Le sociologue Bernard Friot connaît un succès important au sein - TopicsExpress



          

Le sociologue Bernard Friot connaît un succès important au sein de la gauche depuis quelques années avec des livres comme Lenjeu des retraites (2010) et Lenjeu du salaire (2012). Dans un article intitulé «Universaliser le salaire ou supprimer le salariat? A propos de Lenjeu du salaire de Bernard Friot», publié en juin 2013 sur le site À lencontre, notre ami Alain Bihr, sociologue et spécialiste de Marx, conteste les propositions de Bernard Friot (voir encadré ci dessous). ---- Alternative libertaire: Peux-tu nous expliquer pourquoi les propositions de Bernard Friot sur le salaire te semblent contestables? ---- Alain Bihr: La première chose qui ma frappé lorsque jai lu Lenjeu du salaire, cest que toute lanalyse se déroule dans un cadre franco-français. A part quelques très rares allusions au détour dune ligne, il nest jamais fait mention de létranger comme si le cadre français était suffisant pour traiter toutes les questions. Doù, à partir de là, une attitude assez fétichiste à légard de certaines formes institutionnelles qua prises le rapport salarial en France, comme si ces formes-là étaient destinées à marquer lhorizon indépassable du salariat. Je pense en particulier à ce quil raconte sur la cotisation sociale, la qualification professionnelle, etc. Dans ton article, tu mets en valeur un certain nombre de confusions de Friot dans lusage des concepts marxistes. Posent-elles vraiment problème lorsquil sagit dimaginer une alternative au capitalisme? Je nai pas compris pourquoi il sembarrassait de tout un échafaudage marxiste, dans lequel il se prend les pieds et se casse la gueule, pour élaborer des propositions qui pourraient parfaitement sélaborer sans ça. Sauf à vouloir bloquer par avance la discussion de ce côté-là et dire: « Vous voyez, dun point de vue marxiste, je suis totalement inattaquable !». Jai voulu montrer que, dun point de vue marxiste, il est totalement attaquable. Mais cela nenlève rien à la pertinence de ses propositions politiques parfaitement discutables dans le meilleur sens du terme. À ce sujet, le plus important, selon toi, serait ce que Friot névoque pas dans son livre. Ses propositions, qui consistent essentiellement à universaliser deux institutions, la cotisation sociale et la qualification, sont des éléments à prendre en compte dans la discussion dès lors quon veut imaginer ce que pourrait être un processus de transformation socialiste de la société française contemporaine. Il est vrai quil y a parmi les différents auteurs qui se sont penchés sur ce que peut signifier le socialisme comme phase de transition entre le capitalisme et le communisme, un débat sur ce que pourrait être la place à conserver ou pas, dans un premier temps, aux relations marchandes et au marché. Mais, en faire demblée comme Friot quelque chose que lon ne pourrait pas dépasser, ça me paraît être très contestable. Du coup, il ne reprend pas les deux autres termes qui sont généralement mis en rapport de complémentarité ou dopposition par rapport au marché que sont la planification et la coopération. Ce sont autant de questions qui sont complètement laissées de côté comme si ça ne faisait pas partie de la problématique socialiste. Lautre non-dit de Friot cest que son système suppose que la totalité de la plus-value soit socialisée, donc un rapport de forces particulièrement favorable au prolétariat. Ne pourrait-on pas faire autre chose dun tel rapport de force? Ce nest pas seulement la totalité de la plus-value mais la totalité de la valeur ajoutée (la valeur nouvellement formée) quil propose de socialiser, mise à part la petite partie que les entreprises seront autorisées à garder pour financer directement leurs projets dinvestissement. Imposer cela impliquerait un rapport de forces qui permettrait demblée dimaginer de dépasser le salariat, mais cest justement ce quil ne fait pas. Il y a chez lui cette pensée que, de la lutte des classes telle quelle sest menée en France, sont apparues des institutions salariales quil suffirait duniversaliser, de radicaliser et démanciper de leur gangue capitaliste qui les muselle aujourdhui, pour en faire les leviers de lémancipation des travailleurs. Tu ne considères pas que son idée dun marché de lemploi débarrassé des contraintes patronales puisse être émancipatrice? Les entreprises pourraient employer les individus sans les payer puisquils seraient rémunérés par le biais dun salaire à vie en fonction de leur qualification, mais pourraient aussi sen débarrasser à partir du moment où elles estiment que ces employés ne sont plus suffisamment productifs. Il passe très vite sur les problèmes que cela pourrait poser, comme : « pourquoi jirais memmerder à travailler si je suis payé?». Il dit que cest un argument de droite qui ne mérite pas de considération, mais le problème mérite au moins dêtre mieux posé. De plus et surtout, même sils échapperaient ainsi à langoisse du chômage, les salariés nauraient toujours pas plus à dire quaujourdhui sur ce quil en est des conditions de production, des formes sous lesquelles on produit, la destination de la production, etc. Comme émancipation du salariat, cest assez faible. Cest lémancipation a minima. propos recueillis par Renaud (AL Alsace) Les propositions de Lenjeu du salaire Bernard Friot propose de prélever la totalité de la richesse produite par les entreprises par le biais de trois cotisations : la première pour payer les salaires, la deuxième pour financer (sans intérêt) linvestissement dans les moyens de production et la troisième pour produire et entretenir les moyens socialisés de consommation (services publics, logement, transport, culture...). Les individus se verraient conférer à leur majorité une qualification (ce qui rendrait donc léducation nationale obligatoire jusquà 18 ans) leur donnant droit à un salaire à vie, quelle que soit leur activité. Les salarié-e-s seraient libres à nimporte quel âge de passer une épreuve de qualification pour obtenir une qualification supérieure donnant droit à un salaire supérieur (la hiérarchie des salaires irait de 1 à 4). Les entreprises, quels que soient leurs statuts (collectives, privées...), pourraient donc utiliser les compétences de ces salarié-e-s, disponibles sur un marché, selon leurs besoins. Mais labsence dactivité ne changerait rien au salaire perçu. Cela devrait faire disparaître ce que lauteur appelle la «convention capitaliste du travail» pour la remplacer par une «convention salariale du travail» qui «nélimine ni le prix, ni la monnaie, ni léchange : elle élimine la marchandise, cest-à-dire la dictature du temps quintroduit la mesure de la valeur par le temps de production» (p. 113) _________________________________________________
Posted on: Thu, 07 Nov 2013 16:14:07 +0000

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