Lirruption de policiers armés à la porte de la résidence de - TopicsExpress



          

Lirruption de policiers armés à la porte de la résidence de lambassadeur du royaume en France a déclenché une vraie crise diplomatique entre les deux pays. Retour sur une semaine de tensions, de petites phrases et de guérilla judiciaire. Lyautey appelait cela lodieux muflisme du colon français - cette propension à la suffisance teintée de morgue, cette jouissance à humilier lindigène. Toutes distances gardées, cest un peu de cette arrogance quont ressenti les autorités marocaines lorsque, dans laprès-midi du 20 février, sept policiers français, munis selon les témoins de gilets pare-balles, sont venus remettre à la résidence de lambassadeur Chakib Benmoussa, à Neuilly-sur-Seine, une convocation adressée par la juge dinstruction Sophie Kheris à Abdellatif El Hammouchi, directeur de la DGST (sécurité intérieure). Hammouchi nétait plus sur les lieux, déjà reparti pour Rabat, et le majordome de la résidence a refusé de réceptionner le papier bleu, mais le mal était fait. Point de départ dune semaine de crise de nerfs entre la France et le royaume, cet incident démontre, sil en était besoin, quun partenariat, si exceptionnel soit-il, natténuait en rien la vivacité du nationalisme marocain. Certes, les multiples épisodes de laffaire Ben Barka nont cessé de rythmer depuis près de cinq décennies les rapports judiciaires entre les deux pays : pas moins de quatre généraux marocains, Oufkir, Dlimi et plus récemment Benslimane et Kadiri, ont ainsi été inquiétés par la justice française. Encore sagissait-il là dun héritage de lépoque hassanienne, dont le roi Mohammed VI nest ni comptable, ni responsable. Cette intrusion au coeur du pré carré de la monarchie est donc une première pour lui, puisque les faits à lorigine de la gifle de Neuilly ont eu lieu sous son règne et que le principal mis en cause est lun de ses très proches collaborateurs. Manifestement, il na pas apprécié. Enaama Asfari, Sahraoui natif de Tan Tan Au commencement étaient les plaintes déposées à Paris par trois Franco-Marocains ayant en commun dêtre passés par les prisons du royaume. Le premier, Enaama Asfari, 44 ans, se trouve dailleurs toujours dans une cellule de la centrale de Salé. Ce Sahraoui natif de Tan Tan, Français à la suite de son mariage avec la militante pro-Polisario Claude Mangin, est un indépendantiste particulièrement actif, habitué des voyages à Alger et des séjours dans les camps de Tindouf. Arrêté à plusieurs reprises entre 2006 et 2009 pour violences et ivresse selon la police marocaine (motifs politiques selon lui), Asfari a été en octobre 2010 lun des principaux chefs du camp de toile de Gdeim Izik (non loin de Laayoune) et, si lon en croit les autorités du royaume, le principal artisan de sa radicalisation. À la veille du démantèlement de cette implantation (qui se soldera par treize morts, dont onze membres des forces de lordre), il est arrêté à Laayoune, puis traduit en justice en février 2013 avec 23 autres Sahraouis devant le tribunal permanent des Forces armées royales. Si lon en croit laccusation, des armes et une forte somme dargent auraient été découvertes dans sa tente. Verdict : trente ans de prison. Le second, Zakaria Moumni, lui aussi époux dune Française, a connu son bref instant de célébrité en 1999, lorsquil a remporté le championnat du monde de kickboxing catégorie light contact, une discipline plutôt confidentielle et non olympique, mais dans laquelle les Maghrébins excellent. Son heure de gloire passée, Moumni na quune obsession : se faire nommer conseiller auprès de la Fédération royale marocaine de boxe (FRMB), poste auquel il a droit, assure-t-il, et qui sattribue sur décision du Palais. En 2006, devant son insistance, le roi lui fait octroyer deux licences de taxi, lune à son nom, lautre à celui de son père. Mais Zakaria Moumni nen démord pas. En janvier 2010, le voici qui manifeste bruyamment devant la résidence royale de Betz, en région parisienne, avant de se faire interpeller par la police. Huit mois plus tard, lancien champion est arrêté à laéroport de Rabat à la suite dune plainte pour escroquerie et usurpation de titre déposée contre lui par deux citoyens marocains. Condamné en octobre 2010 à trois ans de prison, Moumni est gracié seize mois plus tard, rentre en France et poursuit sa quête. Il exige des compensations, dénonce la corruption au sein de la FRMB et va même jusquà adresser une lettre ouverte à... Barack Obama, en novembre 2013. Lacteur espagnol Javier Bardem présente son film Enfant des nuages, la dernière colonie à Paris le 18 février, en compagnie de la militante indépendantiste Aminatou Haidar (en rose). © Kenzo Tribouillard/AFP Le troisième plaignant, Adil Lamtalsi, 33 ans, est le moins médiatique, mais cest par lui que le scandale est arrivé. Après une éphémère carrière de producteur de cinéma à Rabat (Nancy et le monstre, de Mohamed Frites en 2006, film qui nest pas resté dans les annales) et quelques ennuis avec la justice espagnole, Lamtalsi est arrêté à Tanger en octobre 2008 pour tentative avortée dexpédition de 1 601 kg de chira [cannabis] par voie aérienne à partir dun terrain de fortune non loin de Ksar El Kebir. Condamné à dix ans ferme, ce Franco-Marocain est transféré en avril 2013 de la prison de Kenitra à celle de Villepinte, en France, pour y purger le reste de sa peine. En mai, il dépose une plainte contre la DGST et, en décembre 2013, une juge dinstruction est saisie de son dossier. Son nom : Sophie Kheris, magistrate connue pour être intervenue dans les affaires Bettencourt et Karachi et qui instruit en ce moment la plainte du Franco-Ivoirien Michel Gbagbo (le fils de Laurent) contre Guillaume Soro. Cest elle qui, alertée au matin du 20 février de la présence à Paris dAbdellatif El Hammouchi, venu pour une discrète conférence réunissant des responsables sécuritaires français, marocains, espagnols et portugais, dépêchera les policiers à la résidence de lambassadeur. >> Lire aussi : Coup de froid entre Paris et Rabbat après des accusations de torture Un trio davocats pugnaces Ces trois Franco-Marocains, pris en charge par lONG Action des chrétiens pour labolition de la torture (Acat) et un trio davocats pugnaces - William Bourdon, Patrick Baudouin, Joseph Breham -, bénéficient dun réseau de soutien suffisamment informé pour être au courant des allées et venues des officiels marocains en France et suffisamment organisé (y compris financièrement) pour permettre au kickboxer Zakaria Moumni daller plaider sa cause aux États-Unis : il sy trouvait fin février, à la recherche de soutiens entre New York et Washington. Tous trois jurent avoir été interrogés et torturés pendant une brève période au siège de la DGST, à Témara, en la présence furtive dEl Hammouchi - doù les plaintes contre ce dernier. Une accusation démentie à Rabat, où lon assure que les trois prévenus ne sont jamais passés par Témara, et qui étonne beaucoup les familiers de ce haut fonctionnaire de 47 ans. Certes, le juriste Abdellatif El Hammouchi a fait toute sa carrière dans la maison, à lombre du général Laanigri dont il fut le bras droit. Mais ce spécialiste, très apprécié de ses interlocuteurs étrangers (en particulier français et américains) pour sa connaissance de lislamisme radical, est aussi celui qui a démystifié la DGST en ouvrant son siège aux visites de parlementaires, de magistrats et de militants des droits de lhomme. Que diable serait-il allé faire dans cette galère tout droit surgie des années de plomb ? Devant lambassade de France à Rabat, mardi 25 février. © Jalal Morchidi / AFP Si les Marocains sont furieux en ce jeudi 20 février, cest aussi pour une autre raison. Par le plus grand des hasards, une autre affaire est venue télescoper et amplifier la péripétie de Neuilly. Le 18, soit deux jours auparavant, lacteur espagnol Javier Bardem, qui, à linstar de son amie Victoria Abril, du Français Pierre Richard et de quelques autres, fait partie de la petite galaxie des vedettes engagées aux côtés du Polisario, est venu présenter à Paris son film Enfants des nuages, la dernière colonie. Une heure vingt dhabile propagande dans laquelle Bardem se met volontiers en scène, entrecoupée dinterviews dindépendantistes (cétait mieux du temps de la colonie espagnole [sic]), dimages darchives et danimations présentant le conflit de façon simpliste. LAlgérie est à peine mentionnée, la Mauritanie pas du tout. Pas un mot sur le plan dautonomie ni sur la situation des droits de lhomme dans les camps de Tindouf. Flanqué dAminatou Haidar, égérie du Polisario de lintérieur, Javier Bardem évoque en marge de la projection une phrase que lui aurait dite lambassadeur de France auprès de lONU, Gérard Araud, rencontré en 2011 : Le Maroc est une maîtresse avec laquelle on dort tous les soirs, dont on nest pas particulièrement amoureux, mais quon doit défendre. Rebelote le soir, sur le plateau du Grand Journal de Canal+. Sur le coup, nul ny prête attention. Mais deux jours plus tard, jointe au camouflet de Neuilly, la confidence désabusée attribuée au diplomate français et reprise par le ministre marocain de la Communication, qui sen offusque, sera le détonateur de la crise. Rabat annonce la suspension des accords de coopération judiciaire entre les deux pays Désormais, tout va vite. Lundi 24 février, la conférence que lenvoyé spécial de François Hollande pour la protection de la planète, Nicolas Hulot, devait tenir à Rabat est annulée par les autorités marocaines sans explications. Le soir, le président français téléphone au roi Mohammed VI, en visite de travail en Côte dIvoire. Les deux hommes se parlent longuement, sur un ton apaisé, mais le souverain nobtient pas les explications quil exige. Mardi 25 dans laprès-midi, le ton monte : plusieurs milliers de Marocains manifestent devant lambassade de France à Rabat, dans le calme certes, mais tout de même. Drapeaux chérifiens, slogans monarchistes, portraits du roi en uniforme militaire face au bâtiment surmonté du drapeau tricolore : une image rare. Le soir, la situation paraît suffisamment tendue vue de Paris pour que trois ministres français, Jean-Marc Ayrault, Manuel Valls et Laurent Fabius, appellent leurs homologues marocains respectifs, Abdelilah Benkirane, Mohamed Hassad et Salaheddine Mezouar. Mercredi 26 enfin, Rabat annonce la suspension des accords de coopération judiciaire entre les deux pays. Puisque les Français nous indiquent que le problème ne concerne que leur justice et que leur justice est indépendante, bref quils ny peuvent rien et que cela risque de se reproduire, notre riposte se situe donc sur le terrain judiciaire, confie un proche du Palais. Manière aussi de canaliser le contentieux dans un cadre précis sans jeter le bébé - le fameux partenariat dexception vanté par François Hollande - avec leau du bain. En attendant, les premières victimes de ce quil faut bien appeler pour le moins une crise diplomatique sont les Franco-Marocains détenus au Maroc, dont les dossiers sont bloqués. Autrement dit ceux-là même dont les ONG et leurs avocats exigent le transfèrement. Ces derniers seraient-ils instrumentalisés par des lobbies hostiles au régime marocain ? On aimerait ne pas le croire même si, à moins de deux mois dun rendez-vous crucial devant le Conseil de sécurité de lONU sur la prolongation du mandat (sous sa forme actuelle) des bérets bleus de la Minurso au Sahara occidental, la coïncidence est plutôt troublante. lAvec Youssef Aït Akdim Lire larticle sur Jeuneafrique : Diplomatie | France - Maroc : la gifle de Neuilly | Jeuneafrique - le premier site dinformation et dactualité sur lAfrique Follow us: @jeune_afrique on Twitter | jeuneafrique1 on Facebook
Posted on: Mon, 10 Mar 2014 10:47:48 +0000

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