« La nuit enveloppait encore la grange mais la lune éclairait la - TopicsExpress



          

« La nuit enveloppait encore la grange mais la lune éclairait la chambre par quelques faisceaux de lumière qui illuminaient la poussière comme autant d’étoiles minuscules. Il était éveillé, étendu sur le lit, se forçant à entendre les derniers galops du cheval qui la ramenait au château. Elle partait toujours avant l’aube pour que personne ne puisse la voir. Ils se connaissaient depuis toujours et pourtant se redécouvraient à chaque fois avec une fougue décuplée. Ils ne pouvaient vivre séparés alors que tout les séparait. Elle était de grande lignée, lui n’était rien ou si peu. Rejetant l’amertume qui pointait dans son esprit avec l’énergie qui l’animait habituellement, il préféra se souvenir de cette nuit. La pièce qui abritait leurs amours respirait encore sa présence, fauve et épanouie. Ils s’étaient livrés comme la première fois, insouciants qu’ils étaient du gouffre qui opposait leurs positions dans la société. La faim commençait à se manifester dans ce corps noueux et bien charpenté. C’est qu’il avait beaucoup donné cette nuit, alors que le vent de la mer proche sifflait dans la charpente. Il aimait ce hurlement entre les poutres qui la conduisait à se refugier dans ses bras musclés. Elle était alors blottie contre lui, fière et fragile à la fois, tandis que lui la réchauffait et la protégeait en même temps. Il ne faisait pas encore très froid à cette période de l’année mais quand même, le jour tombait plus tôt, la fraîcheur se faisait plus vive. Le vent d’ouest se montrait plus insistant et les premières tempêtes allaient bientôt balayer le pays. Les bateaux se refugieraient alors dans les ports ou les criques abrités et il faudrait attendre le printemps suivant pour rêver d’aventures au large, au-delà de l’horizon. Elle devait être rentrée maintenant. Le château, éloigné de quelques lieux, dormait sans doute encore, même si les domestiques commençaient à allumer les feux dans les cheminées. Personne n’aurait osé dénoncer la comtesse, non par crainte, mais par toute l’affection qu’ils lui manifestaient puisqu’ils la connaissaient et l’aimaient depuis sa jeunesse. Cavalière accomplie, elle savait faire taire sa monture à l’approche de la demeure familiale, pour ne pas éveiller les soupçons de son père qui n’aurait pas manqué de comprendre d’où elle revenait. Décidemment, ce matin, il avait l’humeur bien vagabonde. Il fallait bien qu’il se mette à penser à ses parents et notamment à ce père, hautain et détesté par tout le pays. Comment avait-il pu engendrer une fille aussi charmante alors qu’il représentait à lui seul, l’injustice et les privilèges insupportables sous lesquels le pays devait se plier. On commençait ici ou là à les remettre en cause mais rien ne pouvait changer si vite et lui n’y croyait pas. Il pensait surtout, à cette heure où un soleil livide peinait à se lever, au petit déjeuner qu’il allait dévorer chez la mère Karadec. La Karadec, comme on disait dans le pays, lui servait de mère depuis toujours ».
Posted on: Fri, 01 Nov 2013 13:56:36 +0000

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