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“Les guerres contre Gaza font main­tenant partie du système de gou­ver­nance israélien“ : entretien avec le cinéaste Yotam Feldman Ofri Ilani, +972 Magazine, mardi 6 août 2013 Dans son nouveau docu­men­taire, “The lab “ [en français “ Le labo­ra­toire“, ndlt], Yotam Feldman explore la manière dont les indus­tries d’armement israé­liennes inter­agissent avec la poli­tique du pays, son économie et les prises de décision mili­taires. Les armes, la tech­no­logie mili­taire et le savoir-faire israé­liens sont valo­risés parce qu’ils ont été testés sur le terrain dans ses guerres et ses combats contre les Pales­ti­niens et contre les pays voisins. Ci-dessous une conver­sation avec Yotam Feldman au sujet de son film, des mar­chands d’armes et de l’économie mili­taire israélienne. Peut-être devrions nous com­mencer par la place d’Israël sur le plan inter­na­tional. Ces der­nières années, on l’a souvent carac­térisé comme un “iso­lement mondial croissant“. Il peut arriver que cet iso­lement diminue parfois, mais il y a un consensus géné­ralisé sur la baisse de popu­larité d’Israël à chaque nou­velle guerre et opé­ration mili­taire. Vous dites qu’en fait c’est le contraire. Dans votre film, on peut voir des offi­ciers des armées du monde entier venir en Israël pour acheter des armes - d’Europe, d’Inde, d’Amérique latine et bien sûr - des États-Unis, vraiment du monde entier. Alors, ce dis­cours sur les cri­tiques et sur l’isolement est-il une comédie à laquelle tout le monde par­ticipe ? Ou bien ces cri­tiques représentent-elles une autre force que nous devons prendre en compte ? Je pense qu’une vision d’Israël s’est ins­tallée, celle d’un barbare sans retenue qui vit dans un envi­ron­nement brutal et qui est donc obligé d’exercer une force consi­dé­rable, excessive, bien que néces­saire. Il s’en suit que cette vision est en général condes­cen­dante et indul­gente. Plus important encore, je crois que le mar­keting de la sécurité d’Israël a réussi là où la Hasbara [pro­motion] a été moins fruc­tueuse. Beaucoup de gens ne voient pas le lien entre l’armement high-tech d’Israël et la force mili­taire débridée dont on parle dans les rap­ports des ONG des droits humains. Les gens les consi­dèrent comme deux phé­no­mènes dis­tincts, affectés seulement d’une proximité spatio-temporelle. Si on lit le rapport Gold­stone sur le bom­bar­dement de la céré­monie à l’académie de police à Gaza, le premier jour de Plomb Durci, et si on lit ensuite une bro­chure publi­ci­taire de Rafaël concernant les tests opé­ra­tionnels effectués sur « Spike 4 » (le missile utilisé par Israël lors de cet événement), il faut faire un effort pour se rendre compte que ce sont là deux récits dif­fé­rents du même événement his­to­rique. Il en va de même pour les drones uti­lisés dans les assas­sinats [ciblés, ndlt] à Gaza. D’un autre côté, il est pos­sible que les Euro­péens com­prennent tout cela et ne s’en sou­cient tout sim­plement pas. Dans la der­nière décennie, à la suite de l’opération Plomb Durci, il y a eu le sen­timent que cela ne pouvait plus durer, que dans cette situation, Israël devrait se lancer dans une troi­sième, qua­trième, cin­quième sixième guerre de Gaza, et peut-être également sur d’autres fronts–mais aussi qu’il ne peut pas vraiment être impliqué dans autant de guerres. Après le désen­ga­gement (de Gaza) s’est mis en place, à mon avis, un pro­cessus qui n’a été remarqué que par quelques per­sonnes en dehors de l’armée. La guerre a cessé d’être un événement extra­or­di­naire, inat­tendu et dra­ma­tique dans la vie de la nation, et elle est devenue une activité pério­dique qui en fait partie. Ainsi, à n’importe quel moment, Israël est soit en pleine guerre de Gaza, soit dans l’attente de la pro­chaine. Entre le désen­ga­gement de 2005 et « Plomb Durci », nous avons eu « Pluies d’été », « Hiver Chaud », et plu­sieurs autres opé­ra­tions mili­taires à Gaza. Yoav Galant, com­mandant du front sud entre le désen­ga­gement et Plomb Durci, et que l’on peut voir dans le film, a joué un rôle majeur dans la for­mu­lation de cette doc­trine. Il a employé la méta­phore d’une ton­deuse à gazon pour la décrire : la guerre comme une opé­ration de main­te­nance de routine, pério­dique, au-delà des frontières. Un des fac­teurs qui y ont contribué a été l’utilisation massive de véhi­cules blindés ou de véhi­cules auto­ma­tiques sans pilote, qui permet de mener des guerres dans les­quelles il n’y a aucun rapport entre le risque pris d’un côté et le risque encouru de l’autre. Cela a remanié toutes les caté­gories morales, poli­tiques et légales appli­quées à la guerre. Jusqu’ici, toutes les cam­pagnes mili­taires étaient fondées sur l’hypothèse d’un conflit dans lequel les deux parties accep­taient la pos­si­bilité de tuer ou de mourir, mais ici, dans presque tous les cas, un côté tue et l’autre meure. Les indus­tries d’armement, qui déve­loppent des pro­duits pour les conflits du type de ceux de Gaza et per­suadent l’armée israé­lienne de les acheter jouent ici un rôle crucial. Le résultat est inquiétant car il me semble que la guerre à Gaza est devenue inhé­rente au système poli­tique israélien, peut-être même une partie de notre système de gou­ver­nance. C’était par­ti­cu­liè­rement per­cep­tible pendant l’opération Pilier de Défense qui a eu lieu pendant la cam­pagne élec­torale, et dont pourtant le soutien a fait l’unité de tous les can­didats au pouvoir. Pensez-vous que les essais des sys­tèmes d’armement ont joué un rôle dans, disons, les calculs d’Ehud Barak lors des récentes guerres à Gaza ? C’est dif­ficile à écarter. Le lien est beaucoup plus direct que celui fait par le général Dan Halutz entre la deuxième guerre du Liban et son por­te­feuille boursier per­sonnel. Il y a des liens très étroits entre, d’un côté les indus­tries d’armement, et de l’autre l’armée et le système poli­tique. La société d’armement la plus ren­table est Elbit, pro­priété de Mickey Federman, un des amis les plus proches d’Ehud Barak, et qui joue aussi un rôle clé dans ses cam­pagnes élec­to­rales. Cette société est spé­cia­lisée dans les moyens avancés pour les guerres asy­mé­triques, exac­tement le type de guerres conduites par Ehud Barak à Gaza ces der­nières années. Il existe d’autres cas de liens per­sonnels comme celui-ci. En outre, il y a aussi un intérêt écono­mique national. Le ministère de la défense joue un double rôle en tant qu’autorité super­visant la structure mili­taire et en tant que pro­moteur des ventes pour l’industrie d’armement israé­lienne à l’étranger. Je pense qu’il serait inhumain d’exiger que Barak sépare ces deux aspects. Je ne dis pas qu’ils s’engagent dans des cam­pagnes mili­taires à Gaza pour tester des sys­tèmes et s’enrichir, mais cela joue sans aucun doute un rôle. Un niveau au-dessous, le com­plexe militaro-industriel israélien se donne beaucoup de mal pour convaincre les offi­ciers de l’IDF [Forces de Défense d’Israël en anglais, ndlt] d’acheter leurs pro­duits, et de les uti­liser afin de booster leur potentiel d’exportation. Cela passe aussi par le recru­tement massif d’officiers supé­rieurs à la retraite comme pro­mo­teurs des ventes et chefs de projets face à leurs anciens col­lègues de l’IDF. Un exemple remar­quable est celui d’Elbit et du Général à la retraite Yiftach Ron-Tal. Cette approche porte ses fruits. Un acteur clé du com­plexe militaro-industriel m’a dit que les tests opé­ra­tionnels effectués à Gaza sur le BMS d’Elbit (Système de gestion du combat–un système spécial du genre internet pour les forces ter­restres), un énorme projet à un mil­liard de dollars, a permis à Elbit d’augmenter son prix de vente lors de la signature d’un contrat avec l’Australie un an plus tard. Même chose pour Rafaël. La société a ouver­tement déclaré qu’elle comptait pro­fiter de l’escalade de vio­lence qui a précédé l’opération Pilier de Défense–avec la pre­mière uti­li­sation du “Dôme de Fer “–pour lever environ un demi mil­liard de shekels (approxi­ma­ti­vement 135 mil­lions de dollars) par une émission d’obligations. Un vendeur de chez IAI (Indus­tries Aéro­spa­tiales Israé­liennes) m’a dit que les assas­sinats et autres opé­ra­tions à Gaza pro­voquent une crois­sance des ventes de l’entreprise de plu­sieurs dizaines de %. Cependant il semble dif­ficile de s’en convaincre. On a le sen­timent que les menaces qui aug­mentent, la nécessité de construire des murs, de tirer plus de mis­siles défensifs et de déployer plus d’unités sur tous les fronts, tout cela va aboutir à une situation du type “nous sommes à court d’argent“, ou alors, peut-être qu’à partir d’un certain point cela com­mence à s’inverser ? La question est : qui voit ses res­sources s’épuiser ? Contrai­rement au passé, main­tenant une partie sub­stan­tielle des indus­tries d’armement est privée. D’un autre côté, l’État joue un rôle dans la réussite de ces sociétés au moyen de son inves­tis­sement dans l’armée israé­lienne, et des projets nationaux de recherche et déve­lop­pement. De ce point de vue, ainsi que l’a montré Shlomo Swirski, les indus­tries d’armement sont res­pon­sables du transfert de fonds publics vers une classe moyenne supé­rieure qui vit, direc­tement ou indi­rec­tement, de ces indus­tries. Une partie de cet argent revient fina­lement dans les coffres de l’État par l’impôt et les recettes des fabri­cants d’armes gou­ver­ne­mentaux, contri­buant ainsi à une économie d’état en guerre, et une autre partie reste dans le privé. Est-ce bien nouveau ? Il y a tou­jours eu des mar­chands d’armes israé­liens, et, de façon générale, les États ont tou­jours tiré profit des guerres. Lorsque j’ai com­mencé à faire ce film, j’ai ren­contré le mar­chand d’armes Yair Klein chez lui, au-dessus du marché aux puces de Jaffa. Nous avons lon­guement discuté de la thèse de ce film et du synopsis que je pro­posais. De prime abord, Klein aurait fait un pro­ta­go­niste parfait pour un tel film. Un ancien officier de l’unité d’élite Haruv, qui avait vendu aux milices colom­biennes les tac­tiques employées par l’IDF dans la vallée du Jourdain contre les acti­vistes pales­ti­niens qui tra­ver­saient la fron­tière jor­da­nienne, à l’époque où Rehavem Ze’evi com­mandait l’unité et faisait ce qu’il voulait. Mais, au cours de notre conver­sation, je me suis rendu compte qu’en fait il n’avait aucune idée de ce dont je parlais. Sa géné­ration ne com­prend pas la réalité d’aujourd’hui. Les ordres de gran­deurs sont com­plè­tement dif­fé­rents de nos jours. Les profits tirés de la vente d’armes israé­liennes ont plus que décuplé, mais, plus important encore, les pro­duits israé­liens ont changé. Klein vendait des armes létales et des méthodes d’entraînement. Aujourd’hui, Israël offre un modèle poli­tique complet de guerre asy­mé­trique, de conflit entre un État et des com­bat­tants irré­gu­liers. Ce modèle com­porte à la fois des éléments létaux et d’autres “doux“ [de nature rela­tion­nelle, ndlt]. Ainsi Israël exporte des mis­siles Rafael uti­lisées pour les assas­sinats [ciblés, ndlt] à Gaza, des drones IAI, les méthodes de combat du Général Aviv Kochavi, et des murs de sépa­ration Magal, mais il exporte aussi des experts juri­diques, des experts en admi­nis­tration des popu­la­tions sur le modèle de l’administration civile israé­lienne en Cis­jor­danie et même de l’éthique de guerre. C’est peut-être la raison pour laquelle la gauche est en ce moment mieux implantée dans ce genre de business. Yossi Beilin vend des “pro­duits de sécurité“, Shlomo Ben-Ami a occupé un poste de diri­geant chez Global CST, une société qui a fourni des armes et des entraî­ne­ments au gou­ver­nement colombien, et Ehud Barak est entré dans ce genre d’affaires à son apogée, après le 11 septembre. Vous dites en fait que depuis le 11 sep­tembre, Israël s’est encore une fois trouvé être l’instructeur du genre humain pour le prin­cipal pro­blème de l’actualité inter­na­tionale–la guerre asy­mé­trique. Ainsi, les Juifs sont de nouveau à l’avant-garde de la pensée–comme l’étaient Moïse, Jésus, Spinoza, Freud, Ein­stein, Kafka… Je ne sais pas s’il est approprié de penser les ins­truc­teurs mili­taires israé­liens en tant que Juifs. La généa­logie mili­taire des offi­ciers pré­sentés dans le film com­mence avec Yigal Alon, passe par Meir Har-Zion et Ariel Sharon, et se termine avec Ehud Barak et Aviv Kohavi. Pour ces gens-là, le judaïsme ne joue pas for­cément un rôle pri­mordial dans l’identité. Mais évidemment, sur ce type de sujet, le monde a une approche spé­ciale d’Israël, et des Israé­liens, qui peut, dans une cer­taine mesure, être nourrie par le contexte his­to­rique dont vous parlez. Cela a à voir avec le fait que le conflit asy­mé­trique d’Israël avec les Pales­ti­niens, et peut-être aussi au Liban, a précédé les conflits qui n’ont éclaté qu’après le 11 sep­tembre. Les pro­duits et les méthodes israé­liens sont uti­lisés dans les guerres de l’Amérique en Irak et en Afgha­nistan, dans le conflit contre les FARC en Colombie, dans les guerres contre les sei­gneurs de la drogue au Mexique, dans les conflits eth­niques au Cachemire, ainsi que lors des conflits écono­miques incarnés par les “com­mu­nautés fermées“ pour les riches en Afrique du sud, en Amé­rique latine et aux États-Unis. Cela a un effet écono­mique phé­no­ménal sur Israël. Ses expor­ta­tions mili­taires ont triplé, de deux mil­liards de dollars par an au début des années 2000 à sept mil­liards l’année der­nière (2012), et au cours de la der­nière décennie Israël a été entre le qua­trième et le sixième expor­tateur d’armement au monde. Vous parlez de la formule mathé­ma­tique déve­loppée par le Pr. Yitzhak Ben-Israël pour opti­miser le nombre de vic­times dans un assas­sinat ciblé. Pouvez-vous expliquer cette formule ? Ben-Israël a utilisé une équation mathé­ma­tique pour expliquer la doc­trine israé­lienne des assas­sinats ciblés. Cette équation est dérivée des équa­tions entro­piques de la phy­sique qui décrivent le com­por­tement des molé­cules de gaz et la mesure de leur degré d’ordre. Lorsqu’on aug­mente la tem­pé­rature, les molé­cules se com­portent de manière plus chao­tique. Ben-Israël a adapté cette équation au pro­blème du nombre de résis­tants pales­ti­niens qu’il faut éliminer ou arrêter (nous ne pouvons pas rentrer ici dans les détails mathé­ma­tiques com­plexes). Appliqué au cas de Gaza, il s’agit avant tout de la poli­tique israé­lienne d’assassinats. A vous écouter, cela semble sensé. Après tout, c’est un moyen pour tuer le moins de gens pos­sible tout en pro­vo­quant l’effondrement de la force com­bat­tante ennemie… Peut-on dire que l’IDF réussit mieux main­tenant à éviter de tuer des civils ? Oui, d’un certain point de vue. L’intérêt d’Israël n’est pas juste de tuer des civils, et il n’est pas douteux que l’une des com­po­santes de la théorie de la guerre asy­mé­trique est un certain degré de retenue, en limitant l’élément de vio­lence excessive au cours d’une guerre. Cela amène à se demander pourquoi les muni­tions de pré­cision conti­nuent à tuer des cen­taines et des mil­liers de per­sonnes. On peut pro­poser quelques expli­ca­tions, et l’une d’entre elles concerne la défi­nition du terme “per­sonne impliquée“ (c.-à-d. com­bat­tants vs. non-combattants). La défi­nition israé­lienne de ce terme est très large et elle com­prend aussi les 89 diplômés de la for­mation d’agents de la cir­cu­lation (du Hamas) tués le premier jour de Plomb Durci, de même que de nom­breuses autres vic­times, tuées par des “frappes sur signature“ [1] - des attaques de drones menées sur la base de l’activité “soup­çonnée“ de la cible. Ce peut être n’importe quelle activité res­sem­blant à un tir de roquettes, mais aussi l’utilisation d’un télé­phone por­table pour pho­to­gra­phier conduisant à consi­dérer son pro­prié­taire comme un éclaireur ennemi. Il y a en ce moment un débat aux États-Unis sur la pos­si­bilité de cibler auto­ma­ti­quement lors de telles attaques. La tech­no­logie per­mettant de fonder les attaques sur des types de com­por­tement existe déjà, mais on n’a pas encore décidé si elle est mora­lement accep­table. L’un des pro­ta­go­nistes du film est Shimon Naveh, qui a appliqué les théories cri­tiques de Deleuze et Guattari lors de l’incursion dans la Casbah de Naplouse durant l’opération Rempart en 2002. Pensez-vous que c’était une uti­li­sation per­verse de leur philosophie ? De nom­breux uni­ver­si­taires en sciences sociales ont été choqués par ce qu’ils ont lu sur Naveh, ne serait-ce que parce qu’ils ne s’attendaient pas à cet empié­tement de l’état et de l’armée dans ce qu’ils vivent comme leur sphère réservée. Somme toute, je suis d’accord quand Naveh affirme que Deleuze n’appartient pas qu’à ses dis­ciples. Je pense qu’il vaut mieux de pas avoir cette dis­cussion dans un espace aseptisé. Il vaut mieux qu’il soit “pollué“ par des fac­teurs exté­rieurs, qui vont obliger à poser des ques­tions, peut-être des ques­tions sur la phi­lo­sophie de Deleuze. Se pourrait-il que son adoption par Naveh nous dise quelque chose sur cette théorie elle-même ? Parce qu’en effet, j’ai du mal à ima­giner quelque uti­li­sation mili­taire que ce soit de Fou­cault ou de Walter Ben­jamin. En outre, l’asepsie uni­ver­si­taire sup­posée n’est qu’une illusion. A l’université de Tel-Aviv, de l’autre côté du mur de l’amphithéâtre où sont assis les étudiants qui tra­vaillent sur Deleuze et qui entendent parler de Naveh, se tiennent des sémi­naires du pro­gramme d’études sécu­ri­taires de l’université, et là, les étudiants tra­vaillent sur Naveh et entendent parler de Deleuze. Et les murs qui séparent ces deux pièces sont très instables - comme l’a montré Naveh à Naplouse. Ce film pourrait se rat­tacher à un autre genre de films israé­liens récents qui ont choisi de tourner la caméra vers ceux qui exercent le pouvoir plutôt que vers les vic­times : « La loi des plus forts » et « The Gate­keepers ». Êtes-vous d’accord avec cette com­pa­raison ? Les spec­ta­teurs et les cinéastes sont devenus plus aller­giques aux films dont le réa­li­sateur israélien reçoit de l’argent du ministère de la culture pour faire un film au nom des vic­times pales­ti­niennes. Il n’y a plus de tolé­rance pour ce genre de films, et c’est très bien ainsi. Une autre raison est ce que l’on a qua­lifié de “fas­cisme“ il y a deux ans - l’influence de la ministre (de la culture et des sports) Limor Livnat sur les ins­ti­tu­tions culturelles. D’un autre côté, les Juifs sou­haitent tou­jours faire des films poli­tiques et afin d’être moins hypo­crites, ils posent des ques­tions sur ceux qui sont au pouvoir, ceux qui leur res­semblent - plutôt sur que les vic­times. Cela permet une com­pré­hension plus ration­nelle de la situation poli­tique. Au lieu de faire appel à l’indignation émotion­nelle face à une cer­taine réalité, ils posent des ques­tions sur cette réalité : quelle est sa structure interne, qui en profite ? Je sou­tiens cette démarche, car l’action poli­tique doit être à la fois émotion­nelle et ration­nelle. Il est important de sortir la colère, mais il est aussi important d’utiliser les outils qui per­met­tront de diriger cette colère dans la bonne direction. Le film mène-t-il à une conclusion morale claire ? Le spec­tateur peut-il sortir de la salle, accepter votre analyse écono­mique, et cependant se réjouir qu’Israël possède une res­source aussi ren­table, qui fournit des emplois et ren­force l’économie ? Je pense que cette question peut se poser pour tout projet matériel. Après tout, un capi­ta­liste peut lire Das Kapital de Marx et tenter de le vider de toute conclusion morale ou poli­tique, en le consi­dérant comme une des­cription exhaustive des rela­tions sociales, puis en tirer une éthique bour­geoise–par exemple comment gonfler les plus-values et pro­duire plus de capital à partir du travail. Je peux ima­giner des gens qui font vraiment cela. C’est la même chose pour ce film - je pense que bon nombre de mes affir­ma­tions - sur la trans­for­mation du conflit en res­source écono­mique - pour­raient aussi être assumées par Ehud Barak, et par de nom­breux mar­chands d’armes ou PDG d’industries sécu­ri­taires, éven­tuel­lement sous une forme un peu modifiée. Malgré tout, je garde quelque opti­misme quant à l’effet poli­tique de ce film, et je suppose que la majorité des spec­ta­teurs vont sentir qu’il y a quelque chose d’immoral à pro­duire de l’argent avec du sang, ou à pro­fiter d’une occu­pation mili­taire en cours. L’un des signes qui confirment cet opti­misme est que l’industrie de l’armement n’est pas au centre du dis­cours en Israël. Il n’y a aucun rapport entre l’importance de ce sujet pour l’économie et pour la vie, et sa pré­sence modeste dans le dis­cours public . Par com­pa­raison avec d’autres pays, il y a très peu peu de confé­rences et d’articles publiés en Israël sur les armement, et ce sujet n’est guère débattu bien que tout le monde ait un oncle chez Elbit ou chez IAI. Cela montre que les gens sentent bien que le fond pose pro­blème, et que c’est quelque chose dont il vaut mieux ne pas trop parler. Peut-on tirer une stra­tégie poli­tique du film–pour en finir avec l’occupation et arriver à l’égalité et à la paix ? Je pense que l’une des conclu­sions a à voir avec la des­ti­nation de l’essentiel de l’énergie poli­tique en Israël. On a ten­dance à se foca­liser sur une élite poli­tique et mili­taire, et à oublier l’élite écono­mique qui profite de la force mili­taire et la rend pos­sible. La fron­tière entre l’industrie israé­lienne de l’armement et son industrie high-tech est très mince, et dans la pra­tique, inexistante. Une deuxième conclusion a trait aux aspects inter­na­tionaux d’un conflit local. Des États où une majorité écra­sante de citoyens dénoncent les actions israé­liennes à Gaza, rendent en réalité ces actions pos­sibles en achetant les armes qui y ont été testées. C’est essentiel pour l’industrie sécu­ri­taire israé­lienne, la seule industrie de ce type qui exporte plus qu’elle ne vend sur le marché local. En consé­quence, il est aussi néces­saire que l’IDF achète ces équi­pe­ments, afin de s’assurer que ces indus­tries déve­lop­peront de nou­velles armes qu’elle pourra uti­liser lors des pro­chaines guerres à Gaza. Peut-être que si les citoyens de ces états savaient cela, ils pro­tes­te­raient et ils pous­se­raient un coup de gueule, mais çela aussi pose quelques pro­blèmes. Souhaitons-nous que les Suédois disent à leur gou­ver­nement “n’achetez pas de mis­siles israé­liens“ plutôt que “n’achetez pas de missiles“ ? Traduction AFPS/RP [1] Note de la tra­duction : Les “frappes sur signature” ont une défi­nition plus étendue que les assas­sinats ciblés. Ces der­niers concernent des per­sonnes qui se trouvent sur la liste nominale des sus­pects à éliminer. Les frappes sur signature visent, elles, des per­sonnes non pas nomi­na­ti­vement iden­ti­fiées, mais dont le com­por­tement tel que filmé par le drone, ou la pré­sence à un certain endroit à un certain moment, laisse sup­poser qu’elles peuvent être liées à une activité terroriste.
Posted on: Wed, 23 Oct 2013 22:33:39 +0000

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