La plage, le corps libéré ? 1) Le procès de la libération du - TopicsExpress



          

La plage, le corps libéré ? 1) Le procès de la libération du corps Le Breton propose l’idée qu’il ne saurait y avoir une libération du corps collective, mais une libération de soi, c’est-à-dire, le sentiment d’avoir gagné un épanouissement. Ce sentiment est cependant un leurre : " Le corps n’est, aujourd’hui, libéré que de façon morcelée, coupée du quotidien. Le discours de la libération et les pratiques qu’il suscite sont le fait de classes sociales moyennes ou privilégiées. Cette "libération" se fait moins sous l’égide du plaisir (même si indéniablement celui-ci est souvent présent) que sur le mode du travail sur soi, du calcul personnel, mais dont la matière est déjà donnée sur le marché du corps à un moment donné " (p. 143). Dans le quotidien, radicalement séparé de la plage, le corps est nié, effacé. C’est un peu dans cette veine que Pierre Bourdieu a développé la critique de la libération du corps (La Distinction, critique sociale du jugement, 1979, ‘Du devoir au devoir de plaisir’, p. 422 et suivantes). Par exemple : " cette fuite romantique hors du monde social qui, parce qu’elle exalte le corps et la nature, se pense parfois comme retour au "sauvage" et au "naturel" : ayant en commun avec la culture légitime de laisser à l’état implicite ses principes (ce qui se comprend puisqu’il s’agit des dispositions d’un ethos), la contre-culture est encore en mesure de remplir des fonctions de distinction en mettant à la portée de presque tous les jeux distinctifs ". On trouve le même registre critique chez Baudrillard, mais aussi chez Kaufmann, qui paye sa dette à ceux qui ont déjà arpenté ce terrain. 2) Le corps aliéné : le regard des dominants " Seule l’élite de l’élite de la jeunesse et de la beauté a vraiment tous les droits : tous les autres doivent se positionner et apprendre leurs limites. C’est pour cette raison aussi que l’observation mutuelle est nécessaire, même si elle est désagréable aux plus mal classés. (...) Ceux qui "n’ont rien pour eux" sont malheureux du regard qu’ils attirent sur eux, mais ils doivent l’accepter, car c’est la seule manière pour eux de "se regarder" de comprendre leur place et ce qu’ils doivent faire. De se regarder dans le regard des autres. À défaut ils risquent tout bonnement de perdre la qualité d’être humain. En d’autres termes : il est possible de rester un être humain même quand le destin n’a pas été généreux, mais à la condition de savoir tenir sa place et d’obéir scrupuleusement à un code de comportement beaucoup plus rigoureux que pour ceux qui sont mieux lotis " (Kaufmann, p. 188). On retrouve le mécanisme de l’aliénation de Pierre Bourdieu (violence symbolique), mécanisme poussé à son paroxysme lorsque l’aliéné endosse des catégories impliquant une dépossession d’identité et accepte, ou même demande, l’identification de soi telle que l’autre la produit. C’est un rapport de dépendance à l’autre - support du pouvoir - qui induit un rapport de dépendance au corps tel qu’il est produit par l’autre, le corps désiré, idéal. On est dans une logique de ‘la production sociale des corps’. " Ainsi l’expérience par excellence du "corps aliéné", la gêne, et l’expérience opposée, l’aisance, se proposent de toute évidence avec des probabilités inégales aux membres de la petite bourgeoisie et de la bourgeoise (...) : les chances de vivre le corps propre sur le mode de la grâce et du miracle constitué sont d’autant plus grandes en effet que la capacité corporelle est à la mesure de la reconnaissance ; ou, à l’inverse, la probabilité d’éprouver le corps dans le malaise, la gêne, la timidité, est d’autant plus forte que la disproportion est plus grande entre le corps idéal et le corps réel, entre le corps rêvé et le looking-glass self, comme on dit parfois, que renvoient les réactions des autres " (Bourdieu, La Distinction, p. 228). Cela permet de mettre en évidence des ‘cultures somatiques’ différentes, qui induisent des ‘usages sociaux du corps’ différents (Boltanski, ‘Les usages sociaux du corps’, Annales, E. S. C., 1971) à la plage comme ailleurs. Dans la perspective de Boltanski et Bourdieu, telle qu’elle est décrite par Maisonneuve : " le développement de la conscience du corps souvent décrit comme libération vis-à-vis des tabous sociaux et religieux, comme reconquête de son être par le sujet, pourrait aussi bien être décrit comme l’aboutissement d’un processus de dépossession culturelle ". Dissolution du sujet plutôt que libération, on retrouve aussi ce thème chez Foucault.
Posted on: Mon, 29 Jul 2013 19:50:01 +0000

Trending Topics



Recently Viewed Topics




© 2015