La réserve parlementaire. Photo Bruno Charoy pour - TopicsExpress



          

La réserve parlementaire. Photo Bruno Charoy pour Libération. La première fois qu’il a pénétré au Palais-Bourbon, il était très impressionné. Non par l’apparat et les dorures, mais plutôt par les grandes lois qui y ont vu le jour. C’était le 10 juillet. Ce jour-là, Hervé Lebreton, 42 ans, professeur de mathématiques dans le Lot-et-Garonne, s’est invité à l’Assemblée nationale. Il y étalait son récent butin, fruit de deux années de recherches : la liste des subventions de l’année 2011 allouées aux collectivités locales, dans le cadre de la réserve parlementaire. «Dire "réserve parlementaire" est un abus de langage. Le terme exact, c’est "crédits 122-01, aide exceptionnelle aux collectivités territoriales"»,précise d’emblée ce tatillon à l’air juvénile, attablé dans un café à deux pas de la Chambre. Une sorte de «caisse noire» légale d’environ 150 millions d’euros qui, selon une pratique coutumière, permet aux députés de financer les collectivités locales et les associations de leur circonscription. Ce qui, de fait, ouvre la voie à tous les clientélismes. Quand, il y a deux ans, ce père de famille découvre ce procédé au cours d’une conversation anodine, c’est «un gros choc». «Argent public et système opaque, cela ne va pas ensemble», décrète-t-il. D’autres se seraient contentés de s’indigner. Lui commence une croisade qui le situe quelque part entre Don Quichotte et Kafka. Il interpelle d’abord le député de sa circonscription. Hasard ou coïncidence, il se trouve que celui-ci est alors le président de la commission des finances. Il s’agit d’un certain Jérôme Cahuzac. N’obtenant pas de réponse de ce côté («il s’est foutu de ma gueule»),Lebreton va frapper à toutes les portes possibles. Il commence par l’Assemblée, où «dès qu’un citoyen appelle, ils sont perdus». Il découvre que ces budgets sont alloués par deux ministères, l’Intérieur et le Budget. Il écrit à tout ce petit monde, sans succès. Il se tourne ensuite vers la Commission d’accès aux documents administratifs. Quand, malgré l’avis favorable de cette dernière, il n’obtient toujours rien, il décide de saisir la justice. Il dépose un recours devant le tribunal administratif. Lequel lui donne raison. Le voilà en possession d’un document fort de plusieurs milliers d’entrées, qu’il passe ses nuits à dépiauter, aidé du collectif Regards citoyens et de journalistes. Quand Lebreton considère le chemin parcouru, il a du mal à y croire lui-même. Mais il confie avec un sourire presque espiègle : «Je déroute un peu les gens. Quand j’ai une idée en tête, je sais que je vais y arriver.» Il n’a pas étudié le droit. Sa soif procédurière se nourrit exclusivement de ce qu’il trouve sur Internet. Lorsqu’il s’agit de resituer le déroulé des événements, il s’emmêle dans les dates. Il avoue avoir du mal «à apprendre par cœur». Mais s’il y a bien une chose avec laquelle il ne plaisante pas, c’est la Constitution, qu’il ne cesse de citer avec fougue. «Je suis un peu rigide là-dessus», admet-il. Rigide, tenace, intransigeant même. Il revendique malgré tout une forte capacité d’adaptation, due à sa solide formation scientifique, maths sup et spé, ainsi qu’à dix années passées à vadrouiller comme prof remplaçant, des sixièmes aux BTS. Une faculté qui se révèle utile quand il vient, seul, plaider sa cause devant un tribunal, face à des avocats chevronnés. «J’ai entendu les avocats dire "M. le Président", alors j’ai fait pareil.» La réserve parlementaire n’est pas le premier combat du zélé citoyen. En 2008, il décide de fonder l’association Pour une démocratie directe. L’objet de son pointilleux courroux : le régime spécial de pension des parlementaires, qui fait tache à l’heure de la réforme des retraites de M. Tout-le-monde. «Quand je vois mon voisin vivre avec 300 euros, c’est inconcevable.» Là aussi, il accumule les démarches, envoie une lettre à chacun des 577 députés, remue, réécrit, interpelle, rappelle, vingt fois s’il le faut. Il envoie tellement de mails qu’il doit gruger pour ne pas être classé comme spammeur auprès de son fournisseur d’accès. Père de deux petites filles, sa compulsion administrativo-légaliste vient par vagues, et n’empiète pas trop sur sa vie de famille. «Je viens d’une famille où on parle de politique et de religion sans que personne ne se fâche à Noël.» Et si un jour sa femme, professeur des écoles, lui dit stop, il arrêtera. «Elle me tempère. Si elle n’était pas là, j’aurais déjà monté ma tente Quechua devant l’Assemblée nationale.» Il ajoute : «Je suis citoyen, je n’ai peur de rien.» Pas peur non plus de se lancer dans la course des législatives, en 2012, portant fièrement son affiliation «sans étiquette». «J’avais envie de voir ce qu’un simple citoyen peut faire en dehors des partis», organismes qu’il estime nécessaires mais pas assez efficaces. Il ne dévoile pas ses préférences, mais son rigorisme moderniste allié à un souci d’équité pointerait vers une forme d’écolo-bayrouisme. Pendant la campagne, il se produit dans une réunion publique affublé d’une énorme pancarte pour rappeler au tout nouveau ministre du Budget ses promesses de déontologie et de transparence. Il obtient 1,21 % des voix. L’ironie a voulu que dans sa chute, Cahuzac braque le projecteur sur les sujets chers à Lebreton, ranimant les velléités d’éthique gouvernementale. Ce qui a encouragé le prof de maths à se représenter à la législative partielle de juin, attentif à l’application du code électoral à la lettre. Il a saisi le CSA pour obtenir du temps de parole et incendié le préfet parce qu’il manquait l’un des 17 panneaux d’affichage devant une mairie. Son score, cette fois ? 1,69 % des voix… «Il a un côté chevalier blanc qui peut sembler désuet ou à côté de la plaque, mais il est impressionnant de rigueur», confie Jérôme Schrepf, journaliste de la Dépêche du Midi qui l’a côtoyé. Qu’on le traite d’emmerdeur le touche finalement moins que ceux qui l’accusent, par son comportement, de faire le jeu du FN, en pleine progression à Villeneuve-sur-Lot. Un sujet sur lequel il s’épanche peu : «On n’a que ce qu’on mérite. Ils sont légitimes mais ça m’arrache le cœur.» Il ne regarde pas le journal télé («trop violent») et préfère la radio. Chez lui, les dossiers s’empilent. Quant au budget courrier, il le sort de sa poche. «Personnellement, je ne retire rien de ces démarches.» A part peut-être un peu d’orgueil… Comme pour s’en préserver, il répète : «Il ne faut pas que je prenne la grosse tête.» En attendant, le contexte évolue, jusque sur les bancs des parlementaires, prêts à voter la publicité de la cagnotte. «Il est apparu aux sénateurs que c’était désormais inévitable», convient l’un d’eux. Pas suffisant pour l’intransigeant prof de maths, qui a acquis la conviction que ce système devait être supprimé pour de bon. Dans les règles, bien entendu. Photo bruno charoy En 6 dates 1971 Naissance à Blois (Loir-et-Cher). 2008 Crée l’association Pour une démocratie directe. 2010 Pétition sur la pension des parlementaires. 2012 Candidat sans étiquette à Villeneuve-sur-Lot. 2013 Obtient gain de cause contre le ministère de l’Intérieur sur la réserve parlementaire. Lundi 22 juillet Le texte sur la transparence de la réserve parlementaire revient à l’Assemblée nationale.
Posted on: Wed, 24 Jul 2013 04:57:16 +0000

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