Le romancier, qui a déjà reçu le Médicis et le Grand Prix du - TopicsExpress



          

Le romancier, qui a déjà reçu le Médicis et le Grand Prix du roman de lAcadémie française, nous plonge dans lhorreur de la guerre du Liban avec des scènes dune force visuelle rare. Sorj Chalandon publie son sixième roman chez Grasset. © JF PAGA/GRASSET Par CHARLOTTE PONS À la une du Point.fr Par Gilles Costaz Parce quil la promis à son ami mourant, Georges arrive au Libanpour monter lAntigone dAnouilh. Parce quil la promis, et parce quil a foi dans le théâtre. Nous sommes à Beyrouth, en 1982. Alors dans ce pays en guerre, ce pays malade de la haine entre ses communautés, sous la menace des balles et des chars, Georges va de camp en camp, parfois littéralement, à la rencontre de ses acteurs. Antigone, palestinienne et sunnite ; Hémon, un Druze du chouf ; Créon, un maronite ; les gardes et Eurydice, chiites ; la nourrice, une Chaldéenne, Ismène, catholique arménienne. Un casting où endosser le rôle vaudrait drapeau blanc et qui a été réuni à la force de la passion par Samuel, lami, metteur en scène, résistant grec. Et juif. Sur ses traces, Georges va négocier limprobable auprès des chefs de milice : un cessez-le-feu le temps dune représentation. Dans son sac, une photo. Celle de la première de la pièce dAnouilh le 4 février 1944, au théâtre de lAtelier à Paris. En pleine occupation allemande. Placée sous ce patronage, la pièce de Samuel et Georges parviendra-t-elle à se monter ? Militant orphelin didéologie Le théâtre comme une trêve, le jeu comme acte de résistance, la tragédie comme arme de paix. Dit ainsi, la profession de foi paraît candide et dérisoire. Romancé par Sorj Chalandon, cest poignant. Parce que le journaliste - doit-on le rappeler, grand reporter, prix Albert Londres - connaît son sujet, la guerre. Parce que lécriture du romancier - prix Médicis*, Grand Prix du roman de lAcadémie française** et donc désormais Prix Goncourt des lycéens pour Le quatrième mur - est dune puissance telle quil nous fait sentir la tension, lhorreur, labsurdité, en des scènes dune force visuelle rare. Parce quil nest pas toujours bienveillant - et cest tant mieux - avec son narrateur dont on se demande parfois ce quil vient foutre ici avec son théâtre. Parce que cest aussi le parcours dun homme, un petit théâtreux de patronage, un militant orphelin didéologie qui passe de la castagne estudiantine rive gauche à la réalité du conflit au Proche-Orient. Le quatrième mur qui donne son nom au roman est celui qui symboliquement sépare la scène du public. En loccurrence, cest aussi celui qui se dressait entre la réalité de Georges et celle dune population dont il sétait approprié le combat. Et ce mur va seffondrer définitivement. * Pour Une promesse (Grasset, 2006). ** Pour Retour à Killybegs (Grasset, 2011) Grasset, 327 pages, 19 euros. DÉCOUVREZ- Un extrait du Quatrième mur (Grasset, p. 129 à 132) : La rue était étroite, défoncée, inondée par endroits. Voitures, camionnettes, charrettes à bras, klaxons pour rien, étals de fruits, de cigarettes, de parfums frelatés, tout ici ressemblait à Beyrouth en plus pauvre, en plus triste, en plus désorienté. Marwan roulait silencieusement. Il naimait pas les Palestiniens. Il me lavait dit crûment. Sur les murs de parpaings, des affiches fanées célébraient les martyrs. Des hommes, fusil en main, posant avant la mort sur un fond de soleil. Sur la plage arrière et contre le pare-brise de sa voiture, le Druze avait installé deux bandes découpées dans un keffieh. Il sétait arrêté à lentrée du camp de Chatila pour les déposer bien en vue, négligemment, à limage dun homme qui sétait débarrassé de sa coiffe pour conduire. Lartifice ne trompait personne. Cétait un gage de bienveillance. Jétais tendu, aux aguets. Mon chauffeur navait pas darme sur les genoux. Je nai jamais su si le cérémonial quil mavait imposé à laéroport était lillustration dun danger réel, une manière de mincorporer ou une cérémonie de bizutage. Jai eu le coeur serré. Pour la première fois de ma vie, je voyais un vrai drapeau palestinien. Une guenille lacérée, pendue au fer forgé dun balcon. Je navais pas de mot pour cet endroit. Ni quartier, ni ville, ni bidonville, ni ghetto, mais quelque chose de tout cela. Un boyau monotone de petits immeubles gris, de maisons basses, dimpasses défoncées, de murs écorchés, de béton brut, de fenêtres borgnes, de tôle ondulée, de boutiques misérables au rideau de fer béant. Des fils électriques rayaient le ciel, des centaines, pendant dune fenêtre à lautre, dun toit au suivant, parcourant les rues parfois à hauteur dhomme. Dans certaines impasses, le réseau de câbles était tel quil pesait comme la nuit. Sur les terrasses, des barbelés piquetés de lambeaux frémissants. Débris de papier, fragments de plastique, ballons crevés oubliés par le vent. Nous roulions fenêtres ouvertes. Lair était malsain, fétide, lourd comme un fruit corrompu. Partout, aux carrefours, des amas dordures finissaient de brûler. Aux odeurs fermentées, le feu ajoutait son écoeurante fumée grise. Des enfants aux pieds nus pataugeaient dans ce jus. Ils couraient après notre voiture rouge et blanche en riant. Marwan les chassait de la main. Il était crispé. Il sest raidi. - Fedayin, a murmuré mon chauffeur. Trois bidons dessence barraient la rue. Ils avaient été gavés de ciment et disposés en chicane, décorés du portrait en couleur de Yasser Arafat. Assis sur lun deux, un homme, fusil dassaut entre les cuisses. Il sest levé, actionnant la culasse. Deux autres étaient contre un mur, assis sur des chaises en plastique. Le premier a levé la main. Il avait un foulard. Il la remonté sur les yeux. Marwan a arrêté la voiture et coupé le contact. Il a souri au combattant, regard offert, tête passée par la fenêtre. Je connaissais ce sourire. Un geste de crainte, dinquiétude, un sourire de mains levées. Le Palestinien nous a fait signe de descendre de voiture. - Ton passe, ma soufflé mon ami. Jai mis la main dans mon blouson. Il ma empêché. - Descends dabord. Pas de geste brusque. La rue était déserte. Le Druze a parlé. Le Palestinien ne répondait pas. Il lui a fait ouvrir son coffre, sa boîte à gants. Un combattant tournait autour de la voiture, un autre a fouillé Marwan, puis moi. Le Druze parlait toujours. Il occupait le silence des autres. Il riait dun mot, me désignait du doigt. - Ton passe. Donne-le ! Jai sorti mes cinq laissez-passer, en éventail, comme un joueur de poker tient son jeu. Marwan a ouvert des yeux immenses. Il tremblait. Il a haussé les épaules, sest excusé sans mot, mains ouvertes, implorant le pardon du Palestinien. Lhomme au keffieh a baissé son foulard. Il a éclaté de rire. Il avait des lunettes rondes, une barbe de quelques jours. Il ressemblait à un étudiant, pas à un milicien. Son camarade a pris mon jeu. Toutes mes cartes. Il les a étalées une à une sur le capot de la voiture. Les autres lavaient rejoint en riant. Le coupe-file de larmée libanaise, celui du Parti socialiste progressiste druze, celui des milices chrétiennes, le laissez-passer chiite du mouvement Amal et celui du Fatah. Le combattant a pris celui-là, deux bras armés et grenade sur fond de Palestine. Il agitait le passe comme un hochet. - You speak english ? Un peu, jai répondu. Comme tout le monde. Marwan sétait placé à mon côté. Son regard désolé allait des uns aux autres. Il navait pris aucune distance avec moi. Je le sentais tout contre. Il faisait corps. Ce jour-là, jai été rassuré à jamais. Mon Druze napprouvait pas la pièce de théâtre. Il mavait reçu avec méfiance, mais tiendrait la parole donnée à Samuel Akounis. Il naimait pas Antigone, il la respectait. Le fedayin ma montré le sauf-conduit du Fatah. Il souriait toujours. - This is the wildcard. The only one ! Jai secoué la tête. Je ne comprenais pas. - Cest le joker, a murmuré Marwan sans quitter le combattant des yeux. - Joker ! Yes ! You understand joker ? Arafat is the joker ! Joker ? Jai hoché la tête en souriant blanc. Oui, je comprenais. Bien sûr. La seule carte qui sauve. Un Palestinien avait ramassé toutes les autres. Il a fait mine de les déchirer. Mon Druze a repris la parole. Il parlait, parlait, montrait sa voiture, son passager, son coeur. Je lai entendu dire Antigone. Je crois. Le fedaï a interrogé son chef. Lautre a eu un regard indulgent. Il a hoché la tête. Celui qui avait les cartes me les a rendues. - Ahlan wa sahlan ! a lancé le Palestinien en ajustant son keffieh. e Point.fr - Publié le 30/07/2013 à 08:47 - Modifié le 14/11/2013 à 13:12
Posted on: Mon, 25 Nov 2013 20:29:27 +0000

Trending Topics



Recently Viewed Topics




© 2015