ans qui a réussi... Propos recueillis par Michel Audétat et Jean Chichizola
Posted on: Thu, 21 Nov 2013 10:02:32 +0000

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