Les sorciers blancs et la politique africaine de la France 21 05 - TopicsExpress



          

Les sorciers blancs et la politique africaine de la France 21 05 2007 A l’occasion de la sortie de son livre – Les sorciers blancs, Enquête sur les faux amis français de l’Afrique (Fayard, 2007) – Vincent Hugeux m’a accordé un long entretien. L’interview s’est déroulée dans les bureaux du journal l’Express, pendant les élections présidentielles françaises. L’élection de Nicolas Sarkozy n’a rien enlevé à la pertinence du propos. Au contraire. Quant à l’analyse qu’il fait d’un certain discours patriotique, elle mérite d’être entendue en ces temps où l’on évoque de plus en plus une nécessaire évolution des Parlements et Agoras. Les Sorciers Blancs: comment vous est venu l’idée du livre? Vincent Hugeux: “J’ai été frappé par la présence récurrente, dans l’entourage de présidents africains ou de personnages politiques aspirant à le devenir, de Blancs. Qui étaient d’ailleurs en général, déchirés entre la volonté de rester dans l’ombre, dans la coulisse, et une sorte de narcissisme impérieux qui faisait qu’ils vous accrochaient quand même en disant: “Je suis là; j’existe; est-ce que vous me connaissez? Je joue un rôle éminent, bla bla…”; ça m’a intrigué. Et ça m’a d’autant plus intrigué que je me suis dit: “Au fond, on en est quasiment à un demi-siècle d’indépendance, pourquoi diable les chefs d’Etat africains, ou la plupart d’entre eux en tout cas, éprouvent-ils encore aujourd’hui le besoin de s’attacher au prix fort les services d’experts, réels ou supposés, en communication politique, en droit constitutionnel, etc?” (…) Je ne roule ni ne rame pour personne; je n’ai de comptes à régler avec personnes. J’ai simplement été le témoin navré, amusé et parfois effaré de pratiques que j’estime indéfendables sur un plan moral, un plan éthique et, par ailleurs, extrêmement préjudiciables au passage à un stade de maturité dans les rapports entre l’ancienne puissance coloniale et ce qu’on appelle le “pré carré”. Donc j’ai eu envie de mettre ça en scène et de le rendre accessible à un lectorat aussi large que possible.” Quelles réactions a soulevé le livre? Vincent Hugeux: “La grande majorité des réactions sont extrêmement positives. (…) Si j’en juge par les retours que j’ai, les courriers, les coups de fil, les mails, etc., les demandes de conférence – très franchement, si j’étais rentier et que l’Express décidait de me donner un congé (de préférence avec solde, mais ne rêvons pas) sans solde de six mois, je pourrais passer mon temps à faire des conférences dans des instituts. (…) L’une des réactions les plus cocasses émanait de la Présidence ivoirienne: il faut savoir que pour deux papiers commis dans l’Express début 2003, je suis, depuis maintenant près de quatre ans, en procès avec Laurent Gbagbo, son épouse – la première dame Simone Ehivet Gbagbo – et Anselme Seka Yapo, le responsable de la garde rapprochée de Madame. Eh bien, figurez-vous que j’ai reçu, il y a peu de temps, par un intermédiaire, un message du directeur du protocole de la présidence ivoirienne, me demandant de lui faire parvenir deux exemplaires dédicacés: un à destination de Laurent Gbabgo soi-même, l’autre à destination de Kadet Bertin. Ce qui est quand même très cocasse.” Comment expliquez-vous la couverture médiatique de la Rébellion de septembre 2002 par la presse française? Vincent Hugeux: “Une forme de romantisme révolutionnaire marque notre culture. Chaque fois que vous avez un soulèvement face à un pouvoir réputé – à tort ou à raison – autocratique, autoritaire, il y a presque toujours une prime romantique et sentimentale. Je l’ai vu à Bouaké. Les journalistes femmes sont, en règle générale, largement aussi courageuses et souvent aussi compétentes voire plus que leurs compars masculins. Mais à Bouaké, j’ai vu les regards de certaines journalistes s’étoiler devant tel chef de guerre de la Rébellion. Qu’on le veuille ou non, il y a une sorte de guévarisme résiduel dans cette génération de journalistes. D’autant plus que Gbabgo avait bénéficié en tant qu’opposant de ce surcroit d’empathie et de sympathie, du fait de son langage, son style, son tutoiement spontané, ainsi que sa bonhomie théâtralisée et calculée. Et puis à un moment donné, avec notamment la tension vis-à-vis de la France, il y a eu une forme de retournement… Qui tient la plume de Soro? Quelqu’un dont le pseudonyme est Serge Daniel, correspondant à Bamako de RFI.” Vous accordez d’ailleurs une large place aux divisions et aux haines qui gangrènent le service Afrique de RFI, ainsi qu’à la pratique de la délation. Comment avez-vous obtenu ces informations? Vincent Hugeux: “Il suffit d’avoir été tout simplement journaliste en reportage dans des pays en crise comme le Rwanda ou la Côte d’Ivoire, et de croiser des confrères et des consoeurs de RFI, d’entendre ce que les uns disaient sur les autres, de traverser la salle de rédaction, de sentir la haine palpable qui peut diviser cette rédaction, pour mesurer la réalité du phénomène. Le statut d’envoyé spécial ou de correspondant de RFI en Afrique est tout sauf une sinécure. On n’est plus le notable de la “Voix de la France”. Et la destinée tragique de Jean Hélène le démontre, ô combien: on est quelqu’un qui est, en permanence, suspecté de rouler pour l’Autre. Pour un silence, une parole, un adverbe, un adjectif, une ponctuation et pour, plus encore, avoir tendu son micro à un opposant, on est traîné dans la boue, accusé de tous les maux, et on risque parfois la mort. En même temps, ce que je dénonce dans ce chapître, c’est le fait qu’il y a des comportements, des pratiques, parfaitement repréhensibles, totalement indéfendables – par exemple, de monnayer un titre de couverture plus ou moins bienveillant, d’apporter du conseil aux gouvernants, alors qu’on est payé pour faire du reportage. Tout cela se sait. Tout ça est parfaitement connu de la hiérarchie, qui dans certains cas – et notamment sous Jean-Paul Cluzel, aujourd’hui patron de Radio France – a diligenté des enquêtes et qu’on a décidé de ne rien faire. Tout cela empoisonne l’atmosphère. Ce que je décris, c’est un état de fait qui n’a jamais été sanctionné.” Que dire des pratiques peu déontologiques de Jeune Afrique? Vincent Hugeux: “Jeune Afrique est une magnifique aventure de presse. C’est une sorte d’Ovni éditorial, avec à sa tête un personnage authentiquement romanesque: Béchir Ben Yahmed. Cela étant posé, l’histoire de Jeune Afrique est l’histoire du dévoiement d’un idéal. J’en livre des tas d’exemples. J’ai recueilli beaucoup de confidences de journalistes qui sont actuellement à la rédaction, ainsi que d’anciens. Mais au fond, je me suis d’abord livré à une analyse de textes. J’ai mis en rapport des inflexions, des zig-zags, des volte-faces éditoriales absolument indéchiffrables si vous ne les accolez pas à des échéanciers de versements de certains pays. C’est aussi simple que ça. L’évolution éditoriale de Jeune Afrique sur le Rwanda est absolumet ébourrifante. Idem avec la Mauritanie. Et vous avez aux manettes quelqu’un, François Soudan, dont on me dit qu’il a été mortifié par le bouquin. Soit. Mais dont simplement je cite les écrits successifs, dont j’évoque le rôle direct dans les négociations à caractère commercial. On est donc effectivement dans la confusion des genres la plus absolue. On est dans le racket institutionnel. Amara Essy, ancien ministre ivoirien des Affaires étrangères, raconte qu’il a reçu un courrier de Danielle Ben Yahmed – épouse de Béchir Ben Yahmed – au moment où il briguait le poste de Président de la commission de l’Union Africaine. Son concurrent déclaré était alors Alpha Oumar Konaré. Elle lui a soumis par écrit une proposition chiffrée de contrat de communication pour une stratégie de candidat à cette présidence. Amara Essy a eu le malheur de décliner cette proposition. Qu’advient-il deux semaines après? Il se fait – sur le mode l’ai-je bien descendu ? – “assassiner” subtilement et édiorialement par Béchir Ben Yahmed, sur le mode: “C’est l’homme du passé. Il ne peut décédement pas incarner, etc.” Quelques temps après, paraît un Spécial Mali, dans lequel Konaré est présenté comme “l’homme qu’il vous faut”. Que vous inspirent les débats actuels sur les évolutions de la politique africaine de la France? Vincent Hugeux: “Le départ de Jacques Chirac de l’Elysée était la condition nécessaire et non suffisante à l’ouverture d’un nouveau chapître. Nécessaire parce que je pense qu’il aura incarné jusqu’à la caricature et jusqu’au terme de son mandat final deux des grands travers du rapport avec l’Afrique, c’est-à-dire le primat absolu et permanent du lien personnel sur les logiques d’Etat; et le dogme obsessionnel de la stabilité. Il fallait que Jacques Chirac quitte l’Elysée. Mais au-delà de ça, je ne crois absolument pas à la thématique de la rupture en politique. Parce qu’en politique, la rupture a un nom: c’est la révolution. Je n’ai pas vraiment le sentiment que notre bonne terre de France soit à la veille du Grand Soir, en dépit des convulsions qui la traversent. Donc, dans le meilleur des cas, et singulièrement sur les dossiers africains, il y aura des inflexions.” Croyez-vous à une quelconque “rupture” dans la relation France-Afrique? Vincent Hugeux: “Pour ce qui est de Nicolas Sarkozy, suffit-il d’être l’un des visiteurs les plus assidus d’Omar Bongo lorsqu’il prend ses quartiers à l’Hotel Meurice ou dans l’une de ses villas du seizième arrondissement à Paris pour avoir de l’Afrique une connaissance intime, fine, profonde? Je ne crois pas. (…) La rupture, c’est du pipot. Il n’y aura pas de rupture. Et pourtant, ayant dit cela, je crois franchement qu’on est à la fin d’une époque pour une raison assez simple: au-delà de la dérision et de l’ironie, ce que je reproche le plus aux sorciers blancs que j’épingle dans mon bouquin, c’est de contribuer à perpétuer un lien archaïque, mais surtout à alimenter côté africain – et notamment au sein des élites africaines et de la jeunesse – une logomachie simpliste, manichéenne, et dont pour moi l’archétype le plus éloquent est le discours tenu par un Charles Blé Goudé ou par les Jeunes Patriotes en Côte d’Ivoire. (…) On est en train d’enfermer une partie non négligeable des jeunes élites africaines dans une vision blancophobe, mais primaire. Et ça c’est gravissime. Par leurs outrances, les sorciers blancs justifient un discours qui est lui-même archaïque, mais qui a le mérite mobilisateur de la simplicité et du simplisme. De grâce, ne cédons pas à cette névrose, hélas extrêmement répandue dans l’élite universitaire africaine, selon laquelle il y aurait une vaste conspiration, un vaste complot ourdi par un grand Machiavel blanc, qui n’a d’autre but dans la vie que d’asservir et d’assujetir le continent africain. C’est du pipot.”
Posted on: Sat, 31 Aug 2013 11:16:14 +0000

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