Lamour et la mort I Regardez-les passer, ces couples - TopicsExpress



          

Lamour et la mort I Regardez-les passer, ces couples éphémères ! Dans les bras lun de lautre enlacés un moment, Tous, avant de mêler à jamais leurs poussières, Font le même serment : Toujours ! Un mot hardi que les cieux qui vieillissent Avec étonnement entendent prononcer, Et quosent répéter des lèvres qui pâlissent Et qui vont se glacer. Vous qui vivez si peu, pourquoi cette promesse Quun élan despérance arrache à votre coeur, Vain défi quau néant vous jetez, dans livresse Dun instant de bonheur ? Amants, autour de vous une voix inflexible Crie à tout ce qui naît : Aime et meurs ici-bas ! La mort est implacable et le ciel insensible ; Vous néchapperez pas. Eh bien ! puisquil le faut, sans trouble et sans murmure, Forts de ce même amour dont vous vous enivrez Et perdus dans le sein de limmense Nature, Aimez donc, et mourez ! II Non, non, tout nest pas dit, vers la beauté fragile Quand un charme invincible emporte le désir, Sous le feu dun baiser quand notre pauvre argile A frémi de plaisir. Notre serment sacré part dune âme immortelle ; Cest elle qui sémeut quand frissonne le corps ; Nous entendons sa voix et le bruit de son aile Jusque dans nos transports. Nous le répétons donc, ce mot qui fait denvie Pâlir au firmament les astres radieux, Ce mot qui joint les coeurs et devient, dès la vie, Leur lien pour les cieux. Dans le ravissement dune éternelle étreinte Ils passent entraînés, ces couples amoureux, Et ne sarrêtent pas pour jeter avec crainte Un regard autour deux. Ils demeurent sereins quand tout sécroule et tombe ; Leur espoir est leur joie et leur appui divin ; Ils ne trébuchent point lorsque contre une tombe Leur pied heurte en chemin. Toi-même, quand tes bois abritent leur délire, Quand tu couvres de fleurs et dombre leurs sentiers, Nature, toi leur mère, aurais-tu ce sourire Sils mouraient tout entiers ? Sous le voile léger de la beauté mortelle Trouver lâme quon cherche et qui pour nous éclôt, Le temps de lentrevoir, de sécrier : Cest Elle ! Et la perdre aussitôt, Et la perdre à jamais ! Cette seule pensée Change en spectre à nos yeux limage de lamour. Quoi ! ces voeux infinis, cette ardeur insensée Pour un être dun jour ! Et toi, serais-tu donc à ce point sans entrailles, Grand Dieu qui dois den haut tout entendre et tout voir, Que tant dadieux navrants et tant de funérailles Ne puissent témouvoir, Quà cette tombe obscure où tu nous fais descendre Tu dises : Garde-les, leurs cris sont superflus. Amèrement en vain lon pleure sur leur cendre ; Tu ne les rendras plus ! Mais non ! Dieu quon dit bon, tu permets quon espère ; Unir pour séparer, ce nest point ton dessein. Tout ce qui sest aimé, fût-ce un jour, sur la terre, Va saimer dans ton sein. III Eternité de lhomme, illusion ! chimère ! Mensonge de lamour et de lorgueil humain ! Il na point eu dhier, ce fantôme éphémère, Il lui faut un demain ! Pour cet éclair de vie et pour cette étincelle Qui brûle une minute en vos coeurs étonnés, Vous oubliez soudain la fange maternelle Et vos destins bornés. Vous échapperiez donc, ô rêveurs téméraires Seuls au Pouvoir fatal qui détruit en créant ? Quittez un tel espoir ; tous les limons sont frères En face du néant. Vous dites à la Nuit qui passe dans ses voiles : Jaime, et jespère voir expirer tes flambeaux. La Nuit ne répond rien, mais demain ses étoiles Luiront sur vos tombeaux. Vous croyez que lamour dont lâpre feu vous presse A réservé pour vous sa flamme et ses rayons ; La fleur que vous brisez soupire avec ivresse : Nous aussi nous aimons ! Heureux, vous aspirez la grande âme invisible Qui remplit tout, les bois, les champs de ses ardeurs ; La Nature sourit, mais elle est insensible : Que lui font vos bonheurs ? Elle na quun désir, la marâtre immortelle, Cest denfanter toujours, sans fin, sans trêve, encor. Mère avide, elle a pris léternité pour elle, Et vous laisse la mort. Toute sa prévoyance est pour ce qui va naître ; Le reste est confondu dans un suprême oubli. Vous, vous avez aimé, vous pouvez disparaître : Son voeu sest accompli. Quand un souffle damour traverse vos poitrines, Sur des flots de bonheur vous tenant suspendus, Aux pieds de la Beauté lorsque des mains divines Vous jettent éperdus ; Quand, pressant sur ce coeur qui va bientôt séteindre Un autre objet souffrant, forme vaine ici-bas, Il vous semble, mortels, que vous allez étreindre LInfini dans vos bras ; Ces délires sacrés, ces désirs sans mesure Déchaînés dans vos flancs comme dardents essaims, Ces transports, cest déjà lHumanité future Qui sagite en vos seins. Elle se dissoudra, cette argile légère Quont émue un instant la joie et la douleur ; Les vents vont disperser cette noble poussière Qui fut jadis un coeur. Mais dautres coeurs naîtront qui renoueront la trame De vos espoirs brisés, de vos amours éteints, Perpétuant vos pleurs, vos rêves, votre flamme, Dans les âges lointains. Tous les êtres, formant une chaîne éternelle, Se passent, en courant, le flambeau de lamour. Chacun rapidement prend la torche immortelle Et la rend à son tour. Aveuglés par léclat de sa lumière errante, Vous jurez, dans la nuit où le sort vous plongea, De la tenir toujours : à votre main mourante Elle échappe déjà. Du moins vous aurez vu luire un éclair sublime ; Il aura sillonné votre vie un moment ; En tombant vous pourrez emporter dans labîme Votre éblouissement. Et quand il régnerait au fond du ciel paisible Un être sans pitié qui contemplât souffrir, Si son oeil éternel considère, impassible, Le naître et le mourir, Sur le bord de la tombe, et sous ce regard même, Quun mouvement damour soit encor votre adieu ! Oui, faites voir combien lhomme est grand lorsquil aime, Et pardonnez à Dieu !
Posted on: Sat, 23 Nov 2013 09:15:49 +0000

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